Les combattants indochinois du Corps Expéditionnaire

Les unités mixtes ou autochtones

Unités mixtes ou autochtones
Supplétifs Militaires
En 1945 et 1946, les volontaires recrutés au gré des circonstances ont été rassemblés en groupes. On cite les partisans du Haut Donnai, de Long Dien près de Baria, de Muong Laï, les miliciens lao de Ban Koen et les Nungs de la zone côtière. En 1947, des compagnies sont organisées. Dans un premier temps, le commandement semble n'avoir qu'une connaissance très approximative de ces formations. Ainsi lors de l'affaire de Dong Khé le 18 septembre 1950, l'Etat-Major déclare "que le poste était tenu par 200 légionnaires et 10 artilleurs" et ajoute "qu'il croit savoir sans en être certain qu'une compagnie de partisans se trouvait dans la bourgade". Par la suite, aucun communiqué ne cite ces Tonkinois.

Commando supplétif 534

En 1951, le commandement avance le chiffre de 349 compagnies de supplétifs pour les TFEO et de 497 pour les armées nationales. A cette époque 112.500 irréguliers sont soldés.
L'absence ou l'imprécision des archives rend difficile l'étude de ces unités, même région par région.
- Au Tonkin : Outre les Thaïs, les premiers ont été les 900 supplétifs emmenés en mars 1946 par la 9ème DIC de Cochinchine à Haïphong en dépit des ordres donnés. Ces hommes sont de retour à Saigon le 20 mars 1946. Ensuite, le recrutement de Tonkinois est effectué. Ainsi lors du repli de la garnison de Cao Bang en octobre 1950, deux compagnies supplétives accompagnent la colonne Charton. Une de ces formations placée sous les ordres du lieutenant Villard et "oubliée" à Qui Chanh reprend la cote 477. C'est un des très rares succès tactiques de cette catastrophique opération. Les compagnies légères de supplétifs militaires du Tonkin ont été numérotées de 1 à 500. Le plus souvent ces troupes n'ont jamais opéré à un échelon supérieur à celui de la compagnie. Cependant, le groupement des formations indochinoises du secteur de Cao Bang aligne en 1948 cinq compagnies. En 1950, les partisans des Evêchés de Bui Chu et de Phat Diêm sont rassemblés en groupements mobiles autonomes n°1 et 2, plus tard transformés en BVN 16 et 18. En 1951, le groupe de supplétifs spéciaux n°1 est mis sur pied à Kiên An avec des effectifs approchant ceux d'un bataillon. Cette formation a d'ailleurs été à l'origine de la création, dans l'Armée Nationale Vietnamienne, des Tieu Doan Kinh Quan ou bataillons légers. Enfin le 1er février 1953, le 1er groupement mobile de partisans Thaïs fort de 24 compagnies voit le jour à Laï Chau.
Parmi les plus glorieuses CLSM tonkinoises on peut signaler la 11e de l'adjudant Vandenberghe citée à l'ordre de l'Armée, la 150ème du lieutenant Nghiem Xuan Toan, la 284ème de l'adjudant Peyrol qui, en octobre 1952, se sacrifie à Muong Chen pour couvrir le repli du 6ème BCPC et enfin les 263ème et 264ème CLSM rattachées au BMI.
- En Annam : les compagnies de supplétifs sont répertoriées de 500 à 700, la plus célèbre étant la 610ème du capitaine Raphanaud.
- Au Laos : où dès 1945 affluent les volontaires khas, laos et méos, les unités d'irréguliers revêtent des aspects divers. Elles sont groupes de partisans au début puis, en 1948, "soums", mot laotien signifiant groupe, de 60 "soumiers". Ces troupes portent un numéro dont le chiffre de la dizaine correspond au BCL de rattachement. Le 1er septembre 1950, les "soums" deviennent compagnies légères supplétives laotiennes ou compagnies de contre-guérilla. Il y a alors 17 CLSL identifiées de 101 à 117 puis de 851 à 867. En 1954 il y aura 19 compagnies de supplétifs militaires, la première étant la 850ème et la dernière la 868ème.
- Au Cambodge : les unités de partisans sont numérotées dans une série débutant à 800.
- En Cochinchine : l'effort d'organisation des irréguliers est très tôt entrepris.

Ainsi dès 1946, on peut noter l'existence de bureaux de supplétifs de zone et de quartier destinés à l'administration de ces recrues. Ces dernières sont incorporées en détachement de supplétifs de l'Armée Française (DSAF) numérotés à partir de 1. Plus tard, il existe des détachements de supplétifs de l'Armée Vietnamienne dont le plus célèbre est le détachement de supplétifs spéciaux formé de 200 captifs viêt minh libérés par Bao Dai. Ces hommes ont pour mission de neutraliser les effets du Dich Van, service de propagande ennemi.
Le 28 janvier 1952, les CLSM sont créées et numérotées dans une suite débutant à 700. Ces formations sont transformées en 91 compagnies FTEO le 1er juin 1954. Il faut noter également au Sud Vietnam la présence de 55 brigades caodaïstes structurées en 26 dai doi (1) et de 8 compagnies de la même secte identifiées de 1 à 63. Les Hoa Hao alignent 23 dai doi répertoriés de 4 à 99, les trung doi (2) 107 et 108 et une brigade d'amazones commandée par la redoutable Le Thi Cam épouse de Tran Van Soai, grand chef de la confrérie (3). Les Binh Xuyen de Bay Vien sont restés organisés en bandes. Les 80 Unités Mobiles de Défense des Chrétientés équivalent à 38 CLSM ; incorporées dans l'Armée Vietnamienne, elles ont formé entre autres le 17ème BVN. En 1952, il existe un 1er Bataillon Mobile des UMDC ainsi qu'un groupe d'intervention. Le journal "Tieng Ken", "la voix du clairon", présente le chef d'état major de ces deux dernières formations comme un officier "qui ne boit pas, ne fume pas, ne joue pas aux cartes et sait être sévère ou généreux quand il le faut".

Les Commandos

Dès le début des hostilités, des commandos entraînés aux Indes dans le cadre de la Force 136 ou venus de Ceylan avec le 5ème RIC opèrent dans la péninsule indochinoise. Ces formations comportent à l'origine un certain nombre d'Indochinois. Parfois ceux-ci déçoivent, tels les Annamites du SAS B3 qui, "contaminés par la propagande de marchandes de légumes", déclarent le 7 octobre 1945 à Saigon ne pas vouloir combattre leurs frères de race. Ces corps recrutent ensuite surtout des Laotiens et des Montagnards. Ainsi sont constitués le 1er Commando Franco-Laotien, le 2ème Commando de Chasseurs Laotiens, le 3ème Commando Franco-Rhadé, les 4ème, 5ème et 6ème Commandos Franco-Laotiens et le Commando de Cavaliers du Tran Ninh, tandis qu'en pays Thaï se trouve le Commando Tho du Capitaine Cuq. Au Cambodge combattent le Commando Blindé et les Commandos 3, 4 et 5, ce dernier étant à base de Légionnaires, et ensuite le Commando n°8 transformé en 3ème puis lère Compagnie. La moitié des effectifs de cette dernière sont des Khmers.
A partir de 1948, on assiste à la naissance de multiples commandos, tels ceux nommés Do Huu Vi, Ngo Quyen, Le Loi et Quang Trung en Annam. Le 15 janvier 1950, 23 commandos se trouvent au Sud Vietnam. Dans la majorité des cas, les Européens et les Indochinois qui les forment, provenant de CLSM transformées, n'ont pas reçu l'instruction adéquate à ce type de formation. La Marine Nationale qui a engagé dans la péninsule des unités de cette sorte s'insurge d'ailleurs contre ce manque de compétence lorsqu'il s'agit de jaunir ses propres commandos. Elle fait alors remarquer que les matelots français spécialisés ont été l'objet en métropole et en Algérie d'un entraînement très complet de six mois, alors que les marins auxiliaires locaux n'ont bénéficié que de trente jours de mise en condition. En outre, l'Etat-Major s'élève à plusieurs reprises contre la dévalorisation du terme commando ; par exemple début 1949 une compagnie commando existe au BM du Ier RIC.
Par la suite, le Ier Bureau s'efforce de réguler la mise sur pied de ces corps. Ainsi, le 2 juillet 1951, le général de Lattre de Tassigny ordonne la création au Nord Vietnam de 8 commandos de supplétifs encadrés par des personnels formés par les troupes aéroportées. Quelques jours après, ce chiffre est porté à 30 puis à 45 unités, ayant un effectif de 9 Français et de 120 Tonkinois. L'Annam est doté de 6 commandos. Ils sont dits de choc, de zone ou de débarquement. Il existe aussi des commandos de l'Armée de Mer, dits commandos marins ou compagnies légères d'accompagnement.
Les commandos ainsi réglementairement constitués bénéficient de conditions d?armement, d'encadrement, d'habillement, de solde et de souscription de contrats plus favorables. Ils reçoivent des missions bien déterminées. Une école de commandos fonctionne à Vatchay, administrée par le Commando 45. Toutes ces unités sont numérotées dans une série ininterrompue, ceux dits de débarquement l'étant à partir du numéro 60.
Parmi les plus connues de ces troupes, on peut citer :
Au Tonkin :
- Le Commando 10 du 2ème BEP nommé également Commando de Préville voire Commando Leyon, c'est-à-dire lion prononcé à la vietnamienne.
- Le Commando 13 sous les ordres du capitaine Delayen puis du lieutenant Bui Pho Chi dit Roger, deux fois cité à l'ordre de l'Armée.
- Le Commando 17 du lieutenant Henry, cité à l'ordre de l'Armée.
- Le Commando 20 à base de supplétifs Muong.
- Le Commando 23 formé d'Africains et de Tonkinois, sous les ordres du lieutenant Rusconi dit "Le Sanglier".
- Le Commando 24 de l'adjudant chef Vandenberghe, cité à l'ordre de l'Armée.
- Le Commando de débarquement 61 du lieutenant Forray, actuel Grand Chancelier de la Légion d'Honneur.
- Les Commandos Thaïs du lieutenant Wieme de Ruddere, ayant agi dans la cuvette de Diên Bien Phu en 1953 et 1954.
D'autres unités semblent avoir été dépourvues de numéro, tel le Commando Lasserre dit également Peloton de Reconnaissance de la Zone Ouest opérant dans le Ha Dong, ou le Commando Robert.
En Annam :
- Le Commando Conti-Cavalerie du Ier REC.
- Le Commando Le Loi du Ier REC.
- Le Commando de Cu Lao Rê.


- Le Commando d'Annam Voisard.


- Le Commando 535.
- En 1953, le 1er Groupe de Commandos supplétifs voit le jour. Beaucoup de ses hommes sont issus des CLSM 525,534, 535 et 544. Sur les Hauts Plateaux, les commandos nomades montagnards du capitaine Vitasse opèrent avec le 19ème Goum du 8ème Tabor Marocain.
En Cochinchine :
4 commandos Hoa Hao sous les ordres du capitaine Charvet sont mis sur pied le 4 novembre 1947. La plus ancienne et la plus célèbre unité d'élite est le Commando Bergerol. On peut aussi citer le Commando Hoa Hao Fransecur, le Groupement des Commandos Spécialisés de Thu Duc, les Commandos des Plantations 23 P, 40 P, 43 P,47 P et 48 P ainsi que le Commando 716 des UMDC.
Dans la Marine, à partir de mai 1953, les Commandos Dominé, Jaubert, Montfort, Ouragan, Sénée et Tempête ont été jaunis avec des partisans originaires du Thanh Hoa et de Cu Lao Rê. Un groupement de commandos supplétifs de la Marine a existé au Tonkin.
Pour la petite histoire, il convient de préciser que des commandos cynophiles ont été constitués et numérotés 5 au Laos et de 6 à 9 au Tonkin. Les Indochinois maîtres de chien y sont dénommés cyno-commandos. Un compte rendu établi par un officier du I/24ème RTS reflète l'ébahissement du rédacteur en voyant débarquer dans son poste "un vétérinaire de 46 ans uniquement occupé de la santé de ses toutous". Le praticien annonce au lieutenant éberlué "que ses animaux sont dépourvus de flair en climat humide". Comme la zone d'action est constituée de rizières bordées par le Fleuve Rouge et les Rivières Claire et Noire "les Médors amenés à grands frais n'ont plus qu'à dormir".

Le Groupement de Commandos Mixtes Aéroportés
Le général de Lattre de Tasssigny ayant constaté "de sérieuses déficiences dans le domaine des renseignements en Indochine", un service action voit le jour le 7 avril 1951. Le 1er mai suivant, l'organisme d'exécution de la formation est baptisé GCMA. La doctrine d'emploi consiste tout d'abord en la mise sur pied de maquis thaïs et thos, sur les arrières de l'ennemi. Le premier chef de corps est le lieutenant-colonel Grall remplacé ensuite par le chef de bataillon Trinquier. Au cours de son existence le GCMA a agi en zones nord-ouest et côtière du Tonkin, au Laos, sur le littoral de l'Annam et les Hauts Plateaux et dans une moindre mesure au Cambodge et en Cochinchine.

G.C.M.A.
Devenu Groupement Mixte d'Intervention le 1er décembre 1953, l'organisme, qui comporte un état-major, une compagnie de commandement et trois sections opérationnelles aériennes, est structuré en quatre représentations régionales au Tonkin, au Centre et Sud Vietnam, ainsi qu'au Laos. En outre, deux antennes fonctionnent à Phong Saly et sur les Hauts Plateaux. Il dispose aussi de deux centres d'instruction à Ty Wan près du Cap Saint-Jacques et à Cu Duong au Tonkin. En 1953, les effectifs théoriques autochtones comprennent 2 officiers, le capitaine Ly Seo Nung et le lieutenant Hoang Lung, 620 sous-officiers et tirailleurs ainsi que 2.400 supplétifs. Lors de sa dissolution, le 21 juillet 1954, il n'aligne plus que 36 réguliers, 25 irréguliers et 2 chiens de guerre. Par contre, il anime et entretient 20.000 maquisards, le double de cet effectif étant prévu à l'automne 1954.
Sur le terrain, les hommes du GMI appartiennent à des centaines, des cinquantaines et des trentaines. Au cours du 2ème trimestre 1953, ils sont organisés en groupes de commandos numérotés dans la série 200 au Laos, 500 sur les Hauts Plateaux, les 502ème et 503ème étant constitués de Hrés. En Centre Annam, ces petites unités portent le numéro 300, 316 pour l'ethnie Dié, 400 au Cambodge et 600 au Sud Vietnam.
Par définition, la structure d'un mouvement clandestin est difficile à reconstituer. On peut cependant citer parmi les rassemblements le plus souvent évoqués :
- Au Tonkin, les maquis Chocolat du célèbre chef borgne Cho Quan Lo, Colibri, Aiglon et Calamar installés dans les massifs de Long He et de Co Tonh entre Na San et Diên Bien Phu. Cardamome à 50 kilomètres au nord de Lai Chau. Ensuite viendront les rassemblements Pavot, Corail, dans la région de Luc An Chau, Ibiscus, Banane et Potiron.
- Au Laos, les missions Malo dans le secteur de Xieng Khouang, Servan près de Sam Neua, Sangsue et Normandie en Pays Thaï rouge, Gascogne, Soja, Condor, Vautour, Gamma, Aréquier et Rodeur.
Il est arrivé que, pour des opérations ponctuelles, des unités du GMI soient rassemblées. C'est notamment le cas en août 1953 d'un groupement de 3.500 hommes qui a protégé le repli de Na San. Le 3 octobre 1953, 600 maquisards sous les ordres du lieutenant supplétif Se Co An entreprennent l'opération Chau Quan Tin du nom du Ly Truong (4) assassiné à Cha Pa par le Viêt Minh. Assisté d'un commando de 60 hommes parachuté avec le lieutenant Pham Duc Long, les maquisards reprennent Coc Leu près de Lao Kay, en tuant 150 adversaires.
Lors du cessez-le-feu, certains maquis restent sur le terrain. En particulier, ceux dont les membres ont formé, le 15 avril 1954, le Comité de Libération du Haut Fleuve Rouge. Jusqu'au 27 juillet 1954, date où ils sont abandonnés à leur sort, l'aviation française fait un effort particulier pour les ravitailler en armes et munitions. Le GCMA a été cité à l'Ordre de l'Armée.

Les Gardes et les Unités Paramilitaires
Certaines de ces formations, encadrées par des militaires français, ont été entretenues au sein des TFEO jusqu'en 1949, année où la plupart ont été confiées aux gouvernements nationaux. C'est le cas des unités énumérées ci-après :
- Garde des voies ferrées du Vietnam et du Cambodge.
- Autodéfense des exploitations industrielles du Tonkin.
- Milices administratives du Cambodge.
- Partisans civils laotiens.
- Garde Républicaine Cochinchinoise,au sein de laquelle servent des gendarmes de la Iére LMGR.
- Groupe d'Escadrons Cochinchinois et de la Garde Montagnarde, soutenu par la 2ème LMGR.
- Garde Frontière de l'Est et de l'Ouest Tonkinois encadrés par la 3ème LMGR.
Enfin, il faut préciser qu'en 1949 les autodéfenses des plantations et des villages armés représentent plus de 30.000 hommes.
Cette longue énumération, non exhaustive, des corps de troupe mixtes ou autochtones permet d'évaluer les très importants effectifs indochinois présents dans les rangs des TFEO. Les natifs de la péninsule y servent en arborant traditionnellement l'ancre des Troupes Coloniales ou la grenade à sept flammes de la Légion Etrangère, mais aussi les insignes de bataillons de marche d'infanterie métropolitaine, de régiments nord-africains, de chasseurs à cheval, cuirassiers, dragons et spahis, voire de chasseurs à pied parachutistes.
De nos jours les vétérans indochinois n'ont pas oublié ces unités. Ainsi, le 14 juillet 1989, 20 Khmers ayant servi dans l'Armée Française ont été invités à une réception organisée au PC du bataillon français détaché au Cambodge. D'après un témoin "les voix de ces hommes retrouvaient un français hésitant. Quelquefois le corps cité n'avait qu'un numéro mais le matricule fusait sans hésitation". L'un deux se présente ainsi à l'adjudant-chef Antoine du 8ème RPIMA "Caporal Chao Soun, matricule... 8ème bataillon. capitaine Touette" (5). Un peu plus tard cet ancien gradé rescapé de la bataille de Diên Bien Phu met prestement sur sa tête le béret rouge du sous-officier très ému et refait sans hésitation les gestes du salut militaire, puis il ajoute : "La France, pas moyen partir".

Colonel Maurice RIVES


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