1949 –1952
 

Point de vue du Colonel (h) Norbert DELPON.

( Lieutenant au 27ème B.T.A.)


 

Cliquez pour agrandir

Débarquement d'une section du 23 RIC par la mer au sud de Dong Hoi

Déformée, attaquée, oubliée, voilà ce que je constate sur la campagne d’Indochine cinquante ans après mon séjour de guerre, dans un pays merveilleux, au milieu d’un peuple pacifique et très attachant, toujours soumis actuellement à un régime communiste totalitaire.

Sorti de l’Ecole Militaire Préparatoire Technique de Tulle, des Enfants de Troupe, au terme de cinq années d’internat, je venais de vivre la défaite, l’occupation, le maquis et la libération après 4 années de conflits ; la victoire éclatante des alliés à l’échelon planétaire nous faisait croire à la fin des guerres pour longtemps, enfin la paix ; les soldats rentraient chez eux.

En 1944 à 20 ans, nous étions la jeunesse qui allait reconstruire l'avenir de la France et la protéger avec une nouvelle Armée, que le Général De LATTRE de TASSIGNY s’acharnait à façonner dynamiquement. Pour ma part, j’avais été préparé à une carrière militaire, EMIA de Coëtquidan en 1945, EAABC de Saumur en 1946, mon premier régiment le 4ème Cuirassiers de Mourmelon, le mariage en 1947 et le premier enfant en 1948. En 1949, en vacances à “ Stella Plage ” en mer du nord, j’ai été appelé pour partir en séjour en Extrème Orient. Je ne me doutais pas que j’allais être engagé pour neuf ans et demi de guerres de plus, adieux à la paix ; étant militaire de carrière ça ne se discutait pas, la France et son peuple nous ordonnait cette mission. Je me suis vite renseigné sur ce qui se passait là bas, les journaux parlaient de guérilla, de troubles, de zones d’insécurité ; Vu d’ici cela ressemblait à des détails par rapport à la guerre que nous venions de terminer.

Départ en Extrème Orient :

Cliquez pour agrandir

Pose transat sur le "Pasteur"

Sans plus attendre direction Marseille, le camp St Marthe, les adieux émouvants pour des jeunes mariés sur le quai N° 1, et l’embarquement sur le “ Pasteur ” du 26 septembre 1949 pour le premier grand voyage de 19 jours à la mer. Mer calme, escales exceptionnelles : Mers el Kébir pour embarquer des troupes, Port Saïd, Singapour et le large du Cap St Jacques pour les 80 officiers et les 3.000 hommes de troupe partant pour 32 mois d'absence. Transbordement des officiers jusqu’à Saïgon sur un cargo civil curieusement armé d’un canon de 20 et de deux mitrailleuses lourdes de 12,7 ; un ordre surprenant nous est brutalement donné : “  tous les passagers doivent descendre dans le bateau, au-dessous de la ligne de flotaison ”, ça ne ressemblait plus à une croisière.

Au bout d’une demi-heure, nous entendîmes des chocs de projectiles frappant la coque d’acier et des tirs de riposte du canon et des mitrailleuses, ce harcèlement dura jusqu’à notre arrivée à Saïgon, il provenait des Viets installés sur les deux rives de la rivière.

A quai, nous pûmes monter sur le pont avec nos bagages serrés comme des sardines, en attendant le débarquement ; nous observions la foule vietnamienne soyeusement vétue de noir et de blanc, coiffée du typique chapeau pointu en feuille de latanier, lorsque des bruits sourds bien connus au combat, nous firent lever les têtes ; une douzaine de coups de départ de tirs de mortiers changèrent le ton de la musique, nous étions déjà en guerre. Les obus explosaient autour du bateau, dans l’eau et sur les quais,  au milieu de la foule qui courait dans tous les sens en criant et gémissant, notre cargo qui semblait être la cible visée ne fut pas touché, déja la “ baraka ”, ça commencait bien, sinon quel carton, 80 officiers tous “ neufs ” entassés pouvaient être supprimés sans avoir eu le temps de combattre, ( excellente stratégie), la mise dans le “ bain ” par un tel salut ne faisait que commencer à Saïgon même ; une quinzaine de personnes civiles furent tuées ou blessées, emportées par des ambulances, quel contraste avec l’embarquement à Marseille.


 

Saïgon :

Au mess des officiers le premier soir, rencontre avec le Lieutenant J. DELAUNAY camarade de la promotion “  Victoire Coëtquidan 1945 ”, (futur Général CEMAT), qui était en fin de 1er séjour et m’invita à dîner en ville ; premier repas Vietnamien et contacts directs avec cette foule que je découvrais avec beaucoup de curiosité, hommes petits mais musclés, jeunes femmes souriantes et agiles dans leurs robes légères, porteurs avec le balancier aux deux paniers sur l’épaule marchant en cadence, Pousse-pousses, Cyclo-pousses , taxis, odeurs de poisson, nouvelles musiques etc....

Ma chance fut ce premier contact avec DELAUNAY, qui me retraça ce qu’il avait vécu pendant 30 mois de séjour au cours desquels il avait perdu sa main droite déchiquetée par une grenade piègée. Il m’exposa une remarquable synthèse de la situation et de cette nouvelle forme de guerre subversive, où l’ennemi était autour de nous et nous étions au milieu de lui avec beaucoup d'incrtitudes pour l'identifier, l’enjeu était en premier lieu la population ; le danger semblait être partout sous la forme du terrorisme individuel éventuellement, comment distinguer un Viêt d’un habitant paisible. Cet ennemi était essentiellement le communisme et son idéologie, propagés par l’URSS, qui cherchait à l’étendre à toute la planète, puis aussi la Chine, lorsque Mao Tsé Toug en devint le maître ; nous étions là pour protéger le peuple Vietnamien contre un asservissement par la terreur, dans un style de guerre nouveau, vaste programme bien lourd pour notre Armée et les moyens qui lui étaient octroyés. Les raisons de notre engagement d’Officiers Français pour protéger la liberté des Vietnamiens étaient claires ; la France ayant la responsabilité de ce territoire il fallait en chasser d’abord deux envahisseurs, le Japonais et le Chinois ; les accords Sainteny et Ho Chi Minh signés le 6 mars 1946 avaient admis la reconnaissance de l’Indochine comme Etat Libre dans l’union Française ; nous étions là pour la débarrasser du danger d’ingérence extérieure, tout en l’ aidant à établir une démocratie libre dans l’esprit des valeurs de la France. Notre livre de chevet était “ Le Rôle Social de l’Officier ” du Maréchal Lyautey, il était parfaitement dans la ligne de notre action, de plus pour le plus grand nombre, nous n’étions pas des Coloniaux imprégnés du passé, mais des métropolitains marqués par le combat pour la liberté que nous venions de vivre en Europe.

Les informations et les conseils du Lt. DELAUNAY me fûrent extrêmement précieux, ils me firent gagner plus de 6 mois d’expérience de ce combat sur le terrain.

Vers 22 h nous rejoignîmes le mess, il héla un vélo-pousse pour me faire reconduire au camp militaire où nous étions hébergés. Assis sur un siège entre les deux roues avant je ne voyais pas le conducteur perché sur sa selle derrière moi, nous prîmes un itinéraire que je ne reconnaissais pas, grands boulevards, rues éclairées, puis un chemin de terre bordé de Paillotes et d’un cimetière dans la nuit noire ; inquiet, je demandais à mon porteur de faire demi-tour, il ne répondit pas ou fît semblant de ne pas comprendre ; armé d’un pistolet P 08 personnel, que mon Beau Père avait récupéré sur un officier Allemand lors de la guerre 14/18 et qu’il m’avait conseillé d’emporter du fait que nous n’étions pas armés avant d’avoir été affectés à une unité, je décidais de parler avec le langage de mon arme, l’effet fut immédiat, nous fîmes demi-tour pour revenir à bonne vitesse vers un lieu éclairé moins malsain ; rencontrant un légionnaire qui rentrait d’une sortie nocturne, figé dans un parfait salut, je fus rapidement renseigné sur la bonne route à suivre ; de retour au mess, une jeep avec chauffeur fut mise à ma disposition pour me ramener à bon port. Je ne sais pas encore ce que ce conducteur de pousse avait en tête, il me fut dit que parfois, des officiers nouvellemnt arrivés disparaissaient dans la nuit sans laisser de traçes ; il était temps de se mettre dans le “ bain ” des nouveaux réflexes de cette forme de combat.

Présentés à Saïgon au Général Inspecteur de l’Arme Blindée, je fus désigné pour rejoindre le Centre Vietnam à Hué, avec mon camarade de promotion le Lieutenant LIEURY. arrivé avec moi. Embarqués sur un autre Cargo “ L’Espérance ”, (nom prédestiné), nous reprîmes la mer de Chine en direction de Tourane . Au large de Nha Trang nous dûmes subir un Typhon durant 2 jours, accrochés à nos couchettes, l’estomac vide, malades , assez surpris de tout ces avatars, le roulis et le tangage devaient être à leur maximum  lorsque l’hélice sortait de l’eau dans des vibrations effroyables ; un sénégalais égaré sur le pont fut emporté par une lame comme un bouchon, sans secours possibles, nous avons pensé que notre séjour pouvait une fois de plus se terminer avant d’avoir vraiment commencé.. Le calme revenu, il fallait reprendre nos esprits pour débarquer à Tourane, dont les quais étaient aussi fréquemment harcelés au mortier.

Le jour de notre débarquement, nous pûmes assister à un défilé en ville du 27ème Bataillon de Tirailleurs Algériens, qui avait embarqué avec nous sur le “ Pasteur ” à Mers el Kébir ; belle unité bien tenue, bélier mascotte en tête, suivi de la Nouba et des 4 compagnies ; le 1er Régiment Etranger de Cavalerie de la Légion qui nous hébergeait, avait son PC. à Tourane, ses 14 Escadrons étaient répartis du Tonkin à la Cochinchine.

Centre Annam Affectation au 27ème BTA.

Le Général L... Cdt. la zone Centre Annam était venu de Hué pour informer les officiers nouvellement arrivés, leur expliquer la situation et cette nouvelle forme de conflit ; à la fin de son exposé, il demanda à ceux qui se poseraient des questions sur cette nouvelle forme de guerre, de bien vouloir demander son rapport.

Trois Officiers levèrent la main, le Capitaine T...., et les lieutenants C....et G.... du 27ème BTA., anciens FTP Communistes dans la Résistance ; le soir au mess, nous apprîmes qu’ils avaient été mutés à la garnison de Hué, et que moi-même avec le lieut. LIEURY camarade de promotion, étions fortement sollicités pour être affectés au 27ème BTA, pour des Cavaliers ne connaissant rien aux traditions des Tirailleurs ça promettait d’être drôle. Le Général De LATTRE, plus tard les renverra en France pour éviter leur collusion sur place avec les VM.  ..Ces officiers participaient comme nous au tour de service de la semaine pour le commandement de la “ Raffale ”, train civil blindé, qui assurait la liaison entre Hué et Quang Tri ; quant ils étaient de service, ils n’étaient jamais attaqués, quand ce fut mon tour, avec une mission importante m’imposant l’aller et le retour dans la journée, il manquait 100 mètres de voies ferrées à 8 Km après la sortie de Hué, il me fallut rétablir la voie en quelques heures avec le matériel et l’équipe de secours que nous possédions sur le train et aller récupérer des tronçons de rails trainés dans la rizière, avec des buffles, puis je fus harcelé sur 10 Km à l’arme automatique et au mortier par une Compagnie du Rgt. 101 VM.

Dès le 4ème jour, nous avons participé à notre première opération au Sud de Quang Tri au bord de la mer de Chine, et nous pûmes constater que les Viêts étaient difficiles à saisir et à distinguer de la population, ils avaient de nombreuses caches enterrées, creusées et entretenues par les guérilléros locaux. Une nuit nous avons couché au dessus des Viêts, enfouis sous terre sous notre position ; vers 1 heure du matin le calme régnant, ils sont sortis en surprise totale au millieu de notre bivouac, marchant sur les tirailleurs endormis, créant une immense pagaille et le danger de nous tuer entre nous, les sentinelles ayant tout d’un coup des ennemis dans le dos ; heureusement que les obus éclairants de nos mortiers clarifièrent assez vite la situation. Un autre jour dans un village, un tirailleur tirait nerveusement sur des paniers qu’il avait vu bouger, effectivement, il y avait l’entrée d’une cache sous ces grands objets qui ne pouvaient pas s’animer tout seuls ; l’officier de Renseignement tira une semonce de coups de pistolet dans l’orifice et trois viêts appeurés sortirent les bras en l’air ; tous ces évènements nous faisaient entrer dans le vif du sujet, il fallait enregistrer et analyser.


 

Embuscade contre la 3ème Compagnie du 27ème BTA.

Nous étions en groupement opérationnel à Hué le soir de Noël 1949, lorsqu’un message codé nous parvint de la base de notre 3ème Compagnie envoyée en renfort à Dong Hoi, pour ravitailler le poste de Van Xuam encerclé par le Rgt 18 de la division 325 du Viêt Minh ; commandée par le Lieutenant LIEURY, la Compagnie était tombée dans une énorme embuscade avec une autre compagnie du 23 ème RIC, le tout commandé par le commandant Br....

A 160 contre mille hommes d’un bataillon Viêt, pendant que les deux autres Bataillons (2.000 hommes), empêchaient les renforts venant du Nord et du Sud d’intervenir. Le combat dura 1heure 1/2 2 jusqu’au corps à corps, la moitié des combattants furent tués ou blessés, les autres dont le Commandant, furent prisonniers pour 4 ans jusqu’à la fin de la guerre pour ceux qui en revinrent. Le Lieutenant LIEURY gravement blessé au ventre, fut renvoyé vers l’infirmerie des Soeurs Vietnamiennes de An Dinh ; reconnu comme officier par les irréguliers Vietminhs qui pillaient les cadavres sur les lieux de l’embuscada, peut être décédé en chemin, son corps fut brûlé et déposé au mileu des autres tués et brûlés lors des combats; il ne put être formellement identifié, ce qui le fit porter disparu.

Pacification d’un Quartier.

Cliquez pour agrandir

Devant mon poste de Hoa Luat Nam

En avril 1950, le commandement d’une Compagnie me fut confié, avec la mission de pacifier le Quartier de Hoa Luat Nam, à l’endroit ou s’était déroulée l’embuscade de la Noël 1.949. Pour ce faire, je disposais en plus, d’une Compagnie de Partisans Vietnamiens ( 120 hommes), de 3 Milices d’auto-défense des villages, dont une Boudhiste et deux Catholiques (60 hommes), de cinq tours de protection de la route coloniale N° 1, ( 8 hommes par tour = 40 hommes ), ce commandement de 400 hommes correspondait à celui d’un Chef de Bataillon, or je n’étais que lieutenant de 2 ans de grade ; le Corps Expéditionnaire manquait cruellement de cadres, au Bataillon un seul capitaine commandait une Compagnie les autres étaient des Lieutenants, sur 29 officiers du 27 ème BTA à l’arrivée, nous ne sommes rentrés que huit en fin de séjour en 1952, sur “ l’André Lebon ”, les autres avaient été tués, blessés, évacués ou prisonniers. Nos cadres supérieurs étaient en général âgés, peu aptes physiquement au combat à pied dans la jungle ou la rizière, trop marqués par leur ancienne formation militaire et la défaite de 1940. Non seulement il ne fallait pas s’étonner dans ce nouveau contexte , mais j’avais aussi sauté la barrière ; de Maquisard guérilléro contre les Allemands, j’étais maintenant chargé de lutter contre la guérilla Viêt Minh, la première expérience n’était pas négligeable pour mieux comprendre la seconde, mais l’extrême pauvreté des moyens de notre Armée et l’inadaptation criarde de certains ordres venus d’en haut auraient pu briser notre moral. Pour ce qui me concerne, il n’en a rien été, le moule des Enfant de Troupe était inaltérable ; il fallait être à la hauteur de nos anciens et pallier aux difficultés de la France, en donnant le maximum de nous même, nous étions jeunes et pleins d’allant, aussi fanatisés pour la France, que ceux d’en face pour leur idéologie.

Cliquez pour agrandir

Le village et le poste de Hoa Luat Nam

En mai 1950 je reçus l’ordre incompréhensible de dissoudre ma Compagnie de Partisans ; c’était les envoyer à la mort avec leurs familles, ce fut une des plus dures épreuves de ma carrière j’avais du mal à retenir mes larmes lors des adieux, un esprit de révolte naissait en moi ; j’ai gardé les 15 meilleurs d’entre eux en fraude, en payant leur solde avec l’argent du foyer de ma Compagnie de Tirailleurs, ils me rendirent des services inestimables. Dans un autre ordre d’idée, nous manquions de moyens de liaison radio, nos Postes 300 ne résistaient pas à l’humidité excessive, le contact avec le poste le plus éloigné 16 Km, se faisait par optique lorsque les nuages voulaient bien le permettre ; je fus poussé une fois de plus à l’indiscipline pour mieux servir la France, lors d’un fort accrochage, je dus mentir, en signalant la perte de 2 postes radio et demandant le parachutage de 2 autres d’urgence en remplacement, dans ces circonstances cela me fut accordé, avant de passer ma Compagnie en compte plus tard, je signalais les avoir récupérés aux Viêts, dans un autre accrochage, j’étais quitte avec ma conscience. Les fautes du Haut Commandement de Hanoï qui ne tenait pas compte des renseignements fournis par ses services, précipitèrent le désastre de la RC 4 au moment du repli des unités de Cao Bang. Un de mes camarades de promotion le Lt Pas....... du 3ème REI, fut sacrifié en élément retardateur avec son peloton blindé de légionnaires, pour permettre à la colonne du Cel. CHARTON de gagner du terrain. Nous étions conscients comme le gouvernement sans doute, avec les renseignements qu’il possédait, que le réservoir humain de la Chine et la vaste partie montagneuse du Nord-Ouest du Tonkin mal occupée allaient nous poser des problèmes de moyens et d’effectifs, la décision lui appartenait, elle était de montrer sa détermination en envoyant des renforts conséquents et d’agir en même temps diplomatiquement à l’échelon international, on connait la suite.....

Le Général De LATTRE acceptant le commandement en Chef du Corps Expéditionnaire nous à donné l’ordre dès son arrivée, de reconstituer les Compagnies de Partisans, 70 % de mes anciens qui s’étaient cachés sont revenus, les autres avaient “ disparu ”, ; à leur place, après cette trahison de la France, je serais certainement devenu un Viêtminh.

En même temps, des notes de service nous interdisaient de poser des mines et des barbelés autour des Villages à protéger, il nous fallait installer des barrières de bambous que les Viêts enflamaient lors de leurs attaques, en une journée nous avons perdu 3 officiers ayant sauté sur des mines, 7 de mes Tirailleurs dont 4 furent tués ont sauté le même jour lors d’une ouverture de route ; nous relevions les mines innombrables que nous posaient les Viêts pour les reposer contre eux, autour de mes postes j’en avais fait fabriquer avec des paquets de grenades commandées des blockhaus, j’ai moi-même été sauvé par mon ordonance, qui m’a bousculé brusquement pour me faire éviter une mine qu’il avait décelée avant moi devant mes pieds, lors d’un ratissage.

Cliquez pour agrandir

Construction d'un Blockhaus à la Cie de partisants de Hoa Luat Nam

 

Dans le Sous-Secteur Sud de Dong Hoi où je me trouvais, nous avions en face de nous à 15 Km, dans la chaîne Annamitique, le Régiment régulier Viêt N°18 à 3.000 hommes de la Division 325 comprenant elle même, 2 autres Régiments de 3.000 hommes chacun, le N° 95 et N° 101 avec un Bataillon lourd de canons et de mortiers, plus des Compagnies provinciales et des Guérilléros locaux, qui complétaient ce dispositif s’étendant de Hué à Dong Hoi, face à la Mer de Chine.

Une directive de plus,( d’un Général au nom prédestiné), déconnectée des réalités, fut celle de faire construire des Tours de 10 m de haut, occupées par 8 hommes avec 1 ou 2 fusils Mitrailleurs et séparées de 2 à 3 Km, pour assurer la sécurité des itinéraires entre les Postes. Le Commandement Viêt qui disposait de canons sans recul de 75 et de lance fusées anti-chars soviétiques pouvant instantanément éventrer ces ouvrages et les détruire en quelques minutes, laissa faire pendant 5 à 6 mois, toutes les routes étaient devenues sûres, on allégeait les effectifs des Secteurs, les convois recirculaient sans escortes, et puis un beau matin, des centaines de tours furent attaquées en même temps et détruites dans la même nuit par lesViêts, parfaitement coordonnés et bons stratèges ; l’insécurité revint instantanément avec de lourdes pertes pour nous, en Cochinchine en particulier. Ayant refusé d’en construire dans mon quartier, je fus obligé de me conformer à ces ordres et sanctionné de 8 jours d’arrêts. Je fis donc construire de solides blockhaus sur lesquels je fis aménager une tour inocupée la nuit, qui renforçait l’épaisseur du toit de l’ouvrage si la partie supérieure était détruite par les canons Viets. Il n’y avait pas d’électricité dans la région en dehors des villes, ni de groupes électogènes pour ma Compagnie en poste, cela posait de sérieux problèmes en cas d’attaques massives qui se produisaient toujours la nuit, j’avais été obligé d’aménager des caniveaux en ciment que nous pouvions remplir d’essence et allumer au milieu d’un assaut éventuel, en avant des défenses, entre les 5 réseaux de bambous appelés “ Zéribas ”. Plus tard lors d’un passage à la base arrière de Hué, je me fis prêter un groupe éléctrogène par une unité du Génie qui possédait l’électricité, il ne lui fut jamais rendu.

Embuscade contre ma Compagnie.

 

Cliquez pour agrandir

PC Radio de la Cie Delpon en opération, Mdl Lafont

Le 16 mai 1950, obligés de monter des opérations de ravitaillement protégées militairement pour accéder à nos postes les plus éloignés, ma Compagnie avec celle du Lt SIMON tombèrent dans une grosse embuscade du Régiment 18, identique à celle de Noël 1949, un Bataillon contre nos 200 tirailleurs et 100 “ coolies ” portant les vivres et munitions, les 2 autres postés au Nord et au Sud afin d’intercepter les secours. Mon chef de Section de tête décela un Viêt en tenue de l’Armée Régulière qui se déplaçait mal camouflé, ce qui nous évita de tomber dans la nasse ; nous fûmes tout de même encerclés en fin de journée adossés contre une rivière, mais profitant de la nuit nous pûmes rompre l’encerclement et nous dégager, nos pertes furent de 12 hommes. Le lendemain le 8ème Régiment de Spahis Algériens envoyé en renfort tomba à son tour dans une autre embuscade montée plus loin à Xuam Bô et subit les pertes de 45 tués et 72 blessés en une demi journée, il fallut parachuter le 1er Bataillon Etranger de Parachutistes de la Légion venu de Saïgon avec le Capitaine CABIRO, pour pouvoir dégager tout le monde. Le Régiment Viêt Minh subit à son tour des pertes qui atteignirent les ¾ de ses effectifs et fut envoyé en Chine pour s’armer et se reconstituer, 6 mois plus tard il était de retour en face de nous et nos pertes n’avaient pas été comblées, ce déroulement devenait inquiétant nous sentions déjà qu’un jour nous serions submergés par le nombre.

Attaque du Poste de TULIEN HA.

Le 14 juillet 1950 c’est le Régiment 95 Viêt Minh au complet, 3000 hommes qui attaqua le poste le plus au sud du S/Secteur, THUY LIEN HA, commandé par le Lieutenant Algérien GRAÏNE, défendu par 49 Tirailleurs, le premier coup de canon de 75, (pris par les Viêts dans un poste enlevé à des Sénégalais), en tir direct éventra la tour de garde, le Lieutenant fut assommé mais reprit vite ses esprits, spécialiste des mortiers lors de sa campagne en Italie en 1944, il disposait de trois pièces de 60 et 81 très bien réglées sur tous les angles morts, 2 séries de 10 obus par tube allaient causer de lourdes pertes aux viêts massés à l’abri des tirs directs dans un vallon près du poste, un haut parleur diffusa de la propagande destinée aux Algériens pour les inciter à se rendre, en leur promettant un beau 14 juillet, le combat fut acharné, il dura deux jours et une nuit, nos renforts furent stoppés à 3 Km une des soutes à munitions sauta, 3 blockhaus sur 4 furent détruits, les défenses d’une face furent rasées par le canon ennemi, il fallut encore faire appel à l’aviation et au 1er BEP de la Légion qui fut parachuté sur le poste au milieu de la bataille, les Viêts se retirèrent, il restait 9 survivants dont le Lieutenant, beau fait d’arme, mais nous étions encore grignotés sévèrement.
 

 

Passage de mon Quartier pacifié aux Vietnamiens.

Dès fin 1950, le Général De LATTRE galvanisa les Lieutenants et les Capitaines qui menaient cette guerre sur le terrain, l’espoir revint, nous pûmes poser des mines, et des barbelés, les munitions ne nous furent plus mesurées, la jeune Armée Vietnamienne de BAO DAÏ se structurait ; la pacification de mon quartier était terminée, le calme règnait, je dus le passer en consigne à un Bataillon de cette Armée commandé par un camarade Cavalier de ma promotion de Saumur, le Lieutenant THON THAT DINH devenu Commandant, remarquable officier de l'Armée Viétnamienne parfaitement à la hauteur de sa mission, un bel espoir d’avenir, mais le choix de l’Empereur BAO DAÏ par notre gouvernement s’avéra désastreux politiquement.

Cliquez pour agrandir

Artilleur de l'armée vietnamiène

Depuis des mois aucun Viêt Minh ne pouvait pénétrer dans le quartier sans que j’en sois informé, soit par les milices ou les Partisans, il leur était impossible de monter une embuscade sans être dénoncés à temps et de ce fait ils étaient très vulnérables, pouvant être pris à partie par nos groupements opérationnels et nos moyens lourds terrestres ou d’aviation.

 

Cliquez pour agrandir

Poste de l'armée Vietnamiène elevé par le Rgt Viet 95, tour perforée et "zéribas" de bambous"

 

Je fis mes adieux au 27ème BTA, aux Partisans, aux Milices catholiques, boudhistes, et à la population de HOA LUAT NAM. Ce souvenir du devoir accompli envers eux était un grand soulagement, il me reste pour toute la vie, ce peuple magnifique à été soumis ensuite par la terreur pour être embrigadé dans une idéologie inhumaine,.après avoir été comme notre Armée, abandonné par les gouvernements de la France de ces époques ; les exécutions touchèrent nos anciens Partisans et leurs familles, les Camps de “ rééducation ” de triste mémoire chez Staline, s’ouvrirent en grand nombre pour laver les cerveaux, comme cela avait été tenté avec nos prisonniers chez les Viêts. N’oublions jamais que le pourcentage des morts dans les camps de prisonniers des Viêt Minhs a été supérieur à celui des camps d’extermination des Nazis, en quelques mois les ¾ des prisonniers de Dien Bien Phu moururent en captivité.

6ème Spahis Marocains.

Après cet épisode, un Colonel de l’ABC venu commander le Secteur de DONG HOÏ me récupèra dans mon Arme et me fit muter au 6ème Groupe de Spahis Marocains, aux ordres du Chef d’Escadrons Kam......, qui faisait partie d’un groupement opérationnel du Nord du Centre Annam, commandé par le Colonel Sa.....

Cette fin de séjour me fit goûter aux grandes opérations dans les régions de Hué, Quang Tri et du Laos, contre la Division VM 325. La première se déroula à PHO TRACH et UDIEM, 2 Rgts. VM. 6.000 hommes contre 3 Bataillons de chez nous à 600 H, soit 1.800 h, le scénario classique fut un poste enlevé :UDIEM, un autre menacé PHO TRACH et la grosse embuscade de 2 Régiments attendant les secours à un endroit défavorable à nos appuis blindés en particulier. Nos 3 bataillons furent encerclés une partie de la journée, des assauts successifs en masse d’un des Régiments, dûrent être repoussés à trois reprises dans l’après midi, par deux groupes d’artillerie tirant en fusant à 10m au dessus des têtes des combattants à découvert, par l’appui aérien des chasseurs bombardiers et les auto-mitrailleuses du 1er REC de la Légion, qui furent attaquées jusque sur les plages arrière de leurs blindés, 800 cadavres Viêts restèrent sur le terrain. Les assauts répétés nous paraisaient suicidaires, l’explication nous fut donnée par un document contenu dans la sacoche d’un Commissaire Politique de Bataillon fait prisonnier lors de ces combats ; le plan d’attaque précisait que les assauts devraient être donnés sans discontinuer dès que l’encerclement de nos unités serait réalisé, le renseignement de la rupture de cet encerclement que nous avions réussi ne fut jamais communiquée au PC des Viêts et malgrè l’hécatombe les assauts se renouvellaient ; il faut savoir que comme dans l’Armée Soviétique, le Commissaire Politique de chaque unité est le commandant au dessus du chef militaire, il se tient à l’arrière et surveille l’exécution des ordres et le comportement de chacun, pour les rapporter lors des auto critiques, faites après chaque opération. Le colonel L.. B.. V... Cdt le Rgt. 95,Vietminh chef redoutable qui avait réussi de nombreuses embuscades contre nous, fut relevé de son Cdt. après un combat de son Régiment où il y avait eu de lourdes pertes, par faute de commandement.

Il nous arrivait de porter secours à l’Armée de BAO DAÏ lorsque ses postes étaient attaqués, ce fut le cas au nord de Hué où le poste de KHUONG PHO fut enlevé par 3 bataillons du régiment 101 VM., son chef de poste fut retrouvé mutilé par les VM les 2 mains coupées ; le 6ème GSMP engagé en entier le reprit en passant par la route principale que l’ennemi avait négligée, évitant ainsi une énorme embuscade qui lui était tendue

Cliquez pour agrandir

Chef de poste de KHUONG PHO de l'armée de BAO DAÏ pris par le rgt 101 Viet minh et massacré ( les deux mains coupées )

Désigné comme officier de Renseignement du 6ème GSMP, je pus expérimenter lors de mes derniers mois de séjour, une autre fonction captivante de ce qu’un Officier peut apporter comme contribution efficace à ses camarades de combat et au Commandement.

Par exemple, la capture en commando sur renseignement en pleine nuit dans un village gardé par les Viêts, d’un Commissaire Politique de Bataillon, couché dans son lit avec sa femme lors d’une permission, dans sa paillote à 15 km en pleine zone rebelle, opération effectuée grâce à un ancien Viêt Minh rallié qui nous servait de guide, ayant lui même fait partie de l’unité de garde de ce régiment VM.

Mes anciens des Partisans et des Milices étaient très précieux pour me renseigner, en outre, j’avais comme interprète, un S/Officier Viêt Minh (Bachelier Français), Pham Vy, qui avait suivi un stage de commissaire politique au Tonkin, instruit sur son futur rôle qui ne lui plaisait pas, il avait déserté avec de nombreux documents du Rgt. 18, son frère étant étudiant en médecine à Montpellier. Il était Catholique, il me servait de guide dans les commandos d’actions, une fois en zone Viêt nous étions à sa merçie s’il avait joué un double jeu, ce ne fut pas le cas.

Cliquez pour agrandir

Vietminhs du bataillon provincial ( Auxiliaire du Reg 18 de la Div 325 )

 

Lors de nos opérations, les guerilléros locaux posaient les mines devant nous au fur et à mesure de notre avance et se repliaient ; j’avais préalablement, de nuit, envoyé des petits commandos de 3 Spahis largement en avant sur nos itinéraires, pour intercepter ces poseurs de mines et me les ramener comme prisonniers. Un jour à l’ouest de Quang Tri, j’interrogeais l’un d’eux assis dans une clairière les mains menottées derrière le dos, gardé par une sentinelle baïonnette au canon, lorsque tout d’un coup il s’est jeté sur le côté, sur une mine qu’il avait du poser et que nous n’avions pas découverte, qui par chance ne fut pas complètement percutée, nous étions là 2 officiers et 3 s/officiers qui l’entouraient et qu’il a voulu entraîner avec lui dans la mort en se faisant sauter avec nous, ce geste montrait le niveau de fanatisme et d’endoctrinement de ces guérilléros.

Pham Vy nous rendit des services extraordinaires, il eut ce qu’il méritait avant mon départ, je lui fis présenter le concours d’entrée à l’Ecole des Officier de l’Armée Vietnamienne de DALAT où il intégra brillamment ; il communiqua avec moi en France comme les anciens chef des Milices, jusqu’à ce que les Viêt Minhs eurent envahi la zone Sud, depuis plus rien. Dans les nombreux documents récupérés dans les sacs à dos des soldats réguliers VM que j’ai conservés, il y avait des cahiers de cours d’instruction militaire et aussi politique, qui m’ont été traduits ; figuraient également des documents Français de Mr. Maurice Thorez , Jeannette Vermerch, Mr. Garaudy et Léo Figuières, prouvant la collusion et la trahison profonde en état de guerre, du Parti Communiste Français avec le Viêt Minh, comme il l’avait fait avec le pacte Germano-Soviétique en 1939. Cette trahison continuait en 1952 en France lorsque je suis rentré d’Extème Orient, des tracts étaient lancés dans nos casernes contre la guerre d’Indochine, 5 chars furent sabotés dans mon Régiment par des appelés communistes au 11ème Cuirassiers d’Orange, nos blessés débarqués de nuit étaient frappés et insultés par certains dockers de Marseille ; nous avons plus tard eu à connaître le cas typique du traître B....., Commissaire politique du Camp 113 de prisonniers du Viêt Minh, professeur de faculté en France puis réfugié en Indochine, actuellement décédé.


 

Embuscade contre les “ Viet-Minh ”.

Des embuscades nous permirent de capturer plusieurs cadres VM , l’une d’elles montée avec l’aide du 1er REC de la Légion qui nous déposa dans la zone ennemie en sautant de nuit de la plage arrière de leurs blindés. J’avais des marocains avec moi , les ordres étaient très stricts, avant un signal particulier que je pouvais donner avec un sifflet, il était formellement interdit de se lever pour ne pas se tromper dans le noir, nous ne pouvions nous déplacer qu’en rampant, dans la nuit nous devions tirer à bout portant sur tout ceux qui seraient debout près de nous, deux civils avec des balanciers passèrent en premier sur la piste, ils étaient de faux éclaireurs il ne fallait pas tirer, deux minutes plus tard un groupe en tenue militaire se présenta, je devais laisser passer jusqu’à mon adjoint en bout d’embuscade de façon à avoir le maximum de cibles dans notre nasse, lorsqu’il tira dans la nuit, son arme dans un cliqueti de culasse d’acier, ne percuta pas, mais ce bruit ne trompa personne, les Viêts s’éparpillèrent , l’un d’eux vint se poster couché à 20cm du bout du canon de mon arme, mon ordonnance près de moi poussait mon mollet avec sa main pour me faire comprendre que c’était un Viêt ; de peur que ce soit un de mes hommes qui ait mal exécuté mon ordre, il ne fallait pas se tromper, j’avançais ma main pour toucher sa jambe en lui demandant “ Spahis ”, il se leva brusqument pour partir, je tirais d’instinct 3 balles de ma carabine, il disparut dans le noir, il y avait eu quelques coups de feu et 2 grenades mais le calme revenu, une auto mitrailleuse du 1er REC cachée tous feux éteints à 2 Km de là, arriva avec son projecteur, on trouva un ennemi tué et celui que j’avais tiré était couché blessé, à 30m devant nous, c’était un Capitaine Directeur d’une Ecole de formation de cadres VM., il portait une blessure au ventre, son sac à dos était rempli de documents très intéressants, dès que nous fûmes récupérés par les blindés il fut dirigé vers notre antenne chirurgicale. Le groupe qui était avec lui comprenait des élèves gradés du Rgt 18 qui purent se sauver à la faveur de la nuit..


 

CONCLUSION.


 

Le Musée “  Le MILITARIAL ” a demandé mon point de vue sur la guerre d’INDOCHINE, je ne suis pas un historien mais un témoin vivant, qui ne peut exposer que la vérité qu’il a vécue, avec les commentaires de mon opinion personnelle ; les historiens ont déjà porté leurs jugements plus large sur ce sujet, à mon échelon je ne dispose pas de tous les éléments indispensables, pour faire de même. J’ai donc résumé mon “ aventure ” par les récits les plus caractéristiques des évènements de cette forme de guerre sur le terrain, à une certaine période dans une certaine région, après avoir participé à leur déroulement comme Lieutenant, avec ma troupe.

Je me suis efforcé parfois de façon un peu crue, avec des anecdotes, de faire ressortir l’ambiance et l’esprit dans lesquels nous nous trouvions ; avec ces élèments il est possible à chacun de se faire une opinion personnelle.

L’intérêt de ce travail réside dans le fait que l’on peut en tirer des enseignements à un certain échelon, utiles éventuellement pour l’avenir.

Ce que j’ai vécu n’a rien d’exceptionnel, il y a eu des héros, parfois malgrè eux comme dans les horreurs de toutes les guerres, je ne pense pas en être un, des milliers de camarades officiers placés dans des situations analogues ont fait comme moi pour la République, malheureusement les plus hauts serviteurs de l’Etat se sont moqués de notre générosité. Notre esprit de sacrifice n’était pas romanesque mais bien réel jusqu’au bout, au service de l’intéret général de la France, qui pour mois passait avant celui de ma propre famille qui y était intégrée, j’aimais mes soldats comme  mes enfants. Les soldats de l’Armée Populaire Régulière du Viêt Minh, vitrine internationale du futur pays, étaient respectables, forcés d'obéir ; ils étaient aux ordres des Commissaires Politiques à tous les niveaux, les Guérilliéros locaux par contre étaient chargés de la “ sâle ” besogne.

Ce qui est certain dans ma carrière militaire, c’est que j’ai eu un bon ange gardien, car à cinq reprises au cours de mes 9ans et demi de jours de guerre, lors des combats, ma vie a été sauvée par la chance ou par quelqu’un. ( jusqu’à un obus de mortier Viêt qui est tombé et n’a pas explosé, à 30 cm de ma tête et de celle du Cdt Ka......, perçant une carte d’EM que nous consultions pour demander un tir d’appui d’artillerie, couchés dans la rizière derrière une diguette, cloués au sol sous les balles d’une mitrailleuse).

Ce qui me navre le plus, c’est que j’ai la conviction avec le recul, que cette guerre pouvait être évitée.

J’ai donc toujours honte pour la France et je méprise les responsables politiques qui n’ont pas fait ce qu’il fallait, trafiqué les piastres, laissé trahir nos soldats dans le dos en métropole par les communistes, laissé publier des secrets militaires dans l’affaire des “ fuites ” au détriment de nos troupes ; ce sont eux qui déclarent les guerres après leurs erreurs, leurs incapacités ou leurs mauvaises intentions, et ce sont les militaires qui les font en étant comptables de la mort de leurs soldats, tout en servant de “ boucs émissaires ”. Les guerres ne doivent se déclarer que lorsque tous les autres moyens ont été épuisé et si la liberté des peuples est en danger, c’est a dire si un véritable esclavage menace les humains lorsque le totalitarisme prend le pouvoir, la vie ne méritant plus d’être vécue ; chacun son métier, je me suis efforcé de bien faire le mien. Il ne faut pas croire qu’un officier ou un soldat accepteront de sacrifier leur vie dans l’intérêt d’une colectivité, si l’enjeu des valeurs à défendre ne le justifie pas ou s’il n’est pas bien compris. Il est également insensé de ne pas fournir les moyens de gagner, à une Armée qu’on engage dans un conflit, la diplomatie et les alliances étant aussi des armes efficaces.

Il est gravement honteux d’avoir abandonné des populations entières à l’extermination, après leur avoir promis de les défendre contre le totalitarisme opposé aux valeurs de liberté de la France.

Une situation analogue s’est reproduite en Algérie, fomentée au départ, par le même ennemi, soutenu aussi par certains Français. Cela est inacceptable, et le présage d’un certain déclin dans la défense des valeurs fondamentales des sociétés ?, car en continuant ainsi, un jour, nos propres enfants seront abandonnés à l’anarchie par des peureux.

Les Viêts Minh ont régné par la terreur la nuit dans les villages, pour dispenser une idéologie néfaste, qui s’est heureusement effondrée sans guerre en URSS, mais qui s’applique encore au Vietnam.

Je dois rendre hommage à la fidélité du peuple Vietnamien, a son courage, a ses sacrifices, c’est un grand peuple où nous sommes toujours accueillis avec chaleur actuellement ; un jour j’espère, ses jeunes générations rétabliront la liberté.

Les Américains, jaloux et envieux des marchés possibles avec ce pays ne nous ont pas aidé comme ils auraient pu le faire lors de la bataille de Dien Bien Phu, ils ont pris notre places et avec 10 fois plus de moyens, coupés du peuple, enfermés dans leurs immenses bases, ils ont été ridicules militairement avec leurs énormes moyens par rapport à nous, et ont rembarqué en catastrophe.

Si les 80 bombardiers que nous demadions avaient été envoyés de France ou ils étaient disponibles, la bataille de Dien Bien Phu n'aurait pas pu être gagnée par les VM. et une action diplomatique avantageuse aurait pu étre engagée.....

Je dois souligner la fidélité sans failles des Tirailleurs Algériens et des Spahis Marocains que j’ai eu à commander, j’en garde un de mes meilleurs souvenirs de carrière.

Enfin, notre promotion “ VICTOIRE Coëtquidan 1.945 ” était celle de De LATTRE pour la nouvelle Armée, son fils BERNARD qui était dans le même Régt que moi le 4ème Cuirassiers de Mourmelon, était un ami, arrivé à Saïgon sur le même bateau, il a voulu montrer l’exemple en demandant le Cdt. d’un Escadron de Vietnamiens au 1er Chasseurs du Tonkin, il s’est sacrifié comme les 206 officiers de notre promotion, pour la Victoire et non la défaite de notre Pays. Ce bilan est significatif sur la réalité de notre engagement total, il expliquera plus tard, la réaction de certains parmi les meilleurs, qui ont fait le pas critiquable de l’illégalité en pensant à leurs soldats morts pour rien. A quel moment lorsque les politiques font tuer des citoyens pour rien, la désobéissance devient elle un droit ?

Je dois noter pour ce qui me concerne personnellement, un durcisement de mon caractère, trempé par les épreuves vécues, les abandons et l’inadaptation de certains cadres supérieurs en retard d’une guerre, marqués par la défaite de 1940 plus 5 ans de prisonniers, agés dans leurs grades, inaptes physiquement à suivre la troupe à pied sur le terrain, coupés des évolutions survenues dans l’armée.

Pour ceux de notre promotion, le contact avec les Vietnamiens est toujours resté très étroit après la guerre, jusqu’à l’occupation du Sud Vietnam par les communites ; ces relations ont continué avec par l’intermédière de l’Association Nationale des Anciens Prisonniers du Viêt Minh, (ANAPI), présidée par le Colonel (er) BONFILS, pour la reconstruction de la Cathédrale de Phu-Hôc, des Ecoles à Dien Bien Phu et des Dispensaires, nous sommes toujours accueillis actuellement avec beaucoup de chaleur, c’est la preuve que notre combat était bien le bon pour l’humanité.

Pour nous, une question reste posée après la fin tragique du Général De LATTRE de TASSIGNY ; nous, ses “ Enfants ”, sommes convaincus que la fin de la guerre d’Indochine n’aurait pas été la même s’il avait survécu.


 

Cliquez pour agrandir

Le lieutenant Marc Lieury et le lieutenant Delpon à Hue en 1949 au 27éme


 

Le Lieutenant Marc LIEURY,

MORT pour la France la veille de NOËL 1949, au CENTRE VIETNAM.

 

Le Lieutenant Marc LIEURY de l’Arme Blindée Cavalerie promotion « VICTOIRE 1.945 », marié, père d’un enfant de 6 mois lors de sa mort dans une violente embuscade, était mon meilleur ami au 27 ème B.T.A. (Bataillon de Tirailleurs Algériens).

Arrivés en Extrème Orient par le « Pasteur » du 15 octobre 1.949, salués sur les quais de Saïgon par une douzaine d’obus de mortier Vietminh autour de notre bateau, nous avons rejoint Tourane au Centre Annam, en vue d’une affectation dans cette région.

Avant de nous désigner nos unités, le Général L.... commandant de zone, nous a réunis pour nous exposer cette nouvelle forme de guerre subversive.

A la fin de sa description il a demandé à ceux qui se poseraient des problèmes de conscience dans ce genre de conflit, de bien vouloir demander son rapport. (c’est à dire un entretien individuel.)

Trois officiers: ( Le Capitaine T... et Les Lieutenants C... et G...), du 27ème Bataillon de Tirailleurs Algériens, constitué à Monstaganem et arrivé avec nous sur le « Pasteur », levèrent la main.

Ils venaient des unités de Franc Tireurs et Partisans Français, bras armé du parti Communiste dans la Résistance; leurs grades FFI ayant été homologués à Aix en Provence, ils refusaient par idéologie, de combattre le Vietminh.

En conséquence, le Chef de Bataillon, privé d’un Cdt. de Cie. et de deux Chefs de Section, cherchait à restructurer son Unité.

Marc et moi, Cavaliers, avons été très sensibles a ses arguments pour assumer ces remplacements; nous sommes ainsi devenus Tirailleurs. Après les Nazis que nous venions de combattre, nous avions à nouveau face à nous, d’autres ennemis aussi totalitaires, imposant leur idéologie par la terreur. La défection caractéristique de ces 3 officiers nous ouvrait les yeux sur la trahison d’une frange de Français de la métropole, qui aidaient le Vietminh contre nous. Il nous fallait donc encore, et c’était un grand honneur pour nous, combattre pour la liberté du Peuple Vietnamien. Par ailleurs, nous apprenions que nos blessés débarquaient de nuit à Marseille sous les insultes et les menaces des dockers de la C.G.T., que nos munitions et armements étaient sabotés dans nos arsenaux, que des tracts antimilitaristes circulaient dans les casernes de France, et que des membres d’un parti politique étaient reçus en amis dans les maquis Vietminhs tel le journaliste L.. - F....... . Plus tard, il y aura même des traîtres Français, tel B....... , Commissaire politique pour encadrer nos prisonniers, dans de véritables camps de la mort.

Le P.C. du Bataillon, installé à Hué dans un premier temps, dispersa ses compagnies dans la zone.

Le Lieutenant LIEURY avec la 3ème Cie. du 27ème B.T.A., fut déplacé à 80 km au Nord, à HOA LUAT NAM dans le secteur de Dong Hoï. Je suis resté  à la Compagnie de Commandement du Bataillon comme officier des Transmissions, nous correspondions par le courrier des convois de liaison.

Les opérations ont commencé début novembre et se sont poursuivies sans interruption jusqu’en fin décembre 49.

Le Poste de VAN XUAM à 20km au sud ouest de Dong Hoï, encerclé par le Vietminh depuis 45 jours, attendait du ravitaillement.

Le Commandant BRUGE du 23 ème R.I.C. Cdt le S/Secteur Sud avait tenté une action le 23 décembre, qui fut repoussée par l’ennemi.

L’arrivée en renfort de la 3ème Cie. du 27 B.T.A. permit de réaliser l’opération avec succès dans la matinée du 24 décembre, le poste fut ravitaillé dans une grande joie, pour la veillée de Noël. Dans la réalité, nous l’avons compris plus tard, les Viets avaient rusé, en n’opposant qu’un semblant de résistance afin de faire croire à un repli définitif, pour mieux nous inciter à baisser notre garde.

Au retour de la colonne sur la R.C.1. le 24 en fin d’après midi, le Cdt. B....., renvoya à Dong Hoï le peloton blindé de Légionnaires du 1er Régiment Etranger de Cavalerie, ainsi que les Artilleurs venus du Nord, afin qu’ils puissent fêter le réveillon.

Les unités restant à ses ordres, réduites à : 1 Section de protection du P.C, 2 sections de la 10ème Cie. du 23 ème R.I.C.

et la Section renforcée du Lieutenant LIEURY de la 3ème Cie. du 27 BTA, regroupées au Poste de My Trung, reprirent le chemin du retour vers Hoa Luat Nam, P.C. du S/Secteur, situé à peine à une dizaine de Km au sud, sur la R.C. 1. Avant le départ, un messager du Père LOC, Curé du village de An Dinh, avait signalé un regroupement de Viets dans la région du village de My Duyet Ha, 2 km au nord de Hoa Luat Nam.

Le Commandant fit survoler la route par un avion de reconnaissance, qui n’observa rien d’anormal. Il donna aussi l’ordre au Capitaine T...... Cdt la 3ème Cie du 27 BTA de Hoa Luat Nam, d’envoyer un élément à sa rencontre.

A 2Km à la sortie du poste de My trung vers le sud, la colonne de 160 hommes tomba dans une énorme embuscade d’un millier d’hommes d’un des 3 Bataillons du Rgt. 18 Viet Minh de la Division 325. Celui-ci était merveilleusement camouflé dans des trous individuels, étalés sur 2 km en haut de la dune et au bord de la route. L’encerclement fut réalisé rapidement par les « Viets », le combat trés violent à 1 contre 6 se poursuivit pendant 1h30, au corps à corps puis à la baïonnette après l’épuisement des munitions.

Nos Tirailleurs, dont certains avaient combattu au « Belvédère » en Italie, se comportèrent comme de véritables « Turcos » sous les ordres du Lieutenant LIEURY. C’est tout à leur honneur dans un combat perdu d’avance, du fait du rapport des forces.

Les unités de secours envoyées de Hoa Luat Nam, tombèrent à leur tour dans une autre embuscade ennemie sur les dunes. Par ailleurs, un deuxième bataillon était chargé de s’opposer à tout renfort Français venant du Sud.

L’engagement cessa lorsque plus de 60% des hommes furent mis hors de combat, les autres étant à court de munitions.

Le Vietminh se replia vers les villages côtiers emmenant avec lui les prisonniers, dont le Cdt Bruge, et le Lt. Lieury sur une civière, gravement blessé.

Ce dernier mourant, fut renvoyé par la suite vers l’infimerie des Soeurs Vitnamiennes Catholiques de An Dinh. Probablement décédé en chemin, ses galons le firent reconnaître comme Lieutenant, par les « Viets » pilleurs de cadavres, en repassant sur les lieux de l’embuscade. Son corps, vraissemblablement déposé au mileu des autres tués lors de l’embuscade, ne put étre formellement reconnu le lendemain, ce qui le fit porter disparu.

Il est fort probable que la fosse de l’inconnu du 27ème BTA dans le cimetière de Hoa Luat Nam, ait été la sienne.

Cliquez pour agrandir

Le cimetière militaire du poste de Hoa Luat Nam, ( à doite la tombe de l'inconu qui pourrait être celle du Lieutenant Lieury )

Depuis, les restes contenus dans cette tombe ont été relevés et ramenés en France, dans l’Ossuaire de la Nécropole de Fréjus, sur le mur duquel son nom est gravé, avec ceux d’autres inconnus.

Le P.C du 27ème BTA fut rapidement implanté à Hoa Luat Nam ou l’on me confia le commandement du Quartier avec la défense du Poste.

Quelques jours plus tard, de nuit, les « Viets » vinrent épingler discrètement sur les barbelés à l’extérieur de la défense du Poste de Hoa Luat Nam, un tract ci-joint, décrivant l’embuscade vue de leur côté, avec une photo des prisonniers du 27 BTA qu’ils détenaient et une autre d’un groupe de leurs combattants locaux.

Cliquez pour agrandir

Prisonniers du 27éme BTA Chez les vietmin du régiment 18 de la Division 325

Il est indispensable que la vérité historique soit transmise aux générations suivantes, pour que l’action de notre Armée d’engagés, ne soit pas occultée ou diffamée si nous ne produisons pas de témoignages.

Le sacrifice de nos 206 Officiers tués ne doit pas passer à la trappe de l’histoire, nous avons le devoir de défendre leur mémoire.

Sur ordre du Gouvernement de la République, nous avons bien éxécuté, avec très peu de moyens, les missions parfois difficiles jusqu’à l’impossible qui nous étaient confiées. Ce fut fait dans un total esprit de sacrifice, comme le doit un officier qui défend les valeurs fondamentales du rayonnement de la France dans le monde, dont la Liberté.

Le Peuple Vietnamien au fond de lui même nous en est très reconnaissant, il nous le prouve chaleureusement actuellement dans son accueil, chaque fois que nous revenons au Vietnam au milieu de lui.

Marc, avec sa foi profonde et son idéal pour une humanité meilleure, l’a fait dans une fin atroce, jusqu’au bout, dans l’honneur.

L’exemple du Lieutenant LIEURY, magnifique officier Français qui s’est sacrifié face à un ennemi totalitaire et cruel, mérite notre grand hommage et toute la reconnaissance de la France. Il appelle les jeunes générations à la méditation.