Les fusillés pour l’exemple
LETTRE 21: Comme vingt-quatre autres
poilus injustement accusés d'avoir reculé devant l'ennemi,
JEAN BLANCHARD (du 298 RI) a été jugé et
fusillé avec cinq de ses camarades à Vingré, le 4 décembre 1914. Il avait
trente-quatre ans, et cette lettre fut écrite la veille de son exécution à
l'attention de son épouse MICHELLE. Réhabilité le 29 janvier 1921, JEAN est un
des six <<Martyrs de Vingré>>
voir la lettre
Les fusillés pour l’exemple
La justice militaire ne fut pas tendre pendant la Grande guerre, sanctionnant les fautes commises par les soldats par de lourdes condamnations, parfois à la peine de mort, destinées à faire des exemples.
Dès le mois de septembre 1914, Joffre, confronté à de nombreux cas de paniques et de mutilations volontaires, décida de créer des conseils de guerre spéciaux, ou cours martiales, chargés de juger de manière expéditive les crimes militaires, comme les désertions, les refus d’ obéissance et les abandons de poste en présence de l’ ennemi.
Ces tribunaux, dont les membres étaient composés des officiers mêmes qui commandaient les régiments dans lesquels se produisaient des problèmes de discipline, furent à l’origine d’ affaire navrantes.
Celle des fusillés de Vingré est sans doute une des plus émouvantes. Dans ce secteur du front, en novembre 1914, un recul se produisit à la suite d’ une violent attaque allemande. L’ officier commandant la section incriminée rédigea un rapport dans lequel il chargeait ses hommes qui, en réalité, n’ avaient fait que le suivre lorsqu’ il avait battu en retraite. Six soldats furent choisis au hasard parmi les hommes en question, jugés sommairement, condamnés à mort et passés par les armes dès le lendemain matin. La cour de cassation annula ce jugement après la guerre.
Une autre affaire difficile fut celle des caporaux de Souain qui, au début de 1915, furent fusillés pour l’ exemple parce que leur régiment ne parvenait pas à s’ emparer des lignes ennemies contre lesquelles il avait été lancé plusieurs fois.
A la fin de 1914, sur l’ Yser, se produisit le seul cas de décimation connu dans l’ armée française pendant le Grande Guerre. Une douzaine de tirailleurs d’ un bataillon tunisien qui avait cédé à la panique à la suite d’ une offensive allemande furent fusillés sans avoir été jugés et non sans être auparavant passés devant le front des troupes avec, accrochée à leur cou, une pancarte portant, en français et en arabe, la mention : << je suis un lâche >>.
550 soldats
français furent exécutés pendant la Première Guerre mondiale par l'armée
française. Fusillés "pour l'exemple" au terme d'un conseil de guerre, ces
soldats n'eurent aucun recours. Entre septembre 1914 et avril 1916, afin de
faire respecter la discipline au front, le ministère de la Guerre abandonne tout
pouvoir aux autorités militaires. Les tribunaux spéciaux, programmés pour juger
vite, condamnent à mort au moindre doute. Leurs pouvoirs exorbitants ne laissent
que peu de place à la défense des accusés. Cas emblématique, le caporal
Théophile Maupas est exécuté dans la Marne le 17 mars 1915. Il a refusé de
forcer ses hommes, rescapés des combats de la veille et épuisés, à tenter une
sortie suicide hors des tranchées. Sa femme, Blanche, mènera un long et
exemplaire combat de réhabilitation, qui conduira à une prise de conscience de
l'ampleur de la tragédie, car à l'exception des 27 fusillés pour mutinerie de
1917 dont l'histoire fut portée au grand jour, les "pour l'exemple" ont vu
tomber sur eux une inexplicable chape de silence, jusqu'aux travaux de Guy
Pedroncini, en 1997, et aux ultimes découvertes d'André Bach révélées en
novembre 2001. Le film est composé des récits croisés de la famille Maupas et
d'autres cas symboliques.
Vingré
Dans ce champ sont tombés glorieusement le caporal Floch, les soldats Blanchard,
Durantet, Gay, Pettelet et Quinault du 298ème R.I., fusillés le 4 décembre 1914,
réhabilités solennellement par la Cour de Cassation le 29 janvier 1921. -
Hommage des anciens combattants du 298ème R.I. à la mémoire de leurs camarades
morts innocents victimes de l'exemple".
Après une attaque qui avait échoué, ces six hommes, de la 19ème compagnie du
298ème R.I., furent tirés au sort parmi vingt-quatre soldats de deux escouades
et exécutés pour l'exemple le 4 décembre 1914, à la suite des directives données
au conseil de guerre par le général de Villaret pour aider les combattants à
retrouver le goût de l'obéissance. Ils n'avaient pourtant fait qu'obéir aux
ordres de leur chef, le sous-lieutenant Paulaud.
Voici ce qu'écrivit le soldat Quinault à sa femme la veille de son exécution :
"Je t'écris mes dernières nouvelles. C'est fini pour moi. J'ai pas le courage.
Il nous est arrivé une histoire dans la compagnie. Nous sommes passés 24 au
conseil de guerre. Nous sommes 6 condamnés à mort. Moi, je suis dans les 6 et je
ne suis pas plus coupable que les camarades, mais notre vie est sacrifiée pour
les autres. Dernier adieu, chère petite femme. C'est fini pour moi. Dernière
lettre de moi, décédé pour un motif dont je ne sais pas bien la raison. Les
officiers ont tous les torts et c'est nous qui sommes condamnés à payer pour
eux. Jamais j'aurais cru finir mes jours à Vingré et surtout d'être fusillés
pour si peu de chose et n'être pas coupable. Ça ne s'est jamais vu, une affaire
comme cela. Je suis enterré à Vingré ... ".
Il y a encore l'assassinat des "4 caporaux de la Manche" , fusillés car choisis
au hasard parmi un régiment exténué et épuisé qui refusa de sortir une nouvelle
fois de sa tranchée. Comme ce fut le cas pour ces soldats tunisiens de la 38è
division d'infanterie dont 1 sur 10 fut tiré au sort et exécuté. L'histoire n'a
pas même retenu leur nom tant ils étaient considérés comme des sous-hommes…"
Certains de ces "fusillés pour l'exemple" ont pu être réhabilités souvent après
un âpre combat pour la recherche de la vérité comme ce fut le cas pour
l'institutrice Blanche Maupas qui mit presque 20 ans pour obtenir la
réhabilitation de son mari, Théophile Maupas , un des 4 caporaux de la Manche.
Mais nombreux sont ceux encore qui attendent justice, comme le sous lieutenant
Chapelant, fusillé sur son brancard pour "capitulation en rase campagne" alors
qu'il était grièvement blessé.
Oui, la République se grandirait en affrontant courageusement son passé en
réhabilitant toutes les victimes des tribunaux militaires devenus , pendant la
guerre 14-18, symboles de la justice expéditive et de l'arbitraire.
C'est ce que réclameront, une nouvelle fois, les républicains, les pacifistes,
les libres penseurs, les laïques, les citoyens qui se rassembleront le 11
novembre prochain à 15h devant le monument aux morts à caractère pacifiste de Gy
l'Evêque où sont gravées dans la pierre les inscriptions : "Guerre à la guerre"
, "Paix entre tous les Peuples".
Les lettres
LETTRE 21: Comme vingt-quatre autres poilus injustement accusés d'avoir reculé devant l'ennemi, JEAN BLANCHARD (du 298 RI) a été jugé et fusillé avec cinq de ses camarades à Vingré, le 4 décembre 1914. Il avait trente-quatre ans, et cette lettre fut écrite la veille de son exécution à l'attention de son épouse MICHELLE. Réhabilité le 29 janvier 1921, JEAN est un des six <<Martyrs de Vingré>>voir la lettre
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décembre 1914, 11h 30 du soir
Ma chère bien aimée, c'est dans une grande détresse que je me mets à
t'écrire et si Dieu et la Sainte-Vierge ne me viennent pas en aide, c'est pour
la dernière fois, je suis dans une telle détresse et une telle douleur que je ne
sais trouver tout ce que je voudrais pouvoir te dire et je vois d'ici quand tu
vas lire ces lignes tout ce que tu vas souffrir ma pauvre amie qui m'est si
chère, pardonne-moi tout ce que tu vas souffrir par moi. Je serais dans le
désespoir complet si je n'avais la foi et la religion pour me soutenir dans ce
moment si terrible pour moi. Car je suis dans la position la plus terrible qui
puisse exister pour moi, car je n'ai plus longtemps à vivre à moins que Dieu par
un miracle de sa bonté ne me vienne en aide. Je vais tâcher en quelques mots de
te dire ma situation, mais je ne sais si je pourrais, je ne m'en sens guère le
courage. Le 27 novembre. A la nuit étant dans une tranchée face à l'ennemi
Allemands nous ont surpris, et ont jeté la panique parmi nous, dans notre
tranchée, nous nous sommes retournés reprendre nos places presque aussitôt,
résultat une dizaine de prisonniers à la compagnie dont un à mon escouade, pour
cette faute nous avons passé aujourd'hui soir l'escouade (24 hommes) au conseil
de guerre et hélas nous sommes 6 pour payer pour tous, je ne puis t'en expliquer
davantage ma chère amie, je souffre trop, l'ami DARLET pourra mieux t'expliquer,
j'ai la conscience tranquille et me soumets entièrement à la volonté de Dieu qui
le veut ainsi; c'est ce qui me donne la force de pouvoir t'écrire ces mots, ma
chère bien aimée qui m'a rendu si heureux le temps que j'ai passé près de toi,
et dont j'avais tant d'espoir de retrouver. Le 1er décembre au matin on nous a
fait déposer sur ce qui s'était passé et quand j'ai vu l'accusation qui était
portée contre nous et dont personne ne pouvait se douter, j'ai pleuré une partie
de la journée et n'est pas eu la force de t'écrire, le lendemain je n'ai pu te
faire qu'une carte; ce matin sur l'affirmation qu'on disait que ce ne serait
rien j'avais repris courage et t'est écrit comme d'habitude mais ce soir ma bien
aimée je ne puis trouver des mots pour te dire ma souffrance, tout me serait
préférable à ma position, mais comme Dieu sur la Croix, je boirai jusqu'à la lie
le calice de douleur. Adieu ma MICHELLE, adieu ma chérie, puisque c'est la
volonté de Dieu de nous séparer sur la terre, j'espère bien qu'il nous réunira
au ciel où je te donne rendez-vous, l'aumônier ne me sera pas refusé et je me
confierai bien sincèrement à lui, ce qui me fait le plus souffrir de tout, c'est
le déshonneur pour toi pour nos parents et nos familles, mais crois-le bien ma
chère bien aimée sur notre amour, je ne crois pas avoir mérité ce châtiment pas
plus que mes malheureux camarades qui sont avec moi et ce sera la conscience en
paix que je paraîtrais devant Dieu à qui j'offre toutes mes peines et mes
souffrances et me soumet entièrement à sa volonté. Il me reste encore un petit
espoir d'être gracié, oh bien petit, mais la Ste Vierge est si bonne et si
puissante et j'ai tant confiance en elle que je ne puis désespérer entièrement.
Notre -Dame de Fouvière à qui j'avais promis que nous irions tous les deux en
pèlerinage, que nous ferions la communion dans son église et que nous donnerions
cinq francs pour l'achèvement de sa basilique, Notre -Dame de Lourde que j'avais
promis d'aller prier avec toi au prochain pèlerinage dans son église pour
demander à Dieu la grâce de persévérer dans la vie de bon chrétien que je me
proposais que nous mènerions tous les deux ensemble si je te retournais près de
toi, ne nous abandonnerons pas et si elles ne m'exaucent pas en cette vie,
j'espère qu'elles m'exauceront en l'autre. Pardonne-moi tout ce que tu vas
souffrir par moi, ma bien aimée, toi que j'ai de plus cher sur terre, toi que
j'aurai voulu rendre si heureuse en vivant chrétiennement ensemble si j'étais
retourné près de toi, sois bien courageuse, pratique bien la religion, va
souvent à la communion, c'est là que tu trouveras le plus de consolation et le
plus de force pour supporter cette cruelle épreuve. Oh si je n'avais cette foi
en Dieu, en quel désespoir je serais! Lui seul me donne la force de pouvoir
écrire ces pages. Oh bénis soient mes parents, ma pauvre mère, mon pauvre père,
que vont-ils devenir quand ils vont apprendre ce que je suis devenu? Oh ma bien
aimée, ma chère MICHELLE, prends en bien soin de mes pauvres parents tant qu'ils
seront de ce monde, sois leur consolation et leur soutien dans leur douleur, je
te les laisse à tes bons soins, dis-leur bien que je n'ai pas mérité cette
punition si dure et que nous nous retrouverons tous en l'autre monde,
assiste-les à leurs derniers moments et Dieu t'en récompensera, demande pardon
pour moi à tes bons parents de la peine qu'ils vont éprouver par moi, dis-leur
bien que je les aimais beaucoup et qu'ils ne m'oublient pas dans leurs prière,
que j'étais heureux d'être devenu leur fils et de pouvoir les soutenir et en
avoir soin sur leur vieux jours, mais puisque Dieu en a jugé autrement, que sa
volonté soit faite et non la mienne, tu demanderas pardon aussi pour moi, à mon
frère ainsi qu'à toutes nos familles de l'ennui qu'ils vont éprouver par moi,
dis-leur bien que je m'en vais la conscience tranquille et que je n'ai pas
mérité une si dure punition et qu'ils ne m'oublient pas dans leurs prières. A
toi ma bien aimée, mon épouse si chère, je te répète je n'ai rien fait de plus
que les autres, et je ne crois pas, sur ma conscience, avoir mérité cette
punition. Je te donne tout ce qui m'appartient, ceci est ma volonté, j'espère
qu'on ne te contrariera pas, j'en ai la conviction, tu prendras bien soins de
nos parents, tu les assisteras dans leur besoins, tu me remplaceras le plus que
tu pourras auprès d'eux c'est une chose que je te recommande beaucoup et que
j'espère bien tu ne me refuseras pas j'en ai la certitude, sois toujours une
bonne chrétienne, pratique bien la religion, c'est là où tu trouveras le plus
de consolation et le plus bonheur sur terre, nous n'avons point d'enfants, je te
rends la parole que tu m'as donnée de m'aimer toujours et de n'aimer que moi, tu
es jeune encore, reforme-toi et qui pratique religion, épouse-le, je te dégage
de la parole que tu m'as donnée, garde-moi un bon souvenir et ne m'oublie pas
dans tes prières, tu me feras dire des messes ceci à ta bonne volonté et tu
prieras bien pour moi, je me voue à la miséricorde de Dieu et me mets sous la
protection de la Sainte Vierge dont je demande son secours de Notre -Dame du
Mont Carmel dont je porte le scapulaire que tu m'as donné et te donne
rendez-vous au ciel où j'espère que Dieu nous réunira au revoir là-haut ma chère
épouse.
Lettre d'Henri Floch
Le caporal Henri Floch était greffier de la justice de paix à Breteuil.
Fils de Paul Floch, tailleur à
Breteuil-sur-Iton (Eure), et de Catherine Eugénie Petit, Paul-Henri Floch est né
le 31 juillet 1881 rue de la Croix d'Or, à Breuteil. Il est le plus instruit des
six "Martyrs de Vingré", puisque avant la guerre, il exerce la profession de
greffier à Breteuil. Cette instruction lui vaut d'être caporal. Il est donc
également le plus gradé des six fusillés.
Il s'est marié à Fécamp (Seine-Maritime) le 25 mai 1910, avec Rose Lucie
Adrienne Mouchard.
Il est enterré au cimetière de Breteuil.
Ma bien chère Lucie,
Quand cette lettre te parviendra, je serai mort fusillé.
Voici pourquoi :
Le 27 novembre, vers 5 heures du soir, après un violent bombardement de deux
heures, dans une tranchée de première ligne, et alors que nous finissions la
soupe, des Allemands se sont amenés dans la tranchée, m'ont fait prisonnier avec
deux autres camarades. J'ai profité d'un moment de bousculade pour m'échapper
des mains des Allemands. J'ai suivi mes camarades, et ensuite, j'ai été accusé
d'abandon de poste en présence de l'ennemi.
Nous sommes passés vingt-quatre hier soir au Conseil de Guerre. Six ont été
condamnés à mort dont moi. Je ne suis pas plus coupable que les autres, mais il
faut un exemple. Mon portefeuille te parviendra et ce qu'il y a dedans.
Je te fais mes derniers adieux à la hâte, les larmes aux yeux, l'âme en peine.
Je te demande à genoux humblement pardon pour toute la peine que je vais te
causer et l'embarras dans lequel je vais te mettre...
Ma petite Lucie, encore une fois, pardon.
Je vais me confesser à l'instant, et j'espère te revoir dans un monde meilleur.
Je meurs innocent du crime d'abandon de poste qui m'est reproché. Si au lieu de
m'échapper des Allemands, j'étais resté prisonnier, j'aurais encore la vie
sauve. C'est la fatalité
Ma dernière pensée, à toi, jusqu'au bout.
Henri Floch
Lettre de Léonard Leymarie, simple soldat fusillé à Vingé.
Je soussigné, Leymarie, Léonard, soldat de 2e classe, né à Seillac (Corrèze).
Le Conseil de Guerre me condamne à la peine de mort pour mutation volontaire et je déclare formellement que je suis innocant. Je suis blessé ou par la mitraille ennemi ou par mon fusi, comme l'exige le major, mais accidentellement, mais non volontairement, et je jure que je suis innocan, et je répète que je suis innocan. Je prouverai que j'ai fait mon devoir et que j'aie servi avec amour et fidélitée, et je n'ai jamais féblie à mon devoir.
Et je jure devandieux que sui innocan.
Leymarie Léonard.
Texte original de la lettre de
Léonard - Leymarie
Lettres tirées du livre "Paroles de Poilus. Lettres et
carnets du front. 1914-1918" (Librio, 1998)