LETTRE 21: Comme vingt-quatre autres poilus injustement accusés d'avoir reculé devant l'ennemi,
JEAN BLANCHARD (du 298 RI-19è compagnie) a été jugé et fusillé avec cinq de ses camarades à Vingré, le 4 décembre 1914. Il avait trente-quatre ans, et cette lettre fut écrite la veille de son exécution à l'attention de son épouse MICHELLE. Réhabilité le 29 janvier 1921, JEAN est un des six <<Martyrs de
Vingré>>Il effectue son service militaire au 60e R.I. de Besançon.
Avant d'être rappelé sous les drapeaux à la déclaration de guerre, il exerce
comme son père la profession de cultivateur à Ambierle. Il s'est marié à
Ambierle le 26 décembre 1912 avec Michelle Desiage.
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Michelle-Blanchard |
Jean-Blanchard |
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3 décembre 1914, 11h 30 du soir
Ma chère bien aimée, c'est dans une grande détresse que je me mets à t'écrire et si Dieu et la Sainte-Vierge ne me viennent pas en aide, c'est pour
la dernière fois, je suis dans une telle détresse et une telle douleur que je ne sais trouver tout ce que je voudrais pouvoir te dire et je vois d'ici quand tu vas lire ces lignes tout ce que tu vas souffrir ma pauvre amie qui m'est si chère, pardonne-moi tout ce que tu vas
souffrir par moi. Je serais dans le désespoir complet si je n'avais la foi et la religion pour me soutenir dans ce moment si terrible pour moi. Car je suis dans la position la plus terrible qui puisse
exister pour moi, car je n'ai plus longtemps à vivre à moins que Dieu par un miracle de sa bonté ne me vienne en aide. Je vais tâcher en quelques mots de te dire ma situation, mais je ne sais si je pourrais, je ne m'en sens guère le courage. Le 27 novembre. A la nuit étant dans une tranchée face à l'ennemi Allemands nous ont surpris, et ont jeté la panique parmi nous, dans notre tranchée, nous nous sommes retournés reprendre nos places presque aussitôt, résultat une dizaine de prisonniers à la compagnie dont un à mon escouade, pour cette faute nous avons passé aujourd'hui soir l'escouade (24 hommes) au conseil de guerre et hélas nous sommes 6 pour payer pour tous, je ne puis t'en expliquer davantage ma chère amie, je souffre trop, l'ami DARLET pourra mieux t'expliquer, j'ai la conscience tranquille et me soumets entièrement à la volonté de Dieu qui le veut ainsi; c'est ce qui me donne la force de pouvoir t'écrire ces mots, ma chère bien aimée qui m'a rendu si heureux le temps que j'ai passé près de toi, et dont j'avais tant d'espoir de retrouver. Le 1er décembre au matin on nous a fait déposer sur ce qui s'était passé et quand j'ai vu l'accusation qui était portée contre nous et dont personne ne pouvait se douter, j'ai pleuré une partie de la journée et n'est pas eu la force de t'écrire, le lendemain je n'ai pu te faire qu'une carte; ce matin sur l'affirmation qu'on disait que ce ne serait rien j'avais repris courage et t'est écrit comme d'habitude mais ce soir ma bien aimée je ne puis trouver des mots pour te dire ma souffrance, tout me serait préférable à ma position, mais comme Dieu sur la Croix, je boirai jusqu'à la lie le calice de douleur. Adieu ma MICHELLE, adieu ma chérie, puisque c'est la volonté de Dieu de nous séparer sur la terre, j'espère bien qu'il nous réunira au ciel où je te donne rendez-vous, l'aumônier ne me sera pas refusé et je me confierai bien sincèrement à lui, ce qui me fait le plus souffrir de tout, c'est le déshonneur pour toi pour nos parents et nos familles, mais crois-le bien ma chère bien aimée sur notre amour, je ne crois pas avoir mérité ce châtiment pas plus que mes malheureux camarades qui sont avec moi et ce sera la conscience en paix que je paraîtrais devant Dieu à qui j'offre toutes mes peines et mes souffrances et me soumet entièrement à sa volonté. Il me reste encore un petit espoir d'être gracié, oh bien petit, mais la Ste Vierge est si bonne et si puissante et j'ai tant confiance en elle que je ne puis désespérer entièrement.
Notre -Dame de Fouvière à qui j'avais promis que nous irions tous les deux en pèlerinage, que nous ferions la communion dans son église et que nous donnerions cinq francs pour l'achèvement de sa basilique,
Notre -Dame de Lourde que j'avais promis d'aller prier avec toi au prochain pèlerinage
dans son église pour demander à Dieu la grâce de persévérer dans la vie de bon
chrétien que je me proposais que nous mènerions tous les deux ensemble si je te retournais près de toi, ne nous abandonnerons pas et si elles ne m'exaucent pas en cette vie, j'espère qu'elles m'exauceront en l'autre. Pardonne-moi tout ce que tu vas souffrir par moi, ma bien aimée, toi que j'ai de plus cher sur terre, toi que j'aurai voulu rendre si heureuse en vivant chrétiennement ensemble si j'étais
retourné près de toi, sois bien courageuse, pratique bien la religion, va souvent à la communion, c'est là que tu trouveras le plus de consolation et le plus de force pour supporter cette cruelle épreuve. Oh si je n'avais cette foi en Dieu, en quel désespoir je serais! Lui seul me donne la force de pouvoir écrire ces pages. Oh bénis soient mes parents, ma pauvre mère, mon pauvre père, que vont-ils devenir quand ils vont
apprendre ce que je suis devenu? Oh ma bien aimée, ma chère MICHELLE, prends en bien soin de mes pauvres parents tant qu'ils seront de ce monde, sois leur consolation et leur soutien dans leur douleur, je te les laisse à tes bons soins, dis-leur bien que je n'ai pas mérité cette punition si dure et que nous nous retrouverons tous en l'autre monde, assiste-les à leurs derniers moments et Dieu t'en récompensera, demande pardon pour moi à tes bons parents de la peine qu'ils vont éprouver par moi, dis-leur bien que je les aimais beaucoup et qu'ils ne m'oublient pas dans leurs prière, que j'étais heureux d'être devenu leur fils et de pouvoir les soutenir et en avoir soin sur leur vieux jours, mais puisque Dieu en a jugé autrement, que sa volonté soit faite et non la mienne, tu demanderas pardon aussi pour moi, à mon frère ainsi qu'à toutes nos familles de l'ennui qu'ils vont éprouver par moi, dis-leur bien que je m'en vais la conscience tranquille et que je n'ai pas mérité une si dure punition et qu'ils ne m'oublient pas dans leurs prières. A toi ma bien aimée, mon épouse si chère, je te répète je n'ai rien fait de plus que les autres, et je ne crois pas, sur ma conscience, avoir mérité cette punition. Je te donne tout ce qui m'appartient, ceci est ma volonté, j'espère qu'on ne te contrariera pas, j'en ai la conviction, tu prendras bien soins de nos parents, tu les assisteras dans leur besoins, tu me
remplaceras le plus que tu pourras auprès d'eux c'est une chose que je te recommande beaucoup et que j'espère bien tu ne me refuseras pas j'en ai la certitude, sois toujours une bonne
chrétienne, pratique bien la religion, c'est là où tu trouveras le plus de consolation et le plus bonheur sur terre, nous n'avons point d'enfants, je te rends la parole que tu m'as donnée de m'aimer toujours et de n'aimer que moi, tu es jeune encore, reforme-toi et qui pratique religion, épouse-le, je te dégage de la parole que tu m'as donnée, garde-moi un bon souvenir et ne m'oublie pas dans tes prières, tu me feras dire des messes ceci à ta bonne volonté et tu prieras bien pour moi, je me voue à la miséricorde de Dieu et me mets sous la protection de la Sainte Vierge dont je demande son secours de
Notre -Dame du Mont Carmel dont je porte le scapulaire que tu m'as donné et te donne rendez-vous au ciel où j'espère que Dieu nous réunira au revoir là-haut ma chère épouse.
Détail de la tombe de Jean-Blanchard
Il repose aujourd'hui dans le vieux cimetière d'Ambierle, village du
nord du département de la Loire, aux côtés d'un autre de ses
camarades d'infortune, Francisque Durantet.
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Lettre d'Henri Floch
Le caporal Henri Floch était greffier de la justice de paix à Breteuil.
Fils de Paul Floch, tailleur à Breteuil-sur-Iton (Eure), et de Catherine Eugénie Petit, Paul-Henri Floch est né le 31 juillet 1881 rue de la Croix d'Or, à Breuteil. Il est le plus instruit des six "Martyrs de Vingré", puisque avant la guerre, il exerce la profession de greffier à Breteuil. Cette instruction lui vaut d'être caporal. Il est donc également le plus gradé des six fusillés.
Il s'est marié à Fécamp (Seine-Maritime) le 25 mai 1910, avec Rose Lucie Adrienne Mouchard.
Il est enterré au cimetière de Breteuil.
Ma bien chère Lucie,
Quand cette lettre te parviendra, je serai mort fusillé.
Voici pourquoi :
Le 27 novembre, vers 5 heures du soir, après un violent bombardement de deux heures, dans une tranchée de première ligne, et alors que nous finissions la soupe, des Allemands se sont amenés dans la tranchée, m'ont fait prisonnier avec deux autres camarades. J'ai profité d'un moment de bousculade pour m'échapper des mains des Allemands. J'ai suivi mes camarades, et ensuite, j'ai été accusé d'abandon de poste en présence de l'ennemi.
Nous sommes passés vingt-quatre hier soir au Conseil de Guerre. Six ont été condamnés à mort dont moi. Je ne suis pas plus coupable que les autres, mais il faut un exemple. Mon portefeuille te parviendra et ce qu'il y a dedans.
Je te fais mes derniers adieux à la hâte, les larmes aux yeux, l'âme en peine. Je te demande à genoux humblement pardon pour toute la peine que je vais te causer et l'embarras dans lequel je vais te mettre...
Ma petite Lucie, encore une fois, pardon.
Je vais me confesser à l'instant, et j'espère te revoir dans un monde meilleur.
Je meurs innocent du crime d'abandon de poste qui m'est reproché. Si au lieu de m'échapper des Allemands, j'étais resté prisonnier, j'aurais encore la vie sauve. C'est la fatalité
Ma dernière pensée, à toi, jusqu'au bout.
Henri Floch
Lettre de Léonard Leymarie, simple soldat fusillé à
Vingé.
Je soussigné, Leymarie, Léonard, soldat de 2e
classe, né à Seillac (Corrèze).
Le Conseil de Guerre me condamne à la peine de
mort pour mutation volontaire et je déclare formellement que je suis innocant.
Je suis blessé ou par la mitraille ennemi ou par mon fusi, comme l'exige le
major, mais accidentellement, mais non volontairement, et je jure que je suis
innocan, et je répète que je suis innocan. Je prouverai que j'ai fait mon
devoir et que j'aie servi avec amour et fidélitée, et je n'ai jamais féblie
à mon devoir.
Et je jure devandieux que sui innocan.
Leymarie Léonard.
Texte original de la lettre de Léonard -
Leymarie
Lettres tirées du livre "Paroles de Poilus. Lettres et carnets du front. 1914-1918" (Librio, 1998)
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