L'Indochine
Par Roger Lenevette
Témoignage recueilli par Daniel Laurent
Sur le Néhah-Hélas :
Nous avons quitté Marseille par un froid glacial. La traversée de la
Méditerranée fut assez mouvementée et se traduisit pour beaucoup par le "mal de
mer". Puis ce fut le canal de Suez où certains ex prisonniers allemands
volontaires pour l'Indochine s'évadèrent pour rejoindre l'Egypte et retourner
chez eux ensuite. A la sortie du Canal de Suez, ce fut la Mer Rouge avec son
changement de température. D'un côté du Canal, c'était l'hiver avec un vent
glacial. De l'autre, c'était l'été avec un soleil de plomb. Malgré tous les
avertissements à ce sujet, certains voulurent se faire bronzer au soleil. Le
lendemain nous devions mettre deux hommes à la mer, morts par insolation.
D'autres petits déboires nous attendaient. Nous étions sur un transport de
troupes anglais et la nourriture était plutôt parcimonieuse et à base de
porridge. La seule bonne chose était leur pain de mie trempée dans le café au
lait le matin. On avait demandé que la ration de pain soit augmentée, mais les
Anglais ne voulurent rien savoir, alors que chaque matin ils en jetaient une
grande quantité à la mer. Cela fut ainsi jusqu'au jour où nous nous retrouvâmes
tous en armes sur le bateau. Cela pouvait tourner à la mutinerie. Nos officiers
parlementèrent avec les officiers anglais du bateau et cela s'arrangea.
Le reste du voyage se passa sans autres problèmes.
Saigon :
A mon arrivée à Saigon sur le Néa-Hélas (le 7 mars 1946 ), le premier contact
comme comité de réception a été un cadavre qui flottait sur le Donaï. Pour avoir
connu la guerre et ses horreurs en France, cela n'était pas pour m'émouvoir.
Avant notre départ, nous avions été plus ou moins préparé à avoir à nous battre
avec des Japonais qui pouvaient encore être resté cachés dans différentes
régions et particulièrement dans la "brousse". Leur fanatisme était connu.
La reddition des Japonais ayant été imposée par les bombes atomiques de
Hiroshima et Nagasaki, une bonne partie des troupes extérieures et occupant
différents pays d'Asie ignorèrent ou feignirent d'ignorer cette reddition et
continuèrent de se considérer en occupant. On savait que lorsqu'on aurait
affaire à eux, il serait difficile de faire des prisonniers sans risquer de se
faire tuer. Il était connu que lorsqu'un (ou des) Japonais était amené à se
rendre, il pouvait lever les bras et à la dernière minute lorsqu'on s'approchait
pour le désarmer, il avait le temps de plonger une main dans une poche et
dégoupiller une grenade. On pouvait le cribler de balles, cela ne changeait rien
à sa mort sauf qu'on sautait avec lui.
Pour le mort qui flottait sur le Donaï, il était probable qu'il s'agissait d'un
règlement de comptes. Saigon était un port, et la ville de Chô Lon faisait
partie de sa banlieue. Chô Lon était et est toujours bien connu pour être le
centre d'une multitude de trafiquants de tous ordres et des jeux. Les Chinois et
les Indochinois sont très friands de jeux de toutes sortes avec pour enjeux des
paris qui sont parfois très élevés. De toute manière par le nombre de joueurs,
donc de parieurs, des trafiquants de tous bords et de tous pays y font leurs
choux gras. Par contre, c'est une ville où il n'est pas prudent de se promener
sans être sur ses gardes.
On y joue facilement du couteau ou du poignard pour détrousser le passant, et
cela particulièrement le soir à la tombée de la nuit. Il y a toujours quelques
énergumènes à l'affût pour chercher leurs mises et aller la jouer. Il est donc
toujours préférable de s'y promener par groupes, sans oublier pour cela de
veiller au grain.
Bien Hoa :
C'est un petit bourg, équivalent en importance à un chef lieu de canton en
France, peuplé d'Indochinois avec un marché également assez important où venait
se ravitailler la population indochinoise de la région formée d'un assez grand
nombre de villages constitué de cabanes en bambou fin comme du chaume et de murs
en bambous également. Le lieu de couchage était constitué de paillotes qui
servait de lit. Lorsqu'on arrivait dans ces villages, on pouvait voir tout ce
qui se passait dans ces habitations. La population résiduelle dans la journée
était surtout formée de quelques femmes, de vieillards et d'enfants, mais à
l'époque où nous sommes arrivés, les militaires y étaient les bienvenus.
L'envahissement de l'Indochine et son occupation par les Japonais n'avait pas
laissé que de bons souvenirs. Les catholiques, qui étaient nombreux dans
certaines régions, avaient caché tout ce qui pouvait être une trace de contact
avec les français avant leur invasion, particulièrement la croix du christ.
Il faut savoir qu'avant leurs départs, les Japonais avaient invité tous les
officiers d'une garnison française à un repas en compagnie des officiers
japonais, et qu'à la fin du repas ceux ci leur avaient coupé la tête sans
explications.
A propos de la colonisation française, il suffisait de se promener dans Saigon
pour se rendre compte qu'un certain nombre de chose y avait été positive à
commencer par l'Institut Pasteur. Pour avoir vécu l'Indochine en compagnie
d'officiers et sous officiers de la "France Libre" qui l'avaient connue avant la
guerre, ils en avaient gardé le souvenir pour pouvoir aller d'une province à
l'autre sans craintes et sans armes. Mais ils faisaient partie des privilégiés.
Par contre, elle n'avait pas fait que des adeptes, particulièrement dans les
secteurs industriels et dans les plantations, et en se promenant dans les
campagnes, on y voyait que la population était pauvre et continuait de vivre
dans les conditions du moyen âge. Il est vrai que pour nous, nouveaux arrivants,
nous ne savions pas grand chose sur l'Indochine, à part le fait qu'elle ait été
occupée par les Japonais. Nous pensions venir en libérateur, et tout dans le
comportement des populations indochinoises et françaises à notre arrivée nous
poussait à le croire. L'accueil était chaleureux de part et d'autres.
L'une des caractéristiques des villages était également une grande jarre en
terre contenant un thé léger où nous étions invités à nous servir et nous en
profitions pour faire le plein de nos bidons avec l'approbation de la population
avant de quitter le village et de continuer nos patrouilles qui étaient surtout
des promenades puisque nous n'étions pas en service commandé. Il nous était
quand même recommandé de ne pas faire ces promenades seul. D'abord la présence
de soldats japonais était toujours à craindre. Il en restait, (peu je pense) et
ils devaient éviter de se faire repérer.
Toutefois ils pouvaient toujours être une menace, et nous ne devions pas
circuler sans armes. Nos promenades se faisaient entre les rizières (séparées
par de petits talus) ou dans la brousse, car lorsque c'était boisé, il n'était
pas facile d'avancer en dehors des sentiers utilisés par les indigènes. Pour ce
genre de promenades, il était bon d'avoir des bottes et de regarder où on
mettait les pieds à cause des serpents dont la piqûre ou morsure pouvait être
mortelle. Il était sage également de regarder en l'air, d'où certains serpents
pouvaient également nous tomber dessus, particulièrement le serpent des
bananiers qui pouvait glisser d'une feuille (la feuille de bananier était grande
et large). J'ai le souvenir qu'à une baignade où nous nous étions baignés à
poils, nous nous étions fait photographier avec pour seule parure une feuille de
bananier comme bouclier avant pour rester décent.
Parmi les bons souvenirs de ces promenades, figure également la découverte de
certaines pagodes, véritables merveilles généralement enfouies au milieu
d'endroits boisés. Le respect des lieux et des coutumes du pays voulait qu'on se
déchausse pour y entrer. Par contre lui était sage de laisser quelqu'un pour
garder les chaussures. Certains collègues ont eu la désagréable surprise de ne
plus rien trouver à la sortie, et je reconnais que cela peut gâcher la joie de
la découverte. Il faut se rappeler également que nous arrivions derrière une
période d'occupation qui avait été particulièrement pénible pour la population
qui avait été privée.
On peut avoir du mal à imaginer les Japonais d'alors, dont beaucoup étaient
analphabètes et fanatiques jusqu'au "Kamikaze", alors qu'aujourd'hui et chez
nous on ne les connaît que par leur côté affable et raffiné. Cela ne veut pas
dire que leur civilisation était en retard avant guerre. Un certain nombre était
cultivé mais souvent fanatique. Ce pays était en guerre depuis longtemps et
avait déjà envahi la Chine bien avant 1940. Leur civilisation avait surtout été
mise au service des armes. En cela ils étaient identiques aux Allemands. Ce
n'est pas sans raisons qu'ils se sont alliés.
La base Aérienne de Bien Hoa
Cette base abandonnée depuis assez peu par les Japonais, assez toutefois pour
que l'herbe aie eu le temps de pousser à un point qu'on risquait d'y trouver des
fauves compte tenu que les alentours étaient bien boisés et qu'y pénétrer
n'était pas aisé. Il fallut donc nettoyer le terrain sur lequel étaient restés
quelques appareils japonais rendus inutilisables par ceux ci lorsqu'ils durent
quitter.
A proximité de ce terrain un grand Bâtiment à étage qui devint celui des Sous
officiers, avec en bas le local où nous installâmes notre bar et notre
réfectoire plus des locaux, formé d'une chambre avec deux lits et d'une petite
pièce avec douche pour les deux occupants. Locaux qu'on retrouva au-dessus avec
les mêmes dispositions et qui furent donc occupés chacun par deux sous
officiers. Ce bâtiment se trouvait à l'intérieur d'un ensemble boisé où il y
avait également deux grands corps de bâtiments de plein pied qui furent pour les
soldats et de tout un ensemble de petits chalets qui furent occupés par les
officiers.
Ce n'est que quelque temps après que nous soyons arrivés, et après que le
terrain ai été nettoyé ainsi que les hangars vidés, nettoyés et réparés
sommairement qu'arrivèrent nos Junkers 52 (Les "Julies" comme on les appelait)
avec leurs pilotes. Il s'agissait d'avions de transport. Transport de troupes et
de marchandise ainsi que de parachutistes. On appartenait au Sous Groupement
Moyen Militaire Transport Aérien Extrême Orient (S.G.M.M.T.A.E.O)
Mon premier contact lors de mon arrivée a été avec le Commandant OLLIVIER
Commandant de la Base. Difficile de reconnaître un Officier lorsqu’il a pour
tout vêtement un short. Venant d'arriver, je me cherchais de quoi faire un cadre
pour mettre à mon lit et recevoir ma moustiquaire. Je me trouvais dans un local
où il y avait pas mal de chute de bois restant de meuble cassé, vestige du
passage des Japonais, lesquels avaient quitté les lieux peu de temps avant notre
arrivée.
Pour le commandant, il y avait un intrus dans ce local et il voulait savoir ce
que j'y faisais. Ses questions me parurent quelque peu indiscrète, et je le lui
fis savoir. Comme j'étais torse nu, aucune trace de mon grade également. J'ai
donc commencé par me présenter gentiment, persuadé que je pouvais me prévaloir
de mon grade. Surprise lorsqu'il s'est présenté à son tour, il était plus gradé
que moi, et pour cause, c'était le commandant de la base.
A la consonance de mon nom, il me demanda si je n'étais pas breton et ce qui
m'avait amené en Indochine. Nous causâmes donc un bon bout de temps, et après
lui avoir plus ou moins donné le curriculum vitae de mon passé récent, j’apprit
que lui aussi avait participé à la Libération du Pays et qu'avant d'être devenu
le commandant de la base avec le Groupe 1/34 Béarn, groupe de transport aérien
auquel nous étions affectés, il avait été pilote d'avion de chasse pour la
France Libre aux côtés des pilotes anglais. Nous avions sympathisé, et après
avoir pas mal bavardé, il me convoqua pour le rapport des officiers le lendemain
matin.
C'est ainsi qu'il me nomma gérant du Mess des sous officiers, avec mission
d'assurer le ravitaillement de la base avec mon collègue Gabriel P. lequel fut
nommé gérant de l'ordinaire des troupes. Tout était à faire et à organiser, et
j'avais carte blanche pour cela. Un camion V8 avec chauffeur fut mis à ma
disposition. La base aérienne de Bien Hoa était située à trois à quatre km de
Bien Hoa et à environ une bonne trentaine de kilomètres de Saigon. Mon premier
travail fut d'installer un bar et de l'achalander. Il eut beaucoup de succès et
permit de servir des repas à bon marché grâce aux bénéfices du bar, ce que les
officiers nous envièrent ce qui les amena souvent à notre table ainsi qu'à notre
bar. Leur Mess était géré par un officier ; ainsi le voulait le règlement
militaire.
Comme indiqué, Bien Hoa était à une bonne trentaine de km de Saigon, et il
fallait aller faire son ravitaillement tous les jours à Saigon et surtout à son
marché qui était riche de tous les légumes et fruits du pays. Pour cela, il
fallait partir de bonne heure le matin (trois heures) afin d'être de retour et
être présent pour le petit déjeuner. De plus, pour le ravitaillement ainsi que
pour nous, c'était moins pénible que s'il avait fallu le faire en plein soleil.
Au bout de quelques mois là bas, cela ne me gênait absolument plus de circuler
en plein soleil. Il m'a d'abord fallu passer par la période d'adaptation, qui se
traduisait par ce qu'on appelait là bas "un coup de dingue" laquelle était une
forte fièvre (entre 40° et 41°) de quelques heures à quelques jours.
Au début la route était à peu prés tranquille, sauf une fois où nous fumes
attaqué par des Japonais qui s'étaient évadés d'un camp de prisonniers. Ils
avaient reçu l'aide de certains des leurs restés dans les alentours malgré que
la fin de la guerre ait été déclarée. Ils ne furent d'ailleurs pas pour rien
dans l'entraînement de certains Viêts qui devinrent très actifs dans les mois et
les années qui suivirent notre départ (1947) jusqu'à la défaite de l'Armée
Française à Diên Biên Phu en 1954.
Dans cette attaque, notre chauffeur avait pris une balle dans l'épaule droite ce
qui l'avait fait se crisper sur le volant et nous déporter vers la droite. Mais
là, pas de chance il y avait un poteau électrique, et il fut pour nous. On le
coupa en deux. Moi, j'étais avec mon fusil mitrailleur installé juste au-dessus
de la cabine du chauffeur (je laissais toujours ma place prés du chauffeur à un
"troufion", je préférais être dehors. Mais là, avec la violence du choc, je fus
projeté par-dessus la cabine et plongeais tête la première dans la rizière qui
se trouvait à droite de la route. Cela se passait entre Saigon et Thu Duc.
Je ne pris pas le temps de savoir si j'étais blessé où si j'avais mal quelque
part. Mon premier souci fut de sortir ma tête de la boue, d'aller en vitesse à
la petite haie qu'il y avait entre la route et la rizière où j'y trouvais une
touffe de bambou. Le temps de passer un bambou dans le canon de mon fusil
mitrailleur et de m'installer dans la tassée avec celui ci. Vider un chargeur ou
deux sur ceux qui nous arrosaient avec une mitrailleuse me demanda sûrement
moins de temps qu'il ne m'en faut ici pour l'écrire. Cela eut d'ailleurs le don
de calmer un peu nos agresseurs qui arrosaient un peu moins. Ils étaient devenus
les arroseurs arrosés.
Je n'eus d'ailleurs pas longtemps à m'en servir, car peu de temps après notre
accrochage arriva une auto Mitrailleuse qui alerta les troupes des alentours et
qui commença par se charger d'eux. Les troupes du secteur étaient en alerte et
les recherchaient. La liberté de nos agresseurs fut de courte durée et il en
resta plusieurs sur le carreau. Pour nous, nous fûmes rapidement pris en charge
et dirigé sur l'hôpital de Saigon où je dus rester une bonne dizaine de jours.
J'avais dû heurter le poteau en passant et je lui avais laissé un peu de mon
vernis. La boue de la rizière n'était pas le meilleur désinfectant qui soit mais
cela avait séché et caché le sang et les petits dégâts.
Le plus blessé fut le chauffeur, qui gagna ainsi son rapatriement vers la France
après les premières réparations. Le soldat qui était à côté de moi en fut quitte
avec son plongeon un peu brutal, mais la boue fut un excellent anti-choc
d'atterrissage. Celui qui était à côté du chauffeur fut pas mal secoué aussi,
nous n'avions pas alors de ceinture de sécurité, et il en fut quitte pour
quelques hématomes et quelques jours d'hôpital. Il avait eu le bon sens de se
baisser dans la cabine pendant que nous nous faisions arroser et que notre bahut
était moitié sur le talus et moitié dans la rizière.
Je dois dire que cela fut à peu prés le seul pépin assez sérieux de route.
Quelques pannes et crevaisons vinrent bien rompre la monotonie de route, mais
rien de bien sérieux. Je garde d'ailleurs un assez bon souvenir de ces trajets.
Au retour de Saigon les après midi où nous avions à retourner selon les besoins
du bar ou du Mess, nous aimions nous arrêter à Thu Duc où se trouvait une
piscine et un terrain de sport avec un portique.
Nous y faisions un peu d'entraînement, notre camion étant bien abrité et nous le
faisions garder par un de nos soldats pour éviter les vols. En dehors de ces
petits pépins, vinrent s'ajouter ceux dus au climat. D'abord celui de la maladie
d'acclimatation et qu'on appelle "Le coup de dingue" auquel personne n'échappe.
Il peut être plus ou moins important selon les cas. Fièvre de quelques heure ou
de quelques jours mais qui peut nous amener jusque entre 40° et 41° . Pour moi
ce fut un bon 40 de quelques heures. Après je me portais comme un "charme"
Ensuite à la suite de mes différentes escapades dans la brousse, et sans doute
après avoir bu un thé dans un village qui avait sans doute fait avec une eau
douteuse je fus pris d'une bonne "déripette" qui ne me facilita pas les choses
pour le retour sur les petits talus entre les rizières. Je ne pouvais me mettre
à l'abri des regards pour poser culottes et je n'avais rien pour l'arrêter.
J'arrivais à la base presque sur les genoux plus ou moins soutenus par les
copains qui me dirigèrent directement à l'infirmerie. Tout de suite on me fit
faire une analyse de sels, et sans attendre les résultats on me fit des piqûres
d'émétine contre la dysenterie amibienne qui ne faisait pas de doutes dans
l'esprit du "toubib" compte tenu des traces de sang dans mes sels. Le traitement
dura un bon bout de temps et la convalescence fut assez longue. Je connaissais
déjà bien le problème.
On avait déjà eu à enterrer deux copains qui avaient en même temps attrapé le
paludisme et fait une crise de dysenterie amibienne. Ils avaient été enlevés en
huit jours. C'était pourtant des malabars. Il est vrai qu'à cette époque et que
pour notre échelon précurseur en Indochine, nous n'avions pas été dotés de
moyens sanitaires suffisants. Pas mal de copains l'ont payé de leur vie.
D'autres ont continué à le payer toute leur vie, ce qui est mon cas. Plus tard
je fus pris d'une crise de fièvre. Je fus à l'Infirmerie et le docteur pensa que
c'était une crise de paludisme Ma fièvre dépassa les 40 à 41 ° et me fit sombrer
dans le coma.
Malgré les recherches on ne me trouva aucune trace de paludisme malgré plusieurs
prise de sang "gouttes épaisses" (gouttes de sang qu'on prend en piquant le bout
d'un doigt). On ne me trouva rien et on considéra alors que j'avais du attraper
ce qu'on appelait là bas à cette époque une "Fièvre des bois". En général, cette
fièvre était connue pour être mortelle dans la généralité des cas et on ne
connaissait aucun remède contre elle.
On me soigna par des piqûres de quinine et en me faisant avaler des comprimés de
quinacrines. On m'installa dehors à l'ombre dans la journée en me faisant ces
piqûres et en me faisant avaler ces comprimés tout en me forçant à boire et à
m'alimenter je ne sais comment, mais plus ou moins sous perfusion sans doute.
Combien de temps dura ce manège, (plusieurs semaines selon mon infirmier) mais
je ne puis le dire car j'étais complètement dans le "cirage". Un beau jour à la
surprise de tout le monde, particulièrement celle de mon infirmier (un Alsacien)
je rouvrit les yeux.
J’apprit par la suite que c'est mon infirmier qui s'était entêté à me faire des
piqûres de quinine contre l'avis du toubib qui les considérait comme inutile et
qui ne voulait pas les voir gaspiller pour quelqu'un de perdu selon lui. Les
médicaments de ce genre faisaient partie des denrées rares dans notre corps
expéditionnaire, et nécessaire à la survie de ceux qui avaient une chance de
s'en tirer. Je n'ai toujours pas compris pourquoi, on m'a gardé à l'infirmerie
de la base. Il me semble qu'il aurait été plus logique de m'hospitaliser à
l'hôpital de Chôlon. Par contre, il n'est pas sûr, que n'ayant pas trouvé
l'origine de ma fièvre, on se serait acharné à me garder vivant comme l'a fait
l'infirmier de la base. A cette époque, notre corps expéditionnaire n'était
guère pourvu de médicaments, et il fallait être solide pour survivre. Lorsque je
suis revenu à la vie, je n'avais plus que la peau sur les os et ne tenais plus
sur mes jambes.
Dès que la nouvelle se propagea, j'eus beaucoup de visites, dont celle de mon
commandant qui ordonna de me faire transporter à Gnah Trang, qui est un petit
paradis terrestre au bord de la mer et au bas d'une petite chaîne de montagne.
J'avais été envoyé en Indochine pour un séjour de six mois, et j'aurais du
revenir comme prévu. Au lieu de cela, j'ai décidé de rester pour prendre la
place d'un sous officier père de deux enfants et envoyé d'office en Indochine.
J'ai donc fait deux séjours au lieu d'un. J'étais célibataire, et je considérais
que ma place était de rester à la sienne; qu'il se devait à ses enfants. Cette
décision était d'ailleurs conforme à celle que j'avais déjà prise à la
Libération, où je considérais que la place des pères de famille était de rester
prés des leurs et que celle des célibataires était de continuer le combat.
Prémices de guerre :
A notre époque en Indochine il n'y avait pas combat, ou tout au moins très peu.
A cette époque Le Général LECLERC qui avait formé notre corps expéditionnaire
militait pour l'Indépendance de l'Indochine. Il avait d'ailleurs plus ou moins
entrepris des pourparlers avec Hô Chi Minh qui était le chef des Viêts. Il
considérait qu'on ne pouvait se battre contre un peuple qui voulait son
indépendance, fidèle en cela à son combat pour la Libération de notre Pays, et
il est dommage qu'il n'ait pas été plus écouté par les politiciens de l'époque.
Comme je l'ai appris ensuite et écrit dans "Histoire de l'Indochine" tiré d'un
documentaire télévisé, un accord a d'ailleurs été signé entre la France et
l'Indochine le 6 mars 1946 donnant l'indépendance à ce peuple
Par ses idées et les pourparlers entrepris, le général LECLERC était devenu trop
gênant, et c'est ainsi qu'il fut rappelé en France et remplacé par l'Amiral
Thierry d'Argenlieu puis par le Général De Lattre de Tassigny qui y laissa son
fils. Ce fut l'époque ou l'Empereur Bao Day fut nommé gouverneur d'Indochine
parce qu'il était beaucoup plus facile à manipuler.
Ensuite vint le trafic des piastres qui fit pas mal parler de lui, et la guerre
qui s'amplifia alors jusqu'à la chute de Diên Biên Phu.
Moi je n'ai connu que les débuts de cette époque. Evidemment il s'y est passé
des choses étranges alors. Par exemple des Américains qui allaient boire dans un
café, qui s'y éternisaient un peu trop, et qui venaient ensuite porter plainte
pour vol de camions dans nos postes militaires. Nous nous doutions de ce qu'il y
avait dans ces camions, mais nous ne pouvions rien prouver. Il a bien fallu que
les Viêts trouvent des armes pour mener le combat qu'ils ont mené ensuite. On a
mis beaucoup sur le dos des Russes, mais les Américains n'ont pas été innocents
dans ce domaine. La guerre qu'ils ont menée dans ce pays ensuite prouve bien que
ce pays les intéressait.
Au tout début, lorsque nous somme arrivés, nos bons amis, les Anglais étaient
déjà là aussi. Le caoutchouc était une denrée très recherchée aussitôt après
guerre, et les plantations d'hévéas de ce pays suscitaient beaucoup d'envieux.
Il y avait de gros enjeux financiers en perspective, et l'appétit de nos gros
carnassiers ne s'en trouvait que plus excité.
De plus, il faut se rappeler que le corps expéditionnaire n'a été formé que de
volontaires.
Pour cela, on a recruté aussi parmi les prisonniers allemands pour la légion
étrangère. Certains de ceux ci se sont évadés dés le passage du Canal de Suez.
D'autres ne l'ayant pas pu, ont souhaité continuer la guerre et ont rejoint le
Vieth-Minh dés qu'ils l'ont pu. Pour y mettre fin il a fallu envoyer des
légionnaires volontaires faisant semblant de vouloir se rallier aux Viets et
arrosant ceux ci lorsqu'ils se présentaient.
Toutes ces choses ont été les prémices de ce qui est devenu ensuite la Guerre
d'Indochine, laquelle aurait donc pu être évitée, mais en étudiant de plus prés
le dossier de cette colonie, je me suis rendu compte depuis qu'il y avait
beaucoup plus.
Thu Duc :
Avec sa piscine et ses éléments de gymnastique, cet endroit était notre havre de
repos lorsqu’on revenait du ravitaillement l'après midi. Je n'ai d'ailleurs
toujours pas compris pourquoi nous étions les seuls à s'y arrêter. Je n'y ai
jamais rencontré d'autres personnes civiles ou militaires. Il est vrai que cet
endroit avec son bâtiment, sa piscine et son aire de sport semblait avoir été
installé au bord de la route pour inviter à s'y arrêter ceux qui faisaient les
voyages entre Bien Hoa et Saigon. Ce n'était pas une ville ni une bourgade, pas
d'habitations dans les alentours immédiats. Il aurait fallu pénétrer dans la
campagne (qu'on appelait la brousse là bas), pour trouver vraisemblablement des
villages indochinois. Pour nous cela n'était pas envisageable. Nous ne nous en
servions que comme une halte entre deux endroits : Saigon où nous nous rendions
par besoin, et la base aérienne de Bien Hoa qui était notre lieu sédentaire.
Gnah Trang :
Cet endroit au bord de la mer et à proximité de la montagne est le lieu où j’ai
passé les meilleurs moments de mon séjour en Indochine. Baignade tous les jours.
Plonger et se glisser sous les rouleaux était devenu un passe temps agréable.
Encore fallait-il plonger à temps pour se glisser dessous et ne pas se faire
prendre par les rouleaux qui nous ramenaient sur la plage dans un mélange de
sable et d'eau. Quand on se faisait prendre, on en avait pour un petit moment
avant d'avoir envie d'y retourner. On avait en général du sable plein la bouche
et dans les yeux. Par contre quel délice lorsqu'on les avait tous passés pour
pouvoir flotter au calme sur le dos et faire la planche la face au soleil.
Un peu plus loin, quelques petits rochers avaient également nos faveurs pour
aller y décoller en profondeur des morceaux de jade blanc et les ramener avec
nous. Mais là il fallait faire très attention, car il était facile de se couper
tant les fonds étaient tranchants et piquants. J'en ai ramené plusieurs morceaux
dont un ou deux doivent encore être à la maison.
Plusieurs petites excursions en campagne ont été également pendant ce séjour,
pour nous pleine de bons souvenirs. Nous partions pour la journée dans un sens
ou dans un autre, pour y découvrir des villages où toujours nous avons été
accueillis avec la plus extrême gentillesse dés que nous pouvions faire
comprendre que nous étions français. Très souvent pour nous faire comprendre
qu'ils étaient restés attachés en France, ils allaient nous chercher dans les
endroits les plus insolites de leurs cabanes le Christ qui selon eux était un
symbole pour nous. Pour le garder, ils avaient pris de grands risques. Un
certain nombre de ces villageois étaient d'ailleurs convertis au christianisme
depuis plusieurs générations.
Dans un certain nombre de ces villages nous avons souvent découvert des poteries
où les voir travailler en faisant tourner leurs supports avec les pieds et
mettant en forme leur mélange de terre glaise et d'eau avec les mains était un
véritable émerveillement pour nous, nous ramenant ainsi des siècles de
civilisation en arrière. Il fallait voir leur agilité pour réaliser un pot ou un
vase et leur fierté de nous faire découvrir leur savoir-faire. Pour ma part j'ai
gardé de ces escapades des souvenirs merveilleux. Mais nous devions toujours
rester en groupes et les éviter en solitaires. Dans ces montagnes, il y avait
assez souvent des bandes de pillards chinois et indochinois qui attaquaient
parfois les villages ou tous ce qu'ils pouvaient trouver pour en tirer profit.
Les villageois aimaient aussi nous voir car cela les rassurait un peu. Nous
devions donc avancer en commando pour éviter les pièges des pillards qui ne nous
auraient pas fait de quartier.
Dans la guerre d'Indochine qui a suivi, Ho Chi Minh s'est d'ailleurs
passablement servi de ces bandes en les organisant et en les armant pour asseoir
son pouvoir. Il n'a d'ailleurs pas agi autrement que beaucoup d'autres ailleurs
et dans les mêmes circonstances.
Tan Son Nhut :
Nous sommes revenus sur cette base aérienne prés de Saigon parce qu’on ne se
sentait plus en sécurité sur la base de Bien Hoa. Le Général Leclerc étant parti
d'Indochine, les rapports avec Ho Chi Minh devenaient rapidement de plus en plus
difficile. On retournait au colonialisme pour laisser aux colons d'alors la
possibilité d'exploiter à nouveau la population de ce pays. Ho Chi Minh ayant
fait des études en France n'était plus "Persona non gratta". Comme je l'ai
indiqué plus haut, il a commencé par utiliser des bandes de pillards pour en
faire des guérilleros et pratiquer la guerre d'embuscade. Les routes devenaient
moins sures, et les risques inutiles devaient être évités. Il est possible que
ces pillards, dont on parlait beaucoup lorsque j'étais en Indochine étaient les
hommes qui se battaient aux côtés d’Hô Chi Minh contre l'occupant japonais, ce
qui expliquerait qu'il n'a pas eu de mal à les retrouver à ses côtés lorsqu'il
est revenu à Hanoi en 1945.
De plus le terrain était beaucoup plus grand, à proximité de Saigon, cela
facilitait les problèmes de ravitaillement et pour nous les loisirs étaient plus
à proximité. Le soir on pouvait aller danser, faire ce qu'on voulait à partir du
moment où nous étions présents à l'appel du matin. J'étais rapidement devenu un
habitué d'une "Boîte Dancing" avec "Taxi girls”. J'y avais une chambre avec une
attitrée et pour moi la vie était belle. Par contre pas question de faire du
gringue à une autre, parce que dans ce domaine les chasses étaient bien gardées.
Cela m'est arrivé une fois. Mon attitrée avait invité une de ses copines à notre
table et comme ma copine gagnait sa croûte avec le nombre de tickets qu'elle
récupérait avec chaque danseur qui l'invitait à danser, elle n'était donc pas
toujours présente à notre table.
Sa copine était jolie et dansait également très bien. Nous avons donc sympathisé
et j'ai utilisé deux ou trois tickets pour danser avec elle. Ce que j'ignorais,
c'est qu'elle aurait dû refuser de danser avec moi puisqu'elle était l'invitée
de ma copine. Pour moi cela avait été un réel plaisir et ce n'était que
bienséance et respect pour son amie.
Le résultat fut que pendant un certain temps je me retrouvais seul à ma table,
ce qui ne fut pas un problème puisque j'en profitais pour inviter quelques
autres copines. Mais au bout d'un moment j'entendis un véritable tapage à
l'étage au-dessous (la salle de danse était au premier étage). Beaucoup
s'arrêtèrent dont moi pour aller voir ce qui se passait en dessous. Quelle ne
fut pas ma surprise de trouver ma dulcinée en train de se mettre une véritable
peignée avec sa copine. Elles s'étaient toutes les deux absentées pour enlever
leur tenues de bal pour se mettre en tenue de travail. J'étais un peu ébahi mais
les laissaient régler leurs comptes, jusqu'au moment où un Indochinois à voulu
intervenir, puis un militaire et j'ai donc du rentrer dans la mêlée à mon tour.
Cela ne dura pas longtemps, car les responsables du dancing avaient dû alerter
la police militaire dés le début, et comme toujours ils arrivèrent avec tout le
branle bas possible. Avec eux ce n'était pas difficile, ils matraquaient tout
militaire à leur portée et le mieux pendant qu'ils avançaient était de se
replier vers le haut et lorsqu'ils arrivaient en haut de sauter par la fenêtre,
faire un "roulé boulé" sur le trottoir et "Salut la compagnie". Le lendemain je
m'expliquais avec ma dulcinée en lui expliquant, que pour nous français, inviter
son amie n'était que lui rendre hommage à elle. C'est ainsi qu'elle m'expliqua
que pour eux en Indochine, dans leurs statuts de "Taxi Girls" son amie devait
refuser. Une bonne nuit arrangea tout et je ne revis jamais son amie.
Par contre des bagarres de ce genre, il y en eut d'autres sans que j'y sois pour
quelque chose. Cela devint même une sorte d'attraction pour que lorsque la
police militaire arrive, on attendait toujours qu'elle arrive en haut pour lui
faire la nique en sautant par la fenêtre. Je ne suis pas sûr qu'ils n'y prirent
pas autant de plaisirs que nous. C'était une manière de garder la forme. Le plus
dur c'est quand on se faisait prendre, c'était de se réveiller avec une bosse
sur la tête le lendemain matin. Par contre ils ne cherchaient pas de coupables,
ils nous ouvraient toujours les portes de nos cellules sans questions et à temps
pour qu'on soit à temps à notre base pour l'appel.
Des souvenirs de ce genre, il y en a pas mal. Dans les bagarres entre
militaires, on avait toujours un bon atout avec nous, les légionnaires se
rangeaient toujours de notre bord, sans doute parce que c'est nous qui les
transportions dans les postes où ils étaient affectés, et certains avaient le
mal de l'air. On a toujours eu de bons rapports avec eux. On ne peut en dire
autant à propos des marins, avec qui plus d'une fois, nous avons dû nous
frotter.
Je me rappelle même un bal de la Marine où j'avais été invité. C'était le 18
août 1946 (j'ai encore l'invitation).J'avais réussi à y trouver une AFAT bien
roulée mais qui dansait merveilleusement bien. J'avais bien vécu et je fis le
concours de danse (valse, Tango, Java, Paso-doble). Le Concours était
sérieusement disputé et il y avait également d'excellents danseurs parmi les
marins. Le premier prix était un grand bonnet de marin avec les médaillons de
toutes les Unités de Marine alors présentes en Indochine. J'eus la malchance de
gagner le premier prix, mais heureusement que j'avais des copains avec moi y
compris des légionnaires qui y avaient été invités.
Toujours est-il qu'il y eut un marin qui me chercha noise en prétendant que je
lui avais fait un croche pied (je crois d'ailleurs qu'il s'était cassé la figure
parce qu'il avait trop bu). Le résultat, c'est que malgré toutes mes tentatives
pour éviter la bagarre, je n'y parvins pas, elle tourna en bagarre générale,
l'Aviation et la Légion contre la Marine, nous étions en plus petit nombre mais
nous nous battîmes bien. Je me réveillais le lendemain au poste de police avec
une bosse sur la tête, et miracle j'avais réussi à garder mon bonnet de marin.
Par contre, il avait été plumé et tous les médaillons étaient partis. Le Bonnet,
lui avait encore du sang sur lui. Je l'ai d'ailleurs ramené d'Indochine, et il
est resté pendant longtemps dans le grenier de maman à la maison de Brais.
Un autre endroit, lui aussi situé à plusieurs kilomètres de Saigon, en pleine
brousse dans un endroit magnifique, avec une piste couverte et une autre en
plein air, endroit où j'ai bu les meilleurs cocktails de ma vie. Cet endroit
ultra chic était tenu par un corse ancien de la légion qui s'était installé là.
Je sais qu'à ce moment déjà, il n'était pas bon de sortir sans armes pour aller
coucher avec une fille dans les environs. Plusieurs ont été trouvés égorgés et
éventrés. J'avais de bons rapports avec le patron et j'y avais toujours une
piaule pour mes besoins et y passer de bonnes soirées, avec mon copain Gaby.
Souvent, je repense à cet endroit magnifique mais isolé. Qu'est - il devenu avec
la montée en puissance du Viet Minh ? Et surtout qu'est devenu son patron
restant souvent seul en ces lieux ?
Saigon :
Cette ville était splendide de type colonial. La rue Catina était la mieux
fréquentée mais pour y être bien reçu, il valait mieux être dans une tenue
irréprochable. Les militaires n’y étaient pas particulièrement les bienvenus.
Cela me rappelle un bon souvenir. C'était dans un des restaurants les plus chics
de la rue Catina. Ce jour là, Gaby et moi avions mis la tenue blanche et nous ne
dérogions pas parmi la gente la plus huppée de Saigon et de ses environs. Nous y
avions commencé par une soupe chinoise, ce qui était de tradition pour les
militaires de l'époque, et en suite nous avions choisi un "poulet frites”. Le
tout était appétissant et le poulet bien doré. Par contre il n'était pas des
plus tendre, et les couteaux dont nous disposions ne coupaient trop. Toujours
est-il que ce fut un vrai labeur de découper notre cuisse de poulet.
De guerre lasse nous fumes contraints d'y mettre les mains et de désarticuler
les deux parties de la cuisse en tirant sur chacune d'elles en les écartant. Ce
qui devait arriver arriva, et les deux morceaux se séparèrent brusquement. Le
problème, c'est que le "poulet frite" baignait dans une sauce bien dorée
également, et la séparation de nos deux rebelles se traduisit par de magnifiques
taches de graisses sur le dos des vestons de nos voisins qui nous tournaient le
dos. Nous n'étions pas fiers de nous et nous ne traînâmes pas pour la fin de
notre repas.
Nos voisins intéressés ne s'étaient aperçus de rien; D’autres bien sur avaient
tout vu, certains en souriaient, d'autres ne voyaient pas cela d'un bel œil, et
nous n'étions que deux militaires (quoiqu'en civil) dans ce restaurant. Pour
nous, l'urgent était de régler et de nous éclipser, ce qui se fit sans embarras.
Une fois sortis, nous pouffions de rire, mais nous ne somme jamais retourné
manger dans ce restaurant. Nous n'étions pas fiers de nous et nous n'aurions
d'ailleurs pas apprécié qu'on nous en fasse autant.
C'est un souvenir de cette rue. Nous en avons eu d'autres, qui se sont terminés
par des bagarres entre civils et militaires, mais cela était presque routinier à
une certaine époque. Nous étions surtout là pour libérer et défendre leurs biens
alors qu'ils avaient surtout tendance à nous regarder de haut avec un certain
dédain ; surtout lorsque que nous n'étions pas tirés à "quatre épingles". Ce
problème se retrouvait d'ailleurs dans toutes les colonies de l'époque.
Chô Lon :
Cette ville banlieue de Saigon avait gardé son aspect et la fréquentation des
asiatiques. C’était surtout le lieu des transactions où les Chinois se sentaient
particulièrement chez eux. Centre économique pour commerce de tous genres ou il
n'était pas prudent de s'y promener sans être parfaitement sur ses gardes,
particulièrement le soir à la tombée de la nuit. Il était courant de trouver des
morts dans les ruelles au petit matin.
Le couteau et le poignard y étaient facilement utilisé par des Indochinois, des
chinois ou individus de d'autres pays. Tout était bon pour ces joueurs invétérés
qui pour trouver leurs mises et aller les jouer dans les tripots n'hésitaient à
tuer parfois. La sagesse pour s'y promener était d'y aller en groupe, et encore
fallait-il rester sur ses gardes en permanence et être prêt à défendre sa peau.
Ce n'était pas un lieu de tout repos et il y grouillait toute une population
asiatique dont une partie se cachait là pour échapper à la police et se
réfugiait dans des bidonvilles difficilement approchables.
Bien sûr une partie de la ville était construite en dur, mais n'était pas pour
cela plus rassurante. L'hôpital militaire pour Saigon et ses environs était
d'ailleurs à Chôlon. Cette ville ne respirait pas la propreté et n'était pas
attirante. Ses ruelles sombres avec ses tripots pour trafics de tous genres se
mêlaient à des maisons de jeux de toutes sortes. Tout cela donnait à ces lieux
une intensité de vie trouble qui pouvait faire peur à qui ne les connaissait
pas, mais qui pourtant grouillait d'une population asiatique assez intense.
Retour vers la France :
Après un an en Indochine, c'est la relève et le retour sur le transport de
troupe "Félix Roussel".
Parti volontaire pour six mois dans le Corps Expéditionnaire du Général LECLERC,
j'y ai fait deux séjours. A la fin du premier séjour (six mois), la relève est
arrivée avec des militaires envoyés d'office dont deux sous officiers mariés et
père de famille. Ils n'étaient pas volontaires et furent très heureux lorsque
Gaby et moi avons rempilé pour prendre leurs places et leur permettre d'être
ramenés en France. Ils firent donc un beau voyage aux "frais de la Princesse".
Nous avions considéré qu'étant parti volontaires, il était de notre devoir de
prendre la place de ceux qu'on envoyait d'office, et particulièrement lorsque
les intéressés étaient pères de famille.
Nous ne pûmes aller au-delà de deux séjours, question de règlement militaire et
de conditions sanitaires qui étaient minimum pour l'échelon précurseur du corps
expéditionnaire dont nous faisions partie. De plus il était temps que nous
revenions ; ce séjour tropical nous avait quand même marqué. Nous embarquâmes
donc le 17 avril 1947 sur le "Félix Roussel" à Saigon pour débarquer à Marseille
le 13 mai suivant.
Le voyage se passa bien, sauf que je n'ai rien trouvé de mieux que de me faire
piquer par un scorpion gris qui me donna une fièvre de cheval pendant plusieurs
jours. Celui ci s'était réfugié dans mon hamac qui était roulé au plafond, il
était de la même couleur et se confondait avec lui.
C'est en déroulant mon hamac que je me suis fait piquer par cette sale bête que
j'ai projeté à terre et écrasé ensuite. Stupeur pour tout le monde de constater
que c'était un scorpion gris et qu'il pouvait y en avoir sur un bateau... Je me
suis précipité à l'infirmerie où un infirmier me fit une piqûre antivenimeuse et
me prévint que j'allais faire une forte fièvre pendant plusieurs jours, mais que
cela serait sans gravité. Il me dit aussi que sans être courant, je n'étais pas
le premier à qui cela arrivait. Je pense qu'on aurait pu nous prévenir de ce
genre d'incident possible. Cela ne veut pas dire qu'on éviterait ce genre de
pépins, car à vrai dire, cela se passe très vite. Ce n'est que lorsque l'on
vient d'être piqué que l'on aperçoit la bestiole qui se déplace avec rapidité et
agilité.
C'était quand même un comble, avoir réussi à éviter toutes sortes de piqûres de
ce genre de bestioles et de serpents en Indochine pour lesquelles nous étions
préparés et prévenus et pour lesquelles nous étions équipés de secours en cas de
besoin, et juste là, au retour vers la France, se faire piquer. Toujours est-il
que cela a gâté une partie de mon trajet de retour.
Sur le trajet du retour nous sommes passé par l'île de COLOMBO (Colonie
britannique de l'époque appelée SRILANKA depuis son indépendance ) où nous avons
débarqué et passé la journée. Dés le débarquement nous avons été pris en main
par un gamin déluré qui nous a fait visiter deux temples superbes. Il fallait
enlever ses chaussures avant de rentrer dans ces temples, mais il nous était
conseillé de laisser quelqu'un avec si nous voulions avoir une chance de les
retrouver à la sortie. Le midi, il nous a conseillé un restaurant où nous avons
très bien mangé avec cuisine à la Française. Le patron du restaurant connaissait
très bien ce luron qui nous servait de guide, et vraisemblablement lui versait
un "écho" après notre passage. Il faut dire que nous avons passé une agréable
journée en sa compagnie, et il ne cessait de nous surprendre par ses capacités à
nous comprendre alors qu'il ne parlait que très peu le français. Le soir nous
rembarquions pour quitter le port dans la nuit.
Ensuite ce fut Djibouti (colonie française de l'époque ) où nous nous arrêtâmes
deux jours. Je fus chargé de former une patrouille, et pendant ces deux jours,
je dus patrouiller dans cette ville et ses environs sous un soleil de plomb pour
y assurer l'ordre et récupérer les soldats qui pouvaient avoir trop bu afin de
les faire ramener au bateau. Il n'y eut pas d'incidents, mais j'eus l'impression
que les soldats français n'étaient pas les bienvenus pour les indigènes du pays.
A cette époque déjà, il y avait parfois des incidents avec les troupes
coloniales qui y séjournaient.
Ma patrouille avait pour but également de faire éviter des échauffourées entre
nos soldats revenant d'Indochine et les troupes coloniales séjournant dans la
ville. Le soleil et la boisson étaient de mauvais éléments pour garder les
esprits tranquilles. Une réflexion de travers, dans un café, et c'était
suffisant pour qu'on en vienne aux mains ? Ce qui faisait l'affaire des
indigènes et était rapporté tout de suite dans les journaux. Autant je n'ai
d'ailleurs pas gardé un bon souvenir de ce séjour dans cette ville salle avec
des rues arides et des gens peu accueillants, autant j'ai gardé un excellent
souvenir de mon passage à Colombo qui était une très belle ville propre avec des
parterres très fleuris et qui grâce à notre petit guide nous a enchantés.
Puis ce fut la fin du parcours et notre retour à Marseille où nous débarquâmes.
C'était pour nous la fin d'une aventure. De Marseille nous remontâmes sur Paris
par camion, pour passer devant une commission médicale qui me fit hospitaliser à
l'hôpital "Val de Grâce" où je fis un séjour d'une dizaine de jours avant
d'avoir droit à mes permissions. J'y reçu d'ailleurs la visite de maman et de
"Maman Germaine" chez qui maman résida pendant son séjour à Paris.
Dés ma sortie de l'hôpital, ma première visite fut pour "Maman Germaine" et
"Papa Françis" où je fus accueilli comme un fils et où toutes les armoires me
furent ouvertes pour tout ce dont je pouvais avoir besoin. Mon premier besoin
fut un mouchoir. Cette maison a toujours été ce que j'ai trouvé de mieux dans
mon enfance et dans ma jeunesse.
Puis ce fut le retour à Brais où je passais deux mois de permission. J'apprit
d'ailleurs à ce retour que j'avais été considéré comme disparu à la suite d'un
avis de l'armée adressé à la Mairie de Vieux Vy. L’armée m'avait considéré comme
perdu lorsque j'avais eu ma fièvre au réveil de laquelle j'avais été envoyé à
Gnah Trang . A partir de ce jour il n'y avait plus eu de courrier de ma part à
la maison. Il est vrai que tant que j'ai été dans le "cirage" et ensuite à Gnah
Trang, je n'ai pas écrit. Par contre il serait surprenant que je ne l'aie pas
fait ensuite. Je ne comprends pas très bien pourquoi celui ci a donc cessé de
fonctionner et pourquoi il n'y a pas eu de contre avis de la part de l'armée.
Beaucoup de pourquoi sans réponse, je n'étais pas au courant de cette situation
et ne recevais de lettres que de mes marraines de guerre. C'est d'ailleurs ce
qui avait décidé maman à monter sur Paris pour s'assurer que mon retour était
bien réel, car l'annonce de celui ci avait fait l'effet d'une bombe dans la
maison.
Pendant ce séjour de permission, je retrouvais celle qui avait été ma marraine
de guerre préférée (Odette D.) pendant tout mon séjour en Indochine. J'en avais
eu trois, mais deux avaient maintenu une correspondance assidue pendant mon
éloignement, et au loin, la correspondance est vraiment le moyen de ne pas se
sentir seul et oublié de tous. Cette marraine que je retrouvais à Vieux Vy était
une cousine avec qui j'avais aimé danser dans les bals du pays avant de partir
en Indochine, que j'avais eu l'occasion de revoir à Rennes juste avant de
partir, et qui m'avait proposé d'être ma marraine de guerre et de m'écrire,
promesse tenue.
J'étais donc heureux de la retrouver. Elle s'est arrangée pour être libre
pendant ma permission, et j'ai passé une bonne partie de celle ci avec elle dans
sa famille ou je me suis gavé de lait frais. Cela m'a beaucoup aidé à me retaper
car j'étais rentré amaigri et fatigué. Notre amitié d'alors s'est muée en
sentiments plus tendres et nous avions formé le projet de nous marier. Maman ne
voulait pas en entendre parler. Nous nous sommes fréquentés pendant quelques
mois mais elle a préféré rompre, prétextant ne pas vouloir être un motif de
division dans ma famille. Nous sommes restés de très bons amis et finalement
elle s'est mariée quelques temps plus tard avec un boulanger avec lequel elle a
ouvert une boulangerie à Montbelleux prés de fougères. Papa l'a retrouvée en
allant travailler dans une mine d'uranium pour avoir son temps de cotisation lui
donnant droit à une retraite des mines.
Nous avons eu maintes fois, Jeannine et moi, l'occasion de la rencontrer depuis
notre mariage, et finalement elle est décédée jeune (la quarantaine) d'un
cancer.
Chartres :
De retour de permission, le S.G.M.M.T.A.E.O. m'affectait à la base aérienne de
Chartres, où j'étais chargé de redresser la situation financière du Mess des
Sous Officiers de la Base, laquelle était en difficulté. J'étais donc chargé de
redresser cette situation et d'en voir les raisons. Je ne devais d'ailleurs
rendre de compte qu'à Paris, parce qu'il semblait que ce déficit profitait à
certains qui semblaient s'en mettre plein les poches. J'avais donc carte blanche
et j'étais indépendant des gradés de la base dont le Commandant en Chef était un
lieutenant. Je devais ce poste à mon ancien commandant de Base de Bien Hoa (le
Commandant OLLIVIER) qui m'envoyait vers un "Sac d'Emmerdes".
Dés le début, j'ai pris mes fonctions, et rapidement, j'ai dû chercher mes
fournisseurs. Je ne fus pas long à m'apercevoir que je ne devais pas garder les
précédents. J'avais l'impression que tout n'était pas clair, particulièrement
dans leurs relations avec les gradés de la Base. J'apprenais que celui qui
s'occupait surtout du Mess était le Commandant de Base et que pour avoir de
bonnes relations avec lui, je devais continuer à m'approvisionner comme avant.
Cela n'était pas de mon goût et je décidais d'aller voir ailleurs et d'agir à ma
tête.
Je ne tardais pas à m'apercevoir que mes initiatives ne convenaient pas au
Commandant malgré des comptes qui se redressaient. Chaque mois j'adressais un
rapport avec mes comptes au Groupement de l'Intendance de Paris, et mes rapports
avec le Commandant de Base se détérioraient sans que j'y sois pour grand chose.
Tout cela dura jusqu'au jour où revenant avec mes hommes d'une corvée de
charbons et sortant d'un café où je leur avais payé un " pot ", je croisais le
commandant. Il m'interpella et me commanda de passer à son bureau dés que rentré
sur la Base, ce que je fis.
Il me reprocha ma tenue débraillée et celle que je tolérais chez mes hommes,
tout en me faisant remarquer qu'étant de service, je n'avais pas le droit
d'aller avec eux (ou sans eux ) au café. Je lui fis remarquer, qu'après une
corvée de charbon, selon les statuts de l'armée, celle ci devait mettre à notre
disposition des douches et que s'il voulait se chamailler à partir des statuts
de l'armée, quoique moins gradé, je pensais connaître ceux ci aussi bien que
lui, pour les avoir enseignés à des nouvelles recrues dans mes débuts
militaires. Par contre, je lui fis remarquer que je ne m'étais pas engagé pour
être commandé par des planqués de l'armée, et je lui demandais où il avait passé
les dernières années. Il est vrai qu'en posant cette question, je m'exposais
(J'avais appris à l'état major de l'armée à Paris (Gaby était resté dans les
bureaux) que son passé n'était pas très clair et qu'il avait été affecté à
Chartres par des relations à lui. De plus ils n'étaient pas surs que ce n'était
pas lui qui était à l'origine des difficultés financières).
Evidemment, derrière cette question la discussion tourna au vinaigre. Il me
menaça des arrêts et de me faire dégrader ; je le traitais de planqué de bureau.
Il mit la main sur le téléphone, je vis rouge, mis la main sur son téléphone et
sautais par-dessus le bureau. Il n'eut pas le temps de reculer, je lui mis mon
poing dans la figure et renouvelais mes coups de poing jusqu'à ce qu'il
s'écroule. Il pesait pourtant plus lourd que moi, mais j'avais mis " le paquet
". Je sortis enfin du bureau pour me trouver nez à nez avec le planton qui
n'avait pas perdu un mot de notre gentille conversation. C'était un gendarme de
l'air avec qui j'avais eu l'occasion de faire quelques " javas " depuis que
j'étais sur la base. Il me fit remarquer en catimini que je venais de me mettre
dans de sales draps.
Je trouvais un peu plus loin un sergent de la gendarmerie de l'air que je
connaissais bien également et qui me demanda ce qui se passait à la vue de mon
visage. C'était un copain qui avait fait l'Indochine et avec qui j'avais déjà
tiré plusieurs " bordées " dont une à Paris Pigalle avec une voiture fraîchement
repeinte de l'armée (Parti le soir et revenu le lendemain matin ). Les
gravillons sur la peinture fraîche avaient fait se poser des questions au
Commandant qui se demandait comment il avait pu se produire que la voiture sorte
du garage sans laisser de traces. Ce qu'il n'avait pas compris, c'est que les
voitures étaient pointées par les gendarmes de l'air qui étaient sur la Base
pour garder celle ci. En tant qu'anciens d'Indochine, il y avait entre nous une
certaine solidarité, et pour tirer des bordées incognito, il était bon d'avoir
de bonnes relations avec les gendarmes et particulièrement avec un gradé de chez
eux.
Dans ma colère je racontais au copain ce qui venait de se passer, nous avions
déjà eu l'occasion d'échanger nos points de vue sur le Commandant. Je lui
expliquais mon regret d'avoir rempilé pour l'armée une dizaine de jours avant.
Il m'apprenait alors que mon dossier n'avait pas encore du passer devant la
commission. Mon sang ne fit qu'un tour, je ne dis rien sur l'instant et fonçais
vers la gendarmerie de l'air.
Arrivé à celle ci, je demandais au bureaucrate de service que je connaissais
déjà, si mon dossier de rengagement était encore là. Il me dit que oui et me
demanda pourquoi je le demandais. Je lui répondis que j'avais du oublier
d'indiquer un renseignement en le remplissant. Il alla me le chercher, et je pus
constater qu'effectivement, il n'était pas encore passé devant la commission et
qu'il n'y avait dessus que mon écriture et ma signature. A la surprise du
bureaucrate, je déchirais mon dossier et lui dis que réflexion faites, je ne
rempilais pas. Mon engagement finissait le 1er octobre et nous étions le 9.
Voilà pourquoi, sur mon livret militaire, je me suis engagé le premier octobre
et n'ai été démobilisé que le neuf.
Je n'appartenais plus à l'armée et j'allais rendre mes vêtements militaires à
l'intendance. Je redevenais civil. Je retrouvais mon sergent gendarme, lui
expliquais que j'avais annulé ma demande de rengagement et que j'étais désormais
civil. Il m'invita à boire un verre au Mess où je retrouvais le commandant qui
me demanda ce que je faisais en civil. Je lui répondais que je l'étais depuis
neuf jours et que j'étais à sa disposition de nouveau s'il avait encore des
comptes à me demander. Il quitta le Mess et je ne l'ai jamais revu. Je
m'excusais prés du sergent et lui exprimais mes craintes sur des suites pour lui
après ce qui s'était passé. Il me dit qu'il n'y aurait pas de problèmes. Leur
service était indépendant sur ces sujets.
Là dessus je quittais Chartres, me rendais à Paris au S.G.M.M.T.A.E.O. pour
m'expliquer avec le Commandant OLLIVIER et lui apprendre ce qui s'était passé.
Je me fis enguirlander par lui, qui me dit que je n'aurais pas du me laisser
aller et que j'aurais du venir le voir aussitôt. Il me proposa de rempiler tout
de suite, qu'il se chargeait de tout et qu'il me ferait partir rapidement pour
le Soudan avec mon copain que je retrouvais dans les bureaux.
Le lendemain, je me dirigeais vers Montparnasse en compagnie de Gaby que je n'ai
jamais revu depuis et j'y prenais le train vers la Bretagne et vers la vie
civile.
Retour à la vie civile
Roger Lenevette et Gaby
Brais :
Ce retour a nécessité une réadaptation à un autre mode de vie ainsi qu'à un
changement de climat. Il a commencé comme écrit précédemment par une cure de
lait et de repos chez Odette et sa famille. Ensuite, j'ai voulu aider à la
relance du commerce de maman par des "tournées" à la campagne avec de la
marchandise transportée en vélo. A l'origine, je devais reprendre le commerce,
mais maman n'était pas prête à le lâcher. De plus, travailler avec elle ne me
convenait pas trop et aller battre la campagne avec la marchandise sur mon vélo
ne me branchait pas non plus. Je ne savais pas très bien alors ce que je voulais
et le retour à la vie civile après trois ans de guerre n'avait rien de facile.
Guy me proposa bien alors de rentrer dans les C.R.S. (Compagnies Républicaines
de Sécurité) créées après la Libération. Ma formation et mon passé de guerre me
permettaient d'y rentrer comme gradé mais l'expérience que je venais de vivre à
Chartres m'avait dégoûté à tout jamais des gradés quels qu'ils puissent être. De
plus ma liberté était trop récente pour que j'accepte de l'aliéner au profit
d'un règlement militaire quelconque. C'était tentant, mais j'en étais à préférer
une place de manœuvre à une place dans la police, même gradé.
C'est alors qu'après en avoir parlé avec Madeleine et son mari Georges, je
songeais à remonter sur Paris. Mais il me fallait trouver du travail et un
endroit pour dormir. Pour cela il me fallait être sur place.
Sans argent, le peu d'économie que j'avais au retour d'Indochine, je l'avais
donné à maman pour payer les factures en retard du commerce. L'époque ne se
prêtant pas à l'épanouissement de celui ci, cela lui avait donné un peu
d'oxygène et lui avait permis de repartir sur de meilleures bases.
Sans métier, l'arrivée des allemands à Brest en 1939, m'avait privé du minimum
de connaissances élémentaires pour exercer dans celui que j'avais choisi. Je
n'avais donc pas la possibilité de jouer les difficiles. Pas de travail dans la
région, il me fallait donc chercher la solution ailleurs.
Sans argent et sans métier, il n'était donc pas facile de sortir de mon "trou".
C'est Georges qui solutionna le problème en me trouvant un emploi chez Woold
Mine et en me proposant de partager la chambre de son frère en attendant que je
m'en trouve une. Sur place, il me serait plus facile de résoudre mes problèmes.
Cette proposition me convint parfaitement.
Je choisis donc Manœuvre plutôt que gradé dans la police.
Après coup, ce choix peut paraître stupide, car j'y perdais beaucoup sur le plan
financier et autres avantages ; mais je gardais ma liberté qui pour moi n'avait
pas de prix. Je dois dire que Georges m'encouragea fortement dans ma décision.
Engagé pour quatre ans comme "Arpète" à l'Arsenal de Lorient, il avait fait sept
ans de Marine Nationale dans les sous-Marins (particulièrement sur le sous-Marin
"Orphée" pendant la guerre. Il n'était pas non plus très militariste, et nous
nous entendions parfaitement bien sur ce sujet.
Paris :
A cet endroit de ma vie, tout était à recommencer.
Je montais donc sur Paris pour commencer chez Woold Mine le 1er mars 1948 avec
une petite valise et un minimum d'argent en poche ; de quoi me payer mon billet
de train et manger quelques jours. Le travail chez Woold Mine n'avait rien de
difficile : Mouler des semelles en caoutchouc sur une presse toute la journée et
toutes celles qui suivaient. Cela n'avait rien de plaisant avec la chaleur de la
presse et l'odeur de caoutchouc dans l'atelier.
Mais je dois un grand merci à Georges qui m'a permis comme je le dis plus haut,
de sortir de mon trou. A l'époque il travaillait à réinstaller chez Woold Mine
un gros moteur diesel qu'il avait d'abord démonté à la centrale de la Mine de
Brais, ce qui avait été pour lui l'occasion de faire la connaissance de
Madeleine avec qui il s'était marié ensuite. C'est donc ainsi qu'il m'obtint mon
premier travail.
Mouler des semelles de chaussures à longueur de journées n'ayant rien de
plaisant, je quittais deux semaines plus tard pour commencer le 16 du même mois
chez Citroën comme O.S. avec un salaire un peu meilleur mais pour un travail un
peu plus à mon goût. Cela me permit de toucher mon premier salaire et de régler
la moitié de la chambre que je partageais avec le frère de Georges.
Pour cette chambre également je dois un grand merci à Georges qui avait gardé de
bonnes relations avec la patronne de l'hôtel qui était une femme assez âgée.
Cette chambre était une petite chambre à un lit et pour une personne ce qui fait
que nous étions en infraction et que je n'aurais pu y rester sans la complicité
de la propriétaire. Elle se trouvait rue du Colonel Fabien entre les stations de
Métro "Colonel Fabien" et "Jaurès".
Il me fallait donc chercher également une autre chambre, d'abord parce que nous
étions en infraction, ensuite parce que je ne m'entendais pas bien avec Roger.
Nous n'avions pas les mêmes goûts en dehors de livres anciens avec certains
auteurs; Pour beaucoup de choses nous n'étions pas sur la même longueur d'ondes.
Georges et lui ne s'entendaient d'ailleurs pas bien non plus et c'est lui qui
m'avait quelque peu imposé. Il s'agissait de la chambre que Georges avait
occupée avant son mariage et jusqu'au moment où il s'était trouvé un studio à
Clichy Sous Bois. De plus pas trop bien couché : deux dans un lit de 1,20 m e
l'eau et les WC sur le palier.
J'eu la chance de m'en trouver une avec cabinet de toilette et à un prix très
raisonnable assez rapidement. C'était vraiment inespéré et de la chance, car à
cette époque, les prix pratiqués frisaient généralement l'exorbitant. Toujours
est-il que pour moi, cette chambre fut comme un détonateur. Elle me fit réaliser
que cette chance, je ne l'aurais pas deux fois et que pour la garder, il me
faudrait la payer, donc avoir un emploi stable, et que pour tout cela il me
fallait penser à l'avenir et donc penser à le construire.
Je commençais alors par me faire inscrire pour un stage accéléré de six mois
d'ajusteur payé dans un centre accéléré (F.P.A. de Paris). Si je ne voulais pas
rester O. S. toute ma vie, il me fallait me prendre en main. Par contre, si je
voulais conserver ma chambre, il me fallait continuer à percevoir un salaire. Ce
stage rémunéré me permettrait de la garder, mais il me faudrait dépenser un
minimum pour manger et sortir. Je savais que cela ne serait pas facile, mais
c'était le prix à payer pour pouvoir envisager le futur avec un minimum
d'optimisme.
En attendant d'être convoqué, je restais chez Citroën à l'atelier "Gutemberg" où
j'exerçais les uns après les autres à peu prés tous les postes
d'O.S.(rectification d'arbres à cames ; rectification de vilebrequins ;
redressage d'arbres à cames après traitement ;… ).
Ne recevant pas de convocation pour le F. P. A., je perdais espoir et quittais
Citroën le 27 juin 1948 pour tenter dans d'autres branches.
Je tentais ma chance dans la représentation en vin. J'y réussissais assez bien,
mais n'en étant pas tellement amateur, ce travail finissait par me déplaire;
J’avais l'impression de tromper mes clients. Je me lançais alors ensuite dans
l'Assurance Vie où rapidement je gravissais les échelons, pour devenir agent de
la branche populaire d'Assurance Vie de la Compagnie le Phénix le 3 novembre
1948 puis chef de section à partir du 1er décembre de la même année. J'allais
devenir chef de groupe lorsque je recevais une proposition intéressante pour
retourner travailler chez Citroën dans les ateliers de ses presses à Saint Ouen.
J'y commençais le 2 mars 1989 et y restais jusqu'à ma convocation pour le centre
de F.P.A. ou je commençais le 10 juin 1949 pour en sortir avec mon C.A.P.
d'ajusteur le 16 novembre de la même année.
Pendant ce stage, j'ai pu me refaire la main, je n'avais pas tout perdu de ce
que j'avais appris à Brest. Rapidement je me suis entraîné sur les essais
d'ajusteurs de toutes sortes, car à l'époque pour entrer dans une entreprise
comme ouvrier professionnel, il fallait avoir un C.A.P. et passer un essai ;
Celui ci était fonction de la qualification O.P.1 ou O.P.2 ou O.P.3 ou O.P.4
(dans certaines administrations), ou Hors Catégories.
Donc queue d'aronde, double queue d'aronde, double queue d'aronde avec sabots,
règle équerre, etc. … tout cela j'ai connu et passé pour entrer dans les
différents emplois que j'ai occupés. On avait huit heures pour passer un essai,
mais comme dit le proverbe : "C'est au pied du mur qu'on voit le maçon".
Mon premier emploi d'ajusteur professionnel 1ère catégorie a été aux lampes à
Ivry. L'essai une simple queue d'aronde en tôle de 3 mm passée à la boîte à
lumière ensuite. J'y suis resté un an. Trois ans plus tard j'y retournais comme
O.P.2. (essai = double queue d'aronde). Je ne saurais dire le nombre d'essai que
j'ai passé, mais je n'en ai loupé aucun. Par compte, le soir, j'aimais chercher
dans les livres tout ce qui pouvait se rapporter aux machines que j'avais
rencontrées dans mon nouvel emploi. J'ai fini par me retrouver avec une
bibliothèque technique que beaucoup pouvait m'envier. Cela m'a d'ailleurs
beaucoup servi lorsque j'ai voulu entrer dans l'Enseignement. J'avais fini par
maîtriser aussi bien le métier d'ajusteur, que celui de tourneur, que celui de
fraiseur ou que celui de rectifieur. Finalement, c'est d'ailleurs un essai de
tourneur que j'ai passé pour entrer dans l'enseignement compte tenu que c'est un
poste de tourneur qui était libre.
Avant d'entrer dans l'enseignement, j'étais entré à la D. E. F. A. et je m'étais
trouvé avec des machines hydrauliques récentes que beaucoup d'entreprises où
j'étais passé auraient envié.
J'ai donc du me familiariser avec elles compte tenu que personne ne savait et ne
voulait s'en servir. En travaillant dans tant d'entreprise et dans différents
emplois, je n'avais fait que ce que faisaient nos anciens pour devenir "Maître
Ouvrier". Ils faisaient ce que l'on appelait alors "Faire le Tour de France" et
qui se fait encore. L'avantage à Paris et sa région, est qu'il n'est pas besoin
de quitter son domicile, il suffit de changer d'entreprise, chacune d'elles
apporte à sa manière quelque chose au capital de connaissance qu'on peut avoir
acquis. Certes, pour cela, il ne faut pas avoir froid aux yeux, car à chaque
fois, c'est une expérience nouvelle, il faut se lancer dans l'inconnu et se
mesurer avec lui.
Le Pré St Gervais :
C'est dans cette chambre du Pré St Gervais, alors que j'étais encore en stage
pour préparer mon C.A.P., que j'ai reçu la visite de Roger C. Je ne l'avais pas
revu depuis ma visite à l'hôpital, où il était sur son lit avec une balle dans
le ventre.
Il venait de passer chez maman à Brais, et avait obtenu mon adresse à Paris.
C'était un samedi. Après avoir bavardé tout l'après midi et fait un retour dans
le passé, il décidait que nous irions danser le soir pour fêter notre réunion.
Cela ne m'arrangeait pas, mes finances ne me le permettaient pas, rien n'y fit,
il fallut que j'y aille et je ne me fis d'ailleurs pas trop prier. Tant pis, je
serrerai ma ceinture un cran plus loin dans les semaines qui suivraient. J'y
allais donc derrière lui, traversant Paris, assis sur sa grosse moto B.M.W.
Nous arrivâmes donc au "Poisson Vivant", au bord de la Marne, juste derrière le
Pont de Charenton, Bal dont la réputation de "Bal à coups de poings" était
connue du tout Paris, mais que je n'avais pas encore eu l'occasion de découvrir.
Cependant avant mes débuts de stage, j'étais maintes fois allé voir comment cela
se passait dans les bals musettes en renom de Paris.
Ici encore, c'était le point de départ de tout ce qui allait changer ma vie.
C'est ce soir là que pour la première fois, j'ai rencontré celle qui allait
devenir mon épouse. Pourtant ce soir là ne nous rapprocha pas. Après l'avoir
invitée à danser, elle alla danser avec un autre alors qu'elle venait de me
refuser. C'était là quelque chose qui ne se faisait pas à cette époque. J'aurais
compris qu'elle refuse en me disant qu'elle était retenue, mais refuser et
danser avec quelqu'un d'autre était considéré comme une insulte à l'égard de
celui à qui on refusait et se traduisait par une bonne paire de gifles en
général qui se terminait souvent en bagarre. C'est bien ce qui faillit arriver,
quand Roger me dit : "Laisse la, c'est une copine". Je lui fis remarquer qu'il
ferait bien de mieux choisir ses copines et que celle la n'avait aucun
"savoir-vivre". Je tournais donc la page et cela ne nous empêcha pas de passer
une bonne soirée. Cela devait se passer fin août 1949.
A plusieurs reprises, dans les mois qui ont suivi, je l'ai revue, mais ne l'ai
pas invitée bien qu'elle dansait bien. Je m'étais fait pas mal de bonnes copines
dans ce "guinche" dont beaucoup avait leur chambre dans un immeuble rue St
Mandé. Le bal terminé j'étais souvent invité à rester chez l'une ou l'autre ou
j'avais droit au café avec les croissants chauds le dimanche matin. J'y avais
pris goût, et ne cherchais pas à aller danser ailleurs. De plus, c'était
l'occasion de retrouver Roger et nous passions souvent la soirée à la même
table, chacun ayant ses copines. Plus d'une fois, nous sommes allés à un bistrot
qui était un peu plus loin au bord de la Marne. Entre le "Poisson Vivant" et ce
bistrot c'était souvent un passage où on réglait ses comptes, particulièrement
avec les apprentis "flics" de l'école de Maison Alfort dont beaucoup on du
apprendre à nager dans la Marne ou y voir flotter leurs képis. Roger était moins
costaud que son frère, mais il était pas mal aussi dans son genre. Il ne fallait
pas avoir froid aux yeux pour aller se promener dans ces parages. C'est sans
doute ce qui faisait le succès des lieux et du "guinche".
Cela alla donc ainsi jusqu'à un certain soir du premier de l'an 1950, où il n'y
avait presque personne au bal, et où, finalement, je dus me résoudre à l'inviter
si je voulais danser, ou alors à partir. Je l'invitais donc, et, Oh ….!
Surprise…, elle accepta. Nous dansâmes toute la soirée et mangeâmes des huîtres
ensemble. Nous nous revîmes, nous nous mariâmes et nous eûmes des enfants.
Résumé d'une vie :
Mais, étranges sont les caprices du destin. Derniers combattants du même groupe
de Résistance, je vais avec René saluer son frère que je ne connaissais pas à
l'époque et qui est sur son lit d'hôpital avec une balle dans le ventre. Nous
faisons connaissance. Cela se passe le 1er ou le 2 mars 1945. Quatre ans et demi
plus tard, c'est lui le frère de mon camarade de combat de toute la Résistance,
qui vient me trouver, qui m'emmène danser dans un bal où je vais faire la
connaissance de celle qui va devenir mon épouse et la mère de mes enfants. Entre
temps j'aurai vécu la guerre d'Indochine.
Lorsque j'écris ces lignes, je cours après mes soixante quinze ans et si je
jette un regard vers l'arrière, je ne puis le faire sans me livrer à quelques
réflexions sur les différents combats que j'ai pu mener.
J'avais quatorze à quinze ans lorsque j'ai fait mes débuts dans le monde du
travail à l'arsenal de Brest.
J'en avais entre quinze et seize ans lorsque avec papa je faisais mes débuts de
bûcheron à la tâche dans les "Semeilles" à Tremblay.
Puis ensuite, cela a été le travail à la Mine jusqu'à la Libération.
Tout jeune, cela a été dans la Résistance. Lorsque tous ont voulu rentrer, ce
qui était normal puisqu'ils étaient mariés et souvent pères de famille. Moi,
j'ai voulu continuer.
Lorsque j'étais en Indochine pour six mois, j'ai doublé mon séjour pour prendre
la place de quelqu'un qui était marié, père de famille et envoyé d'office.
Revenu en France, après mon coup d’état à Chartres, je pouvais rempiler et
partir au Soudan. J'ai choisi la liberté et le retour à la vie civile.
Au moment du choix pour faire ma vie, j'ai choisi la solution la plus difficile
plutôt qu'aliéner cette liberté.
Arrivé à Paris, j'ai compris très rapidement qu'il fallait que je me prenne en
main si je ne voulais pas végéter toute ma vie.
Marié, dés le début, j'ai du me battre. Pour la naissance de Claudine, cela a
été avec le gérant, la propriétaire de l'hôtel, un huissier, le service de
voirie de la commune du Pré St Gervais. Tout cela pour un tuyau de poêle de
chauffage sortant par une fenêtre au-dessus de l'entrée de l'hôtel. En octobre
ce chauffage était nécessaire pour la venue de Claudine.
Ensuite, le local de Pantin qu'il a fallu désinfecter à cause des punaises et
une fenêtre que j'ai du créer pour aérer et passer le tuyau de chauffage qui
enfumait tous les voisins du dessus.
Est venu Créteil ou on croyait trouver le paradis, mais qui, rapidement est
devenu l'enfer avec une propriétaire acariâtre, qui voulait réintégrer son local
et encaisser le loyer.
Cela a été le vieux St Maur, ou j'ai du me battre contre le propriétaire qui
voulait vendre l'immeuble par appartements et que j'ai fait condamner avec
dépossession de ses biens à la demande d'une femme des Services Secrets
Français. Pour cela j'ai du descendre, revolver aux poings dans les sous-sols de
son hôtel pour y chercher les preuves de son passé de "Collabo".
Cela a été la C.G.E.A. (Compagnie Générale d'Equipements Aéronautiques) où l'on
était censé fabriquer des hélices d'avion pour "Tito" Président de la
Yougoslavie de l'époque. En réalité on trafiquait d'anciennes hélices au nez et
à la barbe d'un contrôleur yougoslave. J'y travaillais comme Ajusteur Monteur
jusqu'au jour où on a voulu licencier parce que les contrats de fabrication
n'étaient pas renouvelés par la Yougoslavie. Faisant partie de ceux qui
travaillaient à l'abri des regards, j'étais dons au courant du trafic. Ce jour
là j'ai pris le coup de sang et suis monté sur un baril pour expliquer au
personnel pourquoi les contrats n'étaient pas renouvelés. Tout le monde a arrêté
le travail, et c'est ainsi que je me suis trouvé responsable syndical CGT pour
la première fois.
Chaque semaine je faisais et distribuais un journal d'Entreprise où je dénonçais
les magouilles de la Direction. C'est allé jusqu'aux actionnaires qui n'ont pas
apprécié. La Direction a sauté, mais la nouvelle direction m'a rendu la vie
impossible jusqu'à ce que je décide de partir à mon tour.
Je trouvais du travail, mais le patron où j'entrais était un ami de celui de la
CGEA. Je l'ai découvert trop tard et quinze jours après je devais quitter à
nouveau, mais cette fois il ne m'a pas été facile de retrouver du travail avec
le certificat de la CGEA marqué au rouge. J'ai du m'en faire faire un faux par
un copain poujadiste pour me sortir du pétrin.
Les emplois, j'en ai eu de divers et j'en ai maintes fois changé. Cela a
toujours été pour enrichir améliorer mon salaire tout en enrichissant mes
connaissances.
Cela a été également la Kermesse aux Etoiles où j'ai participé comme garde du
corps. C'était au profit des mutilés anciens de la 2ème D.B. (Division Leclerc)
Cela a été l'époque où l'Abbé Pierre s'est lancé dans sa campagne pour les sans
abris. J'ai participé à de nombreuses "Opérations débarras" et en ai organisé
une sur le Vieux St Maur.
Cela a été également l'époque où avec le groupe "Poujade" nous demandions le
retour au pouvoir du Général De Gaulle, et où la nuit nous pavoisions les murs
d'affiches à cet effet.
Cela a été le barrage de la Marne qui a cédé, inondant des centaines de
pavillons, et où en barque avec un responsable Scout, nous sommes allés évacuer
les habitants et les bêtes. C'était l'hiver et nous nous sommes retournés. Avec
bottes et canadienne, difficile de nager.
Je me suis même retrouvé responsable du Secours Catholique alors que je ne
mettais jamais les pieds à l'église !
Cela a été 1958 avec la venue au pouvoir du Général De Gaulle et où j'ai fait
partie du service d'ordre Place de la République. Ce qui m'a amené ensuite lors
des élections municipales à être le 2ème élu de St Maur des Fossés pour donner
ma démission quelques mois plus tard. Il y avait trop de faux jetons dans ceux
qui se prévalaient du Gaullisme.
Ensuite cela a été mon entrée à la D.E.F.A. (Défense Equipements Français
Armements) qui est passée à la D.A.M. (Département Applications Militaires) du
C.E.A. (Commissariat Energie Atomique). C'est moi qui ai été chargé de discuter
les statuts du personnel ouvrier et cadres lors du passage de la D.E.F.A. au
C.E.A. au Ministère de l'Intérieur du Gouvernement du Général De Gaulle dans ce
qu'on appelait la D.A.M. (Département Application Militaire).
C'est également l'époque où avec Guy nous avons acheté notre première maison à
la Mine de Brais pour y venir passer les vacances avec les enfants. Mais il a
fallu tout y refaire. Charpente, couverture, y percer des fenêtres, y installer
des cloisons et le sanitaire…
Ensuite je suis rentré dans l'Enseignement Technique où j'ai du me battre contre
les Inspecteurs pour faire rentrer l'Enseignement Technique dans les collèges du
secondaire, et où je n'ai du cesser de me battre contre eux pour le défendre.
Cela a été Arradon, où nous avons acquis notre première maison et où j'ai du
organiser les copropriétaires en Association. Syndicale Libre pour lutter contre
le promoteur immobilier. Nous l'avons l'obligé à remédier aux malformations et à
dédommager les copropriétaires.
Cela a duré sept ans de procédure. Elle est devenue une Association de Cogestion
des résidents ensuite dont je suis resté Président d'honneur. Nous avons quitté
cette maison ensuite pour venir nous installer à Saint-Armel, maison, où
également tout a été à refaire.
Cela a été le Castellet ou de nouveau j'ai du organiser les copropriétaires et
regrouper les Associations existantes sous l'égide d'un seul comité, où
également, il nous a fallu sept ans de procédure pour arriver à autogérer
nous-mêmes le domaine et à en déposséder le gérant qui n'était qu'un escroc
voulant nous faire payer des charges qui ne nous incombaient pas.
Aujourd'hui, c'est contre le Ministère de l'Education Nationale et les hommes
politiques que je me bats depuis dix ans pour faire accorder aux retraités de
l'Enseignement technique de mon époque, la retraite à laquelle ils ont droit.
Ils ont été les bâtisseurs de cet enseignement et ces droits viennent enfin
d'être reconnus. Il reste à concrétiser.
A l'heure où j'écris, je suis installé à Surzur, où pour nos vieux jours nous
avons tenu à ce que notre habitat se situe sue le même niveau. Nous y sommes
cernés par la nature, mais cela n'a rien de désagréable, même si cela n'est pas
sans quelques obligations.
Bien sûr, le fait de vouloir revenir sur le passé oblige à revoir les bons
moments de sa jeunesse. Pour moi, ce sont les parents, les réunions du 15 août
avec la famille et les amis, l'Ascension dont les parents étaient les principaux
animateurs et qui était le lieu de rendez-vous de la jeunesse d'alors. Les moins
bons sont l'arrivée des Allemands, l'occupation avec tous ses problèmes, la
Résistance, l'Indochine avec ses conséquences sur ma santé.
En me relisant, cela me fait penser à l'histoire de "Don Quichotte" que j'ai lue
il y a bien longtemps. A la différence qu'il peut y avoir avec son histoire,
c'est qu'il se battait contre des "moulins à vent" alors que mes combats l'ont
été pour ou contre des choses bien réelles et qui n'ont pas toujours été sans
risques.
Interrogation et réflexion :
Pour m'être tant battu, suis-je un communiste ?
Non s'il faut avoir ou avoir eu sa carte dans sa poche pour en être un.
Oui, si conformément à la définition du dictionnaire Larousse, le communisme est
une doctrine de la communauté de biens appliqués aux moyens de production comme
aux objets de consommation se traduisant par l'abolition de la propriété privée
des moyens de production au profit de la propriété collective.
Le 10 août 1792, la Commune de Paris installait son premier pouvoir
révolutionnaire. Ses partisans s'appelaient les communards.
Le 18 mars 1871 l'insurrection du peuple de Paris installait un nouveau
gouvernement révolutionnaire appelé Commune de Paris qui fut renversé par le
Gouvernement Thiers le 28 mai de la même année.
Communard ou Communiste. Ce mot appartient à notre histoire, nous n'avons pas à
en rougir ni à l'abandonner. Ne le confondons pas avec le bolchevisme, qui
concerne la révolution russe et tout ce qui a suivi. Révolution qui n'a pas été
totalement négative comme on essaie de nous le faire croire dans les médias
actuels mais qui fait toujours peur aux nantis.
Certes on ne peut être d'accord avec la façon dont l'idéologie du communisme a
été exploitée dans certains pays, ce qui en fait a plus desservi la cause des
peuples qu'autre chose.
A une époque où on met en place un tribunal international pour juger les
criminels de guerre, certains membre de la C.I.A. et du Gouvernement américain
ne devraient-ils pas y figurer ? Qu'ont-ils fait dans les pays d'Amérique Latine
?
Sous couvert d'anticommunisme, combien de crimes ont été commis dans les années
passées ou même se perpétuent
encore ?
Pourquoi ne pas ouvrir les dossiers sur l'anticommunisme d'après guerre en
France qui n'est d'ailleurs pas si blanche sur ce sujet ?
Evidemment, il est toujours facile de poser ce genre de questions sans pour cela
y apporter les réponses, mais refuser de se les poser ne serait-il pas pratiquer
la politique de l'autruche ?
Bien sur, tout cela oblige à s'interroger sur le passé, mais celui ci n'est-il
pas ce que les hommes en ont fait au même titre que le futur ne sera que ce
qu'ils en feront ?
Retour guerre d'Indochine