CHAPITRE IV

 

 

 

La bataille. – Conditions du débouché de l’attaque, Bataille du Doubs. Exploitation en Haute-Alsace et bataille de Belfort. La réaction allemande. Manœuvre d’encerclement de Burnhaupt. Le bilan de la bataille.

 

Conditions du débouché de l’attaque. – L’attaque du 1er Corps devait s’effectuer en deux temps. D’abord entre Villersexel et la région d’Ecot, dans la journée du 14, puis jusqu’à la frontière suisse dans la journée du 15.

La brume et le mauvais temps ayant considérablement gêné la mise en place des tirs d’artillerie, les opérations ne purent commencer que le 14 à midi. Cependant, il y avait eu, au cours de la matinée, de courtes éclaircies qui avaient permis quelques sorties de « Piper cub » (1)

La préparation fut cependant efficace et s’applique exactement sur les organisations allemandes repérées.

La bataille du Doubs. – L’attaque du 14 s’étendait sur un front de 20 kilomètres. Elle était menée de part et d’autre du Doubs par la 2e D.I.M. et la 9e D.I.C. Le sol était détrempé par le dégel ; une pluie diluvienne et des bourrasques de neige gênaient considérablement les assaillants et interdisaient absolument l’appui de l’aviation. De plus, le terrain était parsemé de pièges et tous les ponts avaient été détruits. Malgré ces difficultés tous les objectifs de cette première journée étaient atteints et même, en certains points, dépassés en fin d’après-midi. Au nord du Doubs, la 2e D.I.M. réalisait une avance de près de 5 kilomètres atteignant Marvelize, Monthenois, Beutal et capturant une centaine de prisonniers. Au sud du Doubs, la9e D.I.C. atteignait l’important centre de résistance d’Ecot, faisant également plus de 100 prisonniers.

L’attaque du 15 s’étend à droite jusqu’à la frontière suisse, sur un front de 40 kilomètres. Comme la veille elle se poursuit au milieu de bourrasques de pluie et de neige, mais avec une extrême vigueur pendant toute la journée. En dépit des mines et des pièges dont l’ennemi a infesté le terrain et malgré une résistance acharnée de l’adversaire, la progression est générale sur tout le front d’attaque et atteint, après deux jours de bataille, une profondeur moyenne de 6 à 8 kilomètres. Les progrès sont particulièrement notables dans la région de Montenoy et d’Arcey, où les chars de la 5e D.B. sont entrés en action ; après la prise de ces deux localités, nos troupes atteignent le soir les lisières de Saint-Marie. A l’extrémité Est du front,les éléments de la 9e D.I.C. et le 9e Zouaves traversent le plateau de Blamont et s’emparent de Roche-de-Blamont. Déjà les défenses allemandes sont submergées. L’ennemi, mésestimant nos possibilités et nos intentions, a accepté la bataille sur les positions de contact. Cependant dès le 14 la surprise a été totale chez l’ennemi. On a retrouvé le corps du général allemand Hachmann, commandant la 338e D.I., tué au cours de notre violente préparation d’artillerie du 14, alors qu’il effectuait une reconnaissance en première ligne. Son officier d’ordonnance est fait prisonnier. Les documents et les déclarations recueillies confirment les effets de la surprise

(1) Avion d’observation d’artillerie.

 

Dans la journée du 16, les succès remportés la veille entre le Doubs, et la frontière suisse, ainsi que ceux des 2e D.I.M. et 5e D.B., au nord du Doubs, en direction de Montbéliard, sont vigoureusement exploités en dépit de la résistance acharnée de l’ennemi qui a reçu l’ordre de défendre coûte que coûte les positions occupées et qui met à profit la nature du terrain pour retarder au maximum la progression de nos troupes. Héricourt est pris dans l’après-midi du 17. Dès lors, la position de Montbéliard-Sochaux, qui constitue, après le système fortifié de Belfort, le deuxième point d’appui barrant la Trouée, est compromise. En effet, la progression entre Suisse et Doubs a amené nos troupes dans la région d’Audincourt. La brillante action du 9e Zouaves encadré par le 21e R.I.C. et le 6e R.T.M. (de la 4e D.M.M.) aboutit à la percée du dispositif ennemi au nord de Roche-les-Blamont et permet aux chars de général du Vigier de franchir la redoutable coupure du Gland et de prendre pied sur le plateau de Delle. Héricourt enlevé, un « Combat-Command » de la 5e D.B., le CC 5, entre dans Montbéliard le 17 en fin de journée. La place tombe entre nos mains le 18 après de violents combats de rues mais avec ses ponts intacts. Le groupe franc des F.F.I. de Montbéliard a pu heureusement intervenir pour empêcher leur destruction.

L’acharnement entêté de l’ennemi à conserver la position de contact malgré la faiblesse de ses réserves (celles qui sont prélevées au nord du secteur d’attaque sont immédiatement engagées mais alors que la situation est déjà compromise), a fait que l’ »événement décisif » s’est produit : la 5e D.B. et la 2e D.I.M. ont rompu le front ennemi face à Belfort. La 9e D.I.C. et les zouaves l’ont percé à l’est du Doubs ; par ce couloir les chars de la 1re D.B. vont pouvoir se lancer par Delle en direction de l’Alsace et du Rhin. La bataille du Doubs est gagnée.

 

Son dispositif disloqué, l’ennemi n’a plus la possibilité de se rétablir sur la première position de résistance Belfort-Delle, sauf temporairement autour de Belfort, où il a pu récupérer une partie des éléments repliés sur la zone située immédiatement au nord de la zone d’attaque. Mais les éléments ennemis n’ont pu s’opposer, entre le canal et la Suisse, à la poussée de nos éléments de protection qui, dès le quatrième jour de l’offensive, le 18 novembre, vont s’engouffrer en Haute-Alsace. Disposant d’effectifs limités, de peu d’artillerie, dépourvu de blindés, l’ennemi n’exécute pas les puissantes contre-attaques conformes à ses méthodes habituelles. Le commandement ne donne à aucun moment l’ordre de repli sur une des nombreuses lignes qu’il avait cependant si minutieusement préparées. Au cours de cette phase, la défense reste surtout une défense d’infanterie, pratiquement réduite à ses seuls moyens et constamment prise de vitesse. Infanterie brave et aguerrie dont la ténacité s’émousse vite devant nos attaques répétées, le mordant de nos troupes et l’impuissance du commandement allemand à tenter une manœuvre de rétablissement.

 

  

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L’exploitation en Haute-Alsace et la bataille de Belfort. – La bataille se développe plus rapidement à partir de la journée du 19 ; L’aile droite de la 1re Armée française passe à l’exploitation de la percée tandis qu’à la faveur de ce débordement se déroule la manœuvre tendant à s’emparer de la place de Belfort.

Dès le 17 au soir en effet, le général de Lattre, jugeant parfaitement la situation, a établi son ordre général d’opérations n° 159 pour l’exploitation, telle qu’elle a été prévue par l’instruction personnelle et secrète n° 4 en date du 24 octobre : il s’agit de s’emparer des débouchés Est de la Trouée de Belfort et simultanément de réduire les défenses de la place. Ensuite l’intention du général commandant l’armée est de poursuivre, à partir du 19 novembre, l’exploitation en plaine d’Alsace sur les directions : Rougemont-Cernay-Colmar et Dannemarie, Mulhouse, Brisach (Chalampé), tout en prenant à revers les passages des Vosges.

Le général de Lattre concentre son artillerie devant la place forte afin d’en écraser les forts et les ouvrages tandis que les blindés de la 1re D.B., soutenus par l’infanterie de la 4e D.M.M., exploitent en direction dur Rhin entre le canal du Rhône et la frontière suisse. La division blindée était lancée au-delà de Montbéliard le long de la frontière avec, pour mission, de foncer en direction de l’Est jusqu’au Rhin sans tenir compte des réactions ennemies sur son flanc gauche. Un régiment de la 4e D.M.M. devait, dans son sillage, nettoyer et occuper le terrain puis se rabattre sur le Nord de manière à en protéger le flanc gauche et à menacer les arrières du système fortifié de Belfort.

Delle est enlevée dans la soirée du 18 ; les blindés atteignent les abords de la forêt de Seppois, Malgré le terrain dont nous connaissons les difficultés auxquelles s’ajoutent les inondations s’élevant des écluses détruites, les ponts sautés et le mauvais temps persistant, la 1re D.B. s’engouffrait dans la Trouée. Bousculant toutes les résistances ennemies, elle atteignait dès le 20 le Rhin à Huningue, puis, sans ralentir son allure, elle fait face au Nord et s’empare de Mulhouse le 21 novembre, après une lutte violente. La 4e D.M.M. vient occuper la ville le lendemain et se déploie face au Nord et à l’Ouest, de manière, tout en occupant le terrain conquis, à protéger le flanc gauche du dispositif et à menacer les arrières de la position de Belfort.

Du 21 au 24 novembre, la ville de Mulhouse est nettoyée, une partie de l’état-major de la 19e armée allemande, avec 1.500 officiers et soldats qui résistaient dans les casernes, sont faits prisonniers. Cependant la 1re D.B. pousse des reconnaissances sur Ensisheim, Morchwiller et de nombreuses localités du Sundgau. A la faveur de ce débordement et de la menace qui pèse ensuite sur les arrières allemands, les troupes de la 2e D.I.M. parviennent sur les avancées de Belfort et  en disloquent tout le système défensif.

Après s’être heurtées au mont Vaudois, elles enlèvent successivement les ouvrages qui couvrent la place à la suite d’engagements acharnés .Après une action de nuit menée par le groupe de commandos Bouvet, sur le Salbert, les chars du CC 6 et de la 5e D.B. entrent en trombe dans la ville le 20 novembre à l’aube. Elle est entièrement nettoyée le 21 novembre, deux jours après que nos premiers éléments y eurent pénétrés.

 

A l’aile gauche de la 1re Armée française, la journée du 19 était aussi décisive : malgré son front très étendu et des forces relativement faibles, le corps Montsabert attaque dans les Vosges méridionales à travers le massif en direction des crêtes. Il s’empare de Champagney, de Gérardmer, de la Bresse. Avec une ardeur, une audace et un sens manœuvrier auxquels on ne saura jamais assez rendre hommage, les troupes de la 3e D.I.A. atteignent le ballon d’Alsace et la crête principale des Vosges au prix des pires difficultés. Livrant de très durs combats, ces troupes descendent dans les vallées de Masevaux et de Saint-Amarin

Ainsi, en exécution des missions judicieuses données aux deux corps français dans le plan du général de Lattre, la manœuvre conçue s’exécute ponctuellement.

 

 

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 La réaction allemande. – L’ennemi tente cependant de se rétablir sur la limite arrière de la première position (Belfort-Delle), puis sur la limite avant de la position (Rougemont-Dannemarie-Seppois).

Le commandement essaie de reprendre la situation en main avec plus de méthode et en coordonnant l’action des troupes au contact, cependant que l’infanterie allemande confirme à nouveau et son agressivité et la maîtrise avec laquelle elle sait mener les combats sous bois.

A la fin de la journée du 19, le front français s’était, nous l’avons vu, dangereusement étiré. Il suivait la Savoureuse de Belfort à Chatenois, le canal de Morvillars à Bretagne, puis passait par Chavenatte, Suarce, Lepuix-Delle, Carspach, Illfurth, Mulhouse.

En somme, il avait pris la forme d’une poche dont le fond touchait à la route de Bâle à Montbéliard dans la région Lepuix-Delle, Suarce et dont les flancs s’élevaient vers Masevaux à l’Ouest, Mulhouse à l’Est. L’étroitesse et la vulnérabilité du couloir de communications à hauteur de Delle et Lepuix-Delle n’avait pas échappé à l’adversaire.

L’ennemi, accroché sur tout son front par l’agressivité de nos troupes, a là l’occasion de menacer sérieusement nos communications, voire de couper les éléments de pointe du gros de la 1re Armée, en attaquant directement du Nord au Sud, en direction de la frontière suisse.

A partir du 21, l’ennemi engage successivement au sud de Dannemarie la 30e W. SS : de Sélestat, des éléments de la 269e I.D. et de la 198e I.D., et pour la première fois, un bataillon de nouveaux « Jagdpanthers », redescendus des Vosges dans une action visant à isoler de nos gros, nos éléments de protection arrivés au Rhin, et vraisemblablement à rétablir l’intégrité de la position dans le triangle Dannemarie-Delle-Seppois.

 

L’attaque déclenchée le 21 permet à l’ennemi de reprendre Chavannes, Suarce Lepuix-Delle ; des éléments arrivent même jusqu’à Réchésy. Le 24 au soir, la situation, sans être inquiétante, devient sérieuse. Des combats acharnés se déroulent à l’Est et au Sud de Belfort sans résultats tangibles. L’ennemi contre-attaque par la vallée de la Suarcine. Le 25, des éléments de réserve français composés de « Combat-command » et d’unités de F.F.I. doivent être engagés pour rejeter l’adversaire qui menace et harcèle nos communications à hauteur de Seppois et Réchesy.

 

 

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Manœuvre d’encerclement de Burnhaupt. – Au moment où l’ennemi s’engage dans cet esprit, le général de Lattre, faisant fi de la menace, décide au contraire de mettre à profit les opérations de l’ennemi pour tenter de prendre au piège les troupes engagées dans la poche. Le 26, il prescrit au 1er Corps d’armée de pousser avec la 1re D.B. et la 4e D.M.M. à partir de Mulhouse sur Burnhaupt, et au 2e Corps d’armée d’agir sur la direction Masevaux-Burnhaupt, tout  en fixant l’adversaire sur les flancs et au fond de la poche. Ainsi l’ennemi doit être pris à son propre jeu.

 

Pendant que, devant la menace allemande au fond de la poche, nos unités réagissent brutalement et rejettent l’ennemi au nord du canal du Rhône au Rhin, détruisant de nombreux chars et faisant plusieurs milliers de prisonniers, sur les flancs de la poche, la 2e D.I.M. monte une puissante action de force pour venir à bout de la résistance acharnée de l’ennemi et débouche de la région de Masevaux, qui a été pris le 26, sur Burnhaupt. La 1re D.B., de son côté, qui a devant elle un terrain difficile, infesté de mines et garni de pièces antichars, parvient, malgré les efforts de l’adversaire, après avoir réduit l’un après l’autre tous les centres de résistance, à réaliser sa jonction avec le 2e corps d’armée sur le plateau de Burnhaupt. Le 28 novembre, à 16h, la 5e D.B. a atteint Dannemarie à la suite d’une action menée au cours de la journée du 26. Le nettoyage de la poche maintenant fermée où subsistaient encore des unités allemandes fut exécuté dans la journée suivante.

Après son échec devant Dannemarie et devant la menace d’encerclement, l’ennemi décidait à partir du 26 de « faire la part du feu » et commençait une manœuvre en retraite classique par larges bonds. Il doit se replier jusqu’à la Doller où il peut réaliser un système défensif relativement cohérent.

 

 

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Mais la victoire de Haute-Alsace était consommée. La mission fixée à la 1re Armée française était remplie. En quinze jours le bastion des Vosges méridionales avait été abattu sous les coups des six divisions du général de Lattre de Tassigny.

Dix-sept mille prisonniers, plus de 100 chars détruits, un butin énorme, tel était le bilan de ces quinze jours de bataille.

Le succès d’une opération qui, a priori, semblait être aléatoire si l’on se rappelle les conditions dans lesquelles elle fut engagée, et en particulier celles du terrain et du mauvais temps, témoigne à la fois de la valeur du plan établi par le chef et de l’habileté et des qualités militaires des exécutants. Cette victoire était en outre l’expression de ce qu’on pouvait attendre désormais de l’armée française où se trouvaient maintenant amalgamés des Français de la métropole et de l’Empire, des soldats d’Afrique, des coloniaux, des recrues provenant des Forces de la Résistance. Tous avaient fait preuve, au cours des combats, d’un allant et d’un dévouement qui rappellent les plus glorieuses périodes de notre passé militaire.

 

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