CHAPITRE V
LES OFFENSIVES DE NOVEMBRE dans le cadre de la bataille du Rhin. La prise de Strasbourg par la division Leclerc. La libération de Metz.
Pendant que la 1re Armée française gagnait la bataille de la Trouée et remportait le trophée de la course au Rhin, la 7eArmée américaine passait aussi à l’offensive à partir du 15 novembre et livrait une bataille de même nature pour la Trouée de Saverne.
La manœuvre américaine pour Saverne consistait à attaquer au centre sur l’axe Blamont, Sarrebourg, Phalsbourg. La division Leclerc, 2e division blindée française, qui lui était rattachée, avait pour mission de couvrir le flanc droit de cette attaque en lançant de forts éléments cuirassés chargés de déborder la résistance ennemie en se portant sur ses arrières pour y désorganiser ses moyens de commandement et ses réserves. Ultérieurement, elle devait ouvrir aux forces américaines la route de Phalsbourg et de Saverne.
Il est temps de parler ici de cette fameuse division qui depuis sa création volait de victoire, en victoire. Elle avait recueilli l’héritage de la glorieuse colonne du Tchad formée dès 1940 par le commandant Leclerc. Partie de Fort-Lamy, cette colonne fit ses premières armes sur les oasis italiennes de Koufra, puis ayant opéré sa jonction avec la 8e armée britannique à Tripoli au début de 1943, elle avait participé brillamment avec elle à la campagne de Tunisie. Après la victoire de Tunis, elle constitua la 2e D.B. avec ses anciens éléments augmentés de nombreux volontaires et fut rééquipée avec du matériel américain au Maroc. Elle y poursuivit l’entraînement de ses nouvelles recrues jusqu’à son départ pour l’Angleterre où elle stationna un certain temps avant de débarquer en Normandie. Poursuivant l’ennemi en retraite, la 2e division blindée atteignit rapidement Argentan.
A l’annonce de l’insurrection parisienne, elle fonçait vers la capitale en une seule étape de 200 kilomètres et mettait le terme à sa Libération. Le 25 août, le général allemand von Choltitz, commandant la place de Paris, remettait son épée aux mains du général Leclerc. Sans cesser de combattre, les blindés entrèrent en Haute-Marne et opéraient, le 12 septembre, à Châlons-sur-saône, ainsi que nous l’avons vu, la jonction des forces alliées du Nord avec celles au pied des Vosges, prenaient Baccarat le 31 octobre.
Dès le début de l’offensive américaine, Raon-l’Etape était enlevée, le Donon était contourné et Saint-Dié était atteint. Sarrebourg était pris le 21. C’est alors qu’intervint la division Leclerc, la 2e D.B., qui avait suivi à travers la France la progression-éclair de la 7e Armée américaine.
Le 18 novembre, les divisions américaines se trouvent arrêtées en avant de Cirey-sur-Vezouse. La division Leclerc attaquant à revers s’empare du village et poursuit vers le Nord son action sur les arrières des lignes allemandes. Les positions soigneusement préparées par l’ennemi sont dépassées avant d’avoir pu être utilisées. Le général Leclerc mesure alors les possibilités de manœuvre qui lui sont offertes à la suite des avantages remportés les jours précédents. Ne voulant pas laisser à l’ennemi le temps de se ressaisir, il décide de foncer avec toutes ses forces sur Strasbourg sans attendre l’arrivée des troupes américaines. Pour cette opération, la division est fractionnée en quatre colonnes progressant sur trois routes. La route du centre est interceptée à Phalsbourg par une position allemande très fortement tenue. Celle du Sud qui passe par Dabo et le col de Wolsberg amènent les blindés au sud de Saverne, tandis que celle du Nord, débordant largement Phalsbourg, conduit la colonne Rouvillois à tailler en pièces, à la Petite-Pierre, une division allemande en retraite. Dix mille prisonniers y sont faits en un matériel considérable est capturé.
Mais la situation de la 2e D.B., à 25 kilomètres en avant des forces américaines, présentait des risques sérieux. Au cours de la journée du 22, le général Leclerc réalise un dispositif tendant à couvrir les différentes fractions de la division du côté de la plaine face à l’Est. Deux bataillons d’infanterie américains ont été mis à sa disposition et sont employés à couvrir ses flancs. Pendant ce temps, les deux colonnes venues du Nord et du Sud se rabattent sur Saverne et y font leur jonction le 22 à midi trente. Un détachement est alors poussé sur Phalsbourg. La place assaillie des deux côtés ne doit pas tarder à capituler. Le même jour, à 19h, l’ordre verbal suivant est adressé au P.C. de la division : « Aider le 6e C.A. américain à attaquer Strasbourg. Si la 2e D.B. a pris de l’avance sur le 6e corps, elle attaquera Strasbourg seule. »
Ces indications consacrent la décision du général. Laissant un de ses groupements devant Phalsbourg, quatre autres groupements sont découplés sur Strasbourg dans la journée du 23. L’opération peut paraître hasardeuse, car il s’agit de faire un bond de 40 kilomètres dans l’inconnu. Trois groupements se heurtent bientôt à la résistance des forts en avant de Strasbourg. Mais le groupement Rouvillois qui progresse au centre par la grand’route Saverne-Strasbourg, le long de la vallée de la Zorn, a trouvé le chemin libre et pénètre dans la ville dès les premières heures de la matinée. Il adresse à 10h 30 le message suivant : « Ayant laissé permanence à la Kommandantur, je fonce sur le pont de Kehl. ». Dès lors, les groupements voisins peuvent manœuvrer et participent bientôt au nettoyage de la place. La surprise a été complète. Les chars français ont fait irruption dans la ville alors qu’elle reprenait paisiblement son activité journalière. Plus de 5.000 Allemands sont ainsi ramassés dans les rues et dans les casernes. Le général Vaterodt, commandant la place, doit se rendre après un bref bombardement du fort Ney où il s’était retiré et signe l’ordre de reddition des forts.
Pendant ce temps, Phalsbourg était enlevée sous les assauts combinés franco-américains et le groupement sud couvrant le flanc droit de la division s’emparait de Wasselonne et progressait vers Molsheim.
La libération de Strasbourg était réalisée et le Rhin de nouveau atteint. Ces brillants résultats étaient le fruit d’une victoire française due à une manœuvre aussi audacieuse que réfléchie, conduite avec une ardeur et une maîtrise qui provoquent l’admiration.
De son côté, la 3e Armée américaine avait livré, au cours de septembre, de très violents combats sur le front de la Moselle et de la Meurthe. Sa progression avait été peu à peu ralentie, au fur et à mesure de sa pénétration en Lorraine. Au Sud de Mets, des résultats substantiels avaient été obtenus ; Nancy était libéré. Mais là aussi les Allemands s’étaient ressaisis et après avoir reçu des renforts ils réagissaient avec vigueur. A la fin du mois de septembre, le front s’était établi sur la rive Ouest de la Moselle. Au Nord de Metz, les unités américaines se heurtaient à la ligne Siegfried qui leur barrait la route le long de la Sarre, au débouché du Luxembourg. Dans cette région, les unités de la 3e Armée U.S. durent s’arrêter à l’Ouest de Thionville et le long de la rive gauche de la Moselle. Metz, le plus puissant bastion de la défense allemande en Lorraine, fut l’objet de nombreuses attaques qui étaient demeurées vaines. Le général Patton dut avoir recours à une manœuvre d’envergure qui impliquait des préparatifs. Sa mission n’était pas seulement d’obtenir la reddition de la place forte mosellane, mais de tenir sa partie dans l’affaire générale, engagée dans le but d’expulser l’ennemi du sol de France et de le jeter au Rhin. C’est pourquoi cette manœuvre fut effectuée également dans le courant de novembre, en relation directe de temps avec les opérations de la 7e Armée américaine d’une part, et de la 1ère Armée française d’autre part. Cette manœuvre qui consistait à déborder largement la place forte de Metz, à la fois par le Nord et par le Sud, débuta le 8 Novembre par une attaque au Sud sur le front Rumilly-Morhange ; cette action fut suivie à partir du 15 par une deuxième attaque de l’aile gauche vers la ligne Bouzonville-Metz. Les deux attaques se rejoignaient finalement le 19 novembre à Vallières, aux abords immédiats de la ville qui était dès lors encerclée. Le nettoyage des forts se poursuivit jusqu’en décembre, alors que la ville elle-même tombait le 22 novembre à 14h30.
Ainsi les trois puissants bastions qui, au cours des siècles, ont constitué les principales pièces de défense de notre territoire et dont l’ennemi avait tourné les organisations face aux armées alliées, Metz, Belfort, Strasbourg, étaient enlevés. Ces résultats que personne n’eût espérés si rapides, furent accueillis chez les nations alliées avec une surprise joyeuse qui laissait entrevoir le déclin de la résistance acharnée de la Wehrmacht.
En réalité, ces magnifiques résultats étaient le prix d’efforts considérables soutenus dans des conditions extrêmement pénibles et dont le rythme ne pouvait se prolonger au cœur de l’hiver. Bien que les avantages stratégiques de l’ennemi eussent été amoindris par ces victoires, le commandement allemand s’était ressaisi et menait pied à pied les combats. L’armée allemande était encore loin d’être battue et le général von Rundstedt, comme s’il eût fallu en convaincre les Alliés, lançait dans les Ardennes, à partir du 16 décembre, une offensive d’envergure qui, dès ses premiers résultats, jetait le trouble sur les arrières de la 9e Armée américaine.
Cette offensive consistait en une puissante attaque menée par quinze divisions dont huit blindées, à partir du front Echternach-Montjoie, en direction de la Meuse. De rapides progrès furent enregistrés dès les premiers jours et le commandement américain dut engager, pour colmater la brèche, puis pour contre-attaquer et finalement pour résorber la poche allemande qui avait atteint 80 kilomètres de profondeur, la plus grande partie de ses réserves stratégiques. Par cette manœuvre inattendue, le commandement allemand avait pu écarter momentanément du front sud du Rhin les menaces que faisaient peser les brillants avantages obtenus par les armées alliées au cours du mois de novembre.