La Résistance alsacienne

Des maquis à l’ armée de Libération

 

Alphonse Irjud

 

La résistance alsacienne fut précoce, engagée, multiple. Elle diffère beaucoup de celle du reste de la France et est souvent méconnue. Voici un panorama général, qui évoque aussi bien les réseaux Alsace annexée, et qui présente un certain nombre de cas individuels significatifs.

 

Le 25 août 1940, l’ industriel Paul Dunler est de retour à Thann, et Marcel Kibler reprend son poste d’ ingénieur textile à Saint-Amarin.

Ils sont revenus pour occuper le terrain et résister à l’ emprise germano-nazie ainsi qu’ils s’ y étaient décidés après l’ armistice de juin 1940 lors d’ une rencontre dans le Périgord chez Paul Armburster avec le Strasbourgeois Jean Eschbach et l’ abbé Louis de Darstein. Celui-ci rejoindra le général de Gaulle à Londres pour être l’ aumônier de la marine des Forces françaises libres.

Huit jours après leur retour, Dungler et Kibler fondent le premier réseau de résistance, la 7e colonne d’ Alsace, qui sera enregistrée à Londres sous l’ appellation Martial. Kibler, expulsé le 10 décembre 1940 avec une cinquantaine de personnes de la région thannoise pour refus d’ allégeance à l’ ordre nouveau, Dungler sous la menace d’ une arrestation évadé par la Suisse, la responsabilité de l’ organisation avec ses premières cellules est confiée à Paul Winter, industriel à Bouxwiller.

A Lyon et à travers a zone non occupée, les deux fondateurs du réseau entrent en relation avec des officiers de l’ armée d’ armistice ou démobilisés, pour constituer l’ embryon de l’ ORA, l’ Organisation de résistance de l’ armée. Indépendamment de ces démarches, des contacts s’ établissent en Dordogne entre les réfugiés alsaciens et lorrains et des cadres du 5e cuirassiers, ancien régiment de Strasbourg cantonné dans la région de Périgueux. C’ est ainsi que le capitaine d’ active Guy d’ Ornant, originaire des Vosges, incite le lieutenant vétérinaire de réserve Charles Bareiss à rentrer en Alsace pour y créer ce qu’ il appelle << l’ armée des arrières >>. De retour à la mi-janvier 1941, Bareiss organise à Wissembourg la résistance dans le Bas-Rhin, assure par l’ architecte Paul Widmann la liaison avec la filière d’ évasion Welschinger, alors que lui-même est en relation avec le groupe Adam-Kieffer du front de la jeunesse alsacienne. Entre le réseau bas-rhinois et ceux de Mulhouse-Thann, Winter d’ une part, Charles Vuillard et Francis Anglo d’ autre part, les contacts sont longs à s’ établir, chacun << labourant >> son secteur pour collecter et transmettre les renseignements économiques, politiques et militaire, organiser le noyautage des administrations, la confection de faux papiers, établir des filières de passage parallèlement à celles mises sur pied à Lyon par l’ équipe Dungler-Kibler avec, en particulier, Jean Eschbach établi à Poligny dans le Jura et Ortlieb à Thann.

L’ année 1942 est fatale aux pionniers de la résistance et des filières d’ évasion  . D’ avril à juin, le réseau Bareiss, avec d’ autres groupes, est démantelé, mais le responsable du secteur de Strasbourg, Robert Falbisaner, peut s’ échapper par la Suisse ; Georges Kiefer et Paul Freiss prennent la relève ; ce dernier, particulièrement efficace pour l’ espionnage des installations d’ armement, réussit au cours de deux voyages, en mai et septembre 1942, à rencontrer Falbisaner à Lyon, puis Kibler et Ornant à Paris, établi à Couzon-au-Mont-d’Or dans la région lyonnaise, et avec l’ ORA. Au plan régional, Eugène Mey est chargé par Winter d’ assurer la liaison entre ceux qui allaient constituer les Forces françaises de l’ intérieur (FFI) dans le Haut-Rhin et le Bas-Rhin.

Après les arrestations du printemps 1942, deux autres événements allaient agir d’ une façon décisive sur l’ évolution de la résistance en Alsace et à l’ intérieure, parmi la diaspora alsacienne et lorraine : la décision de l’ incorporation de force à la fin du mois d’ août 1942 et le débarquement allié en Afrique de nord le 8 novembre, aussitôt suivi de l’ entrée de l’ armée et des forces de police allemandes dans ce qui avait été la France non-occupée ou la << zone libre >>. A Lyon, le comité directeur, face aux mouvement de diverses tendances politiques, veut maintenir l’ apolitisme et l’ indépendance de la résistance alsacienne, et son obédience à l’ ORA qui, jusqu’à le fin de 1943, sera tiraillée entre les partisans du général Giraud, évadé en avril 1942 avec l’ aide du réseau haut-rhinois Winter-Ortlieb-Stamm et commandant en chef des troupes françaises en Afrique du nord jusqu’au début de 1944, et ceux de général de Gaulle.

 

Les aventures rocambolesques de Paul Dungler, jouissant de la confiance de Pétain, muni d’ un ordre de mission de l’ admiral Darlan en décembre 1941 à Vichy, parachuté au début de 1944, grâce à Giraud, par les Américains au-dessus du Massif central, après une rencontre houleuse avec de Gaulle à Alger, en sont une illustration ;

Au delà des vicissitudes politiques, des obstacles et dangers de l’ action clandestine, s’ affirme la volonté des unités indépendantes pour participer, le moment venu, sous le commandement français, à la libération de l’ Alsace. Le comité directeur à Lyon est en liaison avec le Groupe mobile d’ Alsace GMA-Sud qui, fin 1943, compte sept centuries dans les régions de Périgueux, Toulouse et Limoges, et avec les réseaux de Haut-Rhin et du Bas-Rhin ; en mars 1944 est constitué le GMA-Vosges puis le GMA-Suisse. Les responsables de la résistance alsacienne décident d’ intégrer leurs troupes en tant que formation homogène dans l’ ensemble des FFI sous les ordres du chef de la région C, le colonel Grandval.

Lors de la dernière réunion du comité directeur, les 4 et 5 juin 1944, au PC de Couzon-au-Mont-d’ Or, Londres passe le message annonçant le débarquement. D’ Ornant (Marchal) et Kibler (Marceau) partent immédiatement dans les Vosges, Ernest Georges vers le Suisse et Bernard Metz vers le sud- ouest. Ce 5 juin 1944, Winter (Daniel), qui se trouve à Strasbourg pour coordonner l’ action commune, révèle la teneur du message qui doit annoncer le débarquement. Le 17 juin, le commandant Marceau et son chef d’ état-major, le capitaine Rivière (Jean Eschbach), coordinateur des services de renseignements, viennent en Alsace à travers le Donon sous la protection du corps franc de la haute vallée de la Bruche et confèrent pendant une dizaine de jours, au chalet de la famille Grosskost, près de Grendelbruch, surnommé par dérision <<Berchtesgaden>>, avec les responsables des FFI d’ Alsace. Des terrains pour le parachutage d’ armes et de munitions sont sélectionnés, des mesures pour le fonctionnement provisoire des services publics et le ravitaillement étudiées.

Quelques chefs de la Résistance alsacienne : MM. FOEHR, KIEFER, ESCHBACH, FREISS et KIEBLER

Une deuxième rencontre à partir du 26 juillet confirme les nominations à la tête des FFI d’ Alsace. Alsace et Moselle : lieutenant-colonel Marchal (d’ Ornant). Alsace : commandant Marceau (Kibler). Haut-Rhin : commandant Daniel (Winter), adjoint : capitaine Justin (Wassmer). Bas-Rhin : commandant François (Kiefer), adjoints : capitaine Mathieu (Matter) et capitaine Firmin (Mey), officier de liaison avec le Haut6Rhin interdépartemental : capitaine Jean-Paul (Freiss). Le pharmacien Marcel Leibenguth est chargé de service de santé avec Robert Bischoff dont la responsabilité à la tête de la section de sauvetage en montagne a, entre autres, été d’ une particulière efficacité pour les filières d’ évasions. En Suisse, à la même époque, le comman,dant Georges recense les Alsaciens des classes 1904 à 1923 pour former le GMA-Suisse qui sera <<refoulé>> à partir de 23 septembre vers la Franche-comté où il se joindra, avec deux bataillons de deux mille quatre cent hommes, à la 1re armée après un entraînement au camp du Valdahon.  

Commandant François

( Georges KIEFER )

chef des FFI du Bas-Rhin

Chevalier de la Légion d'Honneur

né le 23 septembre 1893 à Brumath

décédé le 11 juillet 1970 à Strasbourg

inhumé au cimetière Ste-Hélène à Strasbourg

Président d'Honneur de l' A.R.C.

 

Le 1er juillet 1944, le terrain près de Geispolsheim est prêt à recevoir un parachutage d’ armes et de matériel de transmission, mais pendant un mois les équipes attendront en vain le message annonçant l’ opération, pour ce site ou l’ un des sept autres prévus dans le Bas-Rhin.

Liaisons difficiles avec Londres, messages brouillés, chan,gement de code ? La densité rurale, l’ absence de maquis structurés, un maillage policier et administratif très étroit et resserré depuis le 6 juin, d’une part, le fait que le haut commandement allié privilégiait la poussée vers la Ruhr par la Belgique, la Lorraine et la Sarre d’autre part, peuvent expliquer cette <<carence>>. Les rassemblements de centaines de réfractaires dans les secteurs de Barr – Sainte-Odile, Sainte-Croix-aux-Mines et Thann, la forêt de Brumath représentent plutôt des caches dans l’ attente de la libération, tandis que le maquis de Volksberg entre Saverne et Bitche, d’ environ quatre cents hommes, allait subir, début octobre, l’ intervention des Waffen SS.

SUITE