Témoignage d' un ancien du 21e R.I.C. Monsieur Abel Mangin
CAMPAGNE D'
ALSACE 1944/1945
Originaire de
la Hte Marne, Je me suis engagé au 1/21 RIC le 27 Janvier 1945 à 17 Ans. C'est
un Sergent Chef, blessé dans le Doubs, qui rejoignait la 2° Cie du 21 RIC après
une convalescence dans mon pays ,Sommeville en Hte Marne, qui m'a emmené avec
lui après un voyage épique par Chaumont, Langres, Vesoul, Belfort , car il n'y
avait pas de train, il fallait faire du stop avec les camions militaires avec
tous les aléas que cela comportaient.
J'ai donc rejoint le 21 RIC et la 2° Compagnie à l'Isle Napoléon où elle
tenait position sur le canal du Rhône au Rhin, elle y avait relevé des éléments
du 1er RTM (1er Régiment de Tirailleurs Marocains) La base arrière de la Cie
était à Rixheim. Étant en civil , j'ai été habillé et équipé à cet
endroit, j'ai passé une visite médicale sommaire et je suis devenu marsouin!
Le premier
bataillon du 21 Ric était positionné au Nord de l'écluse de Hombourg. la 1ere
Cie étant au pont du Bouc, le 2° est entre le pont et le stand et la 3° ,
installée dans la maison Forestière de Gehren.
C'est la guerre de position , les Allemands étant très proches, 100 mètres séparant
les premières lignes.
Les trous laissés par le 1er RTM, étaient dérisoires, le sol étant très gelé,
l'hiver 1944/1945, en Alsace,a été très rigoureux entre -20 et -25° .Je me
souviens que les rues du village étaient couvertes de verglas, les fontaines étaient
gelées.
Coups de mains
et patrouilles sont le quotidien des hommes en position. Les Allemands sont
mordants , leurs patrouilles s'aventurent sur notre rive pour y tendre des
embuscades, le jour de Noël coûtera 7 blessés au Bataillon . Les premières
gelures occasionnent des évacuations.
La nuit de la
ST Sylvestre est fêtée par les Allemands avec une débauche de tirs mortiers
et grenades qui font 4 blessés
Le 8 janvier 45, le Bataillon passe en réserve du régiment à Rixheim; il était
temps , car les hommes sont sales, car il n'a pas été possible de se laver
pendant les 16 jours de position.
Le 15 Janvier,
le bataillon repart en ligne , au nord de Rixheim à l'Ile Napoleon, les
condition n'y sont pas meilleures qu'auparavant, le ravitaillement laisse à désirer
en raison des conditions hivernales et la faim tenaille beaucoup de jeunes
soldats. Pour éviter d'être repérés sur la position , les marsouins se
fabriquent des espèces de chasubles avec des draps trouvés sur place .
Le 18 Janvier, la première compagnie qui est logée dans les maisons de la Cité
ouvrière, lance un coup de main contre un poste avancé Allemands repéré
sur la rive du Canal, mais elle se heurte à une vive résistance
qui lui coûte 2 tués .
Le 20 Janvier ,
début de l'offensive contre la poche de Colmar, les 23 RIC- 6 RIC et le
RICM sont engagés immédiatement. Le 21° Ric restant à l'Ile Napoleon
pour tenir ce point stratégique.
La division toute entière se bat
dans les Cités de Potasse des environs de Mulhouse , le neige et le froid sont
au rendez vous, ce qui surprend les Allemands qui ne s'attendaient pas à une
offensive dans des conditions pareilles.
Le 29 Janvier , le Bataillon est relevé par le 31° Bataillon de Chasseurs à
pieds. Il gagne la caserne Lefebvre
à Mulhouse , laissée libre depuis peu par les troupes allemandes . Dans la
cour, traînent encore des équipements abandonnés à la hâte, sur les murs et
dans les couloirs des inscriptions en gothique à la gloire de l'Allemagne, et
j'y remarque des prisonniers allemands occupés à diverses corvées.
Les quelques
jours dans cette caserne , sont occupés par des séances de tir
et le rééquipement individuel, perception de munitions, il est même
question de nous fournir de véritables chasubles blanches , car il neige
toujours autant , mais cela restera utopique comme toujours dans notre bonne armée;
il y a les idées et rien derrière!!
Le 1er Février,
veillée d'armes pour le Bataillon, briefing organisé dans les chambrées par
les Officiers et les S/Off, nous attaquons demain au petit jour , la Cité Ste
Barbe avec l'appui de quelques
Tanks Destroyers du RCCC. Il semblerait il y a quelques jours , qu'un
Bataillon de Zouaves , n'aurait pas réussi à prendre cette Cité et il
y aurait laissé beaucoup de monde. Effectivement, en arrivant aux abords du
point de départ de notre attaque , j'ai vu sur le côté de la route, un
obusier sans doute du RICM, calciné et trois corps carbonisés sur le côté,
ce qui laisserait présumer qu'effectivement , il y avait eu quelque chose
quelque temps auparavant!
La dernière
nuit à la caserne Lefebvre n'a pas été particulièrement bonne, car à la
veille d'une attaque pleine d'incertitudes, l'esprit travaille et on a du mal à
trouver le sommeil, on pense à beaucoup de choses et en particulier à la mort
et alors l'angoisse commence à poindre le bout de son nez!
Le 2
Février vers 5 H du matin , c'est le réveil et le café avec une forte
dose de rhum et embarquement dans les GMC du
groupe de transport de la 9° DIC , direction Wittenheim, au nord de
Mulhouse et son usine de Potasse
Notre base de départ
sera le bois de Jungholtz, à 500 mètres à l'Ouest de la Cité.
Les GMC, nous laissent à quelques kilomètres du bois et nous continuons à
pieds pour l' atteindre . La Cie s'y installe dans la nuit . Certains commencent
à creuser des trous , c'est l'ABC du fantassin , mais cela fait du bruit qui
parvient aux oreilles de l'ennemi. Celui-ci ayant réglé ses tirs suite à l'attaque précédente envoie un déluge d'obus de
tous calibres dès 6 heures 30.
C'est bientôt l'enfer dans le bois , il y a déjà des morts et des blessés,
mon groupe perd son caporal tué par un éclat d'obus et de nombreux blessés .
IL va falloir déboucher sur un glacis devant le bois, toutes les armes tonnent
, et c'est un beau feu d'artifice avec les balles traçantes et les obus qui
forment des arabesques dans le ciel , il fait encore nuit.
les premières lignes sont atteintes et les premiers prisonniers sont faits, la
progression continue le long d'un espèce d'étang gelé , avant de parvenir aux
premières maisons, les tireurs d'élite Allemands installés dans les greniers
des maisons font un carton sur tout ce bouge, il faut sauter par dessus les
petites clôtures de chaque maison et ce qui
prend parfois du temps, ce qui n'est pas recommandé ce matin !
L'objectif de
la 2° Cie est le centre de la Cité où se trouve l' église , les écoles , la
Mairie, la progression est difficile et les pertes nombreuses, mais le but est
atteint dans le milieu de la matinée, l'église
sert à la fois d'infirmerie et de morgue , car de très nombreux
cadavres y sont allongés, certains me sont connus comme le sergent ROY qui
vient de se faire tuer d'une rafale de
MG, par un allemand dissimulé dans une descente de cave , pour les Allemands
tous les coups sont bons. Ma section se repose un instant dans le couloir d'une
école avant de reprendre sa progression vers les lisières Sud de Ste Barbe
La 1ere Cie , a
pour objectif l'usine de Potasse,
sur la partie droite de la Cité, le début de l'attaque se passe bien, elle
fait une trentaine de prisonniers , mais elle est bientôt stoppée par une vive
résistance , une contre attaque allemande appuyée par deux chars oblige même
une section en pointe à se replier.
La 3° Cie ,
elle aborde la partie droite de la Cité , elle est tout de suite prise à
partie et compte déjà de nombreux tués.
A
16 Heures , grâce à l'arrivée des tanks Destroyers du RCCC (Régiment
Colonial de Chasseurs de Chars) dans la zone sécurisée, car les chars n'aiment
pas trop les panzerfaust, les Allemands se replient laissant sur le terrain un
char qui a été pris à partie par les TD du RCCC, ils prennent la direction
d'Ensisheim. La cité Ste Barbe est libérée mais au prix de nombreux tues 32
et 83 blessés - 6 disparus pour le 1er Bataillon du 21 RIC.
Les habitants sont heureux d'être libérés mais la joie est tempérée par les
nombreux morts civils car la cité et la ville de Wittenheim étaient soumises
depuis plusieurs jours à de nombreux tirs d'artillerie causant des dommages
parmi les civils.
La cité est
presque entièrement tenue sauf
dans la direction de Ruelisheim, aussi le bataillon s'installe défensivement
, la 1ere Cie à l'usine de potasse; la 2°
dans la partie Nord et la 3° à l'Est et au Sus Est.
Le 3 février,
le 21 RIC nettoie les abords de la Cité , Ruelisheim est occupée par la 3°
Cie .
le 4 février , attaque d'Ensisheim par le nord et le sud . Le 1er Bataillon
doit franchir l'ILL entre Ruelisheim et Ensisheim , une patrouille de la 2°
section envoyée pour reconnaître
les passages éventuels entre les fermes St Jean et St Georges, subi un tir d'
artilllerie sur le chemin du retour et perd un marsouin tué par un éclat
d'obus.
5 Février ,
attaque d' Esisheim par le 21°
RIC, avec le franchissement de l'Ill dans de très mauvaises conditions (montée
des eaux , vive réaction allemande) mais l'opération est réussie avec l'aide du 6° Ric et de la 1 ere DB.
Le 6 Février, le 1/21° RIC, prend position à Ste Thérèse.
Le 8 Février
le Bataillon se porte sur Bantzenheim, à travers la forêt de la Hardt , les
Allemands ont constitué une ligne fortifiée le long du canal du Rhône au Rhin
et la 2° Compagnie est clouée au sol, impossible d'avancer, car l'ennemi bien
retranché derrière le canal, tire sur tout ce qui bouge , déja deux tués à
ma Section , dont un sergent chef de
groupe vétéran de l'Ile d'Elbe, de Toulon et des combats du Doubs . Il faut se
replier sans pouvoir ramener les corps tant les tirs sont meurtriers . Ils ne
seront récupérés qu'à la nuit tombée par une patrouille de volontaires. Il
s'agissait du Sergent PORCHE mon Chef de groupe et du marsouin Combray, et ils
sont ramenés à la base de départ. Le lendemain , la progression reprend, le
canal de la Hardt est franchi sans encombre, car l'ennemi a abandonné ses
positions dans la nuit. Nous occupons la station de Chemin de Fer et la Maison
Forestière d'Ottmarsheim.
Bantzenheim est
libérée le 9 Février au prix de lourdes pertes au 3° Bataillon du 21 ° RIC
(14 Tués 28 Blessés à la 11° Compagnie ) les Allemands , se battent avec l'énergie
du désespoir car le RHIN est là.
Dans la foulée , nous investissons Chalampé
et nous pouvons contempler le Rhin tout en restant masqué, car de l'autre côté
, les Allemands sont vigilants.
La bataille de la poche de Colmar est terminée. Cette bataille est la plus
meurtrière de la campagne 1944.45 pour le 1/21°RIC 48 Morts en huit jours ,
dont 45 pour la libération de la Cité Ste Barbe.
Le 1/21 RIC est
dirigé le 12 Février, sur la Caserne Lefebvre à Mulhouse, Il y restera
jusqu'au 17, recevant des renforts en provenance du 7° Bataillon de marche de
Normandie .
Le 17 Février , départ du bataillon vers Matzenheim, au Sud de Strasbourg,
pour un repos bien gagné.
Le 26 Février
il part relever la Brigade Alsace Lorraine à Stockfeld , près de Strasbourg,
dans les blockhaus en bordure du Rhin. Les conditions d'installations ne sont
pas fameuses , car tous les blockhaus ont été dynamités par les Allemands
avant leur départ. Le bataillon est étiré sur 6 KMs. Le temps passe en
faction et en patrouille le long de la digue du Rhin. Les Allemands toujours
accrocheurs, passent souvent le Rhin en canot et viennent tendrent des
embuscades qui nous causent quelques pertes .
Ils font des
prisonniers que le Régiment libérera en Forêt Noire plus tard.
Relevé par le
2° Bataillon du 21 RIC, le 12 Mars , nous partons en cantonnement à Illkirch-Graffenstaden
le 19 Mars ,
arrivée à Plobsheim où nous remplaçons le III/21 RIC au fort Hoche au Sud de
Strasbourg. Cette garde au Rhin prendra fin le 31 Mars 45 quand le régiment
fera route vers la frontière Allemande et LEMERSHEIM mais ceci est une autre
histoire.
Ce
récit fragmentaire provient d'une part de mes souvenirs en tant que participant
aux actions de ma Cie ,et d'autre part pour
ce qui concerne les autres unités du régiment tels les pertes, renseignements
et mouvements des unités engagées, du livre "Du Bataillon de la Hte Marne
au 21° RIC 1944/1945" de Lionel Fontaine de St Dizier, Haute Marne, qui a
fait un véritable travail de recherches pendant des années pour retracer
l'histoire des Hauts Marnais venant des maquis de Haute Marne et engagés au 21°
RIC.
<<Croche et tient >>l'ancienne
et belle devise de notre régiment,définit sa conduite au feu. Croche l'unité
reconnaît l'ennemi puis se précipite pour le saisir à la gorge. Tient,elle le
fixe et immobilise sa prise malgré ses soubresauts.
Le général Robert Vial.
Le général Vial a commandé la 1re Compagnie du 21e RIC en 1944-1945.A la tête de
son unité,lors de l'attaque de la cité Sainte-Barbe en Alsace le 3 février
1945,il a été grièvement blessé et a perdu la vue.