Madeleine Riffaud lieutenant FTP
"Il est facile de mourir à 20 ans
pour une cause que l'on croit juste" : ce 19 août, Madeleine Riffaud
sait que chacun de ses instants a été volé à la mort. "Un jour c'est
un jour. Toute heure compte", lui avait dit une compagne de
captivité. Le 23 juillet, cette membre des FTP, baptisée Rainer dans
la clandestinité, avait été arrêtée après avoir abattu un officier
allemand, sur le pont de Solférino. Un milicien l'avait vendue 10
000 francs à la Gestapo.
Rue des Saussaies, elle est torturée pendant trois semaines tandis
que le phonographe passe en boucle des airs de Bach. "Un jour, j'ai
reconnu un des Concertos brandebourgeois, et je me suis dit que plus
jamais je ne réussirais à l'écouter. Ma plus grande trouille,
c'était d'être violée pendant ma détention. Quand les SS
débouchaient le champagne, vous faisaient laver, vêtir d'une chemise
propre, c'était mauvais signe. Mais je me suis souvenue qu'ils ne
violaient pas les juives. Un soir où quatre officiers se
réjouissaient d'une petite fête en ma compagnie, j'ai demandé à voir
le commandant. Je lui ai dit que j'étais juive. L'homme était déçu,
contrarié : j'étais mignonne."
La prisonnière doit être fusillée le 5 août. Son exécution est
repoussée. Le 15, elle s'échappe du dernier train de déportés qui
part de la prison de Fresnes vers le camp de Ravensbrück. Elle est
reprise. Après une médiation du consul de Suède, Raoul Nordling,
elle est finalement libérée dans la nuit du 18 au 19 août. "Les
officiers nazis ont déclaré qu'ils ne nous laisseraient pas franchir
la porte sans nous abattre. Alors on s'est collés derrière Nordling
pour ne pas recevoir de balles." Après une nuit de repos dans un
dortoir de la gare de l'Est, Madeleine Riffaud repart se battre. Son
courage lui vaudra d'être nommée lieutenant au feu, quatre jours
plus tard, après l'attaque d'un train allemand.
Le 19, en fin d'après-midi, Nordling a négocié une trêve entre les
belligérants. Le résistant Jean Bèze se souvient : "Le 21 août, avec
deux copains, je vendais L'Humanité pour la première fois, boulevard
de l'Hôpital, en criant : 'Le journal des 75 000 fusillés !' En une
demi-heure, plus de 100 exemplaires étaient écoulés. Soudain, nous
avons entendu des tanks. Tout le monde s'est éparpillé comme une
volée de moineaux. Le lendemain, la vente à la criée a recommencé !
Plus tard, avec d'autres FTP, on a serré un collabo dans un local du
parti de Déat. On l'a laissé en vie, mais il n'était pas beau à
voir. Je ne suis pas fier d'avoir participé à ça, mais ça m'a
défoulé."
Une période d'incertitude qui exaspère André Carrel, 27 ans, alors
vice-président du Comité parisien de libération (CPL). "Dès le 20,
les débats commencent au sein des différentes organisations. Dans la
rue, certains combattants nous interpellent, d'autres nous
engueulent, en nous demandant ce qui se passe. J'ai alors le
sentiment que ma colère, mon opposition viscérale à l'arrêt des
combats était partagée par le Paris populaire."
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Voilà le récit
de l'attaque du train qu'a fait Madeleine Riffaud devant des enfants
de centres aérés du 19ème.
"Tôt ce matin du 23 Août 1944,
alors que les résistants des télécoms s'étaient débrouillés pour que
les Allemands n'aient aucune communication , j'ai reçu un coup de
téléphone avec ce message : "Compagnie Saint Just, vous vous devez
vous poster au pont de Belleville-Villette afin de stopper à tout
prix un train car s'il peut pénétrer dans le ventre mou du 19ème où
il n'y a plus de barricades et où ça risquerait d'être une tuerie
générale."
À son correspondant; la lieutenant Franc-Tireur-Patriote expliqua
qu'elle n'avait que 4 hommes à disposition. "Démerdes-toi" lui
répondit-on, ce qu'elle fit avec prouesse en embarquant son équipe
dans "une traction avant chargée de toutes les munitions disponibles
: grenades à manche d'origine allemande liées entre elles pour mieux
les balancer, bouteilles incendiaires fabriquées par l'Union des
Femmes Françaises, des explosifs divers, des grenades et chacun sa
mitraillette."
Aprés avoir fait sauté à la mitraillette la serrure de la grille du
parc des Buttes Chaumont, les résistants arrivèrent prés du pont,
alors que la locomotive et le premier wagon de tête avaient déjà
passé la tranchée des Buttes-Chaumont : "Ce n'était pas trés rigolo
car les Allemands étaient sur les marche-pieds des wagons et
balayaient avec la mitrailleuse pour nettoyer le terrain. Marcel et
Guy d'un côté, de l'autre côté de la tranchée moi et Marcel, un
autre camarade plus âgé, tous planqués sous les arbres. On a balancé
tous les explosifs sur la locomotive qui a été endomagée et sur un
wagon qui s'est un peu couché. Les SS avaient la trouille et se sont
retirés dans le tunnel en emmenant un de leur blessé. Ce qui était
marrant c'était qu'en chargeant la traction, on avait emmené une
caisse de feux d'artifices et quand on les a balancé sur le train,
c'était vraiment Hiroshima avec sons et lumières. Les Allemands ont
alors eu la troulle et ont esssayé de reculer la loco dans le
tunnel. Mais ils étaient désormais bloqués entre nous dans le 19ème
qui tenaient la sortie du tunnel des Buttes-Chaumont et les gars du
20ème qui venaient d'avoir des morts au niveau de la rue de la Mare
... "
"On a réussi à trouver un cheminot à la retraite qui habitait pas
loin, un certain Monsieur Jarreau qui est descendu sur les voies,
s'est glissé sous la locomotive avant d'y grimper pour la faire
avancer d'environ 300 mètres, sans prendre une seule balle. Et cet
homme est rentré tranquilement dans son petit appartement pour
continuer sa vaisselle, sans que personne n'ait songé à le remercier
pour son action ... Les 80 Allemands qui étaient dans le train se
sont rendus face à nous quatre et 300 personnes qui nous avaient
rejoint (le Commandant, le nouveau Maire du 19ème avec son écharpe
tricolore, les policiers, toutes les forces du quartiers des FFI ou
des OCM, des copains venus des barricades). C'était une opération
assez jolie car on n'a pas fait couler le sang et on a passé une
journée extraordinaire de fête autour du train dans le parc. La
libération de Paris était une vraie fête car on pensait que c'était
bien de se battre libre. On pouvait crever le soir sur les
barricades, ça n'avait pas d'importance, on se battait enfin à la
lumière, avec notre propre identité, on n'était plus clandestins,
tout le monde était gai, heureux et uni ..."
Madeleine Riffaud raconta aussi une anecdote concernant ce train où
il y avait plus de 80 Allemands bien armés, mais aussi "un wagon
rempli de munitions de toutes sorte et un autre truffé de
victuailles bien françaises (charcuteries, fromages, vins et
conserves) et une caisse de capotes anglaises. De quoi repartir en
campagne vers l'Est que ces Allemands ne purent rejoindre à cause de
l'arrêt de leur train en plein parc des Buttes-Chaumont. La bouffe
récupérée était bienvenue auprés des riverains des Buttes-Chaumont
et permit d'agrémenter la joie retrouvée d'un Paris en train de se
libérer. Les armes prises sur les boches permirent d'alimenter les
combats du soir même sur les barricades à la République contre
l'artillerie allemande ... "
Profitons-en pour rendre hommage à Guy, l'un des pincipaux artisans
de cette attaque de train du 22 Août 1944, qui a continué la guerre
sur le Rhin, en a perdu la vie aprés avoir eu ses deux jambes
arrachées ...
La rédaction a enquêté pour savoir quand et combien de trains furent
arrêtés par les résistants FFI et FTP de 19 et 20èmes arrondissments
de Paris ?
Quand l'action a-t-elle lieu ? Le 23 Août 1944 au matin dans la
tranchée des Buttes-Chaumont avec le premier train et dans la
journée du 23 Aôut 1944 et la nuit suivante autour de la gare de
Ménilmontant avec les 2 trains suiveurs. Sous la plume de Bruno
Carrière, on peut lire ceci dans la Saga de la Petite Ceinture (page
179) :
"Dans les semaines qui précèdent la libération de Paris (Août 1944)
la Petite Ceinture fait l'objet de plusieurs coups de main : attaque
d'un train allemand au fusil-mitrailleur du haut de la passerelle de
Picpus, coupure des voies de raccordement de Bercy et
l'Évangile-Villette, etc ... Le 24 août 1944, l'ordre est donné
d'arrêter tout mouvement sur la ligne. Trois trains dirigés de la
gare de Lyon sur la gare du Nord sont interceptés par les FFI
(Forces Françaises de l'Intérieur) des 19ème et 20ème
arrondissement. Soutenus par des unités dépêchées à la hâte de
quartiers périphériques. Mission accomplie : à 15 h 30,, 137 soldats
allemands sont faits prisonniers et un matériel important capturé."
Bruno Carrière nous a confirmé qu'une coquille s'était glissée dans
son article et que c'est bien le matin du 23 Août 1944 qu'a eu lieu
l'opération des Buttes-Chaumont, les combats ayant continué dans
l'après-midi, la soirée et la nuit du 23 Aout 1944 à Ménilomontant
autour de la passerelle de la rue de la Mare, causant 5 morts chez
les résistants, comme en témoigne la plaque installée rue de
Belleville au dessus de l'ancienne gare de Ménilmontant, on peut
lire ceci : "À la mémoire des héros tombés le 23 Août 1944 dans
l'attaque victorieuse des trains nazis : François Boltz 38 ans,
Louis Godefray 53 ans, Adjeman 50 ans et deux patriotes inconnus.
Gloire immortelle à ces braves morts pour la France." Une autre
plaque de la passerelle de la rue de la Mare installée sur la grille
côté Nord par le groupe "Libération Nord 20ème section" indique : "À
la mémoire de nos camarades : François Boltz, Louis Godefroy du
groupe PIAT tombés le 23 Août 1944 pour la libération de Paris.'
Donc cette action d'éclat ne s'est pas déroulée le 22 Aôut 1944
comme l'indique la plaque installée par les autorités municipales
mais bien le 23 Août entre 5h00 et 15H00 comme le précise Madeleine
Riffaud.
Quelle était la teneur du convoi ? Sans doute 3 trains : le premier
bloqué sous le tunnel des Buttes-Chaumont par l'équipe du 19ème, les
deux autres étant ainsi retenus avant et aprés le pont de la rue la
Mare, au niveau de la gare de Ménilmontant. Combien de prisonniers
allemands et quel butin ? Armes, nourritures, oeuvres d'arts volées
par les allemands ... encore un mystère pour une affaire à suivre
...
Des précisions nous ont été apportées par les archives de
l'historien Pascal Payen-Appenzeller qui a retrouvé un article du
journal "Combat du Jeudi 24 Août 1944, où l'on pouvait lire (en page
2) qu'à Ménilmontant (donc du côté de la passerelle de la rue de la
Mare), "dans l'aprés-midi d'hier, les FFI ont mis hors d'état de
nuire quelques soldats allemands qui gardaient un train de munitions
sous le tunnel de Ménilmontant. Aprés une attaque d'une heure,
ceux-ci se sentant en état d'infériorité se retirèrent à l'intérieur
du tunnel pour mieux se défendre, mais les FFI considérant avec
inquiétude la lourde menace qui pesait sur le quartier, n'hésitèrent
pas à descendre sur la voie et à enfumer le tunnel. Craignant
l'asphyxie, les soldats ennemis ne tardèrent pas à se rendre aux
forces de la liberté qui les firent prisonniers."
Donc, il semble bien que le premier convoi fût arrété aux
Buttes-Chaumont par l'équipe de Madeleine Riffaud. Le second convoi,
dont on ne connaît pas vraiment le contenu, fut bloqué par le second
entre le milieu du tunnel des Buttes-Chaumont et la rue de la Mare,
tandis que le troisième convoi dont parle "Combat" était bloqué dans
le tunnel de Ménilmontant, entre la rue de la Mare et la rue de
Bagnolet.
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