Article paru dans L’ILLUSTRATION du 12 novembre 1938

Comment finit la guerre en Orient, voilà 20 ans

Ou les retardataires de la gloire par le Colonel GRASSET

 

Tout le monde chez nous connaît les vainqueurs de la Marne, de Verdun, de Champagne, d’Artois, de la Meuse… Le 11 novembre 1918, ils ont défilé, avec JOFFRE et FOCH, sous l’Arc de Triomphe de l’Etoile.

Mais ceux de Dobropolié, du Sokol, du Kravitza, les vainqueurs d’Orient, qui les connaient ?... Les noms des combats qu’ils ont livrés sonnent étrangement à nos oreilles d’Occidentaux ; ils sont difficiles à prononcer et, donc, à retenir… Ces hommes se sont battus dans des régions inhospitalières, loin de leur pays, loin de leur famille…

Les Allemands eux, ont bien été forcés de reconnaître l’importance des hauts faits de ces héros… Le 3 octobre 1918, le Maréchal HINDENBURG écrivait ceci à son gouvernement : par suite de l’écroulement du front de Macédoine, de l’affaiblissement, qui en est  résulté, de nos réserves sur le front occidental et de l’impossibilité de compenser les pertes considérables que nous avons faites dans les combats de ces jours derniers, il n’y a plus d’espoir, autant qu’on peut humainement en juger, d’imposer la paix à l’ennemi…

 Donc, pour le comandant en chef de l’armée allemande vaincue, la défaite est venue de Macédoine… N’y a-t-il pas dans sa  déclaration une raison suffisante pour qu’en ce vingtième anniversaire de l’armistice les évênements d’Orient cessent d’être ignorés du grand public ?

 

Le front d’Orient en juin 1918

 

Le général FRANCHET d’ESPEREY, nommé commandant en chef des armées alliées d’Orient, débarque à Salonique au milieu de juin 1918. Il trouve, terrées dans des tranchées, sur un front de 350 kilomètres, depuis le golfe d’Orfano jusqu’aux montagnes d’Alnanie, 28 divisions, dont 8 françaises, 4 britanniques, 6 serbes, 9 hélléniques et 1 italiennes. C’est un effectif de plus de 500.000 rationnaires dont environ 350.000 combattants.

Ces masses, réparties entre cinq groupements bigarrés, sont déployées devant la chaine des Balkans. De l’ouest à l’est, ce sont : l’armée française d’Orient, du général HENRYS, avec laquelle combat la division italienne ; les deux armées serbes, commandées par le prince régent Alexandre de Serbie ; le groupement franco-héllénique, du général d’ANSELME ; l’armée anglo-héllénique du général MILNE, l’armée héllénique, du général d’ANGLIS. Devant tenant les montagnes, il y a toute l’armée Bulgare : environ 400.000 combattants, appuyée par des éléments allemands. Le général von SCHOLTZ , dont le quartier général est à Uskub, commande ces forces , réparties entre trois armées : les Ière et IIème armées bulgares et la XIème armée allemande, du général von STEUBEN.

En Albanie, une armée italienne est opposée à une armée autrichienne, mais cette armée n’est pas sous le commandement du général FRANCHET d’ESPEREY.

Théâtre d’opérations des plus difficiles, montagneux, sans ressources et,  par endroits, sans routes. La barrière gigantesque des Balkans offre quelques facilités de passage à l’ouest, dans la région de Monastir, et à l’est, dans celle du Vardar et du lac Doiran, mais au centre la région de la Moglena est à peu près impraticable avec ses chaos de rochers , ses précipices et ses pics de plus de 2000 mètres ; le Dobropolié, le Sokol, le Vetrenik, le Kravitza, le Koniak… Donc, respectant cette zone inhospitalière, où toute avance nécessiterait des efforts surhumains, on s’est toujours battu à l’ouest, devant Monastir et dans la boucle du Cerna ; à l’est, sur le Vardar et près du lac Doiran. Mais maintenant, en ces points aussi, toute avance est impossible, car les deux adversaires y ont multiplié tranchées et réseaux de fils de fer ; C’est une véritable guerre de siège qu’il faudrait y mener…

Et rien n’avance, faute de moyens suffisants. Rien n’avance, non  plus, parce que les gouvernements alliés ne sont pas convaincus de la possibilité d’obtenir un résultat militaire en Orient.

Paris est chiche de renforts, car ceux-ci affaiblissent d’autant nos réserves, indispensables sur le front de France, vital pour nous… Rome ne voit pas bien l’intérêt qu’a l’Italie à une victoire alliée en Macédoine… Londres est dans les<mêmes sentiments et regrette que pour renforcer le théâtre secondaire de Salonique on affaiblisse les fronts importants d’Egypte et de Mésopotamie.

Bref, on regrette les hommes, les canons, les approvisionnements envoyés en Orient et on mesure les renforts au compte-gouttes. Un parti, influent en Angleterre, incline même au rappel pur et simple des forces britanniques, qui viennent d’ailleurs d’être affaiblies de 12 bataillons.

De toutes ces circonstances défavorables, le général FRANCHET d’ESPEREY ne s’émeut pas. Doué d’un moral indéfectible et d’un dynamisme merveilleux, il ne doute de rien. Il est venu ici avec la volonté de frapper un coup décisif, et² ce coup, il le frappera.

Le moral est très élevé dans toutes les armées, une magnifique émulation existe entre nos alliés balkaniques. Parce que les Hellènes viennent de remporter la belle victoire du Skra di Legen, les Serbes veulent leur victoire, eux aussi, et²proposent d’attaquer dans le secteur des hautes montagnes de la Moglena !…

 

Un plan d’une audace incroyable

 

L’affaire a séduit tout de suite le tempérament ardent et audacieux du général FRANCHET d’ESPEREY, et son plan est vite conçu.

Du premier coup d’œil jeté sur la carte, il a discerné le cœur de l’organisation ennemie, où il faut frapper : c’est Gradsko, où se joignent les vallées du Vardar et de la Cerna, point de liaison entre la XIème armée bulgaro-allemande et la Ière armée bulgare. Là, bien à l’abri derrière le formidable massif , considéré comme inviolable, de la Mogléna, la voie ferrée dépose avec d’énormes stocks de vivres et de munitions, les renforts qui sont répartis entre tous les secteurs de combat. Arriver d’un élan à Gradsko, c’est donc à la fois anémier et affamer les premières lignes ennemies ; séparer la Ière armée bulgare de la XIème armée allemande et rejeter celle-ci vers l’ouest, la coupant de la Bulgarie d’où lui viennent  ses ressources, l’acculant aux montagnes d’Albanie, où elle sera réduite à capituler.

Par où passer ? Certes pas par la vallée du Cerna, où tant des nôtres sont déjà tombés !... Bien plutôt à travers le désert rocailleux et les pics abruptes de la Moglena : le Sokol, le Dobropolié, le Koziac et autres géants… Pour escalader ces murailles, les sections d’avant-garde seront munies d’échelles ; on délogera l’ennemi des nids d’aigle où il a installé ses mitrailleuses, où il se croit inabordable et où, par conséquent, il se garde mal… Des français passeront où jamais armée ne passa au cours des siècles.

Les Serbes tiennent ce secteur depuis plus d’un an ils sollicitent  l’autorisation de monter à l’assaut de ces montagnes qui les séparent de leur patrie… des pauvres foyers où les attendent, dans la misère et dans l’angoisse, leur femmes et leurs enfants. Pressentis des intentions du général en chef, ils se montrent enthousiastes.

Seulement deux divisions françaises : la 17ème division coloniale, du général PRUNEAU, et la 122ème du général TOPART, renforceront les 6 divisions serbes, et ce sont elles qui, mieux instruites pour ce genre d’affaires, donneront l’assaut, bousculeront les premières lignes adverses encastrées dans le roc, sur la cimes des montagnes, et ouvriront la voie à leurs camarades serbes. Ceux-ci, montagnards intrépides, d’une endurance incomparable, passeront par la brèche et , à travers pics et précipices, poursuivront l’ennemi ébranlé jusqu’à Gradsko, jusqu’au Danube, à travers la Serbie désormais délivrée…

-         Les divisions françaises seront-elles sous les ordres du commandement serbe ?  a demandé le voïvode MICHITCH, chef d’état-major général de l’armée serbe.

-         - Oui a répondu, sans hésiter, le général FRANCHET d’ESPEREY.

Et alors, le prince régent Alexandre nature ardente, s’est levé, comme mû par un ressort, et lui a serré vigoureusement la main.

L’accord est fait et le plan général de l’opération peut être arrêté.

Il va comprendre :

1° L’attaque principale franco-serbe sur le redoutable massif de la Moglena, en direction de Gradsko, pour séparer  la XIème armée allemande et la Ière armée bulgare ;

2° Une attaque anglo-hellénique sur le front Vardar-Doiran ;

3° Une attaque française de Monastir sur Prilep, Vélès et Uskub, pour rejeter vers l’Albanie la la XIème armée allemande isolée

4° Après quoi, poursuite acharnée de l’ennemi disloqué : vers Serrès, vers Sofia, vers le Danube, puis à travers la Hongrie et l’Autriche, jusqu’en Allemagne... jusqu’à la victoire complète.

 

Les préparatifs et la bataille pour le plan

 

Mais un plan n’est pas tout, même assuré de l’enthousiasme des exécutants ; il faut en préparer matériellement l’exécution ; il faut aussi obtenir du gouvernement l’autorisation d’attaquer.

La préparation matérielle consiste : à construire des routes d’accès tout le long du front, pour que l’ennemi se croie toujours menacé vers Monastir et sur le Vardar ; à amener des centaines de batteries avec les munitions nécessaires à pied d’œuvre ; à hisser des pièces pesant plusieurs tonnes, avec leur chargement d’obus, à des hauteurs invraisemblables ; sur le Floka, par exemple, à 2300 mètres d’altitude ; à dresser des cartes – car aucune bonne carte n’existe

- de ces régions montagneuses… sans parler du formidable travail d’état-major et des reconnaissances nécessaires…

Tout cela demandera sans doute deux mois d’énergiques efforts et l’emploi de 180.000 hommes. Le travail commencera donc dès le Ier juillet, avant toute autorisation du gouvernement, car il ne faut pas perdre de vue que la guerre n’est pas possible après le 15 septembre en Macédoine où les pluies changent les routes en torrents et la plaine une mer de boue.

Obtenir du gouvernement l’autorisation d’attaquer sera encore plus difficile que de mener à bien l’œuvre gigantesque de la préparation. Car ni à Londres ni à Rome ni à paris on ne se rend un compte exact des nécessités de l’heure en orient. On tergiverse, bien que le général GUILLAUMAT, l’ancien commandant en chef des armées d’Orient, qui est devenu gouverneur de Paris et à qui le général FRANCHET d’ESPEREY a communiqué son plan d’attaque, soit devenu le conseiller de M. CLEMENCEAU pour ces questions et s’efforce de faire comprendre  à tous la nécessité d’une action vigoureuse et immédiate.

Donc, le 5 septembre, dix jours avant l’heure où toute opération sera impossible en Macédoine, alors que les travaux sont à peu  près terminés, les gouvernements n’ont encore pris aucune décision. Il n’est pas possible d’attendre plus longtemps sans renoncer à l’offensive préparée. Le commandant en chef  adresse au président du Conseil un télégramme très net qui met le gouvernement en présence de ses responsabilités. Il le termine en déclarant qu’à moins d’un ordre contraire l’attaque sera déclenchée le 15 septembre au matin.

Le 7 septembre , le général GUILLAUMAT part pour Londres, d’où il ira à Rome expliquer à nos alliés la nécessité d’une action rapide et décisive en Orient. Tâche ardue… Ce ne sera que le 10 septembre que, l’accord enfin réalisé, le général FRANCHET d’ESPEREY recevra l’autorisation de commencer les opérations.

La rupture du front germano-bulgare

 

Donc, le 14 septembre, à 8 heures du matin, depuis le lac Doiran jusqu’à Monastir, sur près de 300 kilomètres, 1500 canons de tous calibres lancent des tonnes d’explosifs sur les tranchées germano-bulgares, laissant l’ennemi dans le doute absolu sur le point de l’immense front où allait être frappé le coup de massue. Cette avalanche de fer durera vingt-deux heures !...

Et le 15 septembre, jour J, à 5 h. 30 du matin, dans le petit jour gris et brumeux, la IIe armée franco-serbe du voïvode STEPANOVITCH s’élançait à l’assaut des montagnes de la Moglena.

En première ligne, la 122e division française du général TOPART, et la 17e division coloniale du général PRUNEAU, escaladaient les géants de la chaîne : <le Sokol haut de 1825 mètres ; le Dobropolié, haut de 1875 mètres ; les rochers du Kravitza, à 1750 mètres. Le 148e, le 84e régiment d’infanterie, les 1er, 3e et 54e régiments coloniaux et les 93e et 96e bataillons de tirailleurs sénégalais, avec un élan irrésistible, bondissent à travers les précipices, les à-pics ou les bois fauchés par les obus et, au moyen d’échelles, escaladent les nids d’aigle où les Bulgares hébétés par le bombardement, ne peuvent que vendre leur vie le plus chèrement possible ; A 8 heures, le plateau de Kravitza est enlevé ; à 16 heures, c’est le Dobropolié ; puis le Sokol, formidablement organisé, ne tombera qu’à 22 heures, à la nuit noire. A midi, la division serbe Choumadia qui couvrait la droite des divisions françaises a enlevé le Vetrenik, massif escarpé de 1740 mètres.

L’impossible était réalisé ; la trouée était faite. Les divisions de deuxième ligne de la IIe armée serbe :< les divisions « Timok » et « Yougo-Slave », dépassent les divisions françaises d’assaut et se précipitent en avant.

Pour ceux qui ont vécu ces heures, ce fut là le moment le plus émouvant de toute la campagne ; les serbes, religieusement, saluaient nos morts et nos blessés et, au passage saisissaient les mains de nos soldats ou se jetaient avec effusion au cou de ces camarades étrangers qui venaient au prix de leur sang, d’abattre l’obstacle formidable qui leur avait interdit pendant si longtemps l’accès à leur patrie…

Puis, hardiment, ces souples et robustes montagnards, poussant devant eux les Bulgares démoralisés, se hâtent vers le Koziak et le Kouchta Kamene, autres géants de 1800 mètres, qui forment les piliers nord du massif de la Moglena et où l’adversaire semble vouloir se ressaisir. Il fallut deux jours pour chasser de là les Bulgaro-Allemands, qui y avaient envoyé en toute hâte des renforts. Le 17, les Serbes en été maîtres.

A la droite des armées serbes, le groupement franco-hellénique du général d’ANSELME a élargi la brêche, en enlevant les tranchées qui étaient devant lui. A leur gauche, la 11e division du général FARRET, et la 3e division Hellénique Tricoupis ont percé vers la Cerna et menacent Prilep.

Ainsi, le 17 septembre, le front ennemi est disloqué dans toute cette région de la Moglena considérée jusqu’ici comme inviolable. 4.000 prisonniers, une centaine de canons de tous calibres et un matériel immense sont la proie des vainqueurs, mais surtout l’obstacle de la montagne infranchissable est surmonté et,  devant les vallées plus largement ouvertes, les perspectives de victoires deviennent illimitées.

 

Nos cavaliers à USKUB – Capitulation de la XIe armée et armistice Bulgare

 

Le général FRANCHET d’ESPEREY n’était pas homme à les laisser échapper. Le 21 septembre, la division serbe « Yougo-Slave » est à Negotin, à 50 kilomètres du Dobropolié, et, le 23, à Gradsko, dont elle s’empare avec l’aide de la 17e division coloniale française. Il y a là d’immenses approvisionnements entreposés à la gare : canons, fourgons, trains, magasins regorgeant de vivres, de charbon et de munitions, mitrailleuses, avions… Du même coup, la XIe armée bulgaro-allemande, que le haut commandement adverse avait cru pouvoir maintenir devant Monastir, est coupée de la 1ère armée bulgare, attardée elle aussi, dans la région de Doiran, devant l’armée anglo-hellénique.  

De sorte que la XIe armée bulgaro-allemande est réduite à se retirer par l’étroit défilé de Kicevo à  Kalkandélen, d’où elle compte essayer de gagner la Bulgarie par Uskub, si on lui en laisse le temps. Et la Ière armée bulgare, coupée du Vadar par le groupe d’ANSELME, qui a enlevé d’assaut le massif abrupt de la Dzena, doit se replier au plus vite vers Sofia par le défilé de Stroumitza.

De l’est à l’ouest, la débâcle germano-bulgare est complète et générale ; le 25 septembre, nos avions signalent de longues colonnes ennemies se hâtant, en grand désordre, de remonter par la route de Kicevo à Kalkandélen et à Uskub.

Tout de suite, tandis que l’armée française du général HENRYS poursuit cette armée désemparée à travers le massif de Babouna, sa cavalerie, conduite par le général JOUINOT GAMBETTA, et comprenant les 1er et 4ème régiments de chasseurs d’Afrique  et le régiment de marche de spahis marocains, marche droit sur Uskub, par les montagnes du Golesnitsa Pkanina, chaos de rochers et de précipices, où quelque cheval roule à chaque instant.

Le 29 septembre, après cinq jours de périlleux et épuisants efforts, nos cavaliers, refoulant l’ennemi, débouchent devant Uskub. Sans artillerie,, avec l’appui de quelques mitrailleuses, ils donnent l’assaut, carabine au poing, et enlève la ville aux germano-bulgares stupéfaits. L’infanterie du général TRANIE accourt et la porte du défilé de Kalkadélen se ferme. Le sort de la XIe armée germano-bulgare, talonnée par l’armée du général HENRYS, entassée dans des gorges sans issues, est réglé. 90.000 hommes, dont 1600 officiers et 5 généraux, capitulent, livrant aux vainqueurs 800 canons, des milliers de mitrailleuses et tout leur matériel ; les cavaliers de MURAT n’avaient pas mieux fait après Iéna.

Le jour même, à Salonique, le gouvernement bulgare signait un armistice entre les mains du général FRANCHET d’ESPEREY ; Toute l’armée bulgare devait être désarmée ; le territoire et les ressources bulgare devaient être mis à la disposition des français.

 

Libération de la Serbie – Armistice turc et armistice autrichien

 

La Bulgarie abattue, le général FRANCHET d’ESPEREY  va immédiatement s’attacher :

1° A libérer la Serbie ;

2° A ouvrir les détroits des dardanelles et du Bosphore, pour rétablir les communications avec la Russie ;

3° A prendre l’Autriche à revers ;

4° A libérer la Roumanie ;

1° La libération de la serbie, c’est l’armée serbe et l’armée française d’Orient, du général HENRYS, qui la réalisent. Après de sérieux combats, livrés à 5 divisions austro-allemandes, Nich, Mitrovitsa et Prichtina sont enlevés et le 1er novembre l’armée serbe BOÏOVITCH faisait une entrée triomphale à Belgrade.

2° Pour opérer contre la Turquie, le général FRANCHET d’ESPEREY a donné au général MILNE 3 divisions britaniques, la 122e division française, 3 divisions helléniques et 1 brigade italienne. La seule arrivée de ces forces sur la Maritsa détermine la Turquie, le 30 octobre, à signer entre les mains de l’amiral anglais CALTHORPE un armistice qui la détache de l’Allemagne et ouvre les détroits aux Alliés.

3° Pendant ce temps, l’Autriche était gravement menacée.

D’une part, l’armée serbe STEPANOVITCH avait atteint la frontière de la Bosnie-Herzégovine, et cette province se hâtait de proclamer son détachement de l’empire des Halsbourg ;

D’autre part, nos troupes libéraient le Monténégro et occupaient Seutari, Cattaro et Raguse.

Enfin l’armée française d’Orient du général HENRYS poussait jusqu’au Danube, que la 76e division et la 17e division coloniale française atteignaient à Vidin, à Lom Palanka et à Semendria et dont elles interdisaient la navigation.

Prise à revers par sa frontière méridionale et battue en Italie, l’Autriche envoie des plénipotentiaires eu général Diaz, signe un armistice le ‘ novembre et dépose les armes.

4° Tous les alliés de l’Allemagne étaient hors de cause. Les armées allemandes KOCH et von SCHOLTZ, cette dernière reconstituée et renforcée, restaient tenant le Danube depuis Belgrade jusqu’à la mer et maintenant la Roumanie sous le joug. Le maréchal von MACKENSEN les commandait.

Une nouvelle armée forte de 3 divisions, va être reconstituée dans la zone  Sistovo-Rouchtchouk, destinée à opérer en Roumanie, sous le commandement BERTRHELOT ; mais, en attendant que cette armée soit en mesure d’agir, le général FRANCHET d’ESPEREY se met en devoir de pousser les 30e et 76e divisions au nord du danube pour prendre Mackensen à revers et l’enfermer en roumanie ; le passage du fleuve est forcé à Giurgeva, à Sistovo et à Nikopoli le 9 novembre.

Ainsi menacé d’enveloppement, MACKENSEN se hâte de donner l’ordre de la retraite et les colonnes allemandes refluent à travers le territoire hongrois.

 

EPILOGUE

 

C’est la débâcle, HINDENBURG et LUDENDORFF, qui suivent  ces événements avec angoisse tandis que FOCH multiplie ses coups sur le front de France et qu’en Allemagne, où l’on est las de souffrir et d’avoir faim, la révolte gronde… se résignent au sacrifice suprême.

«  Par suite de l’écroulement du front de Macédoine… » L’armistice est signé à Rothondes, le 11 novembre 1918.

Aux termes de l’armistice, l’armée du maréchal MACKENSEN aurait dû être internée en hongrie, mais les engagements pris furent violés et ces troupes purent filtrer vers l’Allemagne, à marche forcée, ayant abandonné presque tout leur matériel.

Tels sont les faits. Ne disent-ils pas assez que les vainqueurs d’Orient, pour avoir été longtemps ignorés du grand public, n’en ont pas moins droit à la reconnaissance du pays ?

Le général FRANCHET d’ESPEREY, leur chef, le leur affirmait dans sa proclamation du 12 octobre et aucune autre conclusion ne saurait, mieux que ces phrases lapidaires du grand soldat, terminer le récit sommaire de leur magnifique épopée : «  Votre héroïsme vous égale à ceux du front de France. Entre ceux d’ici et ceux de là-bas, la victoire ne distingue pas et vous avez prouvé que vous étiez dignes de partager leur gloire ! »

 

Colonel A. GRASSET

L’ILLUSTRATION

12 novembre 1938

transcription François GERARD

françois.gerard@noos.fr

COMMENT FINIT LA GUERRE EN EXTRÈME-ORIENT

BATAILLON COLONIAL FRANÇAIS DE SIBÉRIE

Extraits de la thèse du colonel Boulié, lieutenant au 16° R.I.C. en 1918
et de la causerie-débat de M. Borde, marsouin au 9° R.I.Ma. en 1961

1918

Le 3 mars 1918, un traité de paix, séparée des Alliés, est signé à Brest-Litovsk entre l’Allemagne et la Russie des bolcheviks.
Cette paix séparée, libérant les Empires Centraux sur leur flanc oriental, a pour conséquence immédiate l'envoi de plusieurs dizaines de divisions allemandes dans les tranchées du front occidental, principalement face à nos valeureux Poilus.
Ces divisions permettront l’offensive allemande de la 2° bataille de la Marne que Ludendorff et Hindenbourg préparent pour le printemps. En effet, l’Allemagne va aligner 192 divisions, soit 20 de plus que les Alliés.
Dés ce moment, l’idée d’un appui aux forces antibolcheviks, éventuellement suivi d’une intervention militaire directe des Alliés, commence à faire son chemin.
Dans le secret des états-majors à Hanoi, certains bruits d’ambassades ou de courriers étrangers ne sont pas aussi apaisant que ceux que l’on entend dans les salons ou les restaurants huppés de la capitale du Tonkin. Les nouvelles de Sibérie et surtout de la Russie font craindre des mouvements révolutionnaires.
C’est pourquoi en ce début de juillet, la citadelle s’agite. Des ordres sont arrivés depuis peu de temps de Paris. L’état-major se prépare à envoyer quelques éléments vers des contrées où il n’a pas l’habitude d’opérer.
Le régiment de Hanoï, le 9° Régiment d’Infanterie Colonial, est mis en alerte.
Le chef de bataillon Mallet est désigné pour commander les premières forces françaises pour la Sibérie. Il forme un groupement en prenant sous ses ordres deux compagnies et deux sections de mitrailleuses du 9° R.I.C.. Une fois prêt, le bataillon se met en mouvement pour le port de Haïphong.
Le 4 août, le vapeur français fait de nouveau escale en Chine, à Takou, et embarque deux compagnies du 16° R.I.C. et une compagnie du 3° Zouaves. Ces trois compagnies forment groupement et sont commandée par le capitaine Feneurstein. Ces éléments sont également incorporés au bataillon du 9° Régiment d’Infanterie Colonial. Cela double les effectifs français.
Le jour même, le vapeur “André Lebon” lève l’ancre et se dirige maintenant droit sur la Sibérie.
Dans la nuit finissante, le vapeur “André Lebon” arrive en vue de Vladivostok. Ce 9 août à 6 heures du matin, il accoste et se met à quai. Peu après, c’est une force de 1136 hommes exactement, sous commandement du chef de bataillon Mallet, que l’on voit descendre la passerelle du vapeur “André Lebon”. Le rassemblement se fait sur les quais.
Le Bataillon Colonial Français de Siberie est ainsi composé.
A l’État-major du B.C.S. le Chef de bataillon Mallet a comme adjoint le capitaine Dunant, un officier adjoint le lieutenant Tosse, puis les médecins-major Jouvelet et Guerneray.
Les compagnies de combats du 2/9° R.I.C. se composent des 2 compagnies. La 6° compagnie, forte de 228 (229?) marsouins, commandé par le lieutenant Deseille et la 8° compagnie, forte de 226 (228?) marsouins, commandé par le capitaine Schill qui a pour adjoint le lieutenant Rivette, à ces deux compagnies s’ajoutent les 2 sections de mitrailleuses. Parmi les marsouins du 2/9° R.I.C., on compte 277 tirailleurs tonkinois.
Les compagnies de combats du 16° R.I.C. se composent des 2 compagnies. La 8° compagnie, forte de 230 marsouins, commandé par le capitaine Feneurstein, qui a pour adjoints les lieutenants Fumk et Brauenstein et la 11° compagnie, forte de 230 marsouins, commandé par le capitaine de Vaux, avec pour adjoints les lieutenants Basail et Seguinel.
Le 5° Zouaves fournit sa 5° compagnie, forte de 202 zouaves, commandée par le capitaine Pauzon qui a pour adjoints les lieutenants Gadars et Bies et le sous-lieutenant Jeffrey.
Les marsouins du 16° Régiment d’Infanterie Colonial, sous les ordres du capitaine Feneurstein, sont originaires d’Alsace et de Lorraine.
En effet, il y avait une forte proportions d’alsaciens et lorrains dans les régiments coloniaux. Une des raisons à cela est que le ministère de la Guerre les éloignait du front français, leur évitant ainsi de tomber dans les mains des armées allemandes qui les déclaraient “déserteur” et les fusillaient aussitôt.
A peine rassemblé, le bataillon colonial français reçoit l’ordre de rejoindre le front de l’Oussourik (Oussouri?) à Kraïevsky, où sont déjà positionné des éléments alliés et Blancs de Sibérie. Le commandant Mallet divise ses troupes en deux groupes:
=> le premier aux ordres du capitaine Schill avec les 2 compagnies du 9° R.I.C. et les deux sections de mitrailleuses,
=> le second aux ordres du capitaine Feneurstein avec les deux compagnie du 16° R.I.C. et celle du 3° Zouaves.
Aprés le repas de midi, les marsouins du B.C.F.S. sont regroupés et en rangs se dirigent vers la gare de Vladivostok en traversant la ville.
Arrivés à la gare de chemin de fer, les deux groupes du bataillon colonial grimpent dans les wagons et partent vers leurs positions, mais dans deux trains différents. Le groupe Schill part pour la ville de Doukovskoïe, près de Kraïevsky, afin de stopper l’avance bolchevik. Peu après, le groupe Feneurstein le rejoint et ensemble partent vers leurs secteurs attribués.
Les positions sont atteintes le 13, où sont déjà positionné des éléments alliés et où la manœuvre générale doit s’articuler autour de la voie ferrée à Doukovskoïe.
Mais est-ce un accueil folklorique local? Dés leur arrivée sur le front, les marsouins subissent immédiatement des tirs bolcheviks. En fait, le bataillon subit son épreuve du feu courageusement, mais sans perte.
Les forces américaines et japonaises atteindront, à elles deux, prés de 25 000 hommes. La seule force militaire est donc constituée part ces troupes, elles pourraient constituer la force de frappe des Alliés. Mais les japonais ne frapperont jamais en opération de guerre, hormis près de Kraïevsky, et les américains resteront toujours “l’arme au pied” à Vladivostok !!
Devant l’importance de cette force alliée débarquant en Sibérie, les bolcheviks réagissent. Du 15 au 20 août, de violentes attaques bolcheviks sont lancées contre les troupes françaises. Le bataillon français subit des tirs d’artillerie, entrecoupés d’escarmouches et de manœuvres dilatoires, voulant peut-être dissuader les marsouins.
Cependant une nuit, un coup de main bolchevik sur le poste de commandement russe, qui sont des cosaques du Tsar et gardé entre autres par une douzaine de français, provoque la disparition de 4 Zouaves.
L’été sibérien est difficile pour les européens. Les moustiques pullulent, l’eau et la nourriture ne sont pas de très bonne qualité. Depuis leur départ d’Indochine, les hommes ne se sont pas encore habitué au climat du nord-est de la Sibérie, certains n’ont pas retrouvé de forces. A Doukovskoïe, Vultury René, un de nos marsouins atteint par la maladie, succombe le 20 août 1918.
Ce même jour, les Rouges lancent une violente offensive sur Vladivostok avec 30 000 hommes, dont des prisonniers allemands, appuyé par cinq trains blindés.
L’avant-garde de cette offensive bolchevik se heurte, près de Kraïevsky, à une force de quatre mille hommes commandée par le colonel Pichon, comprenant 4 bataillons tchèques, le bataillon français, positionné dans la ville de Doukovskoïe, un fort détachement de cosaques et un bataillon anglais qui vient de les rejoindre.
A quelques kilomètres en arrière, le général Oï commande une force japonaise très importante qui ne bouge pas.
Le combat qui s’engage est très dur. Usant de leur supériorité numérique, les Rouges essaient d’enfoncer le centre du front allié. Devant sa résistance, les bolcheviks tentent le débordement en enfonçant l’aile droite du dispositif allié.
Curieusement, pendant toute cette journée de combats et malgré les demandes du colonel Pichon, les forces japonaises restent “l’arme au pied” à quelques kilomètres en arrière, refusant d’intervenir.
Le 25° Bataillon Middlesex Regiment est assailli par des forces trop importantes et pli sous l’attaque. Le colonel Pichon doit ordonner la retraite générale sur les lisières de Doukovskoïe, la position de rechange.
Les éléments alliés s’étant repliés sur leur ligne, les japonais se trouvent au contact le 21 août. Commence alors une résistance passive entre les belligérants durant trois jours, comme s’ils reprenaient des forces avant l’assaut.
Dans la soirée du 22, un coup de main des marsouins permet de faire des prisonniers. Un des bolcheviks informe le commandant Mallet de l'imminence d’une attaque avec des forces évaluées à 4 500 hommes.
Celle-ci se déclenche le 23 août à 5 h 00 du matin. Le groupe Schill, positionné à l’avant du dispositif, reçoit la première vague d’assaut. Même avertit, il est évident qu’il ne pourra tenir longtemps, sa position de pointe le rend vulnérable. Ordre lui est donné de se replier sur les lisières de Doukovskoïe. Là, le bataillon a ordre de tenir coûte que coûte, ce qu’il exécute avec courage.
Regroupés, les marsouins du B.C.S. résistent courageusement. Ils multiplient les contre-attaques malgré de lourdes pertes. Le front ne faiblit pas.
Le colonel Pichon, commandant du Corps Expéditionnaire Alliés, ordonne au général Oï d’engager immédiatement ses troupes pour brisé l’offensive ennemi. Le 24, les forces alliées, enfin soutenues par les japonais, passent à une contre-attaque générale et mettent en fuite les forces de l’Armée Rouge.
Ce sera la seule opération militaire où les forces militaires japonaises s’engageront et combattront vraiment en Sibérie!!
Le bilan de ces combats est de 300 morts pour les japonais. Les forces britanniques sont sortis indemnes de ces dures journées.
Le soir, le commandant Mallet compte ses hommes. Les pertes ont été très lourdes. Les marsouins Le Floch Louis et Moiraud Félix tués, quinze marsouins ont été blessés plus ou moins gravement.
L’affaire étant terminée, le détachement français est relevé et se tient en arrière des lignes.
Au début septembre à Doukovskoïe, le bataillon français doit se séparé des tirailleurs tonkinois. Ceux-ci sont regroupés en une compagnie et rejoignent Vladivostok. Ils ont pour mission de garder la zone maritime de Vladivostok où arrivent les détachements alliés, les approvisionnements et matériels nécessaire à ceux-ci.
Une bonne nouvelle arrive au B.C.F.S., des renforts sont annoncés et doivent les rejoindre.
Cependant, Tchèques et Blancs sont contraints d’abandonner Samara, capitale du Kamoutch. Leur retraite semble une déroute. Malgré l’avance des armées bolcheviks, les troupes russes et alliés se dirigent en direction de l’ouest sibérien.
Quelques éléments du bataillon français vont se joindre à eux avec les renforts annoncés. Le 9 octobre, ces renforts français arrivent à Vladivostok. A peine débarqués, ils rejoignent les troupes du B.C.F.S. à Doukovskoïe. Il s’agit d’une batterie d’artillerie, forte de 175 hommes, et détachée des 4° et 5° Régiment d’Artillerie Colonial venant de Chine, comme les précédents détachements arrivés en juillet.
Aussitôt réunies, ces troupes se dirigent vers l’ouest par voie ferrée. Du fait des contraintes dû à l’état du chemin de fer sibérien et surtout liées aux événements, ce voyage va durer de plusieurs semaines au lieu d’une dizaine de jours. Le Transsibérien traverse Kharbine, Tchita, Irkoutsk, Krasnoïarki, Tomsk, Omsk, Tchelyabinsk et atteint Ourfa.
Durant le long voyage du bataillon français un incident malheureux se produit le 2 novembre 1918. Au cours d’un arrêt dans la petite ville de Blelia, un convoi de munitions explose tuant trois Zouaves parmi nos soldats.
Repartant tant bien que mal, le train continu sa route et va atteindre Ourfa trois semaines plus tard, sans combat.
Mais entre-temps, en Europe les forces alliées ont repoussées les allemands qui demandent l’arrêt immédiat des hostilités. La guerre est gagnée, les poilus ont vaincu aprés quatre années de très durs combats.
11 novembre 1918
L’Armistice est signé entre les Alliés et les puissances de l’Axe.
52 mois de guerre, de combats acharnés et ininterrompus. 1 380 000 morts, 3 500 000 blessés, une ou plusieurs fois, dont 650 000 amputés ou définitivement handicapés.
Mais l’armistice n’est pas la paix. L’état de guerre des forces militaires françaises est maintenu par le gouvernement de Georges Clemenceau jusqu’à la signature d’un traité de paix.
L’Armistice du 11 novembre 1918 annule le traité de Brest-Litovsk signé le 3 mars 1918 entre les puissances de l’Axe et les bolcheviks. Les Alliés vont se réunir pour de long mois de pourparlers afin d’établir les conditions de paix et établir la carte de la nouvelle Europe en créant de nouveaux états qui exigent leur indépendance.
L’arrêt des combats sur le sol français, à partir de ce 18 novembre, permet la libération et l’évacuation de 500 000 hommes de troupes allemandes des territoires russes. C’est le début de la retraite de ces forces encore présentes au Caucase, en Ukraine, en Pologne et dans les Pays Baltes.
De ce fait, les forces bolcheviks sont libre de tout danger à l’Ouest, elles peuvent se tourner contre les Armées Blanches ou Alliées des fronts du Nord et du Sud de la Russie, ainsi que de l’Oural et de Sibérie.
Le 21 novembre le bataillon français arrive à Ourfa sans avoir eu à combattre. Peu après, l’ensemble des forces françaises en Sibérie prend officiellement le nom de: “Bataillon Colonial de Sibérie”. Il prend garnison dans la ville où il y restera deux mois environ.
Dans la lointaine ville de Ourfa, en cette veille de Noël 1918, la température descend au dessous des - 40 degrés.
En effet, l’hiver de 1918/1919 est l’un des plus rudes que l’on est connu depuis longtemps. Au plus fort de cet hiver sibérien, les jours passent par des températures normale qui “montent” à moins 20, mais les nuits, elles descendent et dépassent allègrement les moins 50 degrés. Malgré cet ennemi mortel, supplémentaire et incontournable, le bataillon français remplit cependant toutes les missions qui lui sont dévolu avec un grand courage et sans défaillance aucune.
Bien loin des douceurs climatiques indochinoises dont les marsouins étaient habitués...
Le Bataillon Colonial de Sibérie quitte Ourfa et, revenant vers l’Est, prend garnison dans la ville de Tchelyabinsk le 11 janvier 1919. Durant son stationnement, 6 officiers et 543 sous-officiers et marsouins sont démobilisés et quittent le Bataillon Colonial de Sibérie pour l’Indochine.
Amputé de la moitié de ses hommes, le bataillon français n’en poursuit pas moins ses missions. En plus des missions d’escortes, les marsouins prennent en charge et instruisent au métier des armes les volontaires des armées blanches.
Il semble que le bataillon français, ou ce qu’il en reste, quitte la garnison de Tchelyabinsk le 3 mars 1919 pour embarquer à bord de trains ou convois ferroviaires.
Il a pour mission l’escorte de convois d’armes et de munitions sur le Transsibérien, dans la partie occidentale de la Sibérie, de Tchelyabinsk à Ourfa et Penza. Ces missions sont extrêmement dangereuses, car les convois sont dirigés par des employés russes, polonais ou sibériens, rouges ou blancs, sous la surveillance de la Légion Tchèque. Quant on connaît le rude climat sibérien et ajouter à la longueur de cette voie ferrée à travers tout un continent, on ne peut qu’imaginer les difficultés.
Par suite du manque de routes et l’immensité de la Sibérie, les trains servent à l'approvisionnement de tous, des Alliés, des Armées Blanches de l’amiral Koltchak, de la Légion Tchèque et des divers mouvements antibolcheviks. Dans cette Sibérie livrée au chaos et à l’anarchie, il y a toutes sortes de personnages qui profitent de cette situation pour organiser des trafics de devises, d’immenses trafics de denrées alimentaires et surtout trafics d’armes et de munitions que tous le monde convoite.
Il faut prendre en compte les trains entiers de biens le plus souvent pillés dans les villes et villages aux cours des avances ou reculs des belligérants et qui sont acheminés vers Vladivostok en priorité, et souvent aux détriments des convois de munitions qui font tant défauts aux troupes au contact des bolcheviks.
Dans ce tourbillon de l’histoire et loin de toute civilisation, le plus fort fait la loi et l’emporte. D’où les difficultés multipliées par les attaques de convois par des forces bolcheviks et autres groupuscules locaux sans foi ni loi. Malgré tout ces paramètres, les missions du bataillon français sont fermement mais correctement remplies.
Durant cette période très difficile, une décision des autorités françaises décide de la dissolution du “Bataillon Colonial de Sibérie”.
Cependant les troubles graves, les longues distances, les difficultés de communications, les déplacements continuels empêchent l’annonce de cette décision. Dans l’ignorance de cette nouvelle, le bataillon colonial continue fidèlement sa mission.
Dans cet enfer russe, ce chaudron du diable, une bonne nouvelle atteint finalement les marsouins du bataillon dans ce pays en désarroi.
Le “Bataillon Colonial de Sibérie”, qui maintient son nom, par ordre du ministre de la guerre en date du 30 avril 1919 obtient une Citation à l’Ordre de l’Armée.
Cette distinction remonte le moral des marsouins. Cela démontre leur bravoure, leur courage, leur discipline et la fidélité au cours des multiples missions en milieu hostile et dans des conditions militaires et politiques très difficiles. Les marsouins n’en poursuivent pas moins leurs missions avec le même courage et conscience.
Sept semaines après son attribution, la citation du “Bataillon Colonial de Sibérie” est insérée au J.O.R.F. le 24 juin 1919. Le fanion du Bataillon Colonial de Sibérie porte désormais les dates de cette campagne en Extrême-Orient issue de la Grande Guerre: “1914-1919”.
28 juin 1919
Versailles. Dans la même galerie des Glaces qui a vu la naissance de l’empire germanique du Kaiser Guillaume I, les Alliés et les plénipotentiaires allemands signent un traité de paix.
Ce traité met fin officiellement à un situation de conflit armé entre la France et l’Allemagne. Il met fin de “l’état de guerre” des armées françaises qui a duré de la mobilisation le 2 août 1914 à ce 28 juin 1919. La suppression de l’état de guerre va permettre la libération de nombreux poilus encore sous les armes.
En Sibérie, le colonel Pichon quitte le commandement du Corps Expéditionnaire Allié après la signature du traité de Paix de Versailles.
En Crimée, les combats ne cessent pas. Les armées blanches exercent une forte pression sur les bolcheviks, ceux-ci reculent de toutes parts. Le 30 juin, les armées blanches placées sous les ordres du général Wrangler s’emparent de Tsaritsyne.
Par contre, la situation militaire se dégrade de plus en plus rapidement en Sibérie à partir de juillet. Les Rouges ont réoccupé tout l’Oural et les armées blanches sibériennes donnent des signes de désagrégation de plus en plus évidents.
Afin d’éviter de tomber sur des forces très importantes et ne pouvant compter sur les armées blanches, le Bataillon Colonial de Sibérie reçoit l’ordre de se replier sur Vladivostok le 15 juillet. Le voyage s’annonce long et périlleux comme à l’habitude, très pénible car chaotique et plein de péripéties et qui va durer deux longs mois au lieu d’une quinzaine de jours. Mais cela ne rebute pas nos marsouins qui en ont vu bien d’autres depuis une année terrible.
Après plusieurs semaines d’un long voyage, la ville de Vladivostok est enfin atteinte le 14 septembre. Retiré du front extrême-oriental, le Bataillon Colonial de Sibérie ne serra plus engagé militairement. Retrouvant un peu de calme, il prend garnison dans le grand port sibérien, retrouvant ainsi les quelques tirailleurs tonkinois encore là. Il y demeurera jusqu’au milieu de l’hiver 1919/1920.
Dans le courant du mois d’octobre, l’avance bolchevik est devenue décisive, Omsk est menacé directement par la 27° division de l’Armée Rouge.
Les Missions Militaires alliées commencent leurs préparatifs d’évacuations. A la fin de ce mois, toutes ont déjà abandonnées la ville de Omsk, prenant la direction de l’Est, alors que les bolcheviks sont déjà arrivé à moins de 60 kilomètres de la ville.
En Sibérie, une tragédie s’annonce. C’est le début d’une véritable débâcle des armées de l’amiral Koltchak.
Devant la tournure rapide des événements en Russie, les Alliés commencent à évacuer leurs troupes de la Sibérie. Durant plusieurs semaines, des trains rapatrient progressivement des détachements de russes blancs, britanniques et autres vers Vladivostok.
Dans un froid glacial, que l’on ne connaît que dans les hivers sibériens, le bataillon colonial français embarque sur un vapeur le 14 février 1920. Ils abandonnent ces immenses terres où la misère et la mort, plus que la vie, règnent en maître en ces temps troublés.
Du 9 août 1918 au 14 février 1920: 19 mois.
Ce sont 19 mois de combats, de souffrances physiques et morales, 19 mois où les marsouins et bigors ont tant donnés et souffert avec courage et discipline, 19 mois de gloire pour nos couleurs présentent sur ce front de Russie orientale, ce lointain théâtre d’opération de Sibérie bien oublié de la mère patrie.
Peu après, le vapeur largue les amarres et quitte Vladivostok et la Sibérie, emmenant avec lui le Bataillon Colonial de Sibérie. Sorti du port russe, le navire, aux membrures chargés de givre, met la barre au sud en direction de la Chine.
Fin du
“Bataillon Colonial de Sibérie”
Après quelques semaines de voyage, à l’aube du 4 mars 1920, le vapeur atteint le port chinois de Tientsin et où il se met à quai. Les éléments de ce qui reste du bataillons débarquent dans cette ville d’Extrême-Orient et se dirigent vers le cantonnement qui lui est désigné.
Aussitôt installés, les marsouins et bigors sont appelés et réunis dans la cour. Là, étonnés, ils apprennent que par décision administrative le bataillon est dissous le jour même.
Ainsi disparaît de l’ordre de bataille, le “Bataillon Colonial de Sibérie” dont les officiers, sous-officiers, marsouins, bigors, zouaves et tirailleurs tonkinois ont vaillamment remplies avec courage, abnégation et sans faiblir, toutes les missions qui lui ont été confiées et ont été remplies dans des conditions de guerre effroyable, de politiques extrêmement délicate et difficile, et dans des climats très rude pour tous, hommes et bêtes.
Le 5 mars 1920 au matin, les rescapés de la campagne de Sibérie de 1918 à 1920 sont réunis une dernière fois au centre du cantonnement. Pour eux, la guerre est bien finie.
Après un dernier appel, les anciens du “Bataillon Colonial de Sibérie” sont détachés de leurs unités respectives: 9° R.I.C., 3° Zouaves, 4° et 5° R.A.C., puis ils sont rattachés au 16° Régiment d’Infanterie Colonial.
Avec regret, les anciens du 9° Régiment d’Infanterie Colonial ne reverront pas la citadelle d’Hanoi. Mais ils sont toujours dans la famille coloniale restant dans le vaste empire de Chine.
D’après l’Historique du 9° R.I.C.-R.I.Ma. les pertes du “Bataillon Colonial de Sibérie” sont lourdes. Aux combats, il y a 5 tués, 5 disparus, 21 blessés dont 5 mourront de leurs blessures. Il faut ajouter 6 morts de maladie et 26 cas de gelure de pieds. En tout à 21 morts et 42 blessés.



ÉPILOGUE
Cette campagne de Sibérie, effectuée par le “Bataillon Colonial de Sibérie” de 1918 à 1920, clôt ainsi un des épisodes méconnus d’une des actions de l’armée française qui se sont déroulés à travers le monde, faisant suite à la Première Guerre mondiale de 1914-1918.
Ces prolongements de la guerre en Europe centrale et en Extrême Orient ont été les conséquences de la révolution russe de 1917 et du traité de paix de Brest-Litovsk de 1918, qui ont déséquilibrés les forces en faveur des Puissances Centrales.
Révolutions et traités de paix séparés dont les conséquences faillirent retourner le sort des armes contre les Alliés.
Mais c’était sans compter sur l’immense courage et l’incroyable héroïsme de nos valeureux Poilus qui n’ont jamais doutés de la Victoire.

Pourquoi le fanion du B. C. S. porte les dates de “1914-1919?
Pourquoi pas “1914-1918”, les 4 années de la Grande Guerre, ou “1914-1920”, année de son retour de mission en Sibérie.
Explication possible du choix de cette date: 1919 est l’année des dernières opérations militaires du B. C. S. avant son retour sur Vladivostok. “1914-1919” sont les 5 années de “l’état de guerre” où l’armée française a été maintenue sous les armes jusqu’à la signature du Traité de paix de Versailles, le 28 juin 1919.

La thèse du colonel Boulié a été présentée à la faculté de Lettres de Nice
La causerie-débat de M. Borde a été tenue à la Maison du Combattant, à Nice, le 2 avril 2003

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