Recrutés dans les colonies d'Afrique subsaharienne Les Tirailleurs Sénégalais
Les Régiments de Tirailleurs Sénégalais sont constitués de soldats, appelés ou
volontaires, venant de toute l'Afrique de l'Ouest colonisée par la France. Ils
sont issus de tous les peuples et tribus qui habitent ces régions. Les officiers
sont en partie recrutés en métropole. Plusieurs régiments de Tirailleurs
Sénégalais interviennent dans la Campagne de Syrie-Cilicie. Le premier régiment
à arriver sur place est le 17ème R.T.S. Voici ce qu'on lit dans le Journal de
Marche et Opérations de ce Régiment (SHD 34N1096) :
La Création du Régiment
Le 17ème Régiment de Tirailleurs Sénégalais, telle est son appellation à
l'origine, a été formé le 1er avril 1919 en Algérie, par le Colonel DEBIEUVRE.
Trois bataillons de Tirailleurs Sénégalais formant corps tenaient garnison, l'un
à ORLEANSVILLE (Capitaine PICQUET), un autre à TENES (Commandant CORNELOUP) et
le dernier à N'TSILA (Commandant GOETZ).
Ils devinrent respectivement les 1er, 2ème et 3ème bataillons du nouveau
régiment.
Chaque bataillon comprenait 4 compagnies de fusillers voltigeurs et une
compagnie de mitrailleurs, soit un peu plus de 1100 hommes.
Le Colonel DEBIEUVRE s'établit à Orléansville avec son Etat-Major et sa
compagnie hors-rang.
En septembre 1919 le régiment reçut comme 4ème bataillon, un bataillon du 16ème
RTS tenant garnison à Biskra.
L'instruction est poursuivie d'une façon intensive et d'ores et déjà le bruit se
répand que le régiment quittera bientôt l'Afrique du Nord.
Le Départ pour le Levant
L'ordre de départ arrive à la fin du mois d'Octobre.
Le régiment, à l'effectif de 4600 hommes est embarqué en chemin de fer pour
Bizerte où il reste environ 3 semaines, puis est enlevé le 11 novembre et les
jours suivants par les vapeurs "Fukui Maru", "Austria" et "Itu" qui cinglent
vers le Levant.
Les 17, 18,et 20 de ce mois, le régiment débarque à Mersine en Cilicie, et campe
dans la ville.
Le régiment est rapidement réparti dans tout le territoire, à Adana, Marache et
jusqu'à Ourfa et Tell Abiad. Dans les diverses colonne et les garnisons, les
Tirailleurs Sénégalais combattent aux côtés des soldats du 412ème RI et des
Tirailleurs Algériens. Ils sont appréciés de tous, et les diverses citations
décrites dans le JMO (SHD 34N1096) nous permettent de mieux comprendre les
circonstances des combats et l'attitude des soldats.
C'est d'abord vers Harim où les compagnies luttent dans les marais, et où nos
Sénégalais font preuve d'un cran superbe comme en témoigne cette belle citation
obtenue par le tirailleur DIAGODA:
"Excellent Fusiller-Mitrailleur, très courageux, blessé une première fois par
une balle à la poitrine au début du combat du 3 mai 1920, a continué à suivre sa
Compagnie, traversant trois kilomètres de marais avec de la vase jusqu'à
mi-cuisse, refusant d'abandonner son fusil-mitrailleur et déclarant qu'il était
encore prêt à tenir tête au Turc."
"Blessé une deuxième fois au moment où la Compagnie abordait le village de Harim,
n'a rejoint le poste de secours que sur l'ordre formel de son Capitaine."
[Au retour de Marache]
Les étapes sont très dures. A tout moment, un homme tombe terrassé par le froid.
Il se trouve alors des soldats qui, malgré leur épuisement, trouvent dans
l'amour de la France l'énergie nécessaire pour secourir leurs camarades. Le
sergent Sénégalais YANGANA "au cours de la journée du 13 février 1920 transporte
à plusieurs reprises des sénégalais engourdis par le froid les sauvant ainsi
d'une mort presque certaine et provoque l'admiration des officiers de son
bataillon." (Extrait de l'ordre n°1 de la 311° Brigade, le 26 février 1920)
AMADOU-SY, Sergent au 17ème RTS
(Citation à l'Ordre de la Division)
Durant l'attaque du poste de Méidan-Ekbès du 20 août au 6 septembre 1920, a fait
preuve d'un courage et d'un sang-froid remarquables. A été blessé à la jambe, à
la tête de sa section; pansé, a continué son service toute la journée."
PRIGENT Jean, Soldat de 2° classe au 17ème RTS
(Citation à l'ordre du Régiment)
"Jeune soldat, exemple de courage et de sang-froid, pendant la journée du 3
septembre 1920 à Karabara a ramené au poste de secours, malgré un violent feu de
mitrailleuses ennemies, deux de ses camarades grièvement blessés."
SIBIRI Sano, Caporal de la 8ème Compagnie du 17ème RTS
(Citation à l'ordre du Corps d'Armée)
"Le 29 juillet 1920 à Aïn-Tab, un sergent de la Compagnie ayant été blessé et
étant resté sur le terrain à une trentaine de mètres du mur d'enceinte, a tenté
d'aller le chercher. Une mitrailleuse ennemie l'a forcé à se terrer et à
abandonner le blessé. A renouvelé sa tentative trois heures après avec un
sergent d'une autre Cie et deux caporaux, et, a réussi cette fois à ramener le
blessé dans le réduit."
MORO Kientoré, 2° classe du 17ème RTS
(Citation à l'ordre de la Brigade)
"Bon patrouilleur et très bon tireur. Animé d'un grand esprit combatif. Le 17
novembre a mis enfuite un groupe de cavaliers qui s'avançaient vers lui."
MOUHOU DOUBOUGA KOROME, 2° classe au 17ème RTS
(Citation à l'ordre du Corps d'Armée)
"Tirailleur d'un beau courage et d'un sang-froid remarquable. Le 1° Novembre,
s'est élancé le premier à l'assaut d'une position ennemie solidement défendue,
tuant un Capitaine Turc, et mettant le désordre dans les rangs de l'ennemi."
Ainsi, les Tirailleurs Sénégalais se montrent courageux, loyaux, disciplinés,
motivés, durs au combat, capables d'initiatives, intelligents. Par leurs valeurs
morales et par leurs compétences, ils étonnent les soldats de métropole avec qui
ils font équipe. Ce que disent les médias de l'époque est-il vrai? Les
scientifiques qui semblent faire autorité ont-ils bien regardé ces hommes noirs?
Ils disent qu'ils sont de race inférieure
voir bas de la page(*1), à peine plus que des animaux... Les
soldats français commencent à remettre en question les théories racistes
largement répandues à l'époque.
On dit aussi quelquefois que les Noirs sont physiquement supérieurs. Il est vrai
que leur courage pourrait amener à le croire. Malheureusement, dans le froid de
Marache, les Sénégalais souffrent plus que les autres. Et dans la tempête du
retour, le JMO signale que :
....."Huit tirailleurs sont morts de froid en route, quatre-vingt doivent être
amputés des pieds ou des mains pour gelures."
Les Tirailleurs Sénégalais sont plus sensibles aux maladies infectieuses, qui
les fragilisent. Et les antibiotiques n'ont été découverts que pendant la 2ème
Guerre Mondiale! C'est ainsi que j'ai trouvé dans le carton 4H194 une note du
Directeur des Services de Santé, datée du 25 septembre 1920, concernant les
Sénégalais:
J'ai l'honneur de vous rendre compte qu'en exécution de votre transmission
N°6249 du 26 août j'adresse aux Médecins Divisionnaires, aux Médecins Chefs de
groupements, aux Médecins chefs de Place et de Formations Sanitaires les
instructions techniques que vous trouverez ci-jointes.
L'étude méthodique de l'état sanitaire des Troupes noires pratiquée à l'Armée du
Rhin a mis en relief certaines notions dont il est absolument nécessaire de
tenir compte pour assurer la conservation de ces effectifs au cours de la
prochaine saison froide.
Le Sénégalais ne s'accoutume pas au froid, mais peut y résister, s'il est placé
dans certaines conditions de confort et d'hygiène. Ces conditions seront
réalisées à l'A.L. [Armée du Levant] par:
1°/- Le choix des garnisons. - Il y a lieu de ramener les troupes noires vers
les garnisons de la Côte, qui jouissent, en hiver, d'un climat plus tempéré que
les garnisons de l'intérieur en particulier que celles des régions élevées qui
sont à proscrire de façon absolue.
2°/- L'aménagement spécial des cantonnements.- Le logement sous la tente ou dans
les abris de fortune est à interdire formellement pour les Sénégalais pendant
l'hiver.
Le logement sous baraques est acceptable à la condition que celles-ci soient
parfaitement étanches à l'air, à la pluie et à l'humidité.
Partout où la chose sera possible il y aura intérêt à réaliser le cantonnement
de ces troupes dans des maisons en pierre ou en terre (briques crues), dont les
ouvertures seront soigneusement vérifiées.
Les groupements importants sont à éviter, il est préférable de répartir les
hommes par chambres de 15 ou 20 indigènes au maximum; cette division est de
nature à les protéger contre la diffusion des affections pulmonaires qui se
propagent parmi eux avec une grande facilité.
Enfin, quelque soit le type de cantonnement adopté, il sera nécessaire d'en
assurer le chauffage d'abord pour maintenir une température assez élevée (16° à
18°en moyenne) où l'homme pourra se détendre et se trouver à l'aise, ensuite
pour combattre l'humidité et permettre, à l'occasion, le séchage des vêtements
et des chaussures. Ce dernier facteur agit, en effet, de la façon la plus
fâcheuse pour favoriser l'éclosion des maladies chez les noirs, en particulier
les bronchites, pneumonies et gelures.
[...]
3°/- Une dotation spéciale en vêtements chauds.-
[...]
4°/- Une surveillance particulière de l'alimentation.-
[...]
5°/- Des conditions d'exercice spéciales.-
[...]
Les conditions particulières de l'hygiène des Sénégalais en hiver ont pour
conséquence de limiter singulièrement leur utilisation militaire pendant cette
période. Si l'on veut assurer la conservation des effectifs noirs et éviter un
déchet considérable parmi eux, il est donc nécessaire de décider que ces troupes
ne participeront, sauf nécessité absolue, à aucune opération militaire pendant
la saison froide.
L'exemple de la morbidité et de la mortalité considérables observées parmi les
effectifs sénégalais engagés dans les opérations sur MARASH, en Janvier et
Février 1920, est un avertissement qu'on ne saurait oublier.
Beyrouth le 22 septembre 1920
Le Médecin Inspecteur EMILY,
Chef Supérieur du Service de santé de l'A.F.L.
Même si la note est postérieure aux décisions, elle exprime clairement les
précautions que prend l'armée française à la suite du drame de Marache,
préférant orienter les Régiments de Sénégalais vers les régions plus chaudes,
moins montagneuses. Dans le JMO du Commandement Supérieur des TFL (4H45), il est
noté que le 16° RTS termine son débarquement à Alexandrette le 28 mai 1920. Dans
la note indiquant le "Stationnement des éléments de l'Armée du Levant" (4H45),
au 1° juillet 1920, on voit que le 17° RTS est à Killis, Djerablous, Biredjik,
Arab-Punar, Kul Tépé, Tel Abiad et Aïn-Tab, les 10° et 11° RTS sont dans la
région de Beyrouth et au moins un autre RTS dans la région d'Alexandrette.
Cependant, une note des services de santé datée du 26 juillet 1921 précise:
L'état sanitaire défavorable des 10° 11° et 17° Régiments de Tirailleurs
Sénégalais pendant le mois de janvier et de février 1921 n'avait pu manquer
d'attirer l'attention du Commandement et du Service de Santé.
De l'enquête faite à cette époque, il résulte que les tirailleurs avaient été
dotés, dès le début de novembre 1920, de la collection de vêtements chauds
prévus pour les Troupes Sénégalaises par la Note de Service N°7606/45 du 12
Octobre 1920.
La composition de cette collection est la suivante:
2 Chemises en flanelle coton
2 Caleçons en flanelle coton
2 paires de chaussettes de laine
1 Chandail en laine (ou jersey ou tricot)
1 passe montagne ou cache nez
1 paire de moufles en laine.
En outre chaque homme était muni de 3 couvertures.
La nourriture était aussi abondante et variée que possible avec distribution de
boissons chaudes.
Le 10° et 11° Tirailleurs, qui ont le plus particulièrement souffert étaient en
garnison à HOMS et HAMA pour le 10° RTS et DAMAS et DERAA pour le 11°.
Ils occupaient des bâtiments en pierre dans lesquels ils semblaient devoir être
plus efficacement protégés contre le froid.
Mais malgré toutes les précautions, les jeunes tirailleurs (composant en grande
partie l'effectif) arrivés en Syrie depuis quelques mois à peine (septembre
1920), réagissaient mal au froid, faute d'un acclimatement préalable. Ce
contingent comprenait encore au début de l'hiver, un assez grand nombre de
sujets trop jeunes ou malingres, malgré les éliminations faites depuis
l'arrivée.
Dès le mois de décembre, l'état sanitaire avait été fâcheusement influencé par
quelques cas de pneumonies et de broncho pneumonies.
Malgré l'isolement des malades à l'hôpital dès le diagnostic établi, les
affections pneumococciques revêtaient pendant le mois de Janvier et de Février
1921, un caractère épidémique atteignant particulièrement les 2° et 3°
bataillons du 11° Régiment, cantonnés à la caserne turque de DAMAS.
En dehors des prédispositions individuelles spéciales aux jeunes contingents, il
paraît démontré que la propagation de l'épidémie a été favorisée par l'état peu
satisfaisant, à certains points de vue, de la caserne turque.
Vastes chambrées où les chances de contagion étaient accrues, fenêtres fermant
mal, absence de carrelage au rez de chaussée rendant difficiles toutes
désinfections.
[...]
Au Ministère de la Guerre, les prisonniers
français (1920-1921)
A la fin de la Grande Guerre, le Gouvernement Français a envoyé des troupes en
Cilicie pour y construire la paix. L'Empire Ottoman n'existe presque plus, et
les Turcs, vaincus, semblent trop affaiblis et divisés pour pouvoir être pris au
sérieux dans des revendications territoriales irréalistes. C'est ainsi que
l'Armistice de Moudros, et plus tard le traité de Sèvres, leur sont très
défavorables.
C'est avec surprise que Paris observe le mouvement Kémaliste naissant. Les Turcs
sont-ils capables de relever la tête? Faut-il les prendre au sérieux? Sur le
terrain, des hommes tombent, des civils sont massacrés. Peu à peu, Mustapha
Kemal s'affirme comme un fin stratège et un général déterminé. Pourtant, il
reste encore des questions au niveau politique : un général qui sait faire la
guerre est-il capable de gouverner un grand pays dans un contexte international?
Est-il capable de négocier un traité équilibré qui laisse une place à chaque
peuple de la région, et particulièrement aux Arméniens?
Préoccupés par ces questions essentielles, nos gouvernants ont tendance à
oublier les prisonniers français qui sont aux mains des Forces Kémalistes. Les
familles ne les oublient pas!
Comme Florentine, beaucoup écrivent pour demander des nouvelles. Voici une
lettre que j'ai trouvée dans un carton d'archives (SHD 7N4151). Elle est
adressée à Monsieur le Ministre de la Guerre:
V. le 21 mars 1920,
J'ai l'honneur de solliciter de votre bienveillance votre intervention pour me
permettre d'être fixée sur le sort de mon fils
Ernest M. (classe 1918) soldat au 412ème d'Infanterie 1èreCie Mse
Troupes Françaises du Levant
Secteur 606A
dont je suis sans nouvelles depuis la fin de décembre dernier.
Une lettre expédiée à son adresse le 22 Octobre me revient aujourd'hui avec la
mention "Prisonnier" écrite au crayon et une griffe "Retour à l'envoyeur".
Une lettre adressée à son capitaine est également restée sans réponse.
Vous comprendrez, Monsieur le Ministre, les angoisses d'une mère dont le mari
est décédé pendant la guerre, le fils aîné, prisonnier des Allemands en 1915 et
rapatrié en Suisse comme grand blessé et qui se voit encore privée de nouvelles
de son jeune soutien.
Si pendant la guerre il était difficile de renseigner les familles, on ne
s'explique plus aujourd'hui le silence de l'autorité militaire dans les
circonstances actuelles alors que la guerre est terminée depuis plus d'un an.
J'espère donc, Monsieur le Ministre, que votre intervention suffira pour faire
cesser cet état de choses et que bientôt je pourrai connaître la marche à suivre
pour écrire à mon fils et recevoir ses lettres.
Les forces débarquées à Constantinople doivent pouvoir imposer aux Turcs la
libération de nos enfants tombés entre leurs mains et dont nous avions escompté
le retour ces jours-ci.
Veuillez agréer, monsieur le Ministre, l'expression de mes sentiments
respectueux,
Veuve M.
Les premières informations sur les prisonniers français arrivent par télégramme
chiffré de Constantinople le 14 septembre 1920. Elles concernent Madame Mesnil
et quelques autres officiers. Le Commandant Mesnil est mentionné sur une liste
le 17 novembre 1920. Le Croissant Rouge Ottoman communique une listes de soldats
détenus au camp de Césarée le 28 décembre 1920. Elie y figure. D'autre listes
arrivent en complément en avril 1921 et jusqu'en août 1921 pour les prisonniers
de Marache et ceux retenus à Mamouret-ul-aziz (Kharpout), "identifiés par le
relevé des correspondances adressées par eux à leur famille" (SHD 7N4151). Le 2
août 1921, une note fait la synthèse des informations arrivées à ce jour. Elle
émane des services du Général Gouraud et est adressée au Ministre de la Guerre:
Le 2 août 1921,
Monsieur le Ministre de la Guerre,
J'ai l'honneur de vous rendre compte ci-après des résultats du travail effectué
pour la mise au point de la liste des prisonniers de l'Armée du Levant.
Sur l'état nominatif joint à votre bordereau du 6 juillet il a été relevé 90
noms de prisonniers qui étaient inconnus à mon état-major où les listes du
Croissant Rouge datées des 3, 15 et 29 avril ne sont pas parvenues.
Par contre, 75 militaires prisonniers (voir tableau 1 ci-annexé) ne figurent pas
sur votre liste qui comprend 842 noms (au lieu des 906 annoncés dans votre
télégramme du 20 juin). Ce nombre de 842 est à réduire de 177 unités pour les
raisons suivantes:
( - 240 noms différents se rapportent seulement à 110 militaires
( soit en
diminution.......................................................................................130
( - 11 sont décédés en captivité
................................................................... 11
( - 34 n'ont pas été identifiés dans les camps turcs;
( ils n'ont été signalés prisonniers que par leurs chefs de corps
( qui ne possèdent à ce sujet aucune certitude. Ces militaires
( doivent être considéres comme disparus présumés prisonniers ..........34
( - 2 se sont évadés
..........................................................................................
2
( -----------
(
( Total ............ 177
En sorte que le nombre de prisonniers actuellement identifiés est de
(842 plus 75) - 177 soit 740
se décomposant comme suit :
460 Français
248 Algériens
28 indigènes coloniaux
4 Arméniens
Signé PETTELAT
En septembre 1921, ce ne sont pas seulement les familles qui demandent des
nouvelles des prisonniers, comme en témoigne cette note que j'ai trouvée dans
les cartons du Ministère de la Guerre (SHD 7N4151):
Paris le 27 septembre 1921,
NOTE AU SUJET DES PRISONNIERS FRANCAIS AUX MAINS DES TURCS
1° Les Turcs rendent, en ce moment, 20 malades et grands blessés. Rien ne permet
malheureusement de prévoir l'époque de la restitution des 800 hommes et des 7
officiers qui, avec Mme Mesnil (femme du Commandant Mesnil) restent entre leurs
mains.
L'opinion publique et le Parlement s'inquiètent de plus en plus de leur sort.
Depuis quelques temps, les demandes de renseignements émanant d'associations
d'anciens combattants ou d'anciens prisonniers s'ajoutent aux lettres de parents
et de parlementaires.
Il importe donc au premier chef, tant du point de vue de ce qui est dû à ces
hommes qui ont beaucoup souffert matériellement et moralement après avoir
glorieusement fait tout leur devoir que du point de vue de l'opinion publique et
du Parlement que le statut des prisonniers soit réglé avant leur retour pour
éviter des atermoiements qui seraient d'un effet dépolrable.
On a l'honneur de demander, en conséquence, que les décisions proposées dans le
rapport ci-joint soient prises dans le plus bref délai possible.
2° Le Général Commandant le Corps d'Occupation de Constantinople a demandé qu'un
crédit lui soit ouvert afin qu'il puisse faire parvenir de l'argent à ceux de
nos prisonniers qui ne reçoivent rien de leur famille.
Le crédit nécessaire a été évalué à 20.000 francs.
La question a été soumise le 16 septembre au Secrétariat Général qui a fait
connaître téléphoniquement le 27 septembre que les fonds seraient prélevés
partie sur les fonds à la disposition du Ministre (Cabinet 4° Bureau), partie
sur un crédit supplémentaire à demander. La dépense serait toutefois engagée
immédiatement.
On a l'honneur de demander que le Général Commandant le Corps d'Occupation de
Constantinople soit immédiatement informé du crédit qui lui est ouvert afin que
les sommes destinées à alléger leur ... puissent parvenir à nos prisonniers
avant le commencement des froids sur les plateaux d'Anatolie.
Le Chef de la Section d'Orient du 3° Bureau
Signé : VINCENT
(*1)
Une analyse scientifique d'avant 1914 :Des races humaines
Au XIXème et au début du XXème siècles, les théories définissant des races
humaines font l'objet d'un large consensus chez les scientifiques comme chez les
religieux ou les philosophes de tous les pays et de toutes les sensibilités. On
apprend à l'école qu'il y a des races d'hommes. La notion de races humaines est
présente dans tous les textes de cette époque. On la retrouve dans le livre de
géographie de Florentine avec des niveaux d'analyse différents. Pour la France,
on va dans le détail:
La France a été habitée dès une
époque très reculée. Ce sont les premiers habitants qui ont élevé des dolmens et
menhirs qu'on trouve en si grand nombre en Bretagne ou dans le Massif Central.
Depuis lors, de nombreuses races d'hommes se sont établies successivement sur le
sol Français. Les principales sont: les Celtes et les Gaulois, venus longtemps
avant notre ère; les Grecs, établis sur les bords de la Méditerranée; les
Romains, qui conquirent notre pays avec Jules César (50 av. J.-C.); enfin les
Francs, race d'origine Germanique.
Pour l'Afrique, la description générale de la population est plus vague:
On ignore le nombre des habitants de l'Afrique; on l'évalue de 130 à 200
millions.
Ces habitants sont des nègres au centre et au sud, des blancs dans le nord. Les
religions dominantes sont le mahométisme au nord, le fétichisme partout
ailleurs.
Cheval de trait
Le tour de la France par deux enfants chap XXXIV
La notion de race est largement admise. Dans une époque où les sources d'énergie
et les moteurs sont encore la plupart du temps d'origine animale, on se montre
compétent en sachant choisir la bonne race de cheval pour le bon usage. Voici
cette gravure trouvée dans "Le Tour de France par deux enfants", ouvrage
pédagogique très utilisé dans la première moitié du 20ème siècle. La légende qui
l'accompagne dit ceci:
LE CHEVAL DE TRAIT - La France est le pays qui possède les races de chevaux les
plus belles et les plus variées. La meilleure race pour traîner les lourds
chariots est la race boulonnaise, la meilleure pour traîner plus rapidement des
fardeaux moins lourds est la race percheronne; mais la plus élégante et la plus
rapide à la course est la race normande (Calvados)
La transposition à l'être humain s'est faite, pour certains, avec une certaine
innocence, et sans haine. La dérive vers des jugements de valeur sans fondements
solides n'a pu être évitée. Voici une autre gravure dans "Le Tour de France par
deux enfants", et sa légende:
Quatre races d'hommes
Le tour de la France par deux enfants chap LXXV
LES QUATRE RACES D'HOMMES. - La race blanche, la plus parfaite des races
humaines, habite surtout l'Europe, l'ouest de l'Asie, le nord de l'Afrique et
l'Amérique. Elle se reconnaît à sa tête ovale, à une bouche peu fendue, à des
lèvres peu épaisses. D'ailleurs son teint peut varier. - La race jaune occupe
principalement l'Asie orientale, la Chine et le Japon: visage plat, pommettes
saillantes, nez aplati, paupières bridées, yeux en amandes, peu de cheveux et
peu de barbe.- La race rouge, qui habitait autrefois toute l'Amérique, a une
peau rougeâtre, les yeux enfoncés, le nez long et arqué, le front très fuyant. -
La race noire, qui occupe surtout l'Afrique et le sud de l'Océanie, a la peau
très noire, les cheveux crépus, le nez écrasé, les lèvres épaisses, les bras
très longs.
En 1900, il y a un grand débat entre science et foi. La pensée moderne qui
essaye de s'imposer est que la science va bientôt tout expliquer et l'Homme
n'aura plus besoin de Dieu. Les marxistes ne sont pas seuls à le penser.
La science encore balbutiante a déjà permis de grands progrès. Les connaissances
en génétique permettent aux agriculteurs de sélectionner les animaux
reproducteurs pour améliorer leur cheptel et augmenter leur productivité. De
même pour les plantes. Produire plus en travaillant moins, quelle chance!
Pourquoi ne pas appliquer ces nouvelles connaissances à l'Homme? Si, comme pour
les animaux, on interdisait aux individus tarés de se reproduire, on
améliorerait la race, et on pourrait dominer le monde!
Sinon, faudra-t-il accepter d'être dominé par une race supérieure?
Il faut dire que la révolution industrielle avait mis beaucoup d'ouvriers dans
la misère. Alcoolisme, maladies infectieuses, tuberculose faisaient des ravages
chez les pauvres. Emile Zola le raconte dans ses romans. Certains parlent alors
de dégénérescence de la race.
A la fois pour justifier les pratiques coloniales de l'époque et pour être sûr
de ne pas prendre de retard, une science nouvelle fait son apparition :
l'anthropométrie. Dans une article paru dans la revue Gavroche, revue d'histoire
populaire, (n°156, octobre - décembre 2008) David Vinson explique:
Pour l'anthropologie physique et son outillage anthropométrique, le monde est
composé d'«entités raciales» régies par la concurrence et la domination. Dans le
contexte esclavagiste du XIXème siècle la tentation est alors grande de
justifier par les corps la prétendue inégalité entre les «races». Des
extrémistes anglo-saxons comme Knox, Nott, Gliddon, Morton ou Carus,
s'attachent, dans un dessein politique et social (légitimer l'idéologie
ségrégationniste et la pratique de l'esclavage), à démontrer l'inégalité
originelle et naturelle entre tous les groupes humains. L'universalité de
l'espèce humaine est ainsi niée au profit de la hiérarchisation et d'une
éternelle séparation entre les hommes sur les plans biologique, intellectuel et
moral. Ce postulat laisse libre cours aux préjugés comme chez Haeckel dont
l'argumentation relève ici bien plus de l'a priori que de la science : « Si l'on
voulait à tout prix établir une limite bien tranchée, c'est entre les hommes les
plus distingués et les sauvages les plus grossiers qu 'il faudrait la tracer, en
réunissant aux animaux les divers types humains inférieurs. Cette opinion est en
effet celle de beaucoup de voyageurs... Un Anglais, qui a beaucoup voyagé et
séjourné longtemps sur la côte occidentale de l'Afrique, écrit ceci : A mes
yeux, le Nègre est une espèce humaine inférieure ; je ne puis me décider à le
regarder comme homme et comme frère; car alors il faudrait aussi admettre le
gorille dans la famille humaine ». Dans une perspective différente,
l'argumentation colonialiste française va également utiliser des modèles
idéologiques qui procèdent d'un mécanisme d'intériorisation de l'autre alimenté
par la certitude d'une mission civilisatrice. L'anthropologie se veut science
appliquée au service de l'idée coloniale, car pour dominer le colonisé il faut
le représenter, le recenser, le mesurer, le classer. L'anthropométrie doit donc
permettre une meilleure connaissance des « races » colonisées, justifier le
principe de domination et optimiser l'exploitation. Dans un ouvrage de
référence, l'anthropologue français Paul Topinard en évoque non sans cynisme le
« côté pratique » : « Les peuples civilisés vont partout se substituant aux
races sauvages ou s'imposant à des peuples moins belliqueux ; pour cela, les
gouvernements n'ont de choix qu'entre deux systèmes; les anéantir ou les
rallier. Le premier, malgré quelques exemples récents n'est pas admissible. Le
second est réalisable à la condition de comprendre le génie propre du peuple
vaincu, ses aptitudes et jusqu'à la nature de sa race [...] or c'est
l'anthropologie qui apprend à les reconnaître ».
Si les enjeux apparaissent idéologiques, les pratiques et les méthodes se
veulent néanmoins scientifiques car il n'y a de science que dans le mesurable.
L'anthropométrie est donc chargée d'apporter les données numériques permettant
de dépasser les lieux communs populaires et les simples spéculations des
vulgarisateurs à l'exemple du médecin Louis Figuier reprenant une théorie (déjà
obsolète à l'époque) de la coloration de la peau : « L'influence de la chaleur
et du climat pour modifier la coloration de la peau est un fait certain [...]
l'homme blanc européen transporté au cœur de l'Afrique, ou sur les côtes de la
Guinée, revêt dans sa descendance, la coloration brune de la peau du nègre [...]
les Nègres transportés dans les pays septentrionaux donnent une descendance de
plus en plus pâle, qui finit par être blanche ». En opposition totale avec une
telle approche, l'anthropométrie, par ses méthodes et ses mesures objectives et
rationnelles des hommes, prétend dépasser le subjectif et apporter un
cautionnement scientifique à l'étude des «races humaines».
David Vinson, dans son article, montre à quel point, quand ils rentraient dans
le détail, les scientifiques de l'époque avaient des difficultés à se mettre
d'accord sur une théorie cohérente et vraisemblable. Il conclut:
Le déterminisme biologique a donc engendré les doctrines racistes
contemporaines, mais sur une base totalement erronée car, comme le souligne
aujourd'hui le généticien Albert Jacquard, la notion de «race» est obsolète et
n'a aucun fondement biologique : « Les individus de l'espèce humaine sont fort
différents les uns des autres[...] il est impossible de tracer des frontières
permettant de regrouper ces populations en classes distinctes » ; autrement dit,
il n'y a qu'une seule race humaine ... ou plus de six milliards.
Bien sûr, dès le XIXème siècle, il y a des gens qui ne sont pas d'accord pour
améliorer les races humaines comme on le fait pour les races animales. Par
exemple, les petites gens comme Elie qui a une sœur handicapée. On la dit
"tarée"; est-elle dégénérée?
Moi qui l'ai connue, je sais qu'elle avait une intelligence, une vivacité
d'esprit, un sens de la communication avec les autres tout à fait normaux et
positifs! Elle était aimée de toute sa famille. C'était un être humain à part
entière!!
Et puis il y a quelques philosophes humanistes ou prolétariens, quelques
croyants et des médecins qui réfléchissent différemment. Ceux-là pensent que les
conditions sociales sont à l'origine de tous ces phénomènes dits de
dégénérescence et que l'organisation de la société doit être améliorée, la
médecine doit progresser. Mais ils sont pris de court par l'argumentation aux
allures scientifiques si logiques, et leur réponse a du mal à convaincre face
aux "vérités" apprises à l'école. Beaucoup se mettent cependant à l'action pour
améliorer les conditions de vie et de travail, éduquer le peuple et lui rendre
l'espérance. Mais les résultats sont lents à obtenir, et ils coûtent beaucoup
d'efforts de tous.
Est-ce parce qu'il avait des contacts internationaux, ou parce qu'il voyageait?
Ou est-ce à cause de l'affaire Dreyfus? Comme nombre de ses camarades imprégnés
par les idées socialistes ou les courants de pensées de la Révolution Française,
Jaurès n'était pas à l'aise avec ces analyses pseudo - scientifiques. Il le dit,
même si son désaccord reste timide:
Je n'aime pas les querelles de race, et je me tiens à l'idée de la Révolution
française, si démodée et si prudhommesque qu'elle semble aujourd'hui, c'est
qu'au fond il n'y a qu'une race : l'humanité
DE L'EUROPE A L'AFRIQUE
Au début de l'année 1942, les Tirailleurs sénégalais de l'AEF et de l'AOF
constituaient la grande majorité des forces gaullistes en Afrique du nord. Ils
allaient devoir se battre contre l'armée du général allemand le plus stratégique
et le plus efficace sur un terrain de combat : le général Erwin Rommel.
Attaques et contre-attaques sont alors le quotidien de ces hommes de la première
BFL sous le commandement de la huitième Armée des britanniques. 1000 Tirailleurs
sénégalais originaires de tout l'empire français se trouvent dans les 2ème et
7ème Bataillons de la première BFL. Du 26 mai 1942 au 22 octobre, les combats ne
s'arrêtent pas. Les positions de Bir Hakeim et El Alamein sont farouchement
défendus par les forces de l'Axe. La France Libre devint ainsi « France
combattante » et les Tirailleurs sénégalais ont une grande part dans ce nouveau
statut de la France qui lui assure la respectabilité qui lui faisait défaut chez
les alliés.
Ensuite, sans les forces françaises, les Américains et les Anglais lancent
l'opération Torch ( invasion de l'Afrique du nord) le 8 novembre 1942. Au moment
où les Allemands occupent la France de Vichy ( zone libre), Darlan rencontre le
Général Eisenhower à Alger. Les forces françaises à Alger et au Maroc deviennent
alors gaullistes. Désormais, la France Libre dispose d'une forte armée, équipée
par les Alliés de matériels modernes. Dotés d'uniformes américains, réintégrés
dans de nouveaux bataillons, les Tirailleurs sénégalais sont alors difficilement
identifiables. Ils sont certainement très représentés au sein des cinq
bataillons de marche qui participèrent aux opérations.
A la nouvelle de la prise de l'Afrique du nord par les alliés, le Gouverneur
Boisson commence à être pris de vitesse. Malgré l'ordre du Maréchal Pétain de
n'accepter d'ordre que de lui, l'AOF va passer sans un coup de feu dans le camp
allié. Trente mois après la débâcle, l'AOF va ainsi reprendre les combats.
Cependant, beaucoup de colons d'AOF, gagnés à la cause fasciste auront du mal à
accepter le général De Gaulle comme nouveau maître de l'empire.
1. De l'île d'Elbe à l'Alsace :
Aucune unité de Tirailleurs sénégalais ne participe à l'invasion de la Sicile
entre le 9 juillet et le 18 août 1943. En corse, il y aura cependant quelques
RTS. Ce fut pour la libération de l'île d'Elbe que les Tirailleurs sénégalais
sont utilisés en force. Au sein de la 9ème DIC141(*) comprenant les 4ème, 6ème
et 13ème RTS se trouvaient plus de 11 000 tirailleurs sénégalais surtout
originaires d'Afrique de l'ouest. Les 17 et 18 juin, ils débarquèrent sur l'île
et le 19 juin, celle-ci est sous leur contrôle :
« Nous avons embarqués à bord du Pasteur le 27 septembre 1943 pour Casablanca où
nous avons reçu une intense préparation militaire avant de partir pour
l'Algérie. De là, nous avons débarqué en Corse. Beaucoup de sénégalais mouront
pour la libération de la corse. J'ai vu De Gaulle à cet endroit », confirme M.
Cissé du 9ème DIC, 18ème RTS. 250 Tirailleurs sénégalais meurent sur l'île,
affirme t-il. Laissant sur place le 6ème RTS pour la garde du millier
d'allemands faits prisonniers, la 9ème DIC est transférée en Corse pour
participer au débarquement de Provence en compagnie du 16ème RTS.
L'opération « Enclume » doit permettre aux alliés de prendre l'ennemi entre deux
feux. La première Armée française commandée par le général De Lattre de Tassigny
et la septième Armée américaine commandée par le Général Patch, débarquent alors
sur la côte de Provence entre Toulon et Cannes. La 9ème DIC, la troisième DIA et
la première DMI vont ainsi participer à la libération de Toulon. Les Allemands
de la 19ème Armée du général Weise se battent avec l'énergie du désespoir.
Jusqu'à la libération de Paris le 23 août, les combats vont être acharnés tant
les Allemands ne veulent pas laisser Toulon aux mains des alliés. Le 28 août
1944, Toulon tombe enfin aux mains de la 9ème DIC tandis que Marseille est
libérée par les régiments algériens et tunisiens. L'opération Enclume fut un
succès total.
Le 3 septembre, la première Armée de De Lattre de Tassigny libére Lyon mais le
général Weise réussit à sauver la moitié de son armée en quittant les lieux
avant l'arrivée des Alliés. Le 10 septembre, les Français entrent à Dijon. Le
Général Devers prend alors le contrôle des deux armées ( 36ème Division
américaine et première Armée française) ; Les Américains prennent alors le
chemin de Strasbourg tandis que les Français prennent le chemin de Belfort.
L'opération « Indépendance » lancée le 24 octobre pour la prise de Belfort fut
menée par le 21ème RTS ( fusion entre le 4ème et le 6ème RTS), les Goums et
Thabors marocains, les DMA algériens au sein de la Première Armée. Le 20
novembre, après de rudes combats, des troupes de la Première Armée entrent à
Belfort. Cependant, plusieurs RTS sont « blanchis » par De Gaulle dès cet
instant par l'incorporation des maquisards et résistants dans les RTS.
2. Le « blanchiment » des RTS :
« Comme l'hiver dans les Vosges comportait des risques pour l'état de sanitaire
des noirs, nous envoyâmes dans le Midi les 20 000 soldats originaires d'Afrique
centrale et d'Afrique occidentale qui servaient à la 1ère DFL et à la 9ème
Division coloniale. Ils y furent remplacées par autant de maquisards qui se
trouvèrent équipés du coup »
La circulaire ministérielle N° 890 / KMCG/1 du 27 octobre 1944 indique que les 3
RTS de la 9ème DIC, sont transformés en régiments européens, des changements
d'appellation s'imposaient et que le 6ème RTS devenait à partir du 1er novembre
1944, le 6ème RIC. Le chef d'escadron Gilles Aubagne analysait ce retrait dans
un article d' « armées d'aujourd'hui » :
« Il faut prendre en compte d'une part l'état d'esprit des troupes noires, liés
aux prémisses de la décolonisation, et d'autre part le rôle politique prêté aux
français de l'intérieur, pour analyser ce retrait ».
De Gaulle avait personnellement pris cette décision, hautement politique. Il
voulait en fait intégrer toutes les forces françaises ( anciens vichystes,
résistants, forces libres), en une seule armée qui participerait à la défaite
ultime de l'Armée allemande. Il faut dire que cette décision, même ingrate
envers les Africains était justifiée. Ainsi les RTS qui avaient connus les durs
combats de la libération de la France depuis la Provence jusqu'en Alsace sont «
blanchis ». Ils perdent jusqu'à leur nom en devenant des Régiments d'Infanterie
Coloniale ( RIC) ; Certains Africains refusèrent cependant de partir dans le
Midi et se portèrent volontaires pour poursuivre la guerre.
Les Africains indigènes accueillirent cette décision avec enthousiasme :
« Il faisait un froid terrible à Belfort mais heureusement que les Français
décidèrent de prendre la relève » dit M. Kane. N'ont-ils pas déjà assez donné
dans cette guerre ? De Gaulle avait certainement raison pour beaucoup d'entre
eux mais derrière cette décision se cachait la volonté de vaincre l'Allemagne
par une Armée française et blanche et non par les « schwarze schande ».
Cette politique de retrait des troupes coloniales durant l'hiver était cependant
fréquente pendant la Grande Guerre. De Gaulle a pu ainsi présenter sa politique
de « blanchiment » de l'armée comme une simple application de la politique
traditionnelle de l'armée française. Mais comme le prouve la lettre N°
544/PS/8ème RTS, des troupes noires ont quand même été utilisées durant le froid
:
« Envoyer en février des Tirailleurs sénégalais convoyer des trains en Alsace et
dans l'Isère avec un seul couvre-pied est une erreur dangereuse dont je
n'accepte pas la responsabilité »
Ainsi, la préservation des troupes noires des rigueurs du climat n'est peut-être
pas la seule raison du retrait de ces troupes de la zone des opérations à
l'automne 1944, puisque des troupes noires sont tout de même utilisées en hiver
dans des zones très froides.
Alors que les noirs au nom de la France se soient battus corps et âme, voilà que
tout à coup, l'administration française voit la noirceur de leur peau. En effet,
après la libération des Tirailleurs sénégalais prisonniers des camps allemands,
De Gaulle refuse de confier la garde des prisonniers allemands aux Tirailleurs
sénégalais afin d'éviter la vengeance des noirs contre les Allemands qui après
tout, étaient des blancs. Cette décision qui était peut être logique, vu
l'ampleur des massacres de noirs africains par les Allemands, n'en reste pas
moins révélatrice. Elle montre que désormais la France ne considère plus les
Africains comme des militaires mais comme des mercenaires, « faisant d'eux les
dogues noirs de l'Empire 155(*)». D'ailleurs, les Africains n'avaient pas
d'énormes rancoeurs envers les Allemands. Ils avaient déjà réussi à libérer les
Allemands de leurs préjugés et de leur haine pendant le temps de leur
incarcération.
3. Noirs d'Afrique, noirs des Antilles :
Les premiers français s'installent aux Antilles en 1635. Une politique
d'assimilation intense marquée par une aliénation due à l'esclavage fera des
antillais de vrais « Neg' blanc ». Le général de Gaulle s'exclame en 1966 lors
d'une visite à Fort-de- France ( en Martinique) « Mon Dieu, comme vous êtes
français ». C'était certainement le meilleur compliment qu'on pouvait faire à
ces anciens esclaves dont le modèle est celui du maître français. Il faut dire
que les Martiniquais et Guadeloupéens sont français depuis le règne de Louis
XIII (1610-1643), bien avant les Niçois et les Strasbourgeois.
« La République n'entend plus faire de distinction dans la famille humaine. Elle
répare envers ces malheureux le crime qui les enleva jadis à leurs parents, à
leur pays natal, en leur donnant pour patrie la France et pour héritage tous les
droits du citoyens français, et par là , elle témoigne assez hautement qu'elle
n'exclut personne de son immortelle devise : Liberté, égalité, fraternité. »
dira Victor Schoelcher ( 1804-1893). Auparavant, l'assimilation prônée par le
député François Antoine de Boissy d'Anglas avait fait ses preuves. Les Antilles
furent « assimilées en tout aux autres parties de la république ».
L'assimilation devint un moyen de promotion individuelle et une chance de
renverser les barrières raciales. D'ailleurs, la carrière de Félix Eboué
témoigne de la participation des élites Antillo-guyanaises à l'encadrement de
l'Empire colonial.
La question de l'assimilation ne se limitait pas aux rouages de
l'administration. Elle allait bien au- delà du statut politique : elle mettait
en cause l'identité même des Guadeloupéens et des Martiniquais. Elle passait par
une dévalorisation de tout ce qui n'est pas européen dans la culture antillaise
en particulier les origines africaines ou l'appartenance au monde caraïbe.
L'objectif était de pousser les antillais à dire « je ne suis pas différent de
vous ; Ne faites pas attention à ma peau noire : c'est le soleil qui m'a brûlé.
» Aujourd'hui encore, les jeunes générations antillaises sont marquées par cette
« francisation » à outrance et un grand fossé les séparent des Africains qui
sont pourtant leurs frères.
Nous avons vu plus haut qu'au sein même des Africains, les « citoyens » tenaient
à marquer leur différence des « indigènes ». De même, les Antillais tiennent à
marquer leur différence de ces noirs d'Afrique pour qui ils n'ont que mépris.
Ils parlent un français clair, sont soldats et citoyens français et puis ne
sont-ils pas plus évolués que ces « sauvages » des savanes qui ont vendu leurs
ancêtres.
Il y eut de graves incidents entre Africains et Antillais. Même si certains
Antillais cherchent à se rapprocher des Africains, beaucoup d'autres n'ont que
mépris pour eux. Les Tirailleurs sénégalais, en réaction à ces comportements de
mépris les classèrent très vite dans la catégorie de « blancs à peau noire ».
Les incidents violents et mortels parfois qui éclatèrent après la guerre entre
Antillais et Africains en témoignent. Il faudrait cependant comprendre les
Antillais qui ont subi plus encore que les Africains le poids de l'assimilation.
L'esclavage est très certainement plus lourd à guérir que la colonisation. Le
rejet des Africains s'expliquent surtout par l'illusion d'un statut meilleur et
privilégié que les Antillais ne veulent pas perdre. Beaucoup d'Antillais, lors
du « blanchiment » de l'armée refusent d'arrêter la guerre et se portent
volontaire. Ils ne voulaient pas être mêlés aux Tirailleurs sénégalais. Senghor
et Aimé Césaire montreront plus tard que les Antilles et l'Afrique ont au fond
les mêmes problèmes et qu'ils ont tout intérêt à se comprendre. Ce qui est
certainement vrai.
4. Le modèle américain :
L'armée américaine fit une forte impression sur les noirs d'Afrique.
Anticolonialistes, les Américains ont l'intention (non dissimulée) de pousser
les Africains à se libérer du joug de la colonisation. Au lendemain du
débarquement en Afrique du nord, les avions américains larguèrent des
traductions en arabe de la Charte de l'Atlantique. Les soldats américains auront
pour première préoccupation de se mêler à la population leur offrant cigarettes
et rations alimentaires. Ils vont même jusqu'à soutenir les troupes coloniales
lors de révoltes.
L'administration française s'inquiète beaucoup des liens d'amitié que les
Tirailleurs avaient établis au combat avec des soldats américains noirs et
blancs. Les américains blancs, qui auraient certainement faits des émeutes dans
leur propre pays si on les avait mis dans les mêmes unités que les noirs,
dorment, mangent et boivent aux côté des soldats africains. Ils prennent
beaucoup de plaisir à « ces plaisirs exotiques » comme le constate N.Lawler. Les
Tirailleurs étaient très fiers des soldats noirs américains qui pouvaient être
pilotes et même officiers. La sympathie qu'ont les Américains blancs à l'égard
des Tirailleurs sénégalais peut s'expliquer par le fait qu'ils n'avaient pas
souvent l'habitude de discuter avec un noir aux Etats-Unis. Les Tirailleurs
sénégalais qui ne savent rien de la ségrégation aux Etats-Unis n'ont aucun mal à
discuter avec les blancs. D'ailleurs, pour une fois qu'ils peuvent avoir des
amis blancs ! Comme quoi, le racisme s'explique plus par une incompréhension et
des préjugés que la couleur de la peau.
En fait, au contact des différentes armées alliées, les Tirailleurs ont compris
toute l'injustice de la France dans les Colonies. Ils ont vus qu'un noir peut
être l'égal du blanc et que le rapport entre noir et blanc ne se limite pas au
rapport d'autorité et de commandement. Ils ont en plus la satisfaction d'avoir
participé à une glorieuse succession de victoires militaires ayant conduit à la
capitulation de l'Allemagne nazie. En AOF et en AEF, un nouveau type d'homme est
en train de naître.
Le modèle anglo-saxon était différent du modèle français. Les Américains et les
Anglais donnaient en effet plus de chance d'évolution dans la carrière militaire
que les Français. Il n'y avait pas autant de ségrégation. Même si celle ci
existait en réalité, elle n'était pas très visible. A force d'effort, le soldat
noir anglais ou américain pouvait être officier ou pilote. Le soldat africain
pouvait au plus espérer (comme nous l'avons vu dans le deuxième chapitre) le
grade d' « officier indigène ».
Les troupes américaines stationnées à Dakar jouissaient d'ailleurs d'une forte
popularité auprès des Sénégalais. Au Cameroun, un groupe d'infanterie français
en tenue américaine fut huée après que les Camerounais se rendirent compte
qu'ils n'étaient pas américain. Certains Africains commençaient à croire que la
France vendrait ses Colonies aux américains, ce qui soulève beaucoup
d'enthousiasme auprès des Africains « évolués ».
Les Américains n'avaient certainement pas de vue sur l'Afrique mais étaient
contre la colonisation qu'ils ont eux même subis. Ils menèrent d'ailleurs une
grande propagande auprès des Africains pour les libérer du joug de la
colonisation.
5. Le retour des braves :
« J'ai longtemps erré et je reviens vers la hideur désertée de vos plaies». La
plaie reste malheureusement béante pour les Tirailleurs. Ce qui les attend en
Afrique est pire que la guerre. « La négraille aux senteurs d'oignon frit
retrouve dans son sang répandu le goût amer de la liberté 163(*)». La France va
alors montrer toute son ingratitude aux Tirailleurs africains.
La plupart des Tirailleurs sénégalais interrogés à Dakar ne quittent la
Métropole qu'en 1946 au plus tôt. Certains restent même en France jusqu'en 1947.
C'est que l'Etat-Major français voulait rapatrier en priorité les prisonniers de
guerre, particulièrement irrités. Mais le manque de moyens et surtout de bateaux
vont poser aux autorités un véritable casse-tête. L'ordre fut d'ailleurs donné
de disperser les Tirailleurs dès leur arrivée à Dakar par René Pleven alors
Ministre des Colonies. Le Gouverneur-général Cournarie fit tout son possible
pour garder le moins longtemps possible les Tirailleurs à Dakar mais les moyens
faisaient défaut. Mais le principal problème fut la question des primes. En
effet, les Tirailleurs s'attendaient à recevoir leurs primes dès leur arrivée,
au lieu de ça, on leur remis 1000 francs en leur assurant que le reste les
attend dans leurs villages. Certains attendent toujours. A cela va s'ajouter la
dévaluation du franc français qui ne vaut plus que la moitié du franc
ouest-africain. Les Africains se sentirent lésés, ne comprenant pas cette
situation monétaire qui répondait à des calculs économiques fort complexes.
Si certains Tirailleurs très avertis reviennent en Afrique avec beaucoup
d'argent ( ils avaient su profiter du marché noir), beaucoup y reviennent sans
un sou. L'administration ne tenta pas de confisquer l'argent de ces Tirailleurs
qui avaient su profiter si bien du système imposé par la guerre. Mais sans se
soucier de la peine qu'il pouvait causer aux Africains, De Gaulle leur retire
leur uniforme en réquisitionnant systématiquement tous les uniformes des
Tirailleurs démobilisés, y compris les anciens combattants de la Libération.
Certains retournent alors dans leur village avec une chemise et un pauvre
pantalon. En Côte d'Ivoire, l'administration va jusqu'à leur reprendre les
cadeaux qu'on leur avait offert en France.
Les Africains noirs qui avaient combattus aux côtés des britanniques164 en
rejoignant la Gold Coast sont plus chanceux. Les Britanniques vont se soucier de
leurs hommes jusqu'à leur retour. Ils reçoivent intégralement leurs primes et
leurs soldes jusqu'au dernier shilling.
C'est donc ainsi que la France remercia les Tirailleurs sénégalais pour leur
sacrifice. Ceux qui avaient survécu à la défaite, à de longs mois de captivité ;
qui avaient libéré la France découvrent que la Mère-Patrie attendait d'eux
qu'ils s'évanouissent dans la nature sans mot dire, sans causer d'ennui, sans
compensation. « Orphée errant, le nègre est ainsi condamné à une ascèse
permanente, à une lutte constante, à un mouvement, à une tension qui ne
finissent jamais » dit Thomas Melone
Source: Nicole ROUFFIAC