Technologie et art militaire lors des
opérations extérieures de l’armée française
L'armée française a une expérience ancienne des guerres coloniales, des
décolonisations et aujourd'hui des opérations extérieures. Il paraît donc
intéressant de rappeler ce qu'ont été les technologies militaires mises en œuvre
autrefois, de les comparer à celles mises en oeuvre actuellement, et de voir si
certaines techniques anciennes sont encore utilisées ou ont été éliminées par le
progrès scientifique. La conclusion soulignera l'influence de la technique sur
la tactique et sur l'organisation des unités.
La monarchie française a possédé une Empire colonial, en particulier en Amérique
du Nord, qu'elle a perdu lors du traité de Paris de 1763, et récupéré en partie
en 1814 ; il n'est pas étudié dans cet exposé. Au XIXe siècle, la colonisation
française se réfère à l'idéologie des Lumières, exprimée par Victor Hugo : «un
peuple éclairé va trouver un peuple dans la nuit».
Cet exposé se limite aux conquêtes coloniales du XIXe siècle, aux
décolonisations du XXe siècle et aux opérations extérieures qui ont commencé
dans les années 1950 et se poursuivent au XXIe siècle.
Les conquêtes coloniales
La conquête de l'Algérie, de 1830 à 1849, se poursuit jusqu'en 1891 par
l'occupation du Sahara. Des années 1840 aux années 1890, la colonisation
française se développe en Afrique noire, en Tunisie, en Indochine et dans les
océans Indien et Pacifique. Le protectorat du Maroc est établi en 1912, et des
mandats sont confiés à la France après la guerre de 1914-18 (Togo, Cameroun,
Liban et Syrie).
L'Algérien Mohammed Harbi écrit que «l'armée d'Abd-el-Kader est vaincue par une
armée supérieurement équipée». Contre la cavalerie algérienne, très mobile et
agressive, des lignes de blockhaus sont édifiées en 1832 et 1840. Les fusils
mokhala de fabrication locale, utilisés de façon désordonnée, sont inférieurs
aux fusils français modèle 77 et surtout 1842 à percussion, et à la carabine
rayée de 1837.
À l'occasion de deux trêves, des accords secrets ont sans doute permis à l'émir
de recevoir des armes modernes, mais il dispose de peu d'artillerie, et la
poudre des munitions est de mauvaise qualité, alors que Bugeaud dispose du
système d'artillerie Valée et des canons Gribeauval. Enfin Abd-el-Kader n'a pas
de logistique organisée.
Un des procédés utilisés est celui de la razzia, qui prive l'ennemi de ses
ressources alimentaires. Les colonnes mobiles de Bugeaud alternent le feu et le
mouvement, et ses formations en losange désorganisent l'armée marocaine à la
bataille de l'Isly. «La sauvagerie des indigènes, selon Daniel Rivet, rejaillit
sur l'occupant par effet de contagion mimétique».
Le recrutement de soldats et de supplétifs locaux, l'utilisation de mulets pour
le transport, et de dromadaires pour le combat en zone saharienne, renouvellent
les procédés mis en œuvre par Bonaparte en Égypte. Des Bureaux arabes initient
au progrès les populations.
Sur le théâtre marocain en 1912, la supériorité de l'armement se confirme. Le
fusil Lebel à tir rapide de 1886, le mousqueton de 1892, les mitrailleuses
Hotchkiss, les canons de 65 et 75 mm réalisent des portées doubles de celles des
armes antérieures.
Lyautey, à l'école des principes de Gallieni, progresse en tache d'huile en
évitant les destructions, et en multipliant le recours aux goumiers et aux
officiers des Affaires indigènes ; pour lui, quatre médecins valent quatre
compagnies d'infanterie. En 1925, la guerre du Rif pilotée par le maréchal
Pétain met en œuvre les blindés et l'aviation qui ont été expérimentés en 1917.
En Afrique noire, les comptoirs côtiers sont protégés par des fortins en bois
contre les incursions des potentats locaux qui disposent d'armes de traite
modernes. Le général Faidherbe, ayant l'expérience de l'Algérie, est le
pacificateur du Sénégal de 1854 à 1863. Il construit un fort à Médine, base
avancée à 600 km à l'est pour les expéditions vers le Soudan. Il forme les
unités d'élite des tirailleurs sénégalais et crée pour les enfants des notables
une école des otages, destinée à former les futurs administrateurs.
Dans les années 1890, des expéditions pénètrent en profondeur jusqu'au Tchad et
au Nil (Opérations Foureau-Lamy et Marchand : en 1896, le colonel Marchand
traverse l'Afrique d'Ouest en Est en passant par Fachoda ; avec 150 soldats, il
parcourt 7.500 km en deux ans et demi) ; leur logistique repose sur le recours
aux pirogues et aux porteurs. À Madagascar en 1896, Gallieni applique les
procédés de pacification qu'il a mis au point en Indochine.
Lors des guerres mondiales, les troupes indigènes, et en particulier les tabors
marocains, deviennent des unités classiques disposant de toute la technologie
moderne des armements d'infanterie.
Contre-insurrection
Les guerres d'Indochine, d'Algérie, et les combats du Maroc et de Tunisie ont
débuté par des insurrections nationalistes. Ce sont pour la France des guerres
post-coloniales ou de décolonisation, pour les nationalistes des guerres de
libération, d'indépendance et des révolutions politiques. Ayant duré de 7 à 9
ans, ces conflits asymétriques, où prédominent la guérilla et le terrorisme,
sont dénommés à tort conflits de basse intensité, car des batailles de type
classique ont été conduites sur la Route coloniale n°4, à Na San, à
Dien-Bien-Phu, et sur la frontière tunisienne (bataille de Souk-Ahras).
Guerre d'Indochine
La guérilla du Vietminh débute en 1946 avec des armes livrées par les occupants
japonais et par les service américains, avant d'être alimentée massivement par
la Chine de Mao-Tse-Tung. Grâce à ce renforcement, la guérilla généralisée se
transforme en corps de bataille de 125.000 hommes, contre lequel le Corps
expéditionnaire français d'Extrême-Orient, composé de soldats de métier, de
légionnaires et de troupes coloniales se trouve en infériorité numérique, dans
un terrain difficile, où la forêt montagneuse, la brousse dense et les marécages
constituent les deux-tiers du territoire. La montée en puissance d'unités
autochtones, et l'armement de maquis dans les minorités montagnardes,
contribuent au contrôle en surface, tandis que l'aide américaine permet peu à
peu d'assurer le recomplètement des armes et des munitions.
Dans cette guerre sans front, le commandement français réagit avec le maximum
d'efficacité et résiste à la pression communiste en mettant en œuvre des moyens
technologiques avancés :
- la recherche électromagnétique lui permet de suivre les grandes unités
adverses et de suppléer à la carence du renseignement local ;
- la construction de tours et de points d'appui fortifiés assure la protection
du delta tonkinois contre les incursions rebelles, grâce à l'appui d'une
artillerie de position et d'intervention permanente et instantanée ;
- 18 groupements mobiles interarmes (dont 7 vietnamiens) ont pour mission de
«casser du Viet», en bénéficiant de l'appui des blindés et de l'aviation (4
groupes de chasse et 4 de bombardement). 14 bataillons parachutistes motivés
(dont 8 vietnamiens) effectuent 150 opérations aéroportées et mettent au point
une doctrine d'emploi adaptée à la menace adverse ;
- le regroupement des populations contribue à la pacification et à l'action
psychologique. Les hiérarchies parallèles du Vietminh sont mises en évidence.
Des formes non orthodoxes de combat participent à l'action : commandos d'action
en profondeur, groupements amphibies équipés de crabes M29C et alligators LVT4,
dinassauts [divisions navales d'assaut] d'action côtière et fluviale (2 LCM et 4
LCVP), bataillons légers vietnamiens, aviation légère d'observation
d'artillerie, escadre d'hélicoptères (25 Hiller et 25 Westland en 1952 - 9.640
évacuations soit deux tiers des blessés), lucioles d'éclairage nocturne, réseau
de transmissions performant, groupe d'exploitation de l'Intendance, recours
accru au personnel féminin (4.200 radios, plieuses et ambulancières).
Le système des bases de manœuvre permet de fixer et détruire les grandes unités
ennemies ; c'est un succès à Na San qui est évacué par surprise, mais un échec à
Dien-Bien-Phu où 60.000 vietminh, ravitaillés par des milliers de coolies en
bicyclette, et par camions chinois, grignotent la position tenue par 15.000
combattants, grâce à des travaux de tranchées et de sapes. Son artillerie
enterrée en contre-pente (11 batteries de 105) interdit le terrain d'aviation et
contrebat l'artillerie française. Les pertes sont très lourdes pour les deux
camps.
Guerre d'Algérie
Après une première tentative de soulèvement, le 8 mai 1945, écrasée brutalement,
les nationalistes algériens, initialement divisés et minoritaires, disposant
d'armes anciennes et dépareillées (fusils Mauser et Stati, FM Bren),
n'entraînent pas derrière eux la majorité du peuple algérien. Ils suppléent à
cette faiblesse en employant conjointement la propagande identitaire et la
brutalité du terrorisme aveugle, des mutilations corporelles, et l'organisation
politico-administrative des villageois, chargés d'actions de sabotages.
Ils organisent en même temps le trafic d'armes obtenues dans les pays arabes et
socialistes, et acheminées par les frontières de Tunisie et du Maroc. Organisant
alors leur implantation dans les campagnes (Congrès de la Soummam), ils décident
en 1956 d'installer le terrorisme urbain en ville d'Alger. Ils perdent
successivement trois batailles, le 20 août 1955 dans le Constantinois, en 1957
la bataille d'Alger, et en avril 1958 la bataille des frontières.
Ils décident alors de transférer l'action terroriste en France, et d'agir par le
canal de la diplomatie à l'ONU, dans les pays socialistes et dans le Tiers
monde. Ils mettent enfin sur pied une armée des frontières en Tunisie et au
Maroc, organisée de façon régulière et disposant de mitrailleuses MG 34 et 42,
et d'artillerie (canons de 75 et de 105 sans recul, mortiers de 120) ; après son
échec de 1958, cette armée bien équipée se contente de harceler les barrages.
Les réactions du pouvoir français sont d'abord de renforcer les effectifs en
faisant appel à la conscription et au recrutement de nombreux supplétifs. Deux
systèmes de forces sont alors constitués :
- 75 Secteurs qui quadrillent le territoire et protègent la population (5.000
postes pas toujours confortables) ;
– trois divisions de réserve générale, à base de parachutistes et de tirailleurs
musulmans, qui, dans de grandes opérations de nomadisation, balaient le
territoire d'Ouest en Est en détruisant les maquis algériens.
Simultanément, l'édification de barrages frontaliers, minés, électrifiés et
surveillés par un système de radars-canons, asphyxient peu à peu la rébellion
intérieure. 20 batiments de la marine surveillent la mer et saisissent les
bateaux de ravitaillement.
Quant à la lutte contre le terrorisme urbain, elle est conduite d'abord par
l'emploi de sévices. «Certains, pendant la bataille d'Alger en particulier, ont
été confrontés à un dilemme : se salir les mains en interrogeant durement de
vrais coupables, ou accepter la mort certaine d'innocents. S'il y eut des
dérives, elles furent marginales» (Livre blanc de l'armée française, 2002) lors
des interrogatoires, dans un deuxième temps par la pénétration des réseaux
terroristes. L'intoxication des chefs rebelles se traduit par le massacre de
centaines de faux traîtres (bleuïte).
Le commandement français a peu à peu réorganisé 20 divisions, qui à l'exception
des unités rapatriées d'Indochine, n'étaient pas préparées à la contre-guérilla.
Les matériels sont alors modernisés : fusils Garant remplacés par le Mas 36 puis
le Mas 49/56 semi-automatique et lance-grenade.
Sont peu à peu mis en place : le pistolet-mitrailleur Mat 49 et la mitrailleuse
AA52, les mortiers de 60 et 81 au niveau compagnie et bataillon, les canons sans
recul et les obusiers de 105HM2 et TF50, les postes radios TRPP8, ANGRC10 et C9,
les chars Chaffee M24 puis AMX13. Trois cents automitrailleuses AMM8, achetées
en 1956, sont complétées par les Engins blindés de reconnaissance Panhard.
Les camions GMC sont blindés, puis remplacés par des Simca 4X4 et des Berliet
GBC, aménagés pour un débarquement rapide. Les tenues de combat allégées
favorisent la mobilité, les rations de combat sont généralisées. Le soutien
logistique est porté à 13 kg par homme-jour. Le ravitaillement en munitions est
abondant (40.000 obus par mois).
L'effort le plus important concerne les moyens aériens qui comptent 900 avions
et 400 hélicoptères. L'aviation légère de l'armée de terre est mise sur pied aux
côtés de l'armée de l'Air et de l'Aéronavale. 25% des appareils sont des avions
d'appui T6, complétés ensuite par les T28 Fennec. Les autres appareils sont des
Corsair de la marine, des chasseurs Skyraider et des bombardiers B26.
L'emploi du napalm est autorisé sur les groupes armés. Les hélicoptères lourds
comptent 55 Banane H21 et 120 Mammouth H34 ou HSS (certains, appelés Pirates,
sont armés d'un canon de 20 ; d'autres sont équipés de missiles SS1 et
spécialisés dans l'attaque des grottes). La doctrine d'emploi des Détachements
d'intervention hélicoptères (DIH) est mise au point, en même temps que la
coopération Air-Terre est assurée par l'organisation de 3 Groupements tactiques,
de PC Air directeurs et de PC volants. En 1955, les Alouette II médicalisées
sont complétées par les Vertol et les Mamouth ; on compte 30 minutes pour les
évacuations sanitaires, plus 30 minutes pour l'hospitalisation.
Comme en Indochine, la source principale du renseignement est constituée par la
recherche électromagnétique. Les postes radios ennemis sont localisés par
goniométrie et homing, ou soumis à des intrusions.
Le général Challe puis Crépin décident de supprimer les postes HF de l'ennemi.
La surveillance aérienne relève les traces menant vers les postes de
commandement insurgé (méthode Lanlignel). De nombreux organismes participent
successivement à la centralisation des renseignements : Service des liaisons
nord-africaines – Sécurité du territoire – Deuxième Bureau - Système
Renseignement-Action-Protection, devenu Centre de Coordination interarmées –
Centres de renseignement et d'action – Bureau études et liaisons – Service
technique de recherche opérationnelle – Mission choc (en 1962).
Des formations de combat spécialisées (cavaliers, méharistes, gendarmes,
supplétifs, commandos) font face à toutes les formes de menace (maxima atteints)
:
- 3 régiments de cavalerie et 5 compagnies muletières (au total 2.500 chevaux et
2.000 mulets) ;
- 434 brigades de gendarmerie départementale et 71 Escadrons de gendarmerie
mobile ;
- les Services de sécurité (SSNA), dont 40 compagnies républicaines de sécurité(
CRS) ;
- 75 commandos de chasse chargés de marquer les unités rebelles ;
- 2.000 autodéfenses de villages, confiées aux anciens combattants de 1945 ;
- 4 trains blindés ;
- 700 maghzens de protection des officiers SAS qui administrent les communes ;
- 110 Groupes mobiles de sécurité et 800 harkas ;
- 5 compagnies méharistes (montées sur dromadaire), et 9 compagnies sahariennes
portées, ;
- 2 détachements secrets d'infiltration au Maroc et en Tunisie.
L'armée conduit en même temps des actions civilo-militaires de pacification par
le canal des officiers SAS, des équipes médico-sociales itinérantes, de
l'assistance médicale gratuite, des instituteurs militaires, des Comités de
salut public, du Service de formation de la jeunesse, des Procureurs militaires
de Secteur, du regroupement des populations (2 millions de personnes), des
campagnes d'action psychologique (compagnies de haut-parleurs).
Opérations extérieures.
Dès 1948, l'armée française a participé à une mission d’observation en
Palestine, qui a été suivie d'une quarantaine de missions de maintien de la paix
ou d’interposition, réalisées avec l’accord des parties au conflit. Certaines
missions sont des initiatives françaises (Cameroun, Tchad, Congo, Calédonie,
Côte d’Ivoire), d’autres sont commanditées par l’ONU.
Depuis la fin de la Guerre froide (1989), les OPEX se sont intensifiées et ont
eu recours à des spécialistes civils et à une composante policière. L’ONU a pris
en charge des États en décomposition en vue de les reconstruire, avant d’être
relayée par l’OTAN, puis par l’Union européenne. Ce fut le cas lors de la guerre
du Golfe de septembre 1990 à janvier 1991, où la division Daguet comptait 13.000
Français. Ensuite les OPEX ont engagé 8.000 hommes dans les années 1990, elles
ont atteint 13.000 soldats français en 2008, et ont été réduites à 9.500 en
2010. En novembre 2007, l'opération EUFOR au Tchad, dirigée par un général
Irlandais, comprend des unités polonaises, autrichiennes, suédoises et
néerlandaises.
Les OPEX conduites par la France ne peuvent pas être toutes mentionnées dans cet
exposé, qui se limitera à une analyse thématique des technologies particulières
mises en action. Une observation majeure réside dans le fait que l'État-Major
américain se réfère à la doctrine mise au point par des officiers français qui
ont servi en Indochine et en Algérie. Il s'agit des colonels Roger Trinquier et
David Galula, et de leurs inspirateurs Gallieni et Lyautey.
Considéré comme le Clausewitz de la contre-insurrection, le lieutenant-colonel
Galula a observé les révolutions chinoise, grecque et algérienne. Il en tire un
plan de lutte en 8 étapes, qui est essentiellement une politique de prise en
main des populations, et n'aborde les conditions militaires que sous l'angle de
la supériorité des forces ; il préconise une progression en tache d'huile, par
l'occupation progressive de tous les villages, ce qui à l'évidence n'a pas été
la solution retenue en Afghanistan. Le colonel Trinquier en revanche préconise
de porter la guerre chez l'ennemi en spécialisant des commandos supérieurement
armés, et en regroupant les populations hors des zones-refuges des insurgés.
Parmi les procédés de supériorité militaire, l'action aérienne tient la première
place. On lui doit la destruction d'unités insurgées en Mauritanie, en Côte
d'Ivoire, et en Afghanistan, grâce à d'étroites liaisons Air-terre, mais au prix
de dégats collatéraux sur les populations. Des succès stratégiques ont été
obtenus en Serbie (1995), au Kossovo (1999) et en Libye.
Cette opération de Libye, conduite en 2011 sans engagement au sol, est tout à
fait remarquable par la rapidité de l'intervention, par la coordination
interarmées et interalliée, et par son soutien logistique à longue distance. Des
conseillers des Services spéciaux sont intervenus en Côte d'Ivoire, Somalie,
Libye, Afghanistan et Sahara. Les armements les plus modernes ont prouvé leur
capacité ; c'est le cas du porte-avion nucléaire, du bâtiment de projection et
de commandement, des avions Rafale et Mirage qui ont fait 5.600 sorties et
détruit 1.000 objectifs, des hélicoptères qui en vol de nuit ont opéré 600
destructions (30 sorties de 3 à 12 hélicoptères : en général 2 Puma, 4 Gazelle
et 2 Tigre), des drônes Male et Harfang, des missiles de croisière et
modulaires, de la nacelle de reconnaissance aérienne, des hélicoptères Cougar et
Caracal.
En Afghanistan, un effort particulier a été porté sur la protection des
combattants au sol, qui bénéficient d'un appui aérien immédiat, se réfugient
dans des bases opérationnelles avancées (FOB), et sont revêtus de l'équipement
Félin à liaisons intégrées.
La protection contre les engins explosifs improvisés (EEI ou Improvised
Explosive D) est assuré par des robots de détection et des véhicules d'ouverture
de route Buffalo et Arcadis ; il fait l'objet d'un plan d'action auquel
participent plusieurs nations alliées.
Les délais d'évacuation sanitaire vers l'hopital français de Kaboul sont
estimées à deux heures (88 tués et 685 blessés depuis 2001). Après le retrait en
2012 des «unités combattantes» (sic), décidé en contradiction avec les plans
alliés, il restera en Afghanistan les instructeurs et moniteurs de l'armée
afghane (650 hommes des opérations Epidote et Operationnal Mentor Liaison Team).
Les opérations extérieures sont l'occasion de vérifier la fiabilité des
équipements. Ainsi sont expérimentés les camions équipés du système d'artillerie
CAESAR (155 mm, portée de 40 à 50 km, rapidité de mise en batterie et du calcul
de tir, mobilité et précision), les véhicules à haute mobilité, les petits
véhicules protégés, les véhicules blindés de combat d'infanterie, le
lance-roquette unitaire. Par rapport aux activités du temps de paix, tout cela
représente un surcoût, qui est estimé de 60.000 à 100.000 euros par homme et par
an selon le territoire considéré.
La participation à ces opérations ne s'improvise pas. C'est ainsi que les unités
pour l'Afghanistan sont mises en condition avant projection (MCP) au cours d'un
stage de 4 à 6 mois, suivi d'un exercice de vérification de 3 semaines en camp
de manœuvre. Un memento du chef de section en contre-rébellion est distribué aux
sous-offciers.
Au retour, un SAS de décompression de 3 jours a lieu dans un hôtel de Chypre. Un
Groupement interarmées des affaires civilo-militaires, de 100 personnels et 400
stagiaires, a été créé à Lyon. Une cellule d'intervention et de soutien
psychologique se préoccupe de sensibiliser les personnels au stress
opérationnel. Enfin, une cellule d'aide aux blessés (CABAT) a été constituée,
ainsi qu'une Association de Solidarité Défense présidée par l'amiral Lanxade.
Certaines missions ont un caractère humanitaire. C'est le cas de l'Élément
médical militaire d'intervention rapide (EMMIR) qui a été dénommé Bioforce et
est intervenu en Haïti en 2010. Ce sont aussi les unités de protection civile,
engagées lors des catastrophes naturelles.
Influence des technologies sur les opérations et les formations
L'évolution des opérations évoquées permet de retenir les enseignements suivants
:
- la supériorité et la modernisation des armes de contre-insurrection est une
réalité, depuis les armes à percussion du XIXe siècle, aux canons et aux
aéronefs du XXe siècle, contre lesquels les insurgés réagissent par la guérilla,
le terrorisme, la dispersion et les explosifs improvisés. Il leur arrive
cependant d'atteindre le niveau du combat classique (Indochine, frontière
tunisienne, Libye). Des armes surpuissantes sont utilisées, selon le principe de
versatilité : qui peut le plus peut le moins.
- la fortification des bases d'opération est constante, du Sénégal à l'Indochine
et à l'Afghanistan. L'exposition Eurosatory en juin 2012 a mis l'accent sur la
protection. Une protection excessive (gilets pare-balles) limite cependant la
mobilité et impose une motorisation accrue des unités ; le moteur a remplacé le
cheval. Des véhicules adaptés sont mis au point (Sherpa light de Renault Trucks
Défense) ;
- l'arme aérienne apporte un surcroit de puissance et de réactivité. En
Indochine, elle facilite l'observation d'artillerie et contribue à la
destruction des unités insurgées, mais se trouve en limite de portée. En
Algérie, elle est en concurrence avec la précision et la souplesse des
hélicoptères, lesquels remplacent le parachutage. En Afghanistan et en Libye,
les drones de différents types (armés, logistiques, détecteurs d'IED) sont
expérimentés ;
- les performances des armes influent sur la tactique des unités, telles que la
formation en losange de Bugeaud, la progression en tache d'huile, l'infiltration
des commandos, le recours au recrutement autochtone ;
- les techniques d'information provoquent une nouvelle révolution de l'art
militaire. La radio est utilisée pour la propagande, les écoutes, les liaisons
interarmes à longue distance et les émissions brèves. Les radars localisent les
mouvements ennemis. L'informatique génère les munitions intelligentes, la
numérisation de l'espace de bataille, les liaisons par internet, et la
robotisation (Félin) ;
- les actions civilo-militaires n'ont cessé de se développer, depuis les Bureaux
arabes et les SAS, l'assistance médicale gratuite, les hiérarchies parallèles et
le regroupement des populations en Indochine et Algérie jusqu'aux moniteurs de
formation en Afghanistan et aux cellules de soutien psychologique et de
solidarité.
Il semble enfin que la technologie joue un rôle négatif sur l'opinion publique.
Les frappes chirurgicales à distance de sécurité, les appareils sans pilote et
le télé-traitement médical persuadent l'opinion que la guerre est devenue
idéale, courte et propre. Le mythe du zéro mort dévalorise la vocation
militaire, il réduit le fossé entre les civils et les soldats, lesquels ne sont
plus que des techniciens exerçant un métier à risque.
général Maurice FAIVRE