Missak Manouchian
Missak (dit Michel) Manouchian (en arménien : Միսաք Մանուշյան), né le 1er
septembre 1906 à Adıyaman dans l'Empire ottoman, mort fusillé à 37 ans au fort
du Mont-Valérien le 21 février 1944, est un poète français d'origine arménienne,
un militant communiste (responsable de la section arménienne de la MOI) et un
résistant (commissaire militaire des FTP-MOI de la région parisienne).
Bien que principalement connu pour son rôle dans la Résistance, en particulier
par la fameuse Affiche rouge, il était avant tout un intellectuel et un poète.
Enfance et jeunesse
Le réfugié : de la Turquie à la Syrie (1906-1925)
Missak Manouchian est né dans une famille de paysans arméniens dans la ville
turque d'Adıyaman (ancienne capitale de la Commagène). Enfant, il perd son père
lors du génocide arménien de 1915, et sa mère meurt quelque temps après, victime
de la famine qui s'ensuivit. Lui-même est sauvé en étant recueilli par une
famille kurde (ainsi que son frère Karabet). À la fin de la guerre, il est pris
en charge par la communauté arménienne et transféré avec son frère dans un
orphelinat de Byblos Jounieh Jbeïl (Tchernots Pouyn de Maria Jacobsen) au Liban,
passé sous contrôle français en 1918 (mandat de la SDN à partir de 1920). Là il
est formé au métier de menuisier et est initié par un de ses maîtres d'école aux
lettres arméniennes.
L'immigré arménien en France (1925-1934)
En 1925, Missak et Karabet débarquent à Marseille, sans doute grâce à un réseau
d'immigration clandestine. Missak exerce le métier de menuisier, notamment à La
Seyne. Puis les deux frères décident d'aller à Paris. Karabet étant tombé
malade, Missak se fait embaucher comme tourneur aux usines Citroën, afin de
subvenir à leurs besoins. Karabet décède cependant en 1927. Missak est licencié
au moment de la grande crise économique du début des années 1930.
Il gagne alors sa vie grâce à des travaux irréguliers : en particulier, il pose
pour des sculpteurs. Mais il s'intéresse alors surtout à la littérature et écrit
des poèmes. Avec un ami arménien, Semma (ou Séma), de son vrai nom Kégham
Atmadjian, il fonde deux revues, Tchank (l'Effort) et Machagouyt (Culture), dans
lesquelles ils publient des articles sur la littérature française et la
littérature arménienne et des traductions en arménien de Baudelaire, Verlaine et
Rimbaud. À la même époque, ils sont inscrits à la Sorbonne comme auditeurs
libres et y suivent des cours de littérature, de philosophie, d'économie
politique et d'histoire.
Le militant communiste et le responsable du HOC (1934-1939)
En 1934, à la suite des événements du 6 février, Missak adhère au parti
communiste ainsi qu'au HOC (Comité de secours pour l'Arménie), originellement
HOK (Haï Oknoutian Komité)6, forme abrégée de Hayastani Oknoutian Komité7 où
Hayastani correspond à « Arménie ». Le HOK a été créé le 13 septembre 1921 par
le gouvernement de la République soviétique d'Arménie pour collecter des
ressources dans la diaspora, alors que l'Arménie subissait le blocus allié, en
même temps que la Russie soviétique.
Le HOC a été fondé vers 1925, comme dans la plupart des pays occidentaux ayant
une communauté arménienne9. En 1935, c'est à la fois la section française
(désignée par un sigle composite franco-arménien) du HOK10, l'organisation de
masse du PCF en direction de la communauté arménienne en France et la section
arménienne de la MOI (Main-d'œuvre ouvrière immigrée), organisation fortement
liée à l'Internationale communiste (le Komintern).
La principale personnalité du HOC est le docteur Haïc Kaldjian. L'effectif du
HOC s'élève à environ 7000 personnes à l'époque du Front populaire, soit un des
plus élevés de la MOI. Son siège se trouve rue Bourdaloue ; il est dirigé par un
Conseil central. Il est formé par les Comités locaux (un par ville, sauf à Paris
et à Marseille). Missak est membre du comité du Quartier latin et contribue
rapidement au journal du HOC.
En 1934-1935, époque de la montée du Front populaire, le HOC connaît un
développement notable des effectifs et a besoin de nouveaux cadres ; lors du
congrès de juillet 1935, Missak Manouchian est proposé par la direction pour le
poste de « deuxième secrétaire » (Haïc Kaldjian étant le premier en tant que «
secrétaire général ») et élu, devenant donc un permanent de l'organisation. Il
devient aussi membre du Conseil central, en même temps, entre autres, que
Mélinée Assadourian, déléguée du comité de Belleville, qui est de plus engagée
comme secrétaire (dactylographe) ; elle deviendra la compagne de Missak en 1937.
Le journal Zangou
Une des responsabilités de Missak est d'être rédacteur en chef du journal du
HOC, qui prend en 1935 le nom de Zangou, du nom d'une rivière qui arrose Erevan.
Le rôle initial du journal du HOC était de contribuer au soutien à l'Arménie
soviétique ; dans les années 1930, il diffuse des informations sur ce pays et
sur l'URSS (Zangou relaie la propagande stalinienne concernant les procès de
Moscou) et développe sur différents sujets le point de vue dit progressiste au
sein de l'immigration arménienne. Une rubrique importante est celle de la
correspondance des travailleurs (dite selon la formulation russe rabcor), les
nouvelles émanant des cellules d'entreprises. Il y a aussi des reportages et des
articles culturels. À partir de juillet 1936, le journal agit pour la défense de
la République espagnole ; Manouchian fait d'ailleurs partie du Comité d'aide aux
Républicains espagnols.
En même temps qu'a lieu le reflux du Front populaire, l'organisation connaît des
difficultés qui amènent sa dissolution en 1937, puis la création d'une nouvelle
structure, l’Union populaire franco-arménienne. Zangou cesse de paraître en
1938.
À la fin de l'année 1937, Missak Manouchian est délégué au 9e congrès du PCF et
dans l'ensemble conserve une activité militante importante jusqu'à l'été de
1939.
La guerre et la résistance
Le 2 septembre 1939, Missak Manouchian est arrêté ainsi que Haïc Kaldjian alors
que l'interdiction du Parti communiste et des organisations proches intervient
seulement le 26 septembre, un mois après le pacte germano-soviétique. Manouchian
peut cependant sortir de prison en octobre et est affecté comme engagé
volontaire dans une unité stationnée dans le Morbihan. Après la défaite de
l'armée française en juin, il reste sous le contrôle des autorités à l'usine
Gnome et Rhône d'Arnage (Sarthe), qu'il quitte illégalement au début de 1941
pour revenir à Paris. Il est de nouveau arrêté peu après le 22 juin 1941, date
de l'invasion de l'URSS par les Allemands, et incarcéré sous contrôle allemand
au camp de Compiègne. Il est libéré au bout de quelques semaines, aucune charge
n'étant retenue contre lui. Il habite avec son épouse Mélinée au 11 rue de
Plaisance dans le 14e arrondissement de Paris de 1941 jusqu'au 16 novembre 1943,
date de son arrestation.
À partir de 1941 puis en 1942, il est entré dans le militantisme clandestin,
mais on sait peu de choses de ses activités au sein de la MOI clandestine. Il
devient responsable politique de la section arménienne au cours de l'année 1941,
se trouvant donc sous l'autorité du « triangle » de direction de la MOI : Louis
Gronowski, Simon Cukier, sous le contrôle de Jacques Duclos18. Un élément
intéressant réside dans la familiarité durant ces années des Manouchian avec
Micha et Knar Aznavourian, sympathisants communistes, engagés dans la résistance
dans une activité très importante, le « Travail allemand » (la démoralisation
des soldats allemands et l'assistance à leur désertion ; le recrutement d'agents
allemands pour le renseignement), comme en a témoigné Charles Aznavour, en
particulier en 1985.
En février 1943, Manouchian est versé dans les FTP-MOI, groupe des
Francs-tireurs et partisans - Main-d'œuvre immigrée de Paris : il s'agit de
groupes armés constitués en avril 1942 sous la direction de Boris Holban, Juif
originaire de Bessarabie. Le premier détachement où il est affecté comporte
essentiellement des Juifs roumains et hongrois et quelques Arméniens. Le 17
mars, il participe à sa première action armée, à Levallois-Perret, mais son
indiscipline lui vaut un blâme et une mise à l'écart.
En juillet 1943, il devient commissaire technique des FTP-MOI de Paris ; en
août, il est nommé commissaire militaire, à la place de Boris Holban démis de
ses fonctions pour raisons disciplinaires tandis que Joseph Epstein, responsable
d'un autre groupe de FTP-MOI, est devenu responsable des Francs-tireurs et
partisans pour l'ensemble de la région parisienne. Il est donc le supérieur
hiérarchique de Manouchian qui, lui-même, a sous ses ordres trois détachements,
comprenant au total une cinquantaine de militants. On doit mettre à son actif
l'exécution (par Marcel Rayman, Léo Kneler et Celestino Alfonso), le 28
septembre 1943, du général Julius Ritter, adjoint pour la France de Fritz
Sauckel, responsable de la mobilisation de la main-d'œuvre (STO) dans l'Europe
occupée par les nazis. Les groupes de Manouchian accomplissent près de trente
opérations dans Paris du mois d'août à la mi-novembre 1943.
La Brigade spéciale no 2 des Renseignements généraux avait réussi deux coups de
filet en mars et juillet 1943. À partir de là, elle put mener à bien une vaste
filature qui aboutit au démantèlement complet des FTP-MOI parisiens à la
mi-novembre avec 68 arrestations dont celles de Manouchian et Joseph Epstein. Au
matin du 16 novembre 1943, Manouchian est arrêté en gare d'Évry Petit-Bourg. Sa
compagne Mélinée parvient à échapper à la police. Missak Manouchian, torturé, et
vingt-trois de ses camarades sont livrés aux Allemands de la Geheime Feldpolizei
(GFP) qui exploitent l'affaire à des fins de propagande. Le tribunal militaire
allemand du Grand-Paris juge 24 des résistants arrêtés, dont Manouchian, en
présence des journalistes de la presse collaborationniste qui dénoncent le «
cynisme » des accusés, c'est-à-dire le fait qu'ils assument pleinement les
attentats qu'ils ont commis. Parmi eux, 10 sont sélectionnés pour la composition
de l'Affiche rouge, où apparaît l'expression « l'armée du crime ». Le tribunal
prononce 23 condamnations à mort.
Le 21 février 1944, les 22 hommes du groupe des condamnés à mort sont fusillés
au Mont-Valérien, en refusant d'avoir les yeux bandés, tandis qu'Olga Bancic va
être transférée en Allemagne et décapitée à la prison de Stuttgart le 10 mai
1944.
Posthume
L'Affiche rouge
Dans la foulée de ces exécutions, la propagande allemande placarde 15 000
exemplaires de ces fameuses affiches rouges portant en médaillons noirs les
visages de dix fusillés. Au centre, la photo de Manouchian, avec cette
inscription : « Arménien, chef de bande, 56 attentats, 150 morts, 600 blessés.
».
Mais l'affaire de l'Affiche rouge, placardée sur les murs de Paris par l'ennemi,
produit l'effet contraire à celui escompté : pour toute la Résistance, elle
devient l'emblème du martyre. Les soutiens de sympathisants se multiplient.
Hommages
En 1956, à l'occasion de l'inauguration de la rue du Groupe Manouchian, située
dans le 20e arrondissement de Paris, Aragon écrit un poème « Strophes pour se
souvenir » (in Le Roman inachevé), librement inspiré de la dernière lettre que
Missak Manouchian adressa à son épouse Mélinée. Ce poème sera mis en musique en
1959 par Léo Ferré sous le titre « L'Affiche rouge » (publié dans Léo Ferré
chante Aragon, 1961).
Le 4 novembre 1978 fut inaugurée la stèle Missak Manouchian en présence de sa
veuve Mélimée, monument dû au sculpteur arménien Ara Haroutiounian, au Cimetière
parisien d'Ivry, à l'initiative de l'Amicale des anciens résistants français
d'origine arménienne sur laquelle figurent les noms des 23 fusillés.
La mairie d'Évry a donné le nom de Missak Manouchian à un parc en bord de Seine,
et a érigé un Mémorial à l'endroit même où eut lieu son arrestation, à côté de
ce parc, dans l'allée qui prolonge la rue Robert Pissonnier et correspond à
l'accès à l'ancien pont d'Évry, aujourd'hui détruit.
Une plaque commémorative a été déposée le 21 février 2009, par la mairie de la
ville de Paris, au 11 rue de Plaisance, Paris XIVe, en présence d'anciens
Résistants. Cet ancien hôtel fut le dernier domicile de Mélinée (née Assadourian)
et Missak Manouchian.
En 2009, le cinéaste marseillais d'origine arménienne Robert Guédiguian tourne
le film L'Armée du crime, avec Simon Abkarian (Missak), Virginie Ledoyen (Mélinée),
Robinson Stévenin (Marcel Rayman).
En septembre 2009, se tient l'exposition Les Arméniens dans la Résistance à la
mairie du IVe arrondissement de Paris.
À Marseille, boulevard Charles Livon dans le quartier du Pharo, depuis le 20
février 2010, le buste de Missak Manouchian et la liste de ses 22 compagnons
fusillés avec lui se dressent dans un square qui porte son nom, face au vieux
port. L'initiative est organisée par la jeunesse arménienne de France.
Toujours à Marseille, dans le 12e arrondissement, on parle de « lycée Missak
Manouchian » pour le nouveau lycée.
En février et mars 2012, une grande fresque en hommage au groupe Manouchian a
été réalisée du côté du passage du Surmelin dans le 20e arrondissement de Paris
par l'artiste Popof.
Une rue de la commune de Rosny-sous-Bois (Seine Saint Denis) porte son nom.
L'Affiche rouge
L'Affiche rouge est une affiche de propagande placardée en France par le régime
de Vichy et l'occupant allemand, dans le contexte de la condamnation à mort de
23 membres des Francs-tireurs et partisans – Main-d'œuvre immigrée (FTP-MOI),
résistants de la région parisienne, suivie de leur exécution, le 21 février
1944.
Description
L'affiche comprend :
une phrase d'accroche : « Des libérateurs ? La Libération par l'armée du crime !
» ;
les photos, les noms et les actions menées par dix résistants du groupe
Manouchian :
« Grzywacz – Juif polonais, 2 attentats »,
« Elek – Juif hongrois, 8 déraillements »,
« Wasjbrot (Wajsbrot) – Juif polonais, 1 attentat, 3 déraillements »,
« Witchitz – Juif polonais, 15 attentats »,
« Fingerweig – Juif polonais, 3 attentats, 5 déraillements »,
« Boczov – Juif hongrois, chef dérailleur, 20 attentats »,
« Fontanot (Fontano) – Communiste italien, 12 attentats »,
« Alfonso – Espagnol rouge, 7 attentats »,
« Rajman – Juif polonais, 13 attentats »,
« Manouchian – Arménien, chef de bande, 56 attentats, 150 morts, 600 blessés » ;
six photos d'attentats ou de destructions, représentant des actions qui leur
sont reprochées.
La mise en page marque une volonté d'assimiler ces dix résistants à des
terroristes : la couleur rouge et le triangle formé par les portraits apportent
de l'agressivité ; les six photos en bas, pointées par le triangle, soulignent
leurs aspects criminels.