Représailles après la mort de Karl Hotz
Karl Hotz à droite
Le 20 octobre 1941, le responsable des troupes d'occupation en Loire-Inférieure,
le lieutenant-colonel Karl Hotz, est abattu à Nantes par des résistants. En
représailles, les autorités allemandes d'occupation fusillent, le 22 octobre
1941, 48 prisonniers pris comme otages à Châteaubriant, Nantes et Paris.
Deux jours après, le 24 octobre 1941, 50 autres otages sont fusillés au Camp de
Souge à Martignas-sur-Jalle, près de Bordeaux après l'exécution d'un autre
officier, Hans Reimers.
L'attentat du 20 octobre 1941
Karl Hotz
De 1929 à 1933, Karl Hotz a travaillé à Nantes comme ingénieur responsable du
chantier de comblement de l'Erdre et du percement d'un tunnel Saint-Félix,
dirigeant une équipe de travailleurs allemands mandatés par la société Brand,
une entreprise de travaux publics de Düsseldorf, au titre des réparations de la
Première Guerre mondiale. Karl Hotz est donc une personnalité connue à Nantes,
au moins dans la haute société, lorsqu'en juin 1940, il est affecté dans cette
ville comme Feldkommandant, c'est-à-dire responsable des troupes d'occupation du
département de Loire-Inférieure. De juin 1940 à octobre 1941, il ne semble pas
avoir suscité d'hostilité personnelle particulière au sein de la population.
L'attentat
Le 20 octobre 19412, il est abattu rue du Roi-Albert, à Nantes, par un militant
communiste, Gilbert Brustlein, membre d'un commando envoyé de Paris par l'OS
(branche armée de la résistance communiste), dans lequel se trouvent aussi
Spartaco Guisco, ancien officier des Brigades internationales et le très jeune
Marcel Bourdarias.
Spartaco Guisco
Le très jeune Marcel Bourdarias
Leur mission n'était pas d'abattre préférentiellement Karl Hotz, mais n'importe
quel officier allemand, en fonction des circonstances. Les membres du commando
se trouvent peu avant 8 heures place Saint-Pierre, devant la cathédrale de
Nantes. Karl Hotz passe là à ce moment, sur le chemin de la Kommandantur (place
Louis-XVI), accompagné de son aide de camp, le capitaine Sieger.
Tandis que l'arme de Spartaco Guisco, qui visait le capitaine Sieger, s'enraye
au moment de tirer, Brustlein tire deux balles dans le dos de Karl Hotz. Les
deux résistants réussissent à prendre la fuite, tandis que Sieger assiste à la
mort rapide de Hotz.
Sur l'organisation et le déroulement de l'attentat : voir la page plus détaillée
« Gilbert Brustlein ».
Réaction des autorités allemandes
Avis de la Préfecture de la Loire-Inférieure,
Nantes, 21 octobre 1941.
La nouvelle de l'attentat est transmise à Hitler par von Stülpnagel ; Hitler
envisage l'exécution immédiate de 100 à 150 otages2, chiffre que von Stülpnagel
ramène le 21 octobre à 100, divisés en deux groupes : 50 dans l'immédiat, puis
50 autres, si les coupables n'ont pas été pris le 23 octobre.
Von Stülpnagel
Le 22 octobre 1941, 48 personnes (au lieu de 50)2 sont exécutées à
Châteaubriant, Nantes et Paris.
Entre temps, le 21 octobre, un autre militant de l'OS, Pierre Rebière a abattu à
Bordeaux le conseiller d'administration militaire Hans Reimers. Ce nouvel
attentat entraîne l'exécution, le 24 octobre, de 50 otages au camp de Souge en
Gironde.
Malgré cela, les 50 otages envisagés en deuxième instance à Nantes vont
bénéficier d'un report, puis d'une suspension de l'ultimatum.
Constitution de la liste des otages
La politique allemande des otages
À partir du 19 juin 1940, les autorités allemandes d'occupation garantissent, à
Nantes comme ailleurs, la sécurité des troupes d'occupation en désignant à tour
de rôle comme otages des notables — élus, présidents d'association, etc. —
consignés pour quelques heures en un lieu de regroupement ou simplement à leur
domicile. Après novembre 1941, cette pratique tombera en désuétude sans qu'aucun
de ces otages ait été passé par les armes.
Mais la vague d'attentats initiée le 21 août 1941 par Fabien à la station de
métro Barbès-Rochechouart à Paris, a amené les Allemands à modifier leur
politique des otages5 en privilégiant, pour tout attentat, la piste «
judéo-bolchevique », même en l'absence de toute revendication. Cette politique
sera parfaitement formulée par l'ambassadeur allemand à Paris Otto Abetz en
décembre 1941 :
Otto Abetz (né le 26 mai 1903 et mort le 5 mai 1958) était l'ambassadeur de
l'Allemagne à Paris pendant la Seconde Guerre mondiale.
« Même lorsqu'il est clairement prouvé que les auteurs d'attentats sont des
Français, il est bon de ne pas mettre cette constatation en relief, mais de
tenir compte de nos intérêts politiques et de prétendre qu'il s'agit
exclusivement de Juifs et des agents à la solde des services de renseignements
anglo-saxons et russes. »
Du 22 juin (début de l'invasion allemande en URSS) au 22 octobre 1941, quatre
Allemands seulement ont été tués par la Résistance, mais de nombreux attentats
matériels, même de faible impact, montrent qu'il ne s'agit pas d'actes isolés,
mais bien d'une vague d'attentats. Le commandant militaire de la Wehrmacht en
France (Militärbefelshaber in Frankreich, MBF), Otto von Stülpnagel réagit en
premier lieu en demandant au gouvernement de Vichy d'exercer lui-même la
répression. Aussi, le nouveau ministre de l'Intérieur Pierre Pucheu crée des
tribunaux d'exception : les « Sections spéciales » qui envoient à la guillotine,
après jugement sommaire, un certain nombre d'internés communistes ou apparentés.
Les Allemands prennent ensuite en charge eux-mêmes l'exécution d'otages : trois
sont fusillés le 6 septembre, dix autres le 16 septembre. Cette répression
apparaît trop douce à Hitler qui trouve Stülpnagel trop mou et lui envoie la
directive d'exécuter au moins cent otages pour chaque Allemand tué7. Stülpnagel,
arguant que les troupes allemandes ne sont pas menacées, ne se hâte pas
d'engager cette politique de représailles massives. Il ne tient pas à se mettre
à dos une population qui travaille pour le plus grand bénéfice de la puissance
occupante. Il ne veut pas non plus mettre en porte-à-faux le gouvernement de
Vichy qui, de son point de vue, collabore de façon satisfaisante. « Des
exécutions massives ne sont pas encore justifiées par la situation. Elles
pourraient entraîner la résistance de toute la population française, ce qui pour
des raisons politiques, militaires et économiques, pourraient conduire à
d'importantes difficultés [...] » écrit-il le 11 septembre au haut-commandement
de l'armée de terre.
Malgré tout, Stülpnagel doit tenir compte de la politique dictée par Berlin : le
28 septembre, il publie, à destination des chefs de régions militaires un « code
des otages » dans lequel il demande l'établissement de listes constituées en
fonctions des priorités suivantes:
« a) les anciens élus des organisations communistes et anarchistes, ainsi que
les permanents ;
« b) les personnes qui se sont adonnées à la diffusion de l'idéologie communiste
par la parole ou par les actes, par exemple par la rédaction de tracts
(intellectuels) ;
« c) les personnes qui ont montré par leur comportement qu'elles étaient
particulièrement dangereuses (par exemple, agresseurs de membres de la
Wehrmacht, saboteurs, receleurs d'armes) ;
« d) les personnes arrêtées pour distribution de tracts ;
« e) les personnes arrêtées récemment à la suite d'actes de terreur ou de
sabotage en raison de leurs relations avec l'entourage des auteurs supposés
desdits actes. »
Le choix des otages de Loire-Inférieure en octobre 1941
En vertu de ces directives, le 20 octobre, après la mort du Feldkommandant Hotz,
les autorités militaires de la région militaire B, dont le chef-lieu est Angers,
sont invitées à constituer une liste de 200 noms dans laquelle sera faite une
sélection de 100 otages à exécuter. Mais tous les noms récupérés par les
différents services allemands mis à contribution ne suffisent pas. Des officiers
dépêchés au camp de Choisel à Châteaubriant se font remettre le registre des
internés, ce qui leur permet d'établir cette liste de 200 noms.
Les directives d'Hitler relativement à l'attentat de Nantes, communiquées à
Stülpnagel par l'intermédiaire de Wilhelm Keitel et de Walter Warlimont, sont
d'exécuter immédiatement de 100 à 150 otages. Stülpnagel applique la directive
en publiant, le 21 octobre son AVIS prévoyant l'exécution immédiate de 50 otages
et l'exécution conditionnelle de 50 autres, au cas où les coupables n'auraient
pas été arrêtés le 23 octobre.
Wilhelm Keitel
Walter Warlimont
La liste des 50 otages
Pierre Pucheu est chargé d'établir une première liste de 50 otages ; en fait, il
va fournir une liste de 61 personnes (laissant aux Allemands le soin d'en
retirer 11), des prisonniers communistes ou militants syndicalistes du camp de
Châteaubriant. Il a tout fait pour que soient désignés des communistes plutôt
que des « bons Français ».
Mais les Allemands amendent la structure de cette liste de façon à ce qu'elle
soit plus « représentative » et que l'ensemble de la population française se
sente concernée : elle devra comprendre 30 communistes (du camp de
Châteaubriant) et 20 résistants de Nantes. Pierre Pucheu établit une seconde
liste de 36 otages de Châteaubriant (curieusement, cette liste de 36 comprend de
nouveaux noms par rapport à celle de 61, notamment Guy Môquet et Claude Lalet),
dont les Allemands retiendront finalement 27 noms (dont les deux jeunes gens).
En ce qui concerne les résistants de Nantes (dont cinq sont pris dans la prison
du fort de Romainville), le mode d'établissement de la liste finale est moins
bien connu.
Guy Môquet 17 ans
Claude Lalet 21 ans
Des 23 otages de Nantes, deux d'entre eux : l'avocat Fernand Ridel et un certain
Dauguet, vont être finalement retirés de la liste sans être remplacés, grâce aux
tensions qui existent entre l'armée (l'Abwehr) et les nazis (la Gestapo), de
sorte qu'il n'y a eu « que » 48 fusillés le 22 octobre. En ce qui concerne
Fernand Ridel, on sait qu'il a bénéficié de l'intervention de personnalités de
la haute société nantaise, relations de Karl Hotz, notamment la marquise de Ses
maisons, qui ont signalé que Fernand Ridel était lui-même un ami de Hotz.
Suspension de l'ultimatum du 21 octobre
Entre temps, le vice-président du Conseil Darlan avait déclaré qu'il ferait tout
pour découvrir les coupables. Pétain et ses ministres avaient demandé un acte de
grâce au Führer. Stülpnagel avait également fait valoir aux yeux d'Hitler la
parfaite loyauté de Jacques Benoist-Méchin, secrétaire d'État à la présidence du
Conseil et de Pucheu.
Jacques Benoist-Méchin
Le 24 octobre, l'ultimatum est repoussé de 3 jours, et, le 27, il est repoussé
sine die, avec l'accord de Hitler. En dehors de l'aspect politique (la réaction
hostile de la population, l'attitude du gouvernement de Vichy), sont intervenus
des actions au niveau local : la dénonciation de suspects (qui se révèleront
ultérieurement effectivement être des responsables : Gilbert Brustlein et Marcel
Bourdarias, ,une pétition lancée par le père d'un des fusillés du 22 octobre, M.
Glou ; peut-être aussi une intervention du Kreiskommandant de Châteaubriant,
Kristukat, qui, d'après le sous-préfet Lecornu, a été sidéré par le comportement
héroïque des 27 fusillés de Châteaubriant. Tout cela permet aux autorités
allemandes locales de justifier l'abandon de l'ultimatum.
Gilbert Brustlein
Marcel Bourdarias
Il y avait un caractère à double tranchant dans ces exécutions dont toutes les
parties étaient conscientes. Elles avaient un effet de terreur sur la
population, mais aussi renforçaient la haine contre l'occupant en montrant sa
cruauté, malgré les efforts des Allemands et de Vichy pour souligner qu'ils se
cantonnaient à tuer des Juifs et des communistes et non des « bons Français » au
sens de Vichy. Cette politique conduisait donc à des dilemmes parmi la
Résistance. Le Parti communiste menait en effet une campagne d'assassinats
systématiques d'officiers allemands. Même au sein du Parti, ces actes étaient
critiqués à cause des exécutions d'otages qu'ils provoquaient. Mais en
contrepartie, ces représailles mobilisaient davantage la population contre
l'occupant, amenant toujours plus de personnes à s'engager dans la Résistance.
Présentation des otages sélectionnés
Les otages fusillés à Châteaubriant
Ce sont des responsables communistes victimes de la rafle d'octobre 1940,
organisée sans doute sur ordre de Himmler, mais réalisée par la police
française. Les militants arrêtés à ce moment se sont trouvés handicapés par
l'absence de moyens sérieux pour passer dans la clandestinité. Cette erreur est
liée à la ligne du Parti, qui se veut alors neutre par rapport à l'Allemagne.
Ces responsables sont incarcérés à Paris, puis à Clairvaux ou Fontevrault et
sont transférés au camp de Choisel en mai 1941. Il y a aussi des militants
arrêtés par la police française sur dénonciation (Guy Môquet) ou pour collage de
papillons ou à la suite de la manifestation du 13 août 1941. Tous ces otages
vont former la troisième partie du camp (à côté des Romanichels et des droits
communs).
Les otages fusillés à Nantes
Ils appartiennent à différents groupes de résistants :
Le groupe des anciens combattants
Il comprend Paul Birien, Joseph Blot, Auguste Blouin, Alexandre Fourny, Léon
Jost. Marin Poirier, exécuté le 31 août, et Fernand Ridel (retiré de la liste in
extremis) appartenaient à ce groupe.
Il s'agit de membres d'associations d'anciens combattants (donc des gens
relativement âgés). Au départ, ces associations se sont chargées durant l'été
1940 d'assister les 50 000 prisonniers de guerre détenus en Loire-Inférieure
(colis, etc.). Mais plusieurs de leurs membres ont organisé un réseau d’évasion
de prisonniers, qui une fois hors des camps sont acheminés soit vers
l’Angleterre via la Bretagne, soit vers la zone libre. Le réseau opère à partir
des bureaux de l’Association des mutilés et réformés, situés rue Saint-Léonard
et dont le responsable est Auguste Bouvron ; une des activités est
l'établissement des faux papiers nécessaires par la secrétaire, Mlle Litoux. De
juillet à décembre 1940, le réseau réussit à faire évader 2 248 personnes.
Le réseau tombe en janvier 1941. Auguste Bouvron a réussi à passer en zone
libre. La culpabilité des autres n’est pas claire et leur statut d'anciens
combattants (parfois mutilés, comme Léon Jost) leur est favorable : le procès
est plusieurs fois reporté. Il a finalement lieu le 16 juillet devant le
tribunal militaire allemand (Feldgericht), situé rue Sully et présidé par un SS,
Dormagen. Les accusés chargent Auguste Bouvron (avec son accord). Ils sont
condamnés à des peines de forteresse : six mois (Mlle Litoux), quatre ans et
demi (Marin Poirier), trois ans pour les autres. Deux d'entre eux vont faire
appel ; l'appel est jugé le 27 août : Marin Poirier est condamné à mort et
exécuté le 31 août ; Mlle Litoux voit sa peine portée de six mois à trois ans.
Les jeunes résistants
Michel Dabat, Frédéric Creusé, Jean-Pierre
Glou, Jean Grolleau sont des jeunes gens qui ont participé à différents réseaux
de résistance : le réseau « Vandernotte » pour les trois premiers, « Max Veper »
pour le quatrième.
Ils sont jugés le 8 août 1941, ainsi que Christian de Mondragon, 17 ans, et des
gens plus âgés17 : M. Glou père, Mme Dupuy de Guigueron, Mlles Le Lostec et
Fonteneau. Faute de preuves catégoriques, seulement trois peines sont
prononcées, inférieures à la durée de détention provisoire. Les prévenus
devraient donc être relâchés, mais sont maintenus en détention, sur décision de
la Gestapo, semble-t-il, alors qu'à l'époque Karl Hotz aurait voulu
l'application de la décision du tribunal. Seul Christian de Mondragon sera
libéré quelques semaines plus tard (probablement en raison de son jeune âge).
Jean Platiau.
Les communistes
René Carrel, Joseph Gil, Robert Grassineau, Léon Ignasiak.
Cas particuliers
Maurice Allano et André Le Moal sont inclus dans la liste pour s’être battus
avec des soldats allemands
Le 22 octobre, les otages de Nantes sont répartis dans deux prisons : 13 à la
prison centrale (Lafayette), dans la section sous contrôle allemand (dirigée par
le comte (Graf) von Zeppelin), 3 à la prison militaire des Rochettes
(entièrement sous contrôle allemand). Les otages fusillés à Paris
Marcel Hévin est le responsable du réseau « Patt », dont fait partie Hubert
Caldecott. Marcel Hévin est arrêté le 25 janvier et transféré à Paris le 1er
octobre, comme Hubert Caldecott.
Philippe Labrousse a tenté d'aider Max Veper après l'arrestation de celui-ci. Il
est arrêté le 12 avril et transféré à Paris le 1er octobre.
André Ribourdouille, Victor Saunier.
À Paris, ils sont tous détenus au fort de Romainville.
Les exécutions (22 octobre 1941)
À Châteaubriant et Nantes, dans chacun des trois lieux de détention, les otages
sont regroupés au début de l’après-midi (sans connaître formellement le motif de
ce regroupement). Ce ne sont pas les autorités qui les informent de leur sort,
mais les prêtres catholiques français chargés de les assister moralement.
D’après les récits laissés par ces prêtres, leur entrée dans la salle est
suffisante pour que les otages comprennent ce qui va se passer. Les prêtres
recueillent les lettres (qui seront relues par la censure) et les objets
personnels à transmettre aux familles. Ils ne sont pas autorisés à accompagner
les condamnés aux trois lieux d’exécution, où se trouvent cependant des
aumôniers militaires allemands.
Les corps sont inhumés dans différents cimetières, dans des tombes anonymes. En
dispersant les corps, les Allemands veulent éviter la formation d'un lieu de
pèlerinage où pourraient s'exprimer des sentiments d'hostilité à leur encontre.
Mais la dispersion n'a pas empêché que les tombes des otages soient fleuries dès
les premiers jours et pendant toute la durée de la guerre.
À Paris, le déroulement des exécutions est plus expéditif.
Les familles des fusillés sont informées, non pas par les autorités, mais par la
publication de la liste des 48 dans la presse, le matin du 23 octobre.
Châteaubriant, camp de Choisel
Au camp de Choisel, les otages, regroupés dans
la baraque 6, sont assistés par l'abbé Moyon, curé de Béré (un quartier
populaire de Châteaubriant, le curé de Châteaubriant ayant refusé d'assister des
communistes). À 14 h, trois camions allemands viennent les chercher. Ils sont
emmenés à la carrière de la Sablière, située à la sortie de Châteaubriant. Ils
sont fusillés en trois groupes de 9 à 15 h 50, 16 h et 16 h 10.
Parmi eux figure Guy Môquet. Il s'agit du plus jeune des fusillés (17 ans). Il
refuse que ses camarades intercèdent en sa faveur. « Je suis communiste autant
que toi » déclare-t-il au docteur Ténine. Tous refusent d'avoir les yeux bandés
et les mains liées. Ils meurent en chantant la Marseillaise.
Parmi les autres fusillés de Châteaubriant, on peut citer Charles Michels,
député communiste du 15e arrondissement de Paris et Jean-Pierre Timbaud,
secrétaire de la fédération des métaux CGT de la région parisienne. Il y avait
également deux trotskistes : Marc Bourhis et un communiste qui avait rompu avec
le PCF à la suite du Pacte germano-soviétique, le maire de Concarneau Pierre
Guéguin.
Le soir du 22, les corps sont amenés au château de la ville, où se trouve la
sous-préfecture et placés en désordre dans une salle. Le soir du 23, ils sont
placés dans des cercueils puis emmenés par groupe de trois dans les cimetières
de neuf communes proches de Châteaubriant, notamment : Moisdon-la-Rivière
(Raymond Laforge), Saint-Aubin-des-Châteaux, où René Guy Cadou est présent lors
du passage du camion (Jean-Pierre Timbaud), Petit-Auverné (Guy Môquet), Villepot.
Nantes
À la prison Lafayette, les otages sont dispersés dans des cellules et n'ont pas
été mis au courant des événements ; lorsqu'ils sont appelés, ils ignorent pour
quelle raison. Ils reçoivent l'assistance de l'abbé Fontaine, aumônier de la
prison. Ils sont emmenés au champ de tir du Bèle et fusillés en 4 groupes de 3
ou 4 ; le délai de la première à la dernière fusillade est de 40 minutes.
À la prison des Rochettes, les otages sont assistés par l'abbé Théon, professeur
au collège Saint-Stanislas. Ils sont amenés en dernier lieu au terrain du Bèle.
Les corps sont inhumés dans les cimetières de trois communes au sud-est de
Nantes : Basse-Goulaine, Haute-Goulaine et Saint-Julien-de-Concelles.
Paris, fort de Romainville
Ici les choses se passent dans la précipitation : appelés vers 14 h 30, les
otages sont directement emmenés au fort du Mont-Valérien où ils sont assistés
par l'abbé Stock, mais ils ont juste le temps d'écrire une lettre et sont
fusillés ensemble vers 15 h 30.
L'abbé Stock le passeur d'âme
Liste des fusillés du 22 octobre
La liste des fusillés est publiée dans la presse le 23 octobre 1941 sous le
titre « AVIS » ; elle indique simplement le nom, le prénom, la localité
d'origine et le motif de l’arrestation ou de la condamnation de l’otage. Les
otages sont numérotés de 1 à 48 ; l'ordre est établi en fonction des motifs de
condamnation, quoique de façon pas totalement cohérente.
Cinq motifs sont retenus :
député communiste (1 cas) ;
secrétaire de « Syndicat communiste » (4 cas) ;
communiste (26 cas) ;
violences contre des soldats allemands (2 cas) ;
action en faveur de l'ennemi (15 cas).
Les listes ci-dessous sont présentées dans l’ordre alphabétique, ensuite sont
données quelques indications biographiques (âge, profession, fonctions,
activités politiques, date d’arrestation ou de jugement).
Fusillés à Châteaubriant
27 personnes fusillés à la carrière de la
Sablière. (1)
Auffret Jules, 39 ans, ouvrier gazier, de Bondy, conseiller général communiste
de la Seine.
Barthélémy Henri, 58 ans, de Thouars, retraité de la SNCF, militant communiste.
Bartoli Titus, 58 ans, de Digoin, instituteur honoraire, militant communiste.
Bastard Maximilien, 21 ans, de Nantes, chaudronnier, militant communiste.
Bourhis Marc, 44 ans, de Trégunc, instituteur, militant communiste trotskiste.
David Émile, 19 ans, de Nantes, mécanicien-dentiste, militant communiste.
Delavacquerie Charles, 19 ans, de Montreuil, imprimeur, militant communiste.
Gardette Maurice, 49 ans, de Paris, artisan tourneur, conseiller général
communiste de la Seine.
Granet Désiré, 37 ans, de Vitry-sur-Seine, secrétaire général de la Fédération
CGT des papiers et cartons.
Grandel Jean, 50 ans, employé des PTT, maire communiste de Gennevilliers,
conseiller général communiste de la Seine, secrétaire de la Fédération postale
de la CGT.
Guéguin Pierre, 45 ans, de Concarneau, professeur, maire communiste de
Concarneau et conseiller général du Finistère, communiste critique : refuse
d'accepter le pacte germano-soviétique et rompt avec le PCF, puis se rapproche
des trotskistes.
Huynh Khuong An dit « Luisne », 29 ans, de Paris, professeur, militant
communiste.
Kérivel Eugène, 50 ans, de Basse-Indre, capitaine côtier (marin pêcheur),
militant communiste.
Laforge Raymond, 43 ans, de Montargis, instituteur, militant communiste.
Lalet Claude, 21 ans,de Paris, étudiant, dirigeant des Jeunesses communistes.
Lefebvre Edmond, 38 ans, d'Athis-Mons, métallurgiste, militant communiste.
Le Panse Julien, 34 ans, de Nantes, peintre en bâtiment, militant communiste.
Michels Charles, 38 ans, de Paris, ouvrier de la chaussure, député communiste de
la Seine, secrétaire de la Fédération CGT des cuirs et peaux.
Môquet Guy, 17 ans, de Paris, étudiant, militant communiste, fils du député de
la Seine Prosper Môquet.
Pesqué Antoine, 55 ans, d’Aubervilliers, docteur en médecine, militant
communiste.
Poulmar'ch Jean, 31 ans, d'Ivry-sur-Seine, secrétaire général de la Fédération
CGT des produits chimiques, militant communiste.
Pourchasse Henri, 34 ans, d'Ivry-sur-Seine, employé de préfecture, responsable
de la Fédération CGT des cheminots, militant communiste.
Renelle Victor, 42 ans, de Paris, ingénieur-chimiste, militant communiste,
créateur du syndicat des techniciens des industries chimiques.
Tellier Raymond, 44 ans, d'Amilly, imprimeur, militant communiste.
Ténine Maurice, 34 ans, d’Antony, docteur en médecine, militant communiste.
Timbaud Jean-Pierre, 31 ans, de Paris, mouleur en bronze, secrétaire général de
la Fédération CGT de la métallurgie, militant communiste.
Vercruysse Jules, 48 ans, de Paris, ouvrier du textile, secrétaire général de la
Fédération CGT des textiles, militant communiste.
(1) La Carrière des Fusillés est la sablière, située dans la commune de
Châteaubriant, en Loire-Atlantique (à l'époque Loire-Inférieure), où 27
prisonniers du camp de Choisel ont été assassinés par les nazis le 22 octobre
1941 en représailles à la mort de Karl Hotz.
Fusillés à Nantes
16 personnes fusillées au champ de tir du Bèle, à Nantes
Allano Maurice, 21 ans, de Nantes, soupçonné de résistance (violences contre un
soldat allemand).
Birien Paul, 50 ans, de Nantes, voyageur de commerce, ancien combattant,
soupçonné de favoriser les évasions de prisonniers de guerre (jugé le 16 juillet
1941).
Blot Joseph, 50 ans, de Nantes, ancien combattant, vice-président des marins
combattants, soupçonné de favoriser les évasions de prisonniers de guerre (jugé
le 16 juillet 1941).
Blouin Auguste, 57 ans, de Nantes, voyageur de commerce, ancien combattant,
soupçonné de favoriser les évasions de prisonniers de guerre (jugé le 16 juillet
1941).
Carrel René, 20 ans, de Nantes, militant communiste, soupçonné de résistance.
Creusé Frédéric, 20 ans, de Nantes, soupçonné de résistance, prisonnier à la
prison des Rochettes (jugé le 8 août 1941).
Dabat Michel, 20 ans, de Nantes, action de Résistance : installe, en compagnie
de Christian de Mondragon, un drapeau français au sommet d'une des tours de la
cathédrale, prisonnier à la prison des Rochettes (jugé le 8 août 1941).
Fourny Alexandre, 43 ans, de Nantes, avocat, conseiller général, ancien adjoint
au maire de Nantes, ancien combattant, chevalier de la Légion d'honneur,
soupçonné de favoriser les évasions de prisonniers de guerre (jugé le 16 juillet
1941).
Gil Joseph, 19 ans, de Nantes, militant communiste, soupçonné de résistance.
Glou Jean-Pierre, 19 ans, de Nantes, soupçonné de résistance (jugé le 8 août
1941).
Grassineau Robert, 34 ans, de Nantes, communiste, soupçonné de résistance.
Grolleau Jean, de Nantes, 21 ans, soupçonné de résistance.
Ignasiak Léon, 22 ans, de Saint-Herblain, communiste, soupçonné de résistance.
Jost Léon, 57 ans, directeur de la fabrication et du personnel de l'usine LU de
Nantes, président des Associations d'anciens combattants et victimes de la
guerre de la Loire Inférieure, commandeur de la Légion d'honneur, soupçonné de
favoriser les évasions de prisonniers de guerre (jugé le 16 juillet 1941).
Le Moal André, 17 ans, de Saint-Nazaire, violences contre les soldats allemands,
soupçonné de résistance.
Platiau Jean, 20 ans, de Nantes, soupçonné de résistance, prisonnier à la prison
des Rochettes (jugé le 8 août 1941).
Fusillés au Mont-Valérien
5 personnes fusillées au fort du Mont-Valérien
Caldecott Hubert, 35 ans, de Nantes, membre d'un réseau de Résistance.
Hévin Marcel, 35 ans, de Nantes, membre d'un réseau de Résistance.
Labrousse Philippe, 32 ans, de Saint-Nazaire, membre d'un réseau de Résistance.
Ribourdouille André-Charles, de Nantes.
Saunier Victor, de Nantes.
Réactions
L'exécution de 48 otages le 22 octobre, suivie le 24 de celle de 50 otages à
Martignas-sur-Jalle (Bordeaux), suscite une énorme émotion en France et dans le
monde.
Le 25 octobre le général de Gaulle déclare à la radio de Londres : « En
fusillant nos martyrs, l'ennemi a cru qu'il allait faire peur à la France. La
France va lui montrer qu'elle n'a pas peur de lui [...] J'invite tous les
Français et toutes les Françaises à cesser toute activité et à demeurer
immobiles, chacun où il se trouvera, le vendredi 31 octobre, de 4 heures à 4
heures 5 [...] ». Une grève symbolique de cinq minutes est organisée à travers
toute la France. Le 11 novembre, de Gaulle décerne à la ville de Nantes le titre
de Compagnon de la Libération.
Un tract daté du 25 octobre est largué entre le 30 octobre et le 4 novembre 1941
sur la France. Il comporte d'un côté la déclaration de Winston Churchill au
sujet des otages, et de l'autre côté celle de Franklin Roosevelt, ce qui est
d'autant plus important que les États-Unis ne sont pas encore entrés en guerre.
À propos de l'exécution d'otages non combattants, Roosevelt déclare que « Les
peuples civilisés ont depuis longtemps adopté le principe qu'aucun homme ne doit
être puni pour les actes d'un autre homme. » Il déclare également qu'il pense
lui-même que ces actions ne peuvent que renforcer l'opposition à l'Occupation :
« Les nazis auraient pu apprendre de la dernière guerre l'impossibilité de
briser le courage des hommes par la terreur. »
À la Libération
Après la Libération, les otages auront des obsèques nationales et leurs familles
pourront les inhumer où elles le souhaitent ; certaines n'ont pas procédé au
transfert (c'est par exemple le cas de Jean-Pierre Timbaud à
Saint-Aubin-des-Châteaux). Dès 1945, le nouveau boulevard créé par le comblement
de l'Erdre prend le nom de Cours des 50-Otages et un monument aux Cinquante
Otages est inauguré en 1952 à l'extrémité du cours.
La mémoire des exécutions
Évocations littéraires
Un poème de René Guy Cadou, intitulé Les fusillés de Châteaubriant, évoque les
derniers moments des exécutés :
Ils sont appuyés contre le ciel
Ils sont une trentaine appuyés contre le ciel
Avec toute la vie derrière eux
Ils sont pleins d'étonnement pour leur épaule
Qui est un monument d'amour
Ils n'ont pas de recommandations à se faire
Parce qu'ils ne se quitteront jamais plus
[...]
Ils sont exacts au rendez-vous
Ils sont même en avance sur les autres
Pourtant ils disent qu'ils ne sont pas des apôtres
Et que tout est simple
Et que la mort surtout est une chose simple
Puisque toute liberté se survit.
Il est plus difficile, sans la dédicace, de saisir que le poème La Rose et le
Réséda de Louis Aragon parle aussi de ces fusillés. Mais ce poème dit bien que
leur sacrifice sera utile.
à Gabriel Péri et d’Estienne d’Orves
comme à Guy Môquet et Gilbert Dru
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Tous deux adoraient la belle
Prisonnière des soldats
[...]
Répétant le nom de celle
Qu’aucun des deux ne trompa
Et leur sang rouge ruisselle
Même couleur même éclat
[...]
Dites flûte ou violoncelle
Le double amour qui brûla
L'alouette et l'hirondelle
La rose et le réséda
Le poème souligne par de nombreuses répétitions des deux premiers vers que dans
la Résistance, l'union sacrée transcendait les clivages religieux.
Mémoire historique
En France
On peut remarquer plusieurs faits :
à Nantes, la mémoire officielle a retenu le nombre de 50 otages (nom d'un cours,
monument), qui est exact au sens littéral, mais qui nécessite des explications
sur le nombre de 48 fusillés ;
les exécutions du 22 octobre sont beaucoup plus connues que celle du 24 octobre
à Bordeaux, pourtant plus nombreuse. Cependant, en novembre 1941, la colonne
Leclerc rendait hommage dans le désert du Sahara aux « 100 otages morts pour la
France » ;
Des exécutions du 22 octobre, l'exécution de Châteaubriant est la plus connue.
L'exécution de Châteaubriant est devenue, après la guerre, emblématique, pour
différentes raisons (par exemple : le poème de René Guy Cadou ; il est
d'ailleurs normal qu'il l'ait écrit sur les fusillés de Châteaubriant (ils sont
une trentaine) puisqu'il avait presque eu contact avec eux, étant à
Saint-Aubin-des-Châteaux à cette époque), mais qu'elle a un peu occulté les
autres.
La reconnaissance tardive de la présence de militants trotskistes parmi les
fusillés.
Pendant longtemps, l'appartenance au courant trotskiste de Marc Bourhis fut
occultée. En 1980, une polémique oppose un militant communiste, ancien interné
de Châteaubriant, qui nie que Marc Bourrhis soit trotskiste, à Alain Krivine,
dirigeant de la Ligue communiste révolutionnaire. Pourtant, le dictionnaire
biographique du mouvement ouvrier français de Maîtron et Pennetier établit
clairement cette appartenance. Leurs auteurs démentirent publiquement l'ancien
interné de Châteaubriant.
La polémique porte aussi sur Pierre Guéguin, présenté comme « communiste » par
le PCF, mais qui avait rompu avec ce parti lors du Pacte germano-soviétique de
1939 et était devenu sympathisant trotskiste. Ce n'est qu'en 2003 que L'Humanité
reconnaît les sympathies trotskistes de l'ancien maire de Concarneau.
Timbre est-allemand de 1974 portant la mention « Monument national à la mémoire
des héros de la Résistance française à Châteaubriant, France. ».
L'historien allemand Eberhard Jäckel, fait mention de ces évènements dans son
livre Frankreich in Hitlers Europa – Die deutsche Frankreichpolitik im Zweiten
Weltkrieg, paru en 1966 (traduction française : La France dans l'Europe de
Hitler, 1968).
Le livre de Louis Oury. Donne l’impression que les historiens allemands qui
discutaient avec lui ne connaissaient pas le sujet, qu’ils le découvraient. Il
est donc à l’honneur de la ville de Sarrebruck d’avoir essayé de combler cette
lacune en publiant un livre sur un sujet difficile.
Le téléfilm La Mer à l'aube de Volker Schlöndorff est diffusé sur Arte en mars
2012.
Synopsis
Le 21 octobre 1941, trois militants des jeunesses communistes abattent un
officier allemand dans le centre de Nantes. En représailles.