Récit de Dine Le Roux
Roger (Le Roux) est parti au maquis parce qu’avec ses 19 ans il fallait qu’il
parte au travail obligatoire et ça il ne voulait pas en entendre parler.
Roger Leroux
Il avait été visité deux ou trois fois par les Allemands. Comme il venait
d’avoir la typhoïde, il a eu la chance de tirer quelques mois, mais après il
fallait qu’il parte et il ne voulait pas partir. “Je n’aurais pas pu travailler
sous leurs ordres” disait-il “couper les arbres dans les jardins français, dans
les parcs de la côte comme ils faisaient tous”. Il ne voulait pas
personnellement obéir au vainqueur et il ne voulait surtout pas travailler sous
leurs ordres et pour eux. C’est pour cela qu’il est parti.
Ce n’était pas pour se camoufler ou s’éviter des ennuis avec l’occupant. Il
n’était pas plus embêté qu’un autre à ce moment là, mais il savait que le
travail obligatoire était là et qu’il fallait qu’il parte. Son but était de
faire fuir les allemands. Il était quand même fils de militaire. Son père avait
fait l’école navale. Il était mort à 30 ou 40 ans d’un accident en mer dans la
flotte de Toulon. Quand il était arrivé à l’hôpital la gangrène avait fait son
travail, à ce moment là Roger n’avait pas 6 ans. Pour chasser l’envahisseur,
Roger avait décidé de s’engager et de partir en Afrique du Nord. Mais au moment
voulu cela n’a plus été possible, alors il a cherché et vu ici à Draguignan deux
personnes qui lui ont dit: “le plus simple c’est de rejoindre Aups et de là le
maquis.”
La veille du départ sa grand-mère avait dit: “ je vais te faire quelque chose
que tu mettras en haut du clocher. Roger a dit oui, oui, oui. Elle a fait un
drapeau et il est monté le mettre. Dans la nuit, il est monté au clocher qui
fait 20 mètres. Il y avait deux autres résistants, Marcel Meiffret et Louis
Casanova qui l’ont aidé à monter. Il a mis le drapeau. Les allemands sont passé
dessous. Marcel et Casanova se sont planqués. Ils ont sifflé. Roger a sauté les
20 mètres et ils se sont cavalés. Les Allemands ne se sont aperçus de rien.
Au début de la matinée, vers les 9 heures, les passants regardaient le clocher.
Les allemands qui faisaient la ronde ont regardé aussi et ont vu le drapeau sur
la tour de l’horloge. Alors là ça a été dare-dare. Ils ont barricadé. Ils ont
arrêté 4 ou 5 personnes qu’ils ont questionnées. Rassemblement de tout le
quartier. Les Allemands sont montés avec une échelle pour enlever le drapeau. Il
était plus de 9 heures du matin. Roger est parti le lendemain au maquis.
Le matin du 2 février, rendez-vous à l’endroit convenu. Il y avait Marcel et
Yvonne qui l’ont accompagné et Marcel l’a pris en photo le matin même où il est
parti. La voiture y était. Ils devaient être quatre ou cinq et sur les cinq ils
se sont retrouvés deux: Tony Mariani et Roger. Ils les ont amenés jusque vers
Aups mais pas tout à fait dans Aups. On leur a dit c’est par là, allez. Mais là,
bien entendu, personne ne savait grand chose.
Ils étaient nombreux. Les uns allaient, les autres venaient. Ils sont restés
quelques jours dans une maison, puis on les a emmenés dans une autre. Roger ne
se décourageait pas facilement: “On va bien voir ce qu’ils vont faire de nous.”
Une fois on les interrogeait sur la famille, une fois sur autre chose et Mariani
commençait à dire “moi, je veux partir” et Roger lui disait toujours “mais non,
ne pars pas; ça viendra, on trouvera le maquis.” Puis un beau matin, on leur a
dit “ça y est, il y a un maquis en formation.” C’était le maquis de Mons.
C’est le 22 février qu’ils sont arrivés à Mons. Ils sont arrivés à peu près à 2
km du village. Lorsque la voiture s’est arrêtée, il y avait un petit pont. On
leur a dit “c’est la maison blanche là bas.” Ils ont suivi le petit cours d’eau
qui était là, la Siagnole. Ils se sont avancés vers la maison blanche en
question. C’est une grande maison haute comme on faisait autrefois. Ils ont
trouvé un jeune officier, plus âgé qu’eux qui les attendait. Il leur a dit “vous
êtes les deux que j’attends de Draguignan.” Leur vie de maquisard a commencé là.
Claude Ravaisse, lui, a eu une vie encore plus extraordinaire que tous les
autres. Il était de Corbeil. Je crois que c’est dans l’Essonne. Son père était
notaire. Son frère qui avait deux ans de plus que lui a réussi à partir en
Angleterre. Mais Claude qui avait 19 ans comme Roger n’a pas pu partir. Un jour
il dit à son père “moi, je ne veux pas plus que mon frère vivre avec les
envahisseurs. Je veux faire quelque chose, je veux partir. Son père lui a dit
“si tu veux avoir une chance c’est dans le midi. Il faut que tu descendes. Il
n’y a que là bas que tu pourras essayer.”
Il a ramassé ses affaires. Son père lui a donné un peu d’argent et lui a dit
“file directement sur Saint-Raphaël ou dans la région parce que c’est là que
tout se passera un jour. S’il y a quelque chose, ça viendra de là.” C’est ce
qu’il a fait. Il est arrivé à Saint-Raphaël en janvier et a cherché du boulot.
Il a trouvé de petites choses à faire sur le quai. Il a loué un studio qu’il a
trouvé et a vécu avec l’argent qu’il avait. Et puis février est arrivé. Il
n’avait plus beaucoup de sous et s’est dit “il faut à tout prix que je trouve le
moyen de contacter un lieu de résistance.
Quelqu’un lui a dit “allez à Fréjus au presbytère, vous trouverez.” Alors il est
allé à Fréjus, 2 ou 3 jours de suite à la messe le matin. Il a vu que le curé
était toujours en confession avant la messe. Un matin il a fait pareil, il est
allé en confesse. Il a dit au curé voilà ce que je cherche. Le curé lui a dit
tout de suite qu’il ne pouvait pas s’en occuper. Deux jours après il est
retourné en confesse. Le curé lui a dit “on ne peut croire personne. Il y en a
tellement. Est-ce que c’est vrai ou pas vrai? Est-ce qu’ils sont sincères ou pas
sincères? Comment voulez-vous que je fasse avec eux?”
Alors il lui a dit “si vous voulez me mettre à l’épreuve vous verrez,” et ils
ont discuté. Le curé lui a dit “donnez-moi verbalement toutes les informations
sur vous. Qu’est-ce que vous cherchez? Alors il lui a dit “eh bien voilà je vous
dis tout sur ma famille. Mon frère est parti en Angleterre. Moi je n’ai pas pu
mais je suis venu ici.” Il lui a dit “écoute, moi je ne connais personne, mais
je vais essayer. Je vais voir si quelqu'un veux bien s’occuper de toi.” Et en
fait personne ne s’est occupé de lui à part le curé.
Un jour, il lui a donné rendez-vous au bord de la route. Il était en chasseur.
Il a bien regardé “c’est le curé? c’est pas le curé?” En s’approchant, il a bien
reconnu le curé qui était en chasseur et qui avait une voiture planquée quelque
part. Il lui a indiqué l’endroit, le petit pont, la rivière, la maison blanche.
“C’est là bas”. Il est arrivé les premiers jours de mars.
Yo est arrivé peu après au maquis, sans doute en avril. Yo et Claude Ravaisse
avaient déjà 20 ans. Roger a eu 20 ans le 8 avril. Il a été le seul à avoir 20
ans au maquis. M. Gleb est parti à une ferme. On lui a donné 3 œufs. Il a fait
les 3 œufs au plat et les a portés à Roger en lui souhaitant un bon
anniversaire. Roger en a mangé 2. Ils ont partagé le troisième en 5 ou 6. Ils
les ont mangés avec une pomme de terre bouillie parce qu’ils n’avaient pas de
pain.
Roger m’a raconté qu’un après-midi ils étaient aux Margès. C’était je pense fin
juin parce qu’ils étaient beaucoup recherchés à cette époque là, début juillet
aussi. La route passait à quelques buissons d’eux. Ils étaient 48 camouflés dans
les buissons, arme prête à tirer. Ils savaient que les allemands les
recherchaient. Roger s’est avancé. Il est allé au bord de la restanque, M. Gleb
était derrière. Quand Roger a été devant presqu’au bord, une rafale de
mitraillette lui est passée entre les jambes et a contourné M. Gleb. Les autres
se sont précipités sur leurs armes. M. Gleb les a retenus. Il s’est avancé vers
Roger et a demandé
“ – ça va?
– oui
– je sais que vous n’êtes pas touché, de la façon dont vous êtes tombé, j’ai
compris que vous aviez entendu partir la rafale.”
Roger entendait très bien. Le fusil c’était son arme. Quand ils ont appuyé sur
la gâchette de la mitraillette, il a entendu partir les balles. C’est pour cela
qu’il s’est balancé par terre. Et M. Gleb l’a vu. La rafale est passée sans les
toucher. S’ils avaient tiré, ils seraient tous morts parce que le camion était
chargé et il y en avait un autre plus bas qu’ils ont vu après. M. Gleb a tenu
tout son monde d’un signe de la main et personne n’a bougé. Il n’y a pas eu de
riposte. Les allemands sont partis.
C’est pour cela que nous avons appelé notre maison les Margès. Roger a dit “j’ai
eu la vie sauve là haut, autant le mettre comme nom. Si je n’avais pas entendu
la rafale j’étais cuit parce que je restais debout.” Ils étaient contents, M.
Gleb d’avoir maîtrisé la situation et Roger de s’être balancé par terre.
En août, ils sont partis de là haut avec une tomate dans la poche et ils sont
arrivés à la côte toujours avec la tomate dans la poche. Ils n’avaient pas pu
manger parce que, à Collobrières, ils ne se sont pas arrêtés. Ils se sont battus
d’une rue à l’autre et la tomate était toujours dans la poche. Ils étaient
tellement dans le feu de l’action; ils n’y pensaient pas.
A Collobrières ils s’en sont vu avec les allemands derrière les portes, dans les
couloirs. Les gens disaient tous qu’ils ne voyaient personne, qu’ils ne savaient
pas s’il y avait quelqu’un. Les autres étaient dedans. Ils essayaient de
dégager, de faire sortir les gens. Ils n’ont pas été aidés. Les gens ne
voulaient pas sortir.
Quand ils sont arrivés aux quatre chemins à l’embranchement de Sauvebonne, il y
en a un qui s’est fait tuer. En tombant il a fait partir un coup de fusil et un
des allemands qui était en face dans les vignes à quelques mètres derrière lui
l’a tué. Ils ont tiré et ils sont partis.
Puis les Allemands sont partis. Les avions alliés sont venu faire une
reconnaissance. Ils ont vu les avions et il n’y a plus eu personne. Ils sont
partis dans les mines. Ils se sont tous mis en civil comme ils ont fait à
Brignoles. On n’a plus reconnu personne. 22 000 Allemands qu’on n’a pratiquement
pas retrouvés. Mais des civils, il y en avait beaucoup dans les bois. Ils ont
sauvé leur peau. Ils ont du faire pareil partout.
Après avoir libéré Giens, ils sont allés à la Mairie de Hyères, puis au Grand
Hôtel. En arrivant là, ils ont trouvé les jolies têtes noires: c’est la DFL qui
arrivait. M. Gleb est parti on ne sait où. Roger et Claude Ravaisse se sont
trouvés avec les Américains qui arrivaient de tous les cotés. Il y avait
l’infanterie de marine. Ils ont dit “eh bien on veut partir avec vous.” Ils sont
partis habillés comme ils étaient. On leur a donné une mitraillette et un
brassard et c’est tout. Tous les deux ont dit on va bien voir.
Ça a duré trois jours. Ils sont restés à Hyères avec l’infanterie de marine.
C’est M. Gleb, quand il est arrivé presque à Lyon, qui a demandé ses deux
protégés au corps des engagés volontaires. Quelques heures après les Américains
leur ont dit “prenez vos affaires; votre officier vous cherche; il faut aller le
rejoindre”, et ils sont partis le rejoindre. Ils sont allés jusqu’à Lyon
retrouver M. Gleb qui était dans l’artillerie. De là, ils ont fait la guerre
ensemble. Roger était premier canonnier. Claude Ravaisse était secrétaire. Ils
étaient onze dans la Section Optique et Mécanique (SOM). C’est M. Gleb qui
commandait. Il réglait les tirs, réglage tout à la main et au chiffre. C’est
Roger qui tirait le premier coup. Roger et M. Gleb ne se sont pas quittés
pendant deux ans. Ils voulaient poursuivre et libérer la France jusqu’au bout.
Dine était pensionnaire au préventorium de Porquerolles. Elle connaissait mes
parents depuis plusieurs années quand les Allemands ont fait évacuer l'île en
novembre 1943. En 1946 l'aérium Les Ribambelles, à Hyères, a pris la suite du
préventorium de Porquerolles. Dine et Roger, qui ne se connaissaient pas, sont
venus y travailler. Mon père était "le lieutenant" pour Roger et "monsieur Gleb"
pour Dine. Après un certain nombre d'années il était devenu "Gleb" pour Roger
mais Dine, comme tous les anciens de Porquerolles a continué à l'appeler
Monsieur Gleb.
Source: Maquis-vallier
Souvenirs de Tony Mariani, évoqués avec Dine Le
Roux (veuve de Roger Le Roux) et Claude Sivirine
DINE: Tony, vous êtes parti quand?
TONY: Nous sommes partis, Roger1 et moi, du stade Raoul Brulat le 8 février
1944; selon les ordres reçus j’ai quitté mon emploi à l’Office des Combattants
de Draguignan le 12 février.
DINE: Moi j’ai un papier signé par Vallier daté du 16 février.
TONY: Moi j’ai une attestation de Vallier datée du 22 février; c’est le jour où
nous sommes arrivés à Aups. Mais l’autorité militaire de la 9ème région
(Marseille) m’a délivré le 22 octobre 1951 le certificat d’appartenance aux FFI
- CFL du Var (Maquis Vallier) du 14/2 au 22/8 1944 signé du Général Raynal,
Commandant de la 9ème région, seule pièce authentique figurant dans le dossier
me concernant.
CLAUDE: L’entrée au maquis c’est où?
TONY: Au début, en février 1944, c’était au quartier de la Cabre d’Or à
Figanières2; ceux qui arrivaient par le train des Pignes s’arrêtaient à la halte
de Figanières.
Roger et moi avons été pris en charge par MM. Blanc dit Lenoir (contrôle
économique) et Soldani dit Valmy, répétiteur au collège de Draguignan. Le camp
de réception était dirigé par un nommé Marcel qui tous les matins faisait hisser
les couleurs, un drapeau bleu, blanc, rouge de belles dimensions en pleine zone
occupée: c’était discret. J’ai dit à Roger: «nous allons être repérés, moi je ne
reste pas là».
L’armement était constitué d’une mitraillette STEN, d’un colt 11 - 45 et d’une
bombe Gammont3 de 3 à 400 grammes qui trônait sur le rebord de la cheminée du
cabanon qui abritait les réfractaires. Un soir René Barbezat, le parisien, s’est
aperçu en entrant que le bouchon de l’engin était dévissé; si la bombe était
tombée, il n’y aurait pas eu de suite à cette histoire. De nombreuses personnes
savaient que nous étions là, aussi un matin Picoche est arrivé et nous a dit: «
On va à Aups, tout le monde sous la bâche du camion; les gens armés se tiennent
prêts à tirer en cas de besoin». Si le véhicule avait été intercepté sur le
parcours il n’y aurait eu aucun survivant. Picoche nous demande à Roger et à moi
si nous connaissons l’individu qui se trouve sur une photo qu’il nous présente.
C’est un Dracénois que nous connaissons depuis toujours. Il nous fait savoir que
celui ci aurait été capturé par les Allemands et retourné pour servir chez eux.
C’est le curé de Bargemon qui l’indique (il convient de préciser que Jean Aloïsi,
curé de Bargemon, a été déporté). Picoche nous demande d’abattre la personne en
question s’il se présente au maquis.
Le trajet s’est effectué par Châteaudouble, Vérignon et La Bigue au dessus
d’Aups. Nous nous sommes installés dans une bastide. La cheminée de la
construction a été transformée en poste d’observation et de défense le cas
échéant. J’étais en terrain connu car je venais chasser dans ce quartier avec
mes amis aupsois.
DINE: Ce n’était pas le maquis Vallier.
TONY: C’était l’anti-chambre. Nous n’étions pas encore à Fayence, mais nous
étions sous l’autorité du Lieutenant. Un jour arrivent Marquis (Leduc) de la
caisse d’épargne de Toulon et Ernest Millet qui sera tué à Aups en juin 1944.
Ils viennent nous chercher, Roger et moi, pour aller à Fayence. Enfin nous
allons voir ce fameux Maquis. C’était le 22 ou 23 février. Dès l’abord nous
avons une bonne impression: il y a des guetteurs et des hommes en armes pour la
défense du camp.
J’aperçois Dominique Luciani; je descends et franchis le gué «Oh, le fils de
Charles; viens ici compatriote! Alors bon, est-ce que tu viens à la pêche?»
«Non, je viens au Maquis Vallier, plaisantin!» Tout est bien organisé mais le
maquis est dans un trou. Si nous sommes encerclés, nous aurons de sérieuses
pertes.
DINE: Là vous êtes passés sur un petit pont pour aller à la ferme.
TONY: Oui.
DINE: Vous êtes arrivés par la route de Mons, pas par la route de Fayence, c’est
là qu’il y a le petit pont. Vallier avait baptisé ça Farigoule. Moi je dis
Farigoule, c’est le thym en Provençal. Alors, il a marqué Farigoule. Bien des
années plus tard, quand j’y suis allée avec Roger et les petits enfants, j’ai vu
un étendard dans la maison et il y avait marqué «vallée de Frigoule».
TONY: Sur la carte de l’IGN au 1/20 000ème figure le nom de Frigouré, c’est à
dire à un endroit froid.
CLAUDE: Quand vous êtes arrivés au Maquis, vous avez vu Dominique.
TONY: Oui, et immédiatement le lieutenant qui nous a dit: “je vous attends pour
une conversation personnelle”.
CLAUDE: Quel effet vous a t’il fait ?
TONY: Sympathique, jeune.
CLAUDE: Il n’était pas si jeune que ça, il avait 10 ans de plus que vous.
TONY: Oui; il m’avait dit qu’il était assez âgé, qu’il se trouvait âgé; je lui
dis “moi je trouve que vous gambadez bien.”
A Frigouré il m’est arrivé une salle histoire en travaillant dans les ronciers.
J’avais été piqué par une ronce à un doigt de la main droite. Pendant trois
semaines ça a mûri; j’avais une poche de pus sous le bras droit et je souffrais.
Vallier m’a dit: “je dois me rendre à Fayence, vous viendrez avec moi. Je pars
voir mon épouse; au retour je vous ramènerai. Un docteur, Monsieur Tallent de
Fayence, vous opérera. Son frère est pharmacien au village. Guichard le
garde-canal vous prendra en charge; pour l’instant il vous emmène chez lui et
vous mènera le moment venu chez le responsable des parachutages. L’opération
aura lieu à son domicile”.
Le lendemain de très bonne heure, Guichard me mène chez la personne désignée
ci-avant. Sur la table il y a des bistouris et toute la pharmacie. Le docteur me
dit
“ – je n’ai pas d’anesthésique!
– tant pis
– tu as un mouchoir? Mets-le dans ta bouche.”
Je dis “ oh là là, ça commence à sentir mauvais! ” Avec le couteau bistouri il
m’a enlevé tout ce qui était mauvais et fait couler le pus. Ensuite, il a
désinfecté la plaie et m’a dit“Je n’ai rien d’autre que ça.” Quand il mettait
son produit, je faisais la valse. Il ajoute “ce soir il faut que tu manges
léger, je vais donner les ordres à l’épouse du responsable: une petite soupe et
rien d’autre”. Le soir arrive, le responsable s’apprête à partir car il y a un
parachutage de prévu. L’épouse me sert alors une soupe paysanne avec du porc
dedans et une omelette à assommer un bœuf. Je vais me coucher, mais toute la
nuit j’ai eu la fièvre et j’ai déliré. J’entendais l’avion qui passait une
première fois sur le terrain et au retour larguait son chargement. Le lendemain
matin, les gens qui m’abritaient me disent “nous vous laissons seul aujourd’hui;
si quelqu’un vient frapper à la porte, regardez par le mouchard mais n’ouvrez
pas”. Dans la matinée, la sonnette s’agite; je regarde et je vois trois
messieurs qui patientent; je prends l’arme qui m’a été confiée et j’ouvre
lentement la porte. Ils entrent et sont étonnés de ne pas voir les gens qu’ils
connaissent. Je m’étais tenu derrière la porte que je repousse doucement et leur
dis en les braquant: “veuillez lever les bras, moi je ne vous connais pas et
j’ai reçu des ordres”. A cet instant j’entends la porte du rez-de-chaussée qui
s’ouvre et le patron arrive. Ça s’arrange immédiatement. Les visiteurs se
présentent à moi: Monsieur X, je ne me rappelle plus, le second c’est
l’ingénieur subdivisionnaire des Ponts et Chaussées de Fayence, monsieur Hugues,
qui prête le véhicule du service pour le transport des armes parachutées, le
troisième c’est un Tallent comme celui qui m’a opéré. Nous en sommes là quand
Vallier arrive. Il salue les présents et me dit: “vous êtes prêt? –A vos
ordres!”. Je souligne que le Lieutenant nous a toujours dit «vous».
Nous partons et dès qu’on est éloigné du village je lui dis “je vais vous
raconter tout ce qui s’est passé” ; je lui explique complètement toute
l’histoire. Il me dit “vous avez bien fait de me dire tout ça. A faire évacuer
quelqu’un de blessé il faut que je trouve autre chose que ça. Si un d’entre nous
était blessé par balle, je ne sais pas s’il s’en sortirait”. Chemin faisant, je
lui fais part de mon étonnement: le maquis est dans un trou. Il me dit, je sais,
et je cherche un autre endroit pour nous établir. A mon retour, je suis dispensé
de travaux durs et je monte la garde. Les autres déboisent les layons qui
devront servir à notre retraite si besoin est. Le Lieutenant a doté le Maquis
d’un poste de gué dans la partie supérieure du camp mais à quelques centaines de
mètres de là il y a une charbonnière qu’un individu exploite (c’est l’époque des
gazogènes) et il a avec lui sa fille. Je comprends alors que les volontaires
pour la garde en haut où il fait froid en cette fin de février soient nombreux.
Vous voyez une paire de fesses et tout bascule! Vallier réagit rapidement et
déplace le poste de garde. Le volontariat cesse immédiatement.
Un matin je reviens de la garde à la passerelle, quelqu’un dans l’ombre
m’adresse la parole, mais en regardant attentivement le nouveau, je constate que
c’est Baudoï. Nous nous embrassons car depuis notre plus jeune âge nous sommes
amis. Le lieutenant me demande de venir le voir, j’arrive et il me dit “vous le
connaissez bien ? –oui, c’est un chef de trentaine au GAR4 de Draguignan”. Il me
dit alors: “Imaginez-vous qu’il a révolutionné tout Fayence en demandant où
était le Maquis et le responsable”. Il avait tout simplement oublié le nom et le
mot de passe! Les quolibets se sont abattus sur lui durant un bon bout de temps.
A la demande de Vallier, le Colonel Rouy, son fils et son frère Lolo, qui a été
tué au débarquement du 15 août, nous avaient trouvé une maison de campagne «Les
Louquiers» face à Mons à 1100m d’altitude. Pour venir de Frigouré nous avons
utilisé les services des Ponts et Chaussées de Fayence. Au matin un chauffeur
petit de taille et costaud nous attend. Comme j’ai encore le bras en
bandoulière, il me fait monter dans son véhicule. Je me place de manière à
pouvoir tirer s’il le faut. Il me demande ce qu'il m’est arrivé et je lui
explique tout. Des années plus tard, au bureau des Ponts et Chaussées à
Draguignan, voilà qu’arrive Noël Pelassy, conducteur de travaux nommé à
Draguignan. Je le laisse parler, je me lève, et lui montre ma main. C’est le
déclic: «c’était toi». Il s’en est suivi une amitié qui s’est perpétuée jusqu’à
la retraite.
Le Maquis était encore aux «Louquiers» lorsque le petit Jo (Georges Maranincchi)
s’est tué en revenant d’une patrouille. C’était un jeune homme comme nous mais –
comment je puis dire – il avait des gestes brusques. On lui a dit “ne tape pas
là”. Sur la STEM vous avez le chargeur sur le côté et il ne faut pas taper parce
que ça engage les balles et il en a reçu une en plein dans le cœur. Nous l’avons
enterré aux Louquiers, là haut et nous lui avons été rendus les honneurs
militaires.
Après nous avons été bouleversés.. on n’osait pas se parler ni les uns ni les
autres. Être tué en combattant c’est ce qui attend un militaire, mais là.. C’est
comme Daumas qui a été blessé par un de chez nous à Collobrières.
DINE: Le terrain de parachutage était où? Sur Fayence?
TONY: Au dessus de Fayence, vers Mons, mais ce ne devait pas être le seul.
CLAUDE: Là où maintenant ils font la cérémonie en décembre?
DINE: Non, ça c’est au Malay !
TONY: Je n’en sais rien, il y a longtemps que je n’assiste plus à ces
cérémonies.
A propos des parachutages dans la région de Fayence, la rumeur locale laisse
entendre qu’il n’y avait pas que des armes, il y avait aussi des enveloppes. Des
dépôts d’armes avaient été créés par les responsables locaux. Lorsqu’en juin
1944, nous étions alors à Canjuers, nous avons eu besoin d’armes, Vallier a
dépêché quelqu’un du maquis qui est revenu bredouille: toutes les armes avaient
disparu. Les renseignements que nous avons eus après le 8 mai 45 laissent
entendre que les armes avaient été vendues à la pègre niçoise. Mais si vous
interrogez autour de vous, silence absolu. J’ai pu constater qu’il y avait dans
les parachutages des boîtes de conserves, des médicaments, parfois de la
pénicilline et des enveloppes. C’est ainsi que le 9 août, alors que nous étions
provisoirement installés à la ferme des «amandiers» au bord du Verdon, un
important parachutage a eu lieu pour toutes les formations combattantes de la
région. Il y avait même un dracénois avec une camionnette Grazziani qui a
emporté un lot. Il y avait également des enveloppes, ils se murmurait qu’une
somme de 300.000F avait été larguée pour régler nos soldes depuis notre arrivée
au maquis. Mais lorsque le Lieutenant a voulu donner à Loiseau de quoi aller
jusqu’à La Seyne, c’est de sa poche qu’il a sorti 1000F. Il faut croire que
l’argent s’évanouissait !
Au mois de Mars, Vallier a eu des renseignements sur ce qu'il se préparait dans
la région, en outre, quelqu’un avait signalé que le Maquis était aux Louquiers.
Vallier a décidé de prendre les Allemands de vitesse et un matin à 4 heures nous
avons quitté le camp avec armes et bagages. Nous avons pris la direction de
Broves. J’étais désigné par le Lieutenant comme sentinelle à proximité du
village afin de diriger les autres vers la ferme de Paresse.
J’étais là depuis un quart d’heure lorsque j’aperçois un civil que je
connaissais bien. C’était l’ancien facteur alors à la retraite et en outre ami
de mon père. Je m’avance et lui dis qu’il doit oublier ce qu’il vient de voir et
qu’à l’occasion il dise à mon père que tout va bien, mais qu’il ne lui parle pas
du lieu de notre rencontre.
Après des heures de marche nous arrivons à proximité de la route de Draguignan à
Comps. Nous campons chez un berger-éleveur propriétaire de son troupeau. Pour
transporter le tout (nourriture, armes, munitions) nous avions confectionné avec
des sacs de pommes de terre vides et des sangles de parachute des bourriches.
Mais en marchant au bout d’un certain temps nous avions les épaules sciées, la
fatigue était extrême.
Deux jours plus tard, nous arrivons à Margès, dans le Grand Plan de Canjuers;
nous nous installons à 1500m d’altitude. Il y a deux bergeries, nous les
utilisons toutes les deux en faisant place au berger qui garde ses bêtes et nous
renseigne sur les gens que nous pouvons rencontrer: bûcherons, apiculteurs, et
les campagnes habitées par les gens du coin. Dès notre installation, le berger
de la Perrine dans le plateau vient se mettre à notre service, c’est Victor
Teissère, berger le jour, maquisard la nuit; en outre, la famille Malon qui
habite la ferme vers la fin du plan en direction d’Aiguines nous renseigne en
disposant le linge de la lessive d’une certaine façon si les gens qui se
déplacent dans le secteur sont amis ou suspects.
Nous restons là avec le PC installé à la Médecine; il y a une liaison tous les
jours avec le camp situé à 1500m d’altitude. Une nuit par un mistral très fort,
je suis de garde seul; je vais d’une bergerie à l’autre et je reviens vers le
chemin qui monte au camp.
J’entends des appels que je ne peux localiser tant le vent m’assourdit. C’est
Picoche qui se met en colère dès que je le rejoins et s’inquiète de savoir où se
trouve Vallier. Je lui indique la direction en ajoutant qu’il veuille bien
inviter les résistants qui dorment chez eux tous les soirs à nous rejoindre.
Nous aurons ainsi une garde plus efficace.
C’est à cette époque qu’on confie au Lieutenant la garde de deux hommes, un
policier et un receveur des PTT pétainiste ainsi que deux femmes dont une
tentera de s’évader. Elle sera reprise, jugée avec l’autre et elles seront
exécutées toutes les deux pour activités au service des Allemands. Il convient
de noter que l’Etat Major de la résistance dracénoise nous a refilé la salle
besogne.
CLAUDE: Racontez nous cette histoire de la débandade des nouveaux arrivés
TONY: Chez nous il y avait les anciens et puis les nouveaux du 65. Un après midi
de juillet, je suis avec le groupe 4 de garde au PC de la Médecine. Nous avons
pris position avec en plus Bodin et Bertrand6, Bertrand qu’on appelait Bibendum,
ça vous avez du l’entendre. C’était Bertrand, de Valbertrand qui est un quartier
de Toulon, alors il se faisait appeler des fois en riant, Bertrand de Val
Bertrand et il était communiste!
Simon le bouscotier7 et son frère qui faisaient le charbon de bois avaient vu
les Allemands qui venaient. Ils les ont d’ailleurs enfermé dans leur pied à
terre. Les Allemands étaient venu, ils avaient mis un fusil mitrailleur en
batterie, et ils sont montés chez nous. Mais après, comme ça montait tant, ils
se sont arrêtés. Vers les 15 heures, c’est la débandade de ceux d’en haut. Tout
ça qui descend en courant, tous ceux qui étaient en haut, et alors en haut ils
étaient au moins une quarantaine parce qu’à ce moment là on avait reçu des
renforts de tous les côtés. “Les Boches attaquent (2 fois)”. Les Boches
n’attaquent pas, il n’y a personne. Et ils sont passés à la Médecine et ont filé
jusque là où on allait chasser les grives avant: la ferme de la Perrine. Je
monte avec un autre camarade, c’est le désastre, tous nos paquetages ont étés
ouverts et fouillés par les fuyards, c’est à en vomir. Nous redescendons car des
Boches il n’y en a pas, ils se sont arrêtés chez Simon. Nous prenons tout de
même des précautions. Le Lieutenant arrive et constate la situation. Il nous
dit: “ah! au moins les anciens sont restés là!” et il me dit “essaie de les
rattraper”. J’y vais. Je passe à la Citerne, une ferme dans le Plan, et discute
avec le berger qui me dit que je ne peux plus les rattraper. Ils sont sur la
route de Draguignan vers Vérignon et ils marchent d’un bon pas. Je rentre de
nuit à la Médecine. Je m’arrête à la ferme des Pouillets, le propriétaire sort,
me donne 2 œufs et la moitié d’un fromage en me demandant de m’éloigner de chez
lui car il a deux enfants en bas âge et son épouse. Je le remercie et je
continue vers la Médecine. Il y a la pleine lune et c’est facile de s’orienter.
Je mange tout ce que j’ai eu et me couche dans un «cade» creux comme les
bergers. Au petit matin je rentre à la Médecine, arrivent également Baudoï et
Bibendum qui se sont planqués dans les «cades» avec tout de même 1kg de sucre en
morceaux et une bonbonne de vin… Il faut ce qu’il faut.
DINE: C’est là que vous décrochez?
TONY: Oui. Le Lieutenant alerte Draguignan et envisage de transférer le Maquis
plus loin sur les bords du Verdon vers Quinson. Entre temps il y a eu des
cérémonies aux Salles et à Aiguines devant les monuments aux morts. À Quinson,
nous avons l’aide des gardiens du barrage mais un petit malin, étranger à notre
maquis, fait exploser une faible charge sur le pont qui franchit le Verdon. Le
lendemain, tous les officiers allemands sont sur place. La surveillance aérienne
n’arrête pas de toute la journée. Nous sommes cloués au sol et ne bougeons pas.
DINE: Et Pierre Lietard (Yo) où est-ce qu’il a été blessé?
TONY: À Aups, dans la traversée d’Aups. Dominique et Chaudé ont été tués sur la
place (Chaudé de Cannes). Il y a la plaque là bas. Les corps de Dominique et
Chaudé ont été nettoyés et arrangés par les sœurs.
CLAUDE: Sur le journal, mon père il dit que Yo a été ramené le lendemain pas les
FTP
TONY: Oui, parce que là, il y avait le groupe de FTP organisé à Aups.
DINE: Et Aiguier où est-ce qu’il a été blessé?
TONY: à Aups. Oui, il a pris une balle juste sur la tête.. Déjà qu’il était un
peu dérangé de nature... C’était le même jour. Seulement on ne savait pas qu’il
avait été blessé. Lui il était parti à fond de train dans les vieilles rues
d’Aups et il s’est retrouvé en haut du village. Alors il s’est planqué et il
n’est sorti que quand la bagarre a été finie.
CLAUDE: Ça, c’est une vraie carte d’identité?
TONY: Oui.. voyez on ne mettait pas la photo. Matricule 1274. C’est ce dont je
me suis souvenu tout le temps. Ça c’était ce qu’ils nous payaient. La France
avait les épaules larges. Solde de guerre 300 francs, majoration de solde parce
qu’on était en première ligne tout le temps, alors on touchait 1020F au total à
compter de la fin du maquis.
CLAUDE: C’était l’année d’après.
TONY: Ça c’est mon engagement. Tenez, il l’ont fait partir le 6 septembre. On
n’avait rien. Si on avait eu un papier, comme quoi on était au maquis Vallier.
Il n’y avait rien. C’était le 6 septembre. Il y a deux types qui m’ont servi de
témoin: Bataillon d’Infanterie de Marine et du Pacifique8.
Et là, votre père s’est attrapé avec Picoche en lui disant:
“ – comment, mais on est resté 6 mois et tu n’as pas demandé la reconnaissance
de cette unité?
– ah! mais ça va être fait.”
Ça a été fait mais après coup, et ceux qui ont été blessés, ce sont les
Américains qui les ont soignés, ce n’est pas nous: Daumas, Raoul Ugolini et le
corse «Frère». On l’appelait Frère parce qu’il parlait toujours du Bon Dieu. On
lui a dit “toi, tu es dans les ordres, alors puisque tu es bien collègue avec
lui, dis lui qu’il nous protège”. Après (en 1951) j’ai eu le certificat
d’appartenance du 14 février 44 au 22 août 44. Il s’appelait CFL du Var. Corps
Franc de Libération du Var - Maquis Vallier.
CLAUDE: Pouvez vous me dire la différence entre CFL et AS (Armée Secrète)
TONY: On était chaperonné par l’armée secrète, mais l’armée secrète c’était
aussi d’autres gens.
CLAUDE: Et pourquoi vous n’étiez pas armée secrète tout en l’étant sans l’être?
C’est quelque chose que je n’ai jamais compris.
TONY: Moi non plus
CLAUDE: Je n’ai jamais demandé à mon père. Vous étiez groupe de combat.
TONY: Voilà, groupe de combat et puis c’est tout.
CLAUDE: Parce qu’à un moment, dans le journal, mon père parle de l’armée secrète
comme si c’étaient des étrangers alors que...
TONY: Alors que c’étaient les patrons. Les corps francs vivaient en autonomie.
Ils avaient leur armement et poursuivaient le but qui leur avait été fixé.
Georges Attanassian était venu en France en 1915 et son père qui avait été fait
français immédiatement parce qu’il avait servi la France en 14-18 lui a dit “tu
n’oublieras jamais ce qu’on doit à la France”
DINE: Il est mort à Hyères, il y a 3 ou 4 ans.
TONY: Après Quinson, nous émigrons dans les bois de Malassoque. C’est plus sûr
et la vie est plus calme au camp.
Avec Lucien Teissère de Saint-Jacques de Grasse, un des premiers arrivés au
Maquis fin janvier 1944, nous remarquons que le cheptel de lapins sauvages est
important; les collets ou lacets, ces pièges communs dans les campagnes sont mis
en place et tous les jours il y a des invités que nous faisons rôtir le ventre
plein d’aromates sur un feu de camp. N’a droit à goûter le rôti que celui qui
aide à faire le feu et surveille la cuisson.
Pendant le temps du maquis à Canjuers, nous avons reçu le renfort des gendarmes
d’Aups et des brigades environnantes et même de Draguignan. Nous avons eu la
visite du Colonel commandant la gendarmerie que nous avons intercepté ainsi que
son chauffeur; le Lieutenant l’a identifié; c’est un homme qui nous renseigne
utilement et nous fournit des hommes bien entraînés: Chef de Brigade Vidal,
Bouet, Duchatel qui sera exécuté par la milice à Aups avec Millet, Chef de
brigade Florentin qui m’avait arrêté en juillet 1941 à Claviers pour activité
antinationale. Il rejoint notre groupe. Nous avions accueilli dans notre Maquis
un dracénois de plus de 80 ans, Marius Honorat, cultivateur qui abritait dans sa
campagne un officier radio de la marine en liaison permanente avec les alliés.
Dénoncés par un milicien dracénois voisin de Marius, ils avaient fui, le radio a
été pourchassé par la Gestapo et Honorat avait trouvé refuge chez nous. Il était
toujours volontaire pour toutes les missions; nous ne voulions pas le vexer. Un
jour il part avec nous dans la région de Varages; le gazogène tombe en panne et
un gars du coin demande à deux individus qui étaient là de pousser le véhicule;
nous pouvons repartir et quand nous sommes assez loin, le gars nous dit, «vous
avez vu, ce sont deux miliciens de la région qui nous ont aidés». Ce type là
avait un sacré culot.
Depuis le 9 août nous savons que le débarquement aura lieu le 15 entre
Croix-Valmer et Cavalaire; le Lieutenant décide de se rapprocher de la côte et
nous partons en faisant des étapes vers Bras puis Flassans et nous traversons la
Route Nationale 97 là où la SNCF passe en aérien au dessus de la route avant
Gonfaron. De là, nous nous dirigeons vers les Mayons, mais quelqu’un nous repère
et nous montons vers le col des Fourches. Nous sommes fatigués à la limite de
l’épuisement; nous trouvons au sommet du col une cantine mais certains ne
peuvent plus se traîner; enfin avec patience nous arrivons à réunir le gros de
la troupe. Nous mangeons et dormons sur place.
Le lendemain, reconnaissance de notre nouveau camp. Nous récupérons des soldats
italiens prisonniers des Allemands qui se sont échappés pour rejoindre leurs
familles en Italie. Après bien des discussions ils nous situent sur la carte les
zones minées dans les environs de la Côte. Le Lieutenant les libère.
Un raid sur Collobrières se prépare: le groupe 2 occupera le village et le
groupe 4 la route qui arrive de la direction du Golfe de Saint Tropez. Le groupe
2 ne fait pas de détail et neutralise rapidement les Allemands présents qui sont
enfermés dans un local proche de la mairie. Le groupe 4 avec Alain le FM en
tête, Max, Roger et Claude en renfort s’installe au dessus de la route au
carrefour d’où on domine un vallon.
Visite éclair des résistants de Toulon-Hyères et départ en trombe avec une
Citroën 15 chevaux. Un certain temps s’écoule et un groupe blindé se rapproche;
Max le guetteur doit nous faire signe. Dès que son béret s’agite Alain se poste
au dessus de chemin et quand le premier char passe il lui lance la bombe de
plastique; le char est atteint et s’arrête à 7 ou 8m de nous, le FM, les
mitraillettes entrent dans la danse, j’expédie des grenades aux arrivants.
Pendant tout le temps de la bagarre, les armes et celles de nos adversaires
n’arrêtent pas.
Tout à coup on entend une voix qui dit “ce sont les Américains”. Alain me confie
le FM et part avec seulement son pistolet: au bout d’un temps interminable Alain
revient; ce sont bien les «Amerlocs». Ils ont 7 blessés et nous deux, Raoul
Ugolini, dit Bébert, et Jean Luchetti, dit «Frère». Tous les blessés sont
acheminés vers l’Afrique du Nord par le service «santé» des USA.
Nous avons attaqué par erreur les Américains les premiers parce qu’ils s’étaient
trompé de route. Ils devaient aller au Luc. Ils sont venus vers Collobrières. Et
nous, on avait tendu le piège à l’embranchement de Collobrières et de Notre Dame
des Anges. Et bien sûr, dès qu’on les a vus on a commencé à tirer. On n’a pas
attendu qu’ils nous tirent dessus. Nous prenons contact avec les soldats US et
leur colonel; celui-ci confie à un interprète: “ces français sont fous, attaquer
un groupe de 7 chars à une trentaine environ, il faut le faire”. Il nous invite
pour le lendemain à la prise d’un camp allemand situé sur le plateau Lambert9 au
dessus de Collobrières.
Le Colonel US nous propose de signer un engagement dans l'armée US aux
conditions suivantes: solde 5000 francs par mois, + pécule + naturalisation
immédiate USA. C'est rentable mais il y a la France avec tout ce que nous avons
fait pour elle jusqu'ici.
A signaler l'accident qui est arrivé à Auguste Daumas, blessé accidentellement
par un du maquis, manipulant son arme.
A 7 heures du matin en colonne par un, Américains et Maquisards (des FTP sont
avec nous) grimpent jusqu’au camp en question. A l’arrivée nous sectionnons les
barbelés et nous nous préparons à agir. Il faut attendre l’accord du colonel US;
je râle car l’effet de surprise est fichu et exprime mon mécontentement en
provençal. Un GI me répond en occitan (c’est un jeune originaire du sud-ouest
qui s’est installé aux USA): “c’est toujours comme ça tant que le mouchard qui
nous survole depuis notre arrivée n’aura pas donné son accord!” C’est le
deuxième, il ne se passe rien. Vers les 11 heures, en avant, nous envahissons le
camp qui est vide. Les Allemands se sont débinés durant la nuit. C’est alors le
pillage des installations par les gens du coin aidés par des types de chez nous.
Les maquisards sont rassemblés et nous descendons vers Collobrières. Les «Amerlocs»
qui sont restés aux abords du village nous adressent quelques obus de mortier.
Ceux qui sont avec nous leur demandent de cesser le feu; c’est aussitôt chose
faite.
Le colonel US et Vallier décident d’exploiter notre percée vers Pierrefeu et La
Crau. Dans l’après midi nous sommes en contact avec les Allemands qui tiennent
le carrefour de Sauvebonne donnant accès à La Crau; la bataille fait rage. Nous
progressons dans les vignes fraîchement labourées. Heureusement car les armes
automatiques des Allemands nous maintiennent cloués au sol. J’ai à coté de moi
Baudoï qui creuse la terre meuble avec le menton et me dit: “j’espère qu’on va
s’en sortir car il fera bientôt nuit”. Maintenant, l’artillerie allemande nous
prend comme cible; ce sont les pièces des forts du Coudon et du Mont Faron.
Lorsque le vacarme diminue, nous cherchons les «Amerlocs». Ils sont retournés
sur leurs pas car le Colonel s’est aperçu qu’il avait pour mission de se rendre
au Luc. Il avait comme axe Est-Nord-ouest et il est descendu Est-sud-ouest. Tout
d'un coup il a du bien lire ses ordres de mission, sans rien dire il rassemble
ses chars et fout le camp et nous on reste une trentaine de pouilleux devant
l’armée allemande qui était à l’abri des forts de Toulon dont l’artillerie nous
a «gangacés». On était allongé - Baudoï me le disait encore quand il était
vivant - “tu te rappelles qu’ils nous coupaient les feuilles de vigne sur la
tête”. Elles venaient mourir sur nous et on était là à creuser la terre des
vignes qui étaient nouvelles quand même.
La nuit n’est pas loin quand deux bataillons de la France Libre arrivent, BM11
et je crois BM510. Ils repoussent les Allemands jusqu’aux Martins sur la route
de la Crau. Deux lieutenants prennent contact avec nous. Nous leur proposons
notre aide mais ils refusent. Le lieutenant du BM11, du nom de Simon, nous dit:
“ je ne veux pas vous voir en infanterie devant nous (pour porter des mortiers
et des mitrailleuses lourdes à installer), vous n’avez aucun statut. Si les
Allemands vous prennent, ils vous fusillent parce que vous êtes des francs
tireurs. Alors vous restez en arrière.”
Et ce pauvre type est mort dans la nuit. Il a été tué par une défense allemande.
Ses hommes le ramènent. Nous sommes tristes car il était très ouvert et
enthousiaste. Un des nôtres, Charles, dit de Gaulle, s’engage illico au BM11;
nous le reverrons à l’attaque de l’Authion en Avril 45.
Le groupe 3 qui opère au delà du domaine du Viet est pris à partie par
l’artillerie allemande: ils ont des pertes: Ernest, Gaston Cogordan et le
Commandant qui avait mis en doute les capacités de Vallier avant notre arrivée
dans la région hyéroise. Nous avions procédé à un vote de tous les présents:
Vallier avait été confirmé dans son rôle de chef par une majorité écrasante,
point final.
Un incident survenu au domaine du Viet mérite d’être signalé. Nous avions la
cantine dans cette propriété et “Fleur de lotus” nous mijotait une nourriture
saine. Il aperçoit un Allemand qui venait vers le bâtiment où il se trouvait: il
sort à sa rencontre armé d’un fusil, épaule et tire blessant mortellement
l’Allemand; avant de mourir celui-ci murmure qu’il venait se rendre! Fleur de
Lotus a été si peiné qu’il n’a pas pu reprendre son aplomb. J’ai appris plus
tard qu’il était mort de chagrin.
Nous recevons l’ordre de rejoindre Hyères en longeant le Gapeau; il y a des
cadavres partout et avec la chaleur l’air est pestilentiel. Nous arrivons à
Hyères vers le soir et Vallier nous dirige vers l’aérodrome. Nous établissons un
barrage filtrant. Vers minuit, je suis de garde dans le fossé avec les
moustiques qui n’arrêtent pas de nous piquer. Deux ombres s’avancent; nous nous
montrons et capturons les deux types: “nous sommes alsaciens” disent-ils! Nous
les amenons au lieutenant qui les interroge. Nous les gardons avec nous et dès
le lever du jour Vallier en renvoie un avec une invitation à se rendre sans
combattre.
Vers 8 heures nous sommes au droit du champ de course d’Hyères et nous
attendons; au loin sur la route de Giens-La Tour Fondue une troupe ordonnée
s’avance. J’ai le FM pointé vers les arrivants mais les chefs demandent à voir
Vallier; après quelques minutes de conversation ils se rendent. Ils sont 154 et
nous nous trouvons en infériorité; heureusement pour nous ce sont des artilleurs
de la Marine allemande; ils n’ont pas l’idée de nous attaquer. La longue file
des prisonniers est emmenée à Hyères à la caserne de la ville pour les
formalités; ce sont les éléments de la 1ère Armée française qui prennent les
choses en main, non sans nous avoir sermonnés sur notre façon de faire. Il ne
fait pas bon être soldat de l’ombre à cet instant.
Nous nous rapprochons de la Résistance hyéroise et prenons un repos bien gagné.
Les éléments de la France Libre nous font savoir que si nous voulons les
rejoindre, ils nous incorporeront volontiers dans les bataillons présents à
Hyères et dans la région. Nous prenons quelques jours de détente et apprenons
que le Maquis est dissous à la date du 28 août 1944.
Nous sommes tous sans un sou et ne possédons que des habits que nous portons
depuis pas mal de temps. Je pars pour Draguignan embrasser mon père et ma
famille et d’autres à Toulon, La Seyne, etc… Alain et les Marseillais sont déjà
partis vers le vieux port.
Le 31 août j’arrive à Carqueiranne d’où les éléments de la 1ère DFL se préparent
à partir; je grimpe sur un camion. L’aventure avec le Maquis est terminée; une
nouvelle commence avec la 1ère DFL. Nous nous retrouvons nombreux dans les rangs
du Bataillon d’Infanterie de Marine et du Pacifique, jusqu’à la fin de décembre
1945. J’ai été démobilisé le 1er janvier 1946.
Tony Mariani, ancien soldat de l’ombre, matricule 1274 à la 1ère DFL. - 10 août
2006
1 - Roger Leroux
2 - Les réfractaires sont conduits à Figanières avant de monter au maquis pour
être contrôlés : convoyés jusqu’à un cabanon isolé, ils sont "vérifiés" (il faut
connaître le mot de passe : « Le Cardinal ? - Il est rouge ») et mis à
l’épreuve, avant d’être conduits à Aups.
3 - Explosif provenant de parachutage (du plastic dans une enveloppe souple et
un détonateur).
4 - GAR : groupe de résistance dracénois créé par des lycéens et rattaché à
l’AS. Dès février rejoignent le maquis Vallier Louis Casanova Casabianca, chef
du GAR, âgé de 19 ans, Léocard et édouard Terzian, les deux chefs adjoints du
GAR âgés de 19 et 18 ans, Leccia qui est un wattman toulonnais, assez âgé (39
ans), communiste. Il est l’un des adjoints de Vallier et rejoindra les FTP en
juillet 1944. Le GAR prend le maquis lors de la mobilisation de juin 1944 (entre
Draguignan et Figanières). Neuf de ses hommes rejoignent le maquis Vallier par
la suite dont Casanova frère, Gaston Cogordan, Auguste Daumas, Lucien Prisot
5 - 6 juin (débarquement en Normandie)
6 - Edmond Bertrand, ouvrier de l’arsenal, réfractaire au STO, qui a rejoint
Vallier le 28 février 1944 et qui passera chez les FTP en juillet
7 - bûcheron en provençal
8 - Le BIMP, autre élément de la 1e DFL, commandé par le capitaine Magendie, qui
va s’illustrer dans la bataille de Hyères
9 - Il y avait surtout sur le plateau de Lambert une station radar importante,
participant à la défense de Toulon. Vallier est chargé par les Américains de
nettoyer le plateau.
10 - Bataillons de marche n°11 et n°5, éléments de la 1e DFL (2e Brigade du
colonel Garbay).
Notes de Jean Marie Guillon