Massacre d'Oradour-sur-Glane
Le massacre d’Oradour-sur-Glane est la destruction, le 10 juin 1944, de ce
village de la Haute-Vienne, situé à environ vingt kilomètres au nord-ouest de
Limoges, et le massacre de sa population (642 victimes), par un détachement du
1er bataillon du 4e régiment de Panzergrenadier Der Führer appartenant à la
Panzerdivision Das Reich de la Waffen-SS. Il s'agit du plus grand massacre de
civils commis en France par les armées allemandes, assez semblable à ceux de
Marzabotto, ou de Distomo (ce dernier perpétré lui aussi le 10 juin 1944), qui
transposent sur le front de l'Ouest des pratiques courantes sur le front de
l'Est.
Ces événements marquèrent profondément les consciences ; leurs conséquences
judiciaires suscitèrent une vive polémique, notamment à la suite de l'amnistie
accordée aux Alsaciens « Malgré-nous » qui avaient participé au massacre. Depuis
1999, le souvenir des victimes est célébré par le Centre de la mémoire
d'Oradour-sur-Glane, situé non loin des ruines du village à peu près conservées
en l'état.
Oradour avant le massacre
Situé à une vingtaine de kilomètres au nord-ouest de Limoges, Oradour n'est en
cette première moitié du XXe siècle qu'un bourg, un village de marché. Le
samedi, de nombreux habitants de Limoges viennent y faire leurs provisions, en
empruntant le tramway de Limoges dont le trajet dure un peu plus d'une heure1.
En 1936, le territoire de la commune compte 1 574 habitants, dont 330 dans le
village même1. « Qu'est-ce donc que cet Oradour qui baigne paisiblement dans sa
campagne verdoyante ? Simplement un village de moyenne importance. Il est
modeste et vit sans bruit, sans éclat ».
Politiquement, la commune se situe clairement à gauche, avec une dominance de la
SFIO, surtout depuis les élections municipales de 1935 qui privent les partis de
droite de toute représentation au conseil communal; les parlementaires de la
Haute-Vienne, tous socialistes, approuvent l'octroi des pleins pouvoirs à
Philippe Pétain, à l'exception de l'élu de la circonscription qui comprend
Oradour, Léon Roche.
De 1939 à 1944, la population d'Oradour augmente en raison de l'arrivée de
réfugiés, en trois vagues successives, puis de manière diffuse. Début 1939,
arrivent des républicains espagnols, vaincus du franquisme, anarchistes,
communistes ou socialistes, dont 22 sont encore présents fin 1943. En septembre
1939, c'est au tour des populations évacuées d'Alsace pour les préserver des
combats, mais elles sont plutôt mal accueillies et prennent en majorité le
chemin du retour à l'été 1940. La troisième vague, en août 1940, est constituée
d'environ 80 personnes expulsées de Lorraine, dont une partie a été annexée au
Reich. En outre, à partir de la défaite française (juin 1940), et jusqu'en juin
1944, arrivent peu à peu des réfugiés du Nord et du Pas-de-Calais, de
Montpellier et d'Avignon, des Juifs de la région parisienne, de
Meurthe-et-Moselle ou de Bayonne. En juin 1944, le village compte un millier
d'habitants, essentiellement à la suite de ces afflux de réfugiés.
La présence allemande dans la région ne date que de 1942, après l'occupation de
la zone libre , au printemps 1944, l'occupation n'y semble toujours pas pesante
: « Autour de nous proprement dit, pas grand-chose, pas grand-chose. On ne voit
rien à part ce 11 novembre. Je crois que c'est en 1942, où les Allemands […] ont
envahi la zone libre. On ne les a pas tellement vus, les Allemands à Oradour. On
ne les a jamais vus, à part le 10 juin ». « La commune n'a pas vu le sang couler
et, somme toute, l’occupant ne lui a pas infligé de souffrances directes ».
Les maquis aux alentours
Il n'y a pas de maquis à Oradour-sur-Glane ou dans son voisinage immédiat, comme
l'attestent les témoignages unanimes des habitants, confortés par les rapports
de l'administration de Vichy et par les principaux chefs de la résistance dans
la région. Oradour-sur-Glane ne figure pas sur les cartes murales des maquis
retrouvées à la Gestapo de Limoges, le plus proche de la localité étant celui
des monts de Blond.
Constitué de six compagnies FTP, ce dernier forme le plus puissant ensemble de
formations de résistants de la Haute-Vienne après celui du communiste Georges
Guingouin à l'est de Limoges ; deux de ces compagnies, à environ huit kilomètres
d'Oradour, sont installées dans les bois des communes voisines : Le Four (à
Cieux, au nord) et Le Bois Sournet (à Peyrilhac, au nord-est). À l'ouest, à même
distance, ce sont les maquis FTP de la forêt de Brigueui, une extension du
maquis de Saint-Junien (treize kilomètres au sud-ouest d'Oradour). C'est
d'ailleurs en mission, revenant de Saint-Junien, qu'Albert Mirablon, photographe
clandestin des Mouvements unis de la Résistance (MUR) de Limoges, en visite chez
sa mère, est arrêté et tué à Oradour. L'existence de ces groupes est bien connue
des habitants d'Oradour dont certains font partie des « légaux » du maquis,
mobilisables en cas de nécessité, une telle situation étant cependant marginale.
Fin mai 1944, l'Oberkommando der Wehrmacht (OKW) note un « fort accroissement de
l'activité des mouvements de résistance dans le sud de la France,
particulièrement dans les régions de Clermont-Ferrand et de Limoges [et]
l'annonce de nombreux recrutements dans l'armée secrète ». Cette description est
corroborée par celle du préfet régional de Limoges qui note la multiplication
des actions de la résistance : 593 en mars, 682 en avril et 1 098 en mai.
Les 8 et 9 juin, il n'y a pas moins de cinq accrochages entre maquisards et
militaires allemands, conduisant à la capture, à la tombée de la nuit du 9 juin,
à la hauteur du village de La Bussière, commune de Saint-Léonard-de-Noblat, du
commandant Helmut Kämpfe, responsable de nombreuses exactions, qui est exécuté
le 10 et à celle, dans un bourg proche d'Oradour, Nieul, d'un autre officier, le
lieutenant Karl Gerlach.
La division SS Das Reich
En avril 1944, après avoir subi de lourdes pertes sur le front de l'Est,
notamment lors de la quatrième bataille de Karkhov, la 2e division blindée SS
Das Reich, sous le commandement du Gruppenführer Heinz Lammerding, est mise au
repos dans la région de Montauban pour être reconstruite18. Début mai, elle
comporte 18 468 hommes, dont de nombreuses recrues, par rapport à un effectif
théorique de 21 000 hommes ; début juin, plusieurs de ses composantes ne sont
toujours pas opérationnelles et la situation du matériel roulant, de l'armement
lourd et des blindés est encore défaillante.
À son arrivée en France, la Das Reich possède les caractéristiques communes aux
unités responsables de massacre sur le front de l'Ouest : ses membres sont
imprégnés par l'idéologie nationale-socialiste, elle a combattu sur le front de
l'Est, se perçoit comme une unité militaire d'élite et a déjà participé à des
opérations de lutte contre les partisans. Ses soldats « ont traversé « l'univers
moral » de la guerre à l'Est, fait de cruauté envers la population et de
brutalités exercées par les officiers sur les hommes de troupe ; peines
collectives, massacre de populations, destruction d'habitations et incendie de
villages faisaient partie des moyens considérés comme « normaux » de la
répression appliquée aux maquis ».
Même si la division est officiellement au repos pour reconstituer ses forces,
certains de ses éléments participent à des opérations de lutte contre les
partisans et à des représailles contre la population civile.
La lutte contre les partisans est régie par des ordres émis, suite à une
intervention personnelle d'Adolf Hitler, le 3 février 1944, connus sous le nom
d’ordonnance Sperrle, du nom du maréchal adjoint au haut commandement de
l'Ouest. Selon ces ordres, la troupe est tenue de riposter immédiatement aux
attaques terroristes en ouvrant le feu et si des civils innocents sont touchés,
bien que cela puisse être regrettable, la responsabilité en incombe
exclusivement aux terroristes ; les zones doivent être bouclées et tous les
habitants, quels qu'ils soient, arrêtés ; les maisons qui ont abrité des
partisans doivent être incendiées. L'ordonnance poursuit en précisant qu' « il
ne faut punir que le chef manquant de fermeté et de résolution car il menace la
sécurité des troupes qui lui sont subordonnées et l'autorité de l'Armée
allemande. Face à la situation actuelle, des mesures trop sévères ne peuvent
entraîner de punitions pour leurs auteurs ».Cette volonté de durcir la
répression contre la résistance est partagée par le maréchal Wilhelm Keitel, qui
donne l'ordre, en mars 1944, de fusiller les franc-tireurs capturés les armes à
la main et non de les livrer aux tribunaux, et par le général Johannes
Blaskowitz, supérieur hiérarchique opérationnel de Lammerding, pour qui « la
Wehrmacht allemande doit se défendre par tous les moyens en son pouvoir. Si, ce
faisant, il faut avoir recours à des méthodes de combat qui sont nouvelles pour
l'Europe de l’Ouest, il reste à constater que le combat des terroristes par
embuscades est lui aussi quelque chose de nouveau pour les critères européens de
l'Ouest ».
Le 5 juin 1944, le général Lammerding fait approuver par sa hiérarchie un
programme répressif qui reprend les mesures mises en œuvre en Europe de l’Est et
à l'arrière du front dans la lutte contre les partisans à partir de 1941. Ce
programme prévoit notamment des actions de contre-propagande et de
discrimination, « actions ayant pour but de monter la population contre les
terroristes » ; il prévoit aussi des arrestations massives et préventives,
l'occupation de localités et le ratissage de zones, ainsi que la réquisition de
véhicules. Il précise enfin « l'annonce et l'exécution de la disposition que,
pour chaque Allemand blessé 5 civils seront pendus et pour chaque Allemand
tombé, 10 civils seront pendus ».
En mai et début juin 1944, des unités de
la Das Reich « terrorisent les populations des départements du Lot,
Lot-et-Garonne, Haute-Garonne et Ariège(Tulle112) ». Au cours de leurs
opérations, elles fusillent ou déportent des résistants et des otages,
assassinent de nombreux civils, hommes femmes et enfants et incendient des
habitations voire des villages entiers, comme celui de Terrou.( Tulle 111-112,
Fouché, Oradour, 53-56, Hawes, 35-38).
Insigne de la 2e SS Panzer Division Das Reich
Le lendemain du débarquement, 7 juin 1944, la Das Reich reçoit deux ordres
contradictoires du commandement suprême à l'Ouest : le premier lui donne
instruction de rejoindre la Normandie, le second d'intervenir contre la
Résistance dans la zone de Tulle-Limoges.Cette ambiguïté est levée par deux
ordres reçus le 8 et 9 juin, qui précisent que l'essentiel de la division doit
être retiré des engagements en cours avant le 11 juin à 12 heures pour rejoindre
le front de Normandie. Au cours de la progression vers Tulle, des éléments de la
division sont confrontés au renforcement des actions de la Résistance: de
nombreux partisans sont tués lors des combats ou sommairement exécutés ; des
civils sont également assassinés par le bataillon commandé par Diekmann, qui est
« le seul à s'en prendre délibérément aux femmes et surtout aux enfants »,
notamment lors du massacre de Calviac. La répression menée par la Das Reich
connaît un premier point culminant avec le massacre de Tulle. Le 9 juin, après
avoir réoccupé la ville brièvement libérée par les FTP le 7, 99 hommes, sans
aucun lien avec la Résistance, sont pendus aux balcons et aux réverbères et 149
hommes sont déportés le lendemain (Tulle). Les unités qui n'ont pas fait
mouvement vers Limoges mènent des opérations de répression contre la Résistance
et commettent des exactions contre la population civile entre le 10 juin et le
16 juillet 1944.
Préparation du massacre
Préparation de l’expédition et investissement du bourg
Le groupe de reconnaissance qui commet, le 9 juin, le massacre de Tulle, et deux
régiments de Panzergrenadier, investissent la région de Limoges pour préparer le
positionnement de la division dans le secteur afin de réduire les maquis. Le 1er
bataillon du 4e régiment Der Führer, sous les ordres du commandant Adolf
Diekmann, est cantonné autour de Saint-Junien, à 12 km d'Oradour.
Pour tarir le soutien de la population aux maquis et diminuer l'activité de
ceux-ci par crainte de représailles, les SS préparent une action visant, selon
Bruno Kartheuser, à produire un effet maximal de terreur. Les raisons du choix
d'Oradour pour cette action restent mal éclaircies et controversées, en raison
de la disparition des personnes, du silence des documents ainsi que du caractère
« elliptique » de l'unique témoignage disponible relatif aux réunions entre
Allemands et Miliciens. Ce qui conduit J.J. Fouché à reconnaître que « leur
contenu, les participants, leur nombre et ce qu'ils dirent demeure ignoré, à
l'exception toutefois de deux indications : une demande d'otages — le chiffre de
40 a été avancé à la réunion de Saint-Junien — et la recherche d'un officier
disparu ». J.J. Fouché soutient cependant l'hypothèse selon laquelle « les SS
ont construit leur justification du massacre avant même de le perpétrer », au
contraire de G. Penaud qui affirme que cette « opération de désinformation » fut
programmée par Diekmann juste avant de quitter les lieux.
Les 9 et 10 juin, le massacre fait l'objet d'au moins trois réunions de
préparation réunissant des membres de la Milice, de la SIPO et de la 2e
Panzerdivision SS Das Reich. D'après l'enquête menée par le commissaire Arnet en
septembre 1944, le 10 juin au matin, convoqués par le général Heinz Lammerding,
le sous-chef de la Gestapo de Limoges, l'Oberscharführer Joachim Kleist et son
interprète, Eugène Patry, quatre miliciens, sous la conduite de Pitrud,
rencontrent le Sturmbannführer Adolf Diekmann, à l'hôtel de la Gare à
Saint-Junien : « C'est là, sur une banale table de café, dans la salle du
rez-de-chaussée de ce petit hôtel […] que fut décidée et réglée la destruction
d'Oradour, au cours d'une conversation qui dura plus d'une heure ». Vers treize
heures trente, deux colonnes quittent Saint-Junien, la plus importante d'entre
elles, qui comporte huit camions, deux blindés à chenilles et un motocycliste de
liaison prenant la direction d'Oradour-sur-Glane ; elle est commandée par le
Sturmbannführer Adolf Diekmann, qui prend la tête du convoi à bord d'un blindé à
chenilles. Trois sections de la 3e compagnie, auxquelles il fait ajouter la
section de commandement de la compagnie et celle du bataillon, soit un total
d'environ deux cents hommes munis d'armes légères — fusils, grenades,
mitrailleuses (MG42), fusils lance-fumigène et lance-grenades — et une section
de mitrailleuses lourdes, se dirigent vers Oradour. Au moment du départ, le chef
de la 1re section, Heinz Barth, déclare : « Ça va chauffer : on va voir de quoi
les Alsaciens sont capables ».
Un kilomètre avant l'arrivée au village, la colonne s'arrête pour la
distribution des ordres aux officiers et sous-officiers44. Un premier groupe de
cinq à huit véhicules entre dans le village par l'est, via le pont de la Glane,
vers 13 h 45 : à ce moment, l'encerclement du village est déjà effectué par 120
hommes environ. Selon un des témoins, Clément Boussardier, qui assiste au
passage des camions et des automitrailleuses à chenilles, « les hommes étaient
tous armés soit de mousquetons, de fusils mitrailleurs ou de mitraillettes. Ils
dirigeaient leurs armes en direction des maisons. […] Les Allemands étaient en
tenue bariolée et leur attitude de tireur, prêt à faire feu, avait impressionné
». Ce déploiement de forces ne suscite aucune panique, ni appréhension
particulière : si le pharmacien et d'autres commerçants baissent leurs stores
métalliques, le coiffeur va s'acheter du tabac pendant que son commis s'occupe
d'un client. Les habitants du bourg, qui n'avaient pratiquement jamais vu
d'Allemands, regardaient arriver les SS sans plaisir, certes, mais avec plus de
curiosité que de crainte.
Cependant, « de nombreux habitants tentèrent de s'enfuir ou de se cacher »,
entre 130 et 150, ce qui dénote un courage certain car « il fallait avoir une
expérience de la peur et une motivation forte pour ne pas obéir aux ordres SS ».
Rassemblement des habitants
Convoqué par le commandant Adolf Diekmann, le docteur Desourteaux, président de
la délégation spéciale désigné par le régime de Vichy qui fait office de maire,
fait appel au crieur public pour ordonner aux habitants et aux personnes de
passage au bourg, particulièrement nombreuses en raison d'une distribution de
viande et de tabac, de rejoindre le champ de foire ; la majorité de la
population obéit aux ordres persuadée qu'il s'agit d'un contrôle de routine.
L'inquiétude des habitants est encore mesurée pendant le rassemblement et avant
la séparation des hommes et des femmes et des enfants : M. Compain, le
pâtissier, dont le magasin donnait directement sur la place va jusqu'à demander
à un soldat allemand s'il ne peut pas aller vérifier la cuisson de gâteaux qu'il
venait de mettre au four et s'entend répondre, en français, qu'on va s'en
occuper.Les SS forcent les habitants de la périphérie à aller vers le centre en
direction de la place du champ de foire. Le rabattage est systématique et
concerne tous les habitants. Des survivants témoignent. Marcel Darthout, âgé de
vingt ans et marié depuis dix mois, tente de fuir par les jardins en direction
de la Glane : « arrivé au bout du jardin, je me suis aperçu que les Allemands
déployés en tirailleurs cernaient le bourg, ce qui m'a obligé à revenir à la
maison. Peu de temps après, un Allemand est venu faire irruption dans notre
cuisine. Il tenait un fusil à la main et, avec son canon, il nous a poussés
dehors, ma femme, ma mère et moi, sans ménagement » ; Mathieu Borie, diffuseur
des journaux clandestins du Mouvement de Libération Nationale, constate que « au
fur et à mesure de leur avance, ils ont ramassé tous les habitants grands et
petits, jeunes et vieux, d'Oradour pour les conduire place du Champ de Foire.Ils
passaient dans chaque immeuble se trouvant dans le quartier de leur passage,
défonçant portes et fenêtres si c'était nécessaire ». La rafle inclut également
les quatre écoles de la commune, soit 191 enfants, 2 instituteurs et 5
institutrices45 : bien que l'on soit un samedi après-midi, les enfants sont
rassemblés dans les écoles, en raison d'une visite médicale ; elle concerne
également les habitants des fermes et maisons situées à l'extérieur du bourg.
D'après Marcel Darthout, « des camionnettes apportaient sans cesse des gens des
villages environnants qui avaient été appréhendés à domicile. C'est ainsi qu'il
y avait là des agriculteurs des Brandes et de Bellevue ».Selon un autre témoin,
Clément Boussardier, « les gens continuaient d'arriver de partout. […] Des coups
de feu isolés ont été tirés aux alentours. Les automitrailleuses faisaient le
va-et-vient dans le bourg. Une autochenille qui passait dans le champ ramenait
de temps à autre les paysans qu'ils y avaient ramassés. Au bout d’une heure sont
arrivés les écoliers avec les instituteurs et institutrices » ; Mme Binet, la
directrice de l'école de filles [en congé de maladie] poussée à coups de crosse,
arrive en pyjama et revêtue de son manteau.Les fuyards ou ceux qui ne peuvent se
déplacer sont immédiatement abattus. Lors de son procès à Berlin-Est, en 1983,
Heinz Barth reconnaît qu'il a personnellement donné l'ordre à l'un de ses
subordonnés d'abattre, conformément aux instructions, une personne âgée
incapable de se rendre sur le lieu du rassemblement général; selon A. Hivernaud,
une vieille femme, courbée sur ses bâtons et qui n'avançait pas assez vite, fut
abattue à coups de mitraillette. « Le rassemblement a été violent, avec de la
casse, bris de portes et fenêtres, avec des coups de feu et des morts. Tout le
monde n'a pas obéi » et si certains habitants réussissent à passer au travers
des mailles du filet, la majorité de la population est rassemblée sur le champ
de foire.
Le rassemblement des habitants achevé vers 14 h 45, un des Waffen-SS alsaciens
traduit aux 200 à 250 hommes présents les propos du commandant Diekmann : les SS
ont entendu parler d'une cache d'armes et de munitions à Oradour et demandent à
tous ceux qui possèdent une arme de faire un pas en avant.On les menace de
mettre le feu aux maisons afin de faire sauter le dépôt clandestin. Devant
l'absence de réaction, l'officier demande au maire de lui désigner trente
otages, qui lui répond qu'il ne lui est pas possible de satisfaire une telle
exigence, assure que les habitants du bourg n'ont pas connaissance d'un tel
dépôt et se porte garant pour eux. Selon l'un des survivants, Robert Hébras,
alors âgé de dix-huit ans, le commandant demande au maire de le suivre et ils
font un aller-retour à la mairie. De retour sur le champ de foire, M.
Desourteaux maintient son refus et se propose comme otage avec, le cas échéant,
ses plus proches parents65. À cette proposition, l'officier s'esclaffe et crie «
beaucoup de charges! » Vers 15 heures, les femmes et les enfants sont conduits
dans l'église après des scènes d'adieux déchirantes. L'interprète réitère la
demande de dénonciation : « nous allons opérer des perquisitions. Pendant ce
temps, nous allons vous rassembler dans les granges. Si vous connaissez
quelques-uns de ces dépôts, nous vous enjoignons de les faire connaître »60.
Selon Marcel Darthout, « aucun dépôt ne fut signalé et pour cause, il n'y en
avait pas dans le village qui était parfaitement tranquille et où chacun
s'occupait uniquement de son petit commerce ou de la culture de ses terres ».
Après une heure d'attente, les hommes sont conduits dans divers locaux repérés
par les SS. Vers 15 h 40, une motrice de tramway en essai arrive de Limoges,
avec trois employés à bord, et stoppe peu avant le pont sur la Glane. Une cale
doit être placée afin de maintenir l'engin immobile. L'un d'eux descend au
moment où passe un groupe d'hommes raflés dans les hameaux alentour, groupe
encadré par quelques soldats. Cet employé qui est descendu est immédiatement
abattu et son corps jeté dans la rivière. Les deux autres sont emmenés auprès
d'un officier qui, après examen de leurs papiers, leur ordonne de rejoindre leur
machine et de retourner à Limoges. Certains auteurs, pour expliquer le meurtre
de cet employé qui n'était pas en service (il venait à Oradour pour voir un
artisan), avancent qu'il aurait pu esquisser un geste ou un mouvement vers ses
collègues.
Le massacre
Les hommes
Les 180 hommes et jeunes gens de plus de quatorze ans sont répartis dans six
lieux d'exécution, par groupes d'une trentaine de personnes. « Pendant que,
toujours tenus sous la menace des fusils, les hommes devaient vider chacun de
ces locaux de tous les objets qu'ils contenaient, un SS balayait soigneusement
un large espace devant la porte, puis y installait une mitrailleuse et la
mettait en batterie face au local ». « Malgré cette situation inquiétante,
chacun reprenait confiance, certain qu'il n'existait aucun dépôt d'armes dans le
village. La fouille terminée, le malentendu serait dissipé et tout le monde
serait relâché. Ce n'était après tout qu'une question de patience ». Le tir des
mitrailleuses en batterie devant les lieux de rétention des hommes se déclenche
vers 16 heures. Selon Heinz Barth, « à l'intérieur, les hommes étaient énervés.
[…] Alors j'ai ordonné Feu ! et tous ont tiré. Moi-même, j'en ai tué environ
douze ou quinze. On a mitraillé une demi-minute, une minute. […] Ils tombaient
tout bêtement ». Marcel Darthout témoigne : « nous avons perçu le bruit d'une
détonation venant de l'extérieur, suivi d'une rafale d'arme automatique.
Aussitôt, sur un commandement bref, les six Allemands déchargèrent leurs armes
sur nous. […] En quelques secondes, j'ai été recouvert de cadavres tandis que
les mitrailleuses lâchaient encore leurs rafales ; j'ai entendu les gémissements
des blessés. […] Lorsque les rafales eurent cessé, les Allemands se sont
approchés de nous pour exterminer à bout portant quelques-uns parmi nous ». Les
corps sont ensuite recouverts de paille, de foin et de fagots auxquels les SS
mettent le feu. Le témoignage de Marcel Darthout est confirmé point par point
par celui de Matthieu Borie : la « première rafale a été dirigée contre nos
jambes » ; « puis, l'opération faite, ces Messieurs les bourreaux partent tous,
nous laissant seuls. Je les entends, chez le buraliste, par la porte derrière le
hangar. Les verres tintent, les bouchons des bouteilles sautent, le poste de
T.S.F. marche à plein ». Le même scénario se répète dans tous les lieux où sont
assassinés les hommes : le garage Potaraud, le chai Denis, le garage Desourteaux,
et les granges Laudy, Milord et Bouchoule ; partout trois ordres se succèdent :
le début des tirs, l'achèvement des blessés et le déclenchement de l'incendie.
Dans la plupart des lieux d'exécution, le feu a été allumé sur des hommes encore
vivants.
« Jusqu'au dernier instant, à l'ultime seconde du déclenchement de la mitraille,
ceux qui étaient devenus des otages en attente d'une exécution n'ont pas imaginé
la conséquence de leur situation. […] Ils ne pouvaient pas y croire et ils n'y
ont pas cru. La surprise des victimes a été totale. La manœuvre des Waffen-SS
avait réussi : l'exécution s'est passée dans le calme, sans difficulté et sans
panique ». Du groupe de soixante-deux prisonniers dont fait partie Marcel
Darthout, six s'échappent du bâtiment, dont un est tué par une sentinelle. Les
cinq évadés survivants sont les seuls rescapés des fusillades.
Les SS qui ne participent pas aux meurtres, soit quatre à cinq hommes de chaque
peloton, parcourent le village en se livrant au pillage, emportant argent et
bijoux, tissus et produits alimentaires, instruments de musique et bicyclettes,
mais aussi volailles, porcs, moutons et veaux. Au fur et à mesure du pillage,
les bâtiments sont systématiquement incendiés, ce qui nécessite de multiples
départs de feu. Débusqués par les pillards ou chassés de leur cachette par les
incendies, de nombreux habitants qui avaient échappé à la rafle sont massacrés
isolément ou en petits groupes, hommes, femmes et enfants confondus. En
entendant la fusillade et constatant que les enfants ne sont pas rentrés de
l'école, des habitants des faubourgs se rendent à Oradour où ils sont abattus :
« Oradour est un gouffre dont on ne revient pas ».
Les femmes et les enfants
Parmi les 350 femmes et enfants enfermés dans l'église, seule Marguerite
Rouffanche, âgée de 47 ans, parvient à s'échapper. Son témoignage est unique,
mais il est corroboré par les dépositions de plusieurs SS lors du procès de
Bordeaux ou de sa préparation. La première personne à recueillir à l'hôpital le
récit de la blessée est Pierre Poitevin, un membre éminent des Mouvements unis
de la Résistance : « elle raconte ce qu'elle a vécu, calmement, posément, sans
jamais varier ses déclarations. Si elle omet un détail et qu'on le lui rappelle,
elle répond simplement oui, j'oubliais de le dire ». Le 13 juin, le préfet de
Limoges reçoit également son témoignage, dont il fait un résumé. Ce récit est
repris dans une note du 10 juillet adressée à la Commission d'Armistice
franco-allemande de Wiesbaden par le secrétaire d'État à la défense.
Marguerite Rouffanche renouvelle son témoignage en novembre 1944 :
« Entassés dans le lieu saint, nous attendîmes, de plus en plus inquiets, la fin
des préparatifs auxquels nous assistions. Vers 16 heures, des soldats âgés d'une
vingtaine d'années placèrent dans la nef, près du chœur, une sorte de caisse
assez volumineuse de laquelle dépassaient des cordons qu'ils laissèrent traîner
sur le sol. Ces cordons ayant été allumés, le feu fut communiqué à l'engin dans
lequel une forte explosion se produisit et d'où une épaisse fumée noire et
suffocante se dégagea. Les femmes et les enfants à demi asphyxiés et hurlant
d'épouvante affluèrent vers les parties de l'église où l'air était encore
respirable. C'est ainsi que la porte de la sacristie fut enfoncée sous la
poussée irrésistible d'un groupe épouvanté. J'y pénétrai à la suite et,
résignée, je m'assis sur une marche d'escalier. Ma fille vint m'y rejoindre. Les
Allemands, s'étant aperçus que cette pièce était envahie, abattirent sauvagement
ceux qui venaient y chercher refuge. Ma fille fut tuée près de moi d'un coup de
feu tiré de l'extérieur. Je dus la vie à l'idée de fermer les yeux et de simuler
la mort. Une fusillade éclata dans l'église. Puis de la paille, des fagots, des
chaises furent jetés pêle-mêle sur les corps qui gisaient sur les dalles. Ayant
échappé à la tuerie et n'ayant reçu aucune blessure, je profitai d'un nuage de
fumée pour me glisser derrière le maître-autel. Il existe dans cette partie de
l'église trois fenêtres. Je me dirigeai vers la plus grande qui est celle du
milieu et, à l'aide d'un escabeau qui servait à allumer les cierges, je tentai
de l'atteindre. Je ne sais alors comment j'ai fait, mais mes forces étaient
décuplées. Je me suis hissée jusqu'à elle, comme j'ai pu. Le vitrail était
brisé, je me suis précipitée par l'ouverture qui s'offrait à moi. J'ai fait un
saut de plus de trois mètres, puis je me suis enfuie jusqu'au jardin du
presbytère. Ayant levé les yeux, je me suis aperçue que j'avais été suivie dans
mon escalade par une femme qui, du haut de la fenêtre, me tendait son bébé. Elle
se laissa choir près de moi. Les Allemands alertés par les cris de l'enfant nous
mitraillèrent. Ma compagne et le poupon furent tués. Je fus moi-même blessée en
gagnant un jardin voisin. »
Selon les dépositions de plusieurs participants au massacre, la charge explosive
qui doit faire s'effondrer l'église n'est pas suffisante pour atteindre son
objectif. « La destruction de la voûte de l'église échoua. La suite du massacre
releva-t-elle d'un ordre ou d'une initiative de sous-officiers SS ?
Vraisemblablement de la conjonction d'un ordre et d'initiatives individuelles :
les récits des exécuteurs décrivent quelque chose proche d'un délire du champ de
bataille, lorsque des hommes libèrent toute leur violence, avec l'autorisation
de leur hiérarchie. Mais il n'y a pas eu de bataille ». Toujours selon les
dépositions des assassins, après l'explosion de la charge, des SS « entrent à
l'intérieur de l'église où ils ont tiré des rafales de mitraillettes, tandis que
d'autres SS ont lancé des grenades à main à l'intérieur du même édifice, sans
aucun doute pour achever la population » ; « au moment où le feu a été mis à
l'église, on entendait toujours des cris à l'intérieur, mais moins qu'au début,
ce qui prouve que, lorsqu'on y a mis le feu, des personnes étaient encore
vivantes ou agonisantes ».
La fin du massacre et la découverte du charnier
L’arrêt des tueries et le départ des Allemands
Après 18 heures, un ingénieur des chemins de fer, Jean Pallier, arrive en camion
en vue du village. Il raconte : « Au sommet d'une côte, nous avons pu apercevoir
le bourg qui n'était plus qu'un immense brasier ». Il est arrêté avec ses
compagnons de voyage à trois cents mètres de l'entrée du village et autorisé à
rester sur place après une fouille. Il est ensuite rejoint par les passagers du
tramway parti de Limoges habitant Oradour ou s'y rendant. En tentant de
rejoindre le bourg à travers champs, J. Pallier constate que la localité est
complètement cernée par un cordon de troupes en armes. Le groupe d'une quinzaine
de personnes est arrêté vers 20 heures et, après plusieurs vérifications
d'identité, relâché avec ordre de s'éloigner du village ; un sous-officier
parlant correctement le français déclare aux membres de la petite troupe : «
Vous pouvez dire que vous avez de la chance ». Le massacre est terminé.
À l'exception d'une section de garde, les SS quittent Oradour entre 21 heures et
22 h 30. Les SS passent la nuit dans la maison Dupic, dans laquelle seront
retrouvées plusieurs centaines de bouteilles de vins vieux et de champagne
récemment vidées. Selon un témoin qui voit passer les Allemands, « dans cette
colonne allemande, j'ai remarqué plusieurs automobiles conduite intérieure. […]
Parmi les camions militaires se trouvait l'auto appartenant à M. Dupic, marchand
et négociant en tissus à Oradour. […] Il y avait la camionnette du marchand de
vins. […] Sur l'un des camions, un Allemand jouait de l'accordéon. Il était
juché sur le haut du véhicule qui était très chargé. Il y avait des sacs, des
ballots ».
Le 11, puis le 12 juin, des groupes de SS
reviennent à Oradour pour enterrer les cadavres et rendre leur identification
impossible, reproduisant une pratique usuelle sur le front de l'Est. Dans sa
déposition relative au 11 juin, le sergent Boos explique : « J'ai
personnellement déblayé l'église. […] je portais des gants pour cette besogne.
Je prenais les cadavres et les restes, les sortais de l'église et les mettais
dans un tombeau creusé à cet effet. Pendant ce travail, une ligne de sentinelles
était en position […] et tirait sur les civils qui s'approchaient de la forêt ».
Un autre SS déclare : « Le lendemain, nous sommes revenus pour enterrer les
morts. […] J'étais dans l'église pour sortir les cadavres, en nombre inconnu
tant ils étaient brûlés, cadavres de femmes et d'enfants. Nous les avons
enterrés derrière l'église et nous sommes partis ».
Les survivants
Une trentaine d'habitants survivent au
massacre, dont une Parisienne, Mme Taillandier, présente depuis dix jours dans
le village et qui est laissée libre après contrôle d'identité et interrogatoire
; Martial Beaubreuil et son frère quittent leur cachette dans l'épicerie Mercier
après le déclenchement de l'incendie de celle-ci en traversant le plancher en
flammes ; Armand Senon, un adolescent immobilisé avec une jambe dans le plâtre,
s'enfuit au dernier moment de sa maison en flammes ; Hubert Desourteaux reste
tapi ; découverts sous un escalier, les enfants Pinède sont chassés vers les
champs et échappent au massacre ; Roger Godfrin, originaire de Charly et âgé de
huit ans, s'enfuit de l'école dès qu'il aperçoit les Allemands : il est le seul
écolier à échapper au massacre, au cours duquel il perd son père, sa mère et ses
quatre frères et sœurs. Dans la nuit du 10 au 11 juin, certains survivants
quittent le village, mais d'autres y passent toute la nuit : Marguerite
Rouffanche se dissimule dans un jardin, Armand Senon dans un buisson, les frères
Beaubreuil dans un égout. Au total quarante-cinq personnes, dont douze passagers
du tramway de Limoges arrivés après l'arrêt du massacre, échappent aux SS, dans
diverses circonstances.
Source: Wikimedia