Opération Torch
Opération Torch est le nom de code donné au débarquement des Alliés le 8
novembre 1942 en Afrique française du Nord (protectorat du Maroc et départements
français d'Algérie). Ce débarquement marque le tournant de la Seconde Guerre
mondiale sur le front occidental, conjointement avec les victoires britanniques
d'El Alamein et soviétique de Stalingrad. La prise d'Alger se fait en un jour
grâce à la Résistance française, alors qu'à Oran et au Maroc, les généraux du
régime de Vichy accueillent les Alliés à coups de canon, tout en livrant la
Tunisie (alors sous protectorat) aux Allemands sans aucune résistance,
déclenchant ainsi la campagne de Tunisie. La reddition des troupes françaises
vichystes au Maroc eut lieu le 11 novembre. Des sous-marins allemands, arrivés
sur les lieux le jour du cessez-le-feu, menèrent ensuite des attaques devant
Casablanca jusqu'au 16 novembre.
Conception de l'opération
L'Opération Torch prend naissance au cours du printemps 1942, au plus fort de la
domination allemande. Les îles Britanniques ont certes évité l’invasion
allemande au cours la bataille d'Angleterre ; mais Hitler, avec ses forces de
l’Est, n'en est pas moins aux portes de Stalingrad : aussi l'Union soviétique se
trouve-t-elle au bord de la rupture. Donc, si les Alliés veulent conserver une
chance de gagner cette guerre, il devient urgent d’ouvrir un second front afin
de soulager l'URSS. Le choix de l’Afrique du Nord n’allait pas de soi : le
président Roosevelt et le général George Marshall avaient d'abord donné leur
préférence à un débarquement sur les côtes de la Manche (Eisenhower avait
d’ailleurs déjà obtenu la responsabilité du commandement pour une attaque côté
ouest).
De son côté, Churchill n’avait pas oublié les intérêts britanniques en Afrique,
où le canal de Suez restait à la portée de l'ennemi. Surtout, il estimait que
débarquer sur le continent européen représentait de gros risques, compte tenu de
la qualité des défenses allemandes, et parce qu'il jugeait les effectifs alliés
disponibles au Royaume-Uni encore insuffisants pour réussir une opération de
grande ampleur : il lui paraissait donc préférable de s’orienter vers une
offensive moins directe, en Afrique. Si les Alliés réussissaient à y repousser
les troupes de l'Afrikakorps de Rommel, l’Afrique du Nord permettrait ensuite de
disposer d’une plate-forme pour un projet plus ambitieux qui concernerait
l’Europe méridionale. Les pourparlers durèrent quatre jours et aboutirent en
juillet 1942 à un accord désignant l’Afrique du Nord comme objectif immédiat des
Alliés. Le général Marshall confia à Eisenhower ce nouveau commandement et le
projet fut baptisé « Opération Torch » (Flambeau).
La préparation politique
Le 5 septembre 1942, les négociateurs alliés s'accordent pour désigner
Casablanca, Oran et Alger, comme cibles principales du débarquement allié en
Afrique du Nord.
Négociations avec les autorités vichystes
L'opération avait aussi été préparée de longue date sur place mais une question
très importante était, en effet, celle de l'attitude des autorités militaires de
Vichy en Afrique du Nord vis-à-vis d'une éventuelle intervention américaine,
Hitler ayant laissé au gouvernement de Vichy la souveraineté sur son Empire. Le
président Roosevelt, influencé par certains Français des États-Unis, tels que
l'ancien diplomate Alexis Léger (plus connu sous nom de plume Saint-John Perse)
et l'avocat René de Chambrun, gendre de Pierre Laval, soupçonnait chez de Gaulle
des tendances dictatoriales tandis que, sur la foi des informations de son
ambassadeur, l'amiral Leahy, ami du maréchal Pétain, il imaginait les dirigeants
de Vichy comme susceptibles de reprendre la guerre contre l'Allemagne à la
première occasion.
Le consul Robert Murphy, représentant personnel du président Roosevelt en
Afrique du Nord, partageait les vues de Leahy, bien que ses démarches auprès des
dirigeants de Vichy sur place, et principalement des généraux Maxime Weygand,
puis Alphonse Juin - ce dernier s'en tenant à l'expectative - n'aient pas eu de
succès. Il avait été renforcé de 12 vice-consuls des États-Unis, envoyés en
Afrique du Nord pour contrôler l'emploi de l'aide économique américaine, et qui,
issus de milieux non diplomatiques, ne partageaient pas tous les idées de leur
supérieur. Aussi plusieurs d'entre eux avaient-ils établi de nombreux contacts,
non seulement avec les autorités locales de Vichy, mais aussi avec la
Résistance, Weygand ayant conclu un accord de ravitaillement avec les
Américains.
Négociations avec les résistants d'Afrique du Nord
Les diplomates américains et l'OSS (le service secret américain, précurseur de
la CIA) avaient obtenu du côté de la Résistance, mieux qu'une adhésion, une
stimulation. À Alger, s'était constitué, dès octobre 1940, un groupement de
résistants français favorables à la cause alliée. Ils s'étaient rassemblés et
avaient été organisés sur la base d'un secret et d'un cloisonnement rigoureux
par les groupements de choc de La Salle Geo Gras fondée par Emile Atlan, Charles
Bouchara et André Temine, les chefs de groupes et directeurs des opérations
composés de douze membres Emile Atlan, Charles Bouchara, Andre Temine, Paul
Sebaoun, Julien Gozlan, Germain Libine, Afred Fitoussi, Georges Loufrani, Roger
Moarali, Marcel Cassis, Cohen Adad et Dr. Raphaël Aboulker. Les cousins, Dr.
Raphael Aboulker, et José Aboulker à Alger se chargeaient de recruter les
étudiants de la faculté. Le Cercle Géo Gras, du nom de l'entraîneur sportif qui
servait à son insu de prête-nom au mouvement de Résistance, et fondé par
quelques amis (Emile Atlan, Charles Bouchara, André Temime, Jean Gozlan) était
composé de 117 membres qui s'étaient armés dès 1941 pour faire face à des
mesures anti-juives. Les armes provenaient en grande partie du magasin d'Emile
et Florence Atlan, armuriers 34 rue de Chartres jusqu'aux lois raciales. Elles
étaient cachées dans leur appartement du 11 rue Bab-Azoun et sous le ring de
boxe de la salle de sport (à l'insu de Géo Gras lui-même). Raphaël et Stéphane
Aboulker en faisaient partie et faisaient le lien avec le mouvement de José
Aboulker.
À Oran, un noyau de résistance s'était formé le 7 mars 1941, avec notamment
Roger Carcassonne, l'un des cousins du docteur Raphaël Aboulker. Initialement,
sa préoccupation dominante n'était pas de contrer l'influence des puissances de
l'Axe en Afrique du Nord. Les résistants d'alors visaient surtout à faire face
aux convoitises territoriales du général Franco qui cherchait à accaparer l'Oranie
grâce à ses réseaux de partisans (in A. Salinas, Les Américains en Algérie,
2013, p. 31; Alphonse Van Hecke, Les chantiers de jeunesse au secours de la
France, 1970 p. 97). L'arrivée au printemps 1941 de deux vice-consuls américains
Ridgway Knight et Leland Rounds permit d'orienter les efforts vers un objectif
moins restreint.
D'autres résistants venus de métropole s'étaient joints à eux, parmi lesquels :
un lieutenant du Deuxième Bureau, Henri d'Astier de La Vigerie. Celui-ci, après
avoir établi des liens avec Carcassonne à Oran, était venu s'installer à Alger
comme cadre des Chantiers de jeunesse, et y avait rencontré Aboulker. Les deux
jeunes dirigeants initiaux s'étaient implicitement placés sous la direction
d'Henri d'Astier.
certains dirigeants civils ou militaires, comme le général Béthouart au Maroc.
à Alger aussi, quelques officiers supérieurs, comme le lieutenant-colonel
Germain Jousse, major de garnison, et le colonel Baril (alors en disgrâce pour
avoir adressé à ses supérieurs un rapport prévoyant la victoire alliée).
un industriel arrivé à Alger en novembre 1941, Jacques Lemaigre Dubreuil,
directeur des Huiles Lesieur (en relation étroite avec le trust Unilever), qui
désirait jouer la carte américaine.
À la suite de longs mois de négociations entre chefs de la Résistance et
représentants américains, il fut décidé que :
lors du débarquement allié, les principales personnalités et points stratégiques
d'Afrique du Nord devraient être neutralisés pendant plusieurs heures, afin de
permettre aux Alliés d'effectuer leur intervention sans heurts ; on espérait
qu'une fois le débarquement opéré, l'armée d'Afrique se joindrait aux Alliés et
rentrerait, à leurs côtés, dans la guerre ;
le débarquement s'effectuerait sans intervention des Français libres, car la
participation du général de Gaulle à l'opération n'aurait pu que braquer
davantage encore les généraux vichystes. Un autre facteur était le peu de
sympathie de Roosevelt pour de Gaulle, due également à la libération de
Saint-Pierre-et-Miquelon effectuée par les Forces navales françaises libres (FNFL)
de l'amiral Muselier le 24 décembre 1941, sans l'accord des États-Unis. Quant à
Robert Murphy, il continuait de juger possible le ralliement des vichystes à la
cause alliée, malgré leurs déclarations et leurs actes concrets de collaboration
en Afrique du Nord même.
Il n'en fallait pas moins un général acceptable pour prendre la direction de la
rentrée en guerre du côté français. C'est alors que Lemaigre-Dubreuil avança le
nom du général Giraud, évadé d'Allemagne, dont il avait été l'aide de camp en
1940. Mais il n'informa pas les autres résistants que Giraud était aussi un
admirateur de Pétain et du régime de la Révolution nationale. Ainsi obtint-il
leur accord sans difficultés. Giraud avait également la faveur des Américains,
qui le préféraient à de Gaulle dont le jugement et les méthodes étaient
considérées comme peu fiables par Roosevelt4. Giraud, contacté par un envoyé
américain et par Lemaigre-Dubreuil, accepta de participer à l'opération, mais
exigea dans un premier temps qu'elle ait lieu simultanément en France, et qu'il
en exerce personnellement le commandement en chef. En attendant, il désigna,
pour le représenter auprès des conjurés, le général Charles Mast, chef
d'état-major du corps d'armée d'Alger et fit savoir qu'il pourrait rallier
l'armée d'Afrique du Nord aux Américains, ce dont doutaient les groupements de
résistants français
Les accords de Cherchell
Les accords entre les États-Unis et la Résistance française furent
officiellement sanctionnés au cours d'une rencontre clandestine tenue à
Messelmoun près de Cherchell dans la nuit du 21 au 22 octobre 1942, sur la côte,
non loin d'Alger, dans la ferme Sitgès, entre :
- Robert Murphy, le général Clark, (adjoint d'Eisenhower) venu secrètement en
sous-marin
- divers représentants militaires et civils de la Résistance, dont le colonel
Jousse, le général Charles Mast, et Bernard Karsenty, adjoint de José Aboulker,
Jean Rigault et Henri d'Astier de La Vigerie.
Outre leur partie militaire, les accords de Cherchell incluaient des
dispositions très favorables à la France, qui devait être traitée en alliée
après le débarquement. La réunion fut dénoncée par un indigène mais la venue du
commissaire de police7 fut retardée par deux officiers favorables aux Alliés,
évitant que les conjurés ne soient surpris.
Ordre de bataille allié et objectifs
L’ensemble des troupes terrestres alliées étaient placées sous la responsabilité
du général Eisenhower qui effectuait, pour l'occasion, son véritable baptême du
feu dans une opération majeure. Quant aux forces navales, le commandement en
incombait à l’amiral Sir Andrew Cunningham auquel fut adjoint l’amiral Sir
Bertram Ramsay qui avait établi du côté allié l'essentiel du plan d'attaque de
l'opération Torch, à partir des notes militaires établies par le colonel
français Jousse, membre de l'organisation de résistance d'Alger.
L'opération qui comprenait 107 000 hommes s'effectua sur 200 bâtiments de guerre
et 110 navires de transport. Elle se divisait en trois groupes ayant pour
mission d'établir neuf têtes de pont sur près de 1 500 km de côte.
Rangers
Forces ouest (Maroc)
Forces terrestres :
Commandement : général de division (Major General) George Patton
Effectifs : 35 000 américains 3e division d'infanterie américaine.
9e division d'infanterie américaine (privée du 39e régiment, voir Forces Est).
2e division blindée américaine.
70e et 756e bataillons de chars.
603e, 609e et 702e bataillons de chasseurs de chars.
36e régiment du génie.
Objectif : Casablanca, Port-Lyautey, Safi (Maroc Français)
Forces navales :
Commandement : vice-Amiral (Rear Admiral) Henri Hewitt.
Flotte de haute mer : USS Ranger (Porte avions)
USS Santee (porte-avions)
USS Sangamon(porte-avions)
USS Chenango (porte-avions)
USS Suwanee (porte-avions)
USS Texas (Battleship WWI)
USS New York (Battleship WWI)
USS Massachusetts (cuirassé)
USS Augusta (croiseur lourd)
USS Wichita (croiseur lourd)
USS Tuscaloosa (croiseur lourd)
USS Cleveland (croiseur léger)
USS Philadelphia (croiseur léger)
USS Savannah (croiseur léger)
USS Brooklyn (croiseur léger)
Flotte de protection et d'opération : 41 destroyers, 4 sous-marins, 8 dragueurs
de mines, 23 navires de débarquement pour l'infanterie.
Forces aériennes : (sous contrôle direct de Patton).
Commandement : général de division (Major General) James Doolittle (US).
Appareils : Chasseurs F4F Wildcat, bombardiers SBD Dauntless et torpilleurs
TBF-1 Avenger
Forces du Centre (Oran)
Forces terrestres :
Commandement : général de division (Major General) Lloyd Fredendall
Effectif : 39 000 américains. 1re division blindée américaine sous le
commandement du général de division (Major General) Orlando Ward.
1re division d'infanterie américaine sous le commandement du général de division
(Major General) Terry Allen.
701e bataillon de chasseurs de chars
105e & 106e bataillon d'artillerie côtière.
1er bataillon de Ranger
Objectif : Oran (Algérie). La ville est divisée en 3 zones : Zones X à l'Ouest
d'Oran.
Zone Y face à la ville.
Zone Z à l'Est.
Forces navales :
Commandement : contre-amiral (Rear Admiral) Sir Thomas Troubridge.
Flotte de haute mer : HMS Largs (transport & QG)
HMS Aurora (croiseur)
HMS Jamaica (croiseur)
HMS Rodney (cuirassé)
HMS Furious (porte-avions)
HMS Biter (porte-avions)
HMS Dasher (porte-avions)
Flotte de protection et d'opération : Environ 13 destroyers, 6 corvettes, 2
voiliers, 8 dragueurs de mines, 15 navires de débarquement pour l'infanterie, 3
tankers, navires anti-aériens.
Forces aériennes :
Commandement : général de division (Major General) James Doolittle (US).
Appareils : Torpilleurs Albacore et Chasseurs Hawker Hurricane
Forces Est (Alger)
Forces terrestres :
Commandement : général de corps d'armée (Lieutenant General) Kenneth Arthur Noel
Anderson (en)
Effectifs : 33 376 hommes, dont 23 000 étaient britanniques et destinés pour la
plupart (20 000 hommes), sous l'autorité du général Anderson, à ne débarquer
qu'une fois Alger pris, afin de marcher sur la Tunisie. Comme, lors du
débarquement, 7000 des Américains allaient rester en réserve à bord, seuls
quelque 7000 Américano-Britanniques allaient donc participer de façon effective
au débarquement. Sous le commandement du général de division (Major-General)
Charles Ryder : 34e division d'infanterie américaine (168e régiment)
78e division d'infanterie britannique (11e brigade).
9e division d'infanterie américaine (39e régiment).
1er et 6e bataillons commando américano-britanniques.
Objectif : Alger (Algérie). La ville est divisée en 3 zones : Zones A et B :
Ouest de la ville
Zones C : Est de la ville
Forces navales :
Commandement : vice-amiral d'escadre (Vice-Admiral) Sir Harold Burrough.
Flotte de haute mer : HMS Bulolo (croiseur & QG)
HMS Avenger (porte-avions)
HMS Argus (porte-avions)
HMS Sheffield (croiseur)
HMS Scylla (croiseur)
HMS Charybdis (croiseur)
Flotte de protection et d'opération : Environ 13 destroyers, 3 sous-marins, 4
corvettes, 3 sloops, 4 dragueurs de mines, 3 navires anti-aériens, 11 navires de
débarquement pour l'infanterie, 18 transports de troupe
Forces aériennes :
Commandement : général de corps d'armée (Air Marshall) Sir William Welsh
(Royaume-Uni).
Appareils : Chasseurs Seafires et Chasseurs Hurricanes
Dernières dispositions
La réussite de l’opération dépendait en grande partie du comportement des
troupes françaises de l'armée d'Afrique (110 000 hommes en comptant les
supplétifs algériens) stationnées sur les différents sites de débarquement.
Si la présence des forces italiennes et allemandes était bien réelle, celles-ci
n'opéraient qu'à l'est de la Tunisie (en Libye). Alors que les objectifs alliés
se situaient tous en des territoires sous contrôle français, le doute n'était
toujours pas levé chez les dirigeants américains, quant à l'attitude de l'armée
d'Afrique. Les membres de l'armée de Vichy gardaient encore les très mauvais
souvenirs de leurs confrontations avec les Britanniques : la destruction de
l'escadre de Mers el-Kébir (3 juillet 1940), leur défaite dans la campagne de
Syrie (1941) et l'occupation de Madagascar (mai-novembre 1942) où les combats
continuaient encore. Les positions du général Juin, commandant des forces
françaises d'Afrique du Nord, et du général Noguès, résident général au Maroc,
représentaient également des inconnues.
Les accords avec la résistance étaient justement destinés à parer toute réaction
négative des troupes françaises qui disposaient de 50 tanks opérationnels mais à
la technologie vieillissante, 500 avions de chasse Dewoitine D.520 (de force
équivalente aux avions anglais et américains). Mais Roosevelt et Eisenhower, se
fiant aux rapports optimistes du consul des États-Unis à Alger, Murphy, ne
perdaient pas l'espoir d'obtenir au dernier moment le ralliement des autorités
françaises sur place. Pour cela, les dirigeants alliés comptaient beaucoup sur
le général Giraud, auquel ils réservaient le commandement des forces françaises
stationnées en Afrique du Nord.
Or, si Giraud, au moment de sa décision ultime, avait finalement accepté un
débarquement limité à la seule Afrique du Nord, il continuait à compter sur le
commandement en chef des troupes d’invasion, bien que n'ayant reçu aucune
réponse à ce sujet. En réalité cette condition ne pouvait en aucun cas être
satisfaite par les Alliés. Il leur était en effet impossible de confier, 24
heures à l'avance, le commandement d'une opération militaire particulièrement
complexe à un général de langue étrangère, ignorant des préparatifs et des
moyens d'intervention en jeu. Giraud n'en fut pas moins révolté lorsqu'il
apprit, dans le sous-marin qui le conduisait à Gibraltar, que la fonction
réclamée par lui avait été attribuée à un autre. C'est ainsi que, le 7 novembre
1942, Eisenhower dut perdre de précieuses heures à discuter avec Giraud d'une
décision qui ne pouvait être révoquée. Quant à ce dernier, il s'attarda pendant
deux jours à Gibraltar pour marquer son mécontentement, sans tenir compte des
résistants qui allaient l'attendre vainement le lendemain, à Alger, pour lui
remettre la ville neutralisée pendant la nuit. Le même soir l'opération
commençait, tant du côté de la résistance que de celui des forces de
débarquement alliées. Ainsi l'action de la résistance allait-elle s'effectuer
sans Giraud.
Le 8 novembre 1942, à l'aube, les premiers vaisseaux de l'Opération Torch
abordèrent les plages d'Afrique du nord. La flotte alliée avait atteint sans
encombre ses différents objectifs, à la surprise de ses équipages, sans avoir
été inquiétée par les sous-marins de l'Axe, qui l'attendaient plus loin, du côté
de Malte. Un seul vaisseau avait été perdu, le Thomas Stone touché par un avion
de la Luftwaffe. L'accueil qui serait réservé aux unités alliées par les forces
armées vichystes demeurait cependant une inconnue.
Succès à Alger de la résistance française et du débarquement allié
Le putsch du 8 novembre 1942 à Alger
Après une longue préparation, et en exécution d'accords passés secrètement à la
conférence de Cherchellle 23 octobre 1942 entre la résistance algéroise et le
commandement allié, 400 résistants français, dont les deux tiers étaient des
Juifs ont neutralisé le 8 novembre 1942, les batteries côtières de Sidi-Ferruch
et le 19e corps d'armée française d'Alger pendant une quinzaine d'heures.
L'action des résistants d'Alger contre les Français fut baptisée quelques mois
plus tard « putsch » par ses auteurs, lorsqu'ils s’avisèrent qu'il avait été
exécuté un 8 novembre, c'est-à-dire le même jour que le putsch manqué qu'Hitler
avait mené à Munich en 1923.
Ils avaient pour cela occupé, pendant la nuit, la plupart des points
stratégiques16. Simultanément, l'un de leurs groupes, composé d'élèves du Lycée
de Ben Aknoun commandés par l'aspirant de réserve Pauphilet, avait réussi à
arrêter le général Juin commandant en chef en Afrique, ainsi que l'amiral Darlan
inopinément présent à Alger cette nuit-là.
Ce putsch, par lequel la résistance algéroise neutralisa pendant plusieurs
heures les autorités civiles et militaires vichystes en Afrique du Nord, le 8
novembre 1942, allait d'abord avoir, sur le plan militaire, les deux
conséquences essentielles recherchées :
le succès du débarquement allié ;
le retournement de l'armée d'Afrique, qui après trois jours de combat sanglant
contre les alliés, terminera finalement la guerre dans l'autre camp.
Ce succès militaire de la résistance (Pieds-Noirs et Juifs) et du débarquement
ne se révèlera qu'à la longue une réussite sur le plan politique après :
la neutralisation momentanée des autorités françaises par les résistants, suivie
de leur ralliement;
la création à Alger du Haut-commissariat de France en Afrique, puis en février
1943 du Commandement en chef français civil et militaire qui maintient dans un
premier temps la législation vichyste.
Cette dernière autorité, sous la pression des Alliés, sera ensuite contrainte à
se démocratiser pour conduire l'effort de guerre contre l'Allemagne. Au point
qu'après avoir fusionné, non sans peine, avec le Comité national français de
Londres, elle passera en quelques mois sous l'autorité du général de Gaulle,
devenu le seul dirigeant du Comité français de la Libération nationale.
La prise d'Alger par les résistants a donc été un véritable coup d'État, malgré
ses résultats politiques différés, et l'un des rares cas réussis de coup d'État
de civils contre des militaires. D'où son surnom local dans les mois suivants de
« Coup du 8 novembre ».
Cette neutralisation pendant 15 heures d’un corps d’armée, par des civils, a
souvent été occultée, mais comme le note Christine Levisse-Touzé, elle a
conditionné une des premières grandes victoires alliées sur le front occidental.
Cette opération a été remportée par des civils mal armés sur des généraux. Aussi
ceux-ci n'ont-ils pu qu'en être humiliés, les uns pour s'être laissés arrêter à
Alger, et les autres pour avoir tiré pendant trois jours sur les Alliés et livré
sans combat la Tunisie aux Allemands, avant de se décider à reprendre la guerre
contre l'Allemagne.
Les diplomates et généraux américains ont eu tendance à omettre ou à minorer le
rôle de la Résistance pieds noirs dans leurs relations ultérieures de
l'opération Torch