NORMANDIE

 

Ce n’est pas facile d’évoquer avec précision des événements qui se sont déroulés il y a de nombreuses années et où les faits d’ordre militaire se sont succédés très rapidement, dès notre débarquement sur la plage d’UTAH-BEACH le 3 Août 1944 à l’aube.

 

Je dois dire aussi que mon carnet de route a été égaré dans les années d’après guerre et que les renseignements précis qui y figuraient sont à présent sortis de ma mémoire.

 

Nous avions embarqués nos chars la veille sur des L.S.T. bateaux à fond plat pouvant transporter une vingtaine de chars et autant d’autres véhicules semi-chenillés ou à roue.

L’ embarquement se faisait en marche arrière pour permettre une sortie rapide par l’avant qui s’ouvrait sur la plage sur laquelle le bateau était venu s’échouer. Nous avions quitté l’ Angleterre à la tombée de la nuit au son d’une importante fanfare américaine qui saluait ceux qui partaient au « casse-pipe ».

 

Première impression : grosse émotion de se retrouver en France après trois ans d’absence, sur une vaste plage inconnue bordée de dunes de sable. Dans ces dunes, une incroyable concentration de véhicules divers, des montagnes de munitions, des milliers et des milliers de jerrycans de carburant empilés les uns sur les autres. Il faut noter qu’à cette époque le port artificiel d’ARROMANCHES n’était pas encore opérationnel et que tout le matériel était débarqué directement sur les plages.

 

Dans un premier temps nous passons à SAINT-MERE-EGLISE, le premier village français libéré le 6 Juin par les parachutistes américains, pour rejoindre un cantonnement provisoire en pleine nature dans le bocage normand, dans la tête de pont de dimension encore bien réduite.

Nous sommes surpris par le nombre de vaches tuées par les bombardements aérien, restées sur place et dégageant une odeur pestilentielle.

 

Le 8 Août la D.B. est concentrée aux environ de SAINT-JAMES en vue d’une première opération devant avoir lieu le lendemain à l’aube. Dans la soirée un avion de reconnaissance allemand volant à haute altitude fait son apparition et déclenche un violent tir de nos batteries de DCA qui entraîne par contagion un tir généralisé d’armes automatiques de tous calibres.

Je vois même des gens tirant en l’air avec des pistolets mitrailleurs ! Cette folie furieuse stérile n’a en rien intimidé le pilote de l’avion qui tourne plusieurs fois en rond au-dessus de la zone, mais lui confirme le présence, à cet endroit, d’une unité importante. Résultat, entre une et deux heures du matin un groupe de bombardiers a lâché sur notre secteur, de nombreuses bombes antipersonnel qui provoquent des dégâts matériel, des tués et de nombreux blessés.

 

L’équipage de mon char doit sûrement le vie au caporal VILLETTE, mon pilote, qui m’a suggéré, avant la nuit, de le déplacer pour le positionner dans un petit chemin creux qui offrait une merveilleuse protection que le pommier sous lequel il était camouflé. En effet une bombe devait tomber exactement à l’emplacement précédent du char ! bilan pour la 3è Cie : un mort et une quinzaine de blessés. Dans ma section cinq blessés dont quatre sont évacués.

 

A l’aube, départ avec des équipages incomplets en direction d’AVRANCHES et MORTAIN en prévision d’une contre-attaque allemande dans ce secteur ; Heureusement il ne se passe rien dans la journée, mais j’ai le plaisir de voir, de loin, le Mont St. Michel.

 

Quelques jours après nous nous trouvons dans le secteur d’ ALENCON où nous rencontrons les premiers chars de la D.B. détruits. Il y en a cinq au débouché du même carrefour ! Tous perforés de part en part et plusieurs cadavres carbonisés gisent autour. Un peu plus loin, le carcasse d’un automoteur antichar de 88 responsable du massacre, qui a fini par être détruit.

Il y a de quoi réfléchir et s’inquiéter des performances de nos SHERMAN. Il s’agissait de chars du 12è Régiment de Cuirassiers, autre unité de chars affectée à la 2è D.B.

 

La progression est rapide dans le sillage d’une section de chars légers de la 4è Cie qui ouvre le route. A plusieurs reprises nous croisons des groupes de fantassins allemands qui, à notre vue, jettent leurs armes et viennent se rendre. Mais nous n’avons ni le temps ni la possibilité de les faire prisonniers. Nous passons aussi à coté d’un important hôpital de campagne dont le personnel semble totalement terrorisé à la vue d’une colonne de chars ennemis. A le tombé de la nuit, nous arrivons à FRANCHEVILLE où nous pouvons nous trouver en plein dans leurs lignes. Nous capturons aussi un officier qui arrivait en moto et qui failli, dans l’obscurité, percuter mon char. Première occasion de m’exprimer en allemand pour lui extirper quelques renseignements qu’il donne non sans réticence.

 

Le lendemain matin, sur indication des fantassins qui nous accompagnent, nous découvrons dans un petit bois près du village, deux chars panther pratiquement neufs, mais en panne. Quelle émotion de se trouver devant ces engins imposant et tellement mieux armés que nos Sherman. Je peux sans difficulté mettre en marche l’un deux, mais il est immobilisé à la suite de la rupture d’une chenille. L’autre est en panne de moteur. Ces deux chars ont, par la suite, été dépannés et ramenés à PARIS où ils seront exposés de nombreuses années devant les Invalides.

 

Le lendemain matin nous progressons en direction d’ ECOUCHE, notre objectif final.

Le premier village sur notre itinéraire est DOUCE que les chars allemands viennent de quitter quelques minutes auparavant. Des fantassins viennent à notre rencontre pour se rendre. A ce moment là nous sommes mitraillés par trois chasseurs américains, malgré les panneaux de signalisation colorés disposés sur la plage arrière de nos chars. Une jeune fille du village qui s’était précipitée hors de sa maison pour nous accueillir est tuée à coté d’un de mes chars, lui-même touché par les balles de gros calibre, mais sans dommage grave. Les trois avions effectuent un deuxième passage en battant des ailes pour montrer qu’ils avaient reconnu leur erreur.

 

En fin de matinée nous arrivons sans encombre à ECOUCHE où nous faisons la jonction avec la 1ère Cie du 501 qui a progressé sur un autre itinéraire et coupé la route aux allemands qui tentent de remonter vers PARIS. L’ après-midi nous assistons à un festival de l’aviation américaine qui, avec rockets, attaque des chars ennemis concentrés dans une forêt toute proche de bourg. Le lendemain nous participons avec tout le régiment à une attaque de grande envergure pour prendre un petit village, JOUE DU PLAIN, situé à quelques kilomètres au sud d’ ECOUCHE. C’est très spectaculaire, les chars avancent en ordre de bataille tirant en direction de village, incendiant au passage des meules de paille, sans provoquer la moindre réaction des allemands. On dirait une mise en scène pour un film de guerre !

 

Le village qui se trouve rapidement cerné par les chars et l’infanterie qui nous accompagne, est investi sans opposition. Nous faisons trois prisonniers, trouvés terrorisés au fond d’une cave. Il s’agit de déserteurs qui s’étaient planqués là. Nous n’avons jamais pu savoir pourquoi le Colonel commandant le régiment avait monté cette opération alors que tout le monde savait que ce pauvre village n’était ni occupé ni défendu.

Pour nous c’est la fin de la bataille de NORMANDIE et quelques jours après nous prenons la Direction de PARIS.

Tous mes remerciements 
Au capitaine Christen -Marcel , pour le prêt et l’exploitation de ses mémoires et documents extraits de sa collections personnelles.

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