Les massacres racistes de tirailleurs sénégalais en 1940

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Combattants des colonies française remerciés par De Gaulle



LE PATRIOTE RÉSISTANT mémoire 11
N° 844 - juillet-août 2010

Qu’ils aient été exécutés en groupe ou abattus isolément,
les tirailleurs sénégalais de l’armée française furent
les victimes de crimes racistes perpétrés par les troupes
allemandes lors de l’invasion de la France en mai-juin 1940.
Ce fut le cas entre autres dans la région lyonnaise. Plusieurs
dizaines de soldats du 25e Régiment de tirailleurs sénégalais faits prisonniers aux alentours de Chasselay furent massacrés à la mitrailleuse - perçus comme une menace pour la « civilisation » et la « race » allemandes…

Pour les Allemands, les tirailleurs sénégalais
ne sont pas des militaires
comme les autres.

D’abords
admiratifs face aux prouesses militaires
de ces soldats indigènes , ils développent
ensuite pendant la Grande guerre
une série de clichés présentant les
tirailleurs sénégalais comme des sauvages,
des anthropophages nettoyant
les tranchées avec leurs coupe-coupe
et mutilant les prisonniers, ce qui repositionne
sur le plan racial l’engagement
armé contre ces soldats.

À la pureté de la race allemande et à
son niveau de civilisation sont opposées
la barbarie et l’animalité du Noir. Humiliés
par la défaite et par les occupations de
la Rhénanie et de la Ruhr, ils intègrent
le mythe du tirailleur dans leurs ressentiments
liés à cette période, le cultivent,
si bien qu’en 1940, SS et soldats de la
Wehrmacht font preuve d’une rancoeur,
identique pratiquement mot pour mot
à celle développée en 14-18 et lors des
occupations d’après-guerre.

Mais, en 1940, l’expression de ces ressentiments
dépasse la seule propagande
ou le seul cliché populaire. Permise par
l’état de guerre, autorisée, voire encouragée
par le régime nazi et la hiérarchie
militaire, elle prend une dimension exterminatrice.
La grande majorité des soldats français
exécutés ces 19 et 20 juin 1940 devant
Lyon sont des tirailleurs indigènes.
Les autres, cadres du 25e RTS et artilleurs
du 405e RADCA [Régiment d’artillerie
de défense contre avions], ont été
assassinés au seul titre d’une colère
consécutive à l’importance des pertes
allemandes et à la surprise de trouver
une telle résistance, le 19 juin, aux portes
d’une agglomération déclarée ouverte,
mais également en tant que représentants
d’un corps militaire honni pour sa
mixité raciale et l’égalité qu’il contribue
à développer entre Blancs et Noirs.
Les massacres n’ont pas été préparés.
Si cela avait été le cas, l’état-major
de la division SS Totenkopf, par exemple,
n’aurait certainement pas accepté
la reddition du II/25 à condition d’épargner
les tirailleurs indigènes. Seulement,
s’il n’y a pas eu préparation, il y a eu en
revanche un encouragement tacite de
la hiérarchie, qui a laissé à chacun la
liberté de traiter, comme il l’entendait,
les tirailleurs indigènes prisonniers et
qui a participé elle-même aux exactions.
L’armée allemande de 1940 n’est
pas une armée où peut se dérouler ce
genre d’agissements sans la permission
au moins tacite de la hiérarchie. Sa responsabilité
est indubitable, comme l’est
également celle de chaque bourreau. En
effet, la « carte blanche » laissée à tout
individu implique un choix, une décision
personnelle. Soldats ou SS ont choisi
de tuer, comme d’autres ont choisi de
ne pas le faire, alternative autorisée par
l’absence de contrainte.

Les attitudes ont ainsi été diverses,
même au sein d’une unité à la brutalité
et au racisme reconnus, entretenus
et revendiqués comme la division
Totenkopf. Qui plus est, les assassins
ont mené les exécutions avec un sangfroid
et une assurance qui ne sont pas
sans rappeler l’attitude des acteurs de
la Solution finale. Ils semblent même
en avoir ressenti une certaine fierté.
Comment expliquer cette satisfaction
et cette maîtrise personnelles ? Des interrogations
similaires ont été posées
lors de l’extermination des juifs. Les réponses
restent insuffisantes, comme si
ces actes, fruits de ressentiments anciens
et partagés par un grand nombre,
et leur caractère sauvage et gratuit ne
pouvaient véritablement être expliqués,
tant tout cela dépasse l’entendement
humain. Nous n’avons pu apporter que
des éléments introductifs à l’histoire du
racisme « anti-Noir » et de la haine du
tirailleur. Mais cela n’explique pas tout,
et en particulier pas le passage à l’acte.
En ce qui concerne le choix personnel,
nous demeurons également dans l’expectative.
Faut-il chercher plus précisément
dans la personnalité de chacun
des bourreaux ? Faut-il incriminer le régime
nazi, sa violence et sa manipulation
des foules ? La conjonction de ces
éléments est certainement responsable,
sans qu’il soit possible de découvrir
lequel a été déterminant. Primo Levi a
écrit à ce propos : « Dans la haine nazie,
il n’y a rien de rationnel. Nous ne pouvons
pas la comprendre… »

Mais, dans notre cas, est-ce véritablement
une haine nazie, un crime nazi ?
Nous avons vu que le ressentiment envers
les tirailleurs s’était développé avant
1933. Ces crimes sont donc également
allemands, dans le sens où ils font appel
à des haines développées avant et pendant
la Grande guerre, laquelle présente
aussi une grande importance par la
« brutalisation » qu’elle a imposée aux populations
européennes. Mais, sans le nazisme,
sans sa violence élevée au rang de
fondement du régime, sans l’impunité accordée
aux crimes raciaux et politiques,
ces exactions n’auraient pu avoir lieu.
Tout est intimement lié et chaque élément
est indispensable à la compréhension
de tels actes.

La recherche est donc loin d’être
achevée et tout n’est pas encore expliqué.
Mais peut-on tout expliquer ?
Réussira-t-on un jour à expliquer ces crimes
dans l’intégralité de leur dimension ?
Peut-on véritablement parler de choix
personnel quand la haine, qui fonde ce
choix, est communément admise, partagée
et entretenue depuis des décennies ?
Y a-t-il eu véritablement une alternative
pour ces soldats évoluant au sein d’une
institution militaire et gouvernée par un
régime dont on connaît l’influence sur
les foules ? Tout cela est extrêmement
complexe, à l’image de la Solution finale
et de l’ensemble des crimes nazis de la
Seconde Guerre mondiale.

Une introduction aux crimes
qui seront commis à l’Est

Les références à ces derniers sont ici
constantes. En effet, ne sommes-nous
pas dans le cadre d’une introduction aux
crimes qui seront commis sur le front
russe à partir de 1941, eux aussi au titre
d’une extermination raciste et politique ?
Voici l’appréciation d’un général allemand
de la Wehrmacht [von Reichenau] à propos
des opérations menées en Union
Soviétique :
« Au sujet de la conduite de la troupe à
l’égard du système bolchevique subsistent
beaucoup d’idées confuses. Le but
essentiel de la campagne contre le système
bolchevique est la destruction totale
de ses instruments de domination
et l’élimination de la sphère asiatique
sur la sphère culturelle européenne. Il en
découle pour la troupe des devoirs, qui vont
au-delà du comportement militaire traditionnel
au sens étroit. À l’est, le soldat n’est
pas seulement un combattant selon les règles
de la guerre, mais aussi le représentant
d’une idée nationale [Völkische Idee]
inflexible et l’instrument chargé de venger
toutes les ignominies [Bestialitäten] qui ont
été commises contre les Allemands et les
peuples qui leur sont associés. En conséquence,
le soldat doit avoir une parfaite
compréhension de la nécessité d’infliger
un châtiment sévère mais juste aux
sous-hommes juifs. Ce châtiment a aussi
pour but d’étouffer dans l’oeuf les rebellions
à l’arrière de la Wehrmacht qui sont
toujours préparées par les juifs comme
le prouve l’expérience. »

Au-delà de la dimension anticommuniste
et antisémite de cette campagne,
on peut clairement distinguer une dimension
raciale, la diabolisation de la
« barbarie asiatique » et des Slaves. Ne
sommes-nous pas dans le même cas
dans le cadre des massacres de tirailleurs
sénégalais ? N’ont-ils pas été exécutés au
nom de la défense de la Culture allemande ?

Ne sont-ils pas comme les Slaves et
autres Mongols des représentants
de la sous-humanité ?

Russes et tirailleurs
sénégalais inspirent une terreur
irrationnelle dans les rangs allemands.

Slaves et tirailleurs sénégalais ont été diabolisés,
et d’abord lors de la guerre 14-18,
vieux préjugés qui seront attisés et utilisés
par le régime nazi. On retrouve en effet les
mêmes qualificatifs et les mêmes accusations
de sauvagerie, de menace raciale et
de rage sexuelle. Cette ressemblance de
clichés, d’accusations et surtout d’actes
démontre un lien entre les massacres de
tirailleurs sénégalais commis pendant la
campagne de France et les exactions allemandes
perpétrées, à une toute autre
échelle, sur le front russe à partir de 1941.
La campagne de 1939-1940 n’a pas été
une campagne « propre » comme on l’a
longtemps prétendu. Jusque-là, personne
n’avait mis en cause la Wehrmacht dans
des crimes raciaux commis durant cette
période. Cette dernière doit être reconsidérée
et désormais, semble-t-il, abordée
comme une introduction aux crimes
qui seront commis à l’est et durant toute
la Seconde Guerre mondiale par les troupes
allemandes. On y retrouve en effet la
dualité des bourreaux, SS et Wehrmacht,
la motivation raciale qui consiste à éliminer
des « sous-hommes » perçus comme
une menace pour la civilisation et la race
allemandes, l’impunité voire l’encouragement
accordés à ces crimes par le régime
bien entendu, mais également par la
hiérarchie militaire, la même sauvagerie et
le même acharnement. Les massacres de
tirailleurs sénégalais sont la répétition des
crimes perpétrés à l’Est, et la campagne
de 1939-1940 une étape importante de la
« nazification » de la Wehrmacht et de la
« brutalisation » des troupes, et pas seulement
parce que la victoire de mai-juin 1940
a considérablement accru la popularité du
régime nazi. À l’instar de l’observation de A.
von Kageneck, les soldats allemands n’ont
pas agi envers les tirailleurs comme envers
un adversaire « classique ». Le tirailleur
est à la fois un « ennemi mortel, fanatisé,
endoctriné, prêt à tout » et un adversaire
« idéologique » car il est le représentant
d’une certaine perception de l’humanité,
celle qui va à l’encontre de celle de l’Allemagne
et qui, surtout, menace l’intégrité
du peuple et de la Kultur allemande.

Julien Fargettas est l’auteur de Le Massacre
des soldats du 25e régiment de tirailleurs sénégalais.
Région lyonnaise, 19 et 20 juin 1940,
mémoire de maîtrise couronné par le Prix
Marcel Paul 2000, dont est extrait ce passage.
Il prépare actuellement une thèse sur
les tirailleurs sénégalais durant la Seconde
Guerre mondiale.

 

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