Massacre de Tulle
Le massacre de Tulle désigne les crimes commis dans la ville de Tulle par la 2e
division SS Das Reich le 9 juin 1944, 72 heures après le débarquement en
Normandie. Après une offensive des FTP, les 7 et 8 juin 1944, au cours de
laquelle les troupes allemandes assassinent dix-huit gardes-voies, l'arrivée
d'éléments de la Das Reich contraint les maquisards à évacuer la ville. Le 9
juin 1944, après avoir raflé les hommes de seize à soixante ans, les SS et des
membres du Sipo-SD vouent 120 habitants de Tulle à la pendaison, dont 99 sont
effectivement suppliciés. Dans les jours qui suivent, 149 hommes sont déportés à
Dachau, où 101 perdent la vie. Au total, les crimes de la Wehrmacht, de la
Waffen-SS et du Sipo-SD font 213 victimes civiles à Tulle.
Contexte historique
La division Das Reich
Articles détaillés : Waffen-SS et 2e division SS Das Reich.
Insigne de la 2e SS Panzer Division Das Reich
Au début de 1944, après avoir subi de lourdes pertes sur le front de l'Est, la
2e division blindée SS Das Reich, sous le commandement du Gruppenführer Heinz
Lammerding, est regroupée dans la région de Montauban, pour être reformée en
prévision d'un débarquement allié quelque part sur le front Ouest. Elle est
composée de 18 000 hommes appuyés de blindés légers et de chars.
Cette division présente les quatre critères déterminants pour devenir les
auteurs de massacres en France, tels que définis par Peter Lieb : ses membres
sont imprégnés par l'idéologie nationale-socialiste, ils ont combattu sur le
front de l'Est, se perçoivent comme une unité militaire d'élite et ont déjà
participé à des opérations de lutte contre les partisans1.
Au lendemain du débarquement de Normandie, elle reçoit l'ordre de se positionner
dans la région entre Tulle et Limoges pour y réduire les maquis qui, depuis
l'annonce du débarquement allié, ont intensifié les actions de sabotage et de
harcèlement des garnisons allemandes. C'est le régiment Der Führer qui est
chargé de préparer l'arrivée de la division.
Parcours de la 2e panzerdivision SS Das Reich en mai et juin 1944.
La lutte contre les partisans est régie par des ordres émis début 1944, connus
sous le nom d’ordonnance Sperrle, du nom du Maréchal, adjoint au haut
commandement de l'Ouest. Selon ces ordres, la troupe est tenue de riposter
immédiatement aux attaques terroristes en ouvrant le feu et si des civils
innocents sont touchés, c'est regrettable, mais la responsabilité en incombe
exclusivement aux terroristes ; les zones doivent être bouclées et tous les
habitants, quels qu'ils soient, arrêtés ; les maisons qui ont abrité des
partisans doivent être incendiées. L'ordonnance poursuit en précisant qu'« il ne
faut punir que le chef manquant de fermeté et de résolution car il menace la
sécurité des troupes qui lui sont subordonnées et l'autorité de l'armée
allemande. Face à la situation actuelle, des mesures trop sévères ne peuvent
entraîner de punitions pour leurs auteurs2 ». Les ordres particuliers du
commandant de la division apportent des précisions tactiques : « Les forces de
la Résistance doivent être anéanties par des manœuvres d'encerclement3 ». Le 5
juin 1944, le général Lammerding fait approuver par sa hiérarchie un programme
répressif qui reprend les mesures mises en œuvre en Europe de l’Est et à
l'arrière du front dans la lutte contre les partisans à partir de 1941. Ce
programme prévoit notamment des actions de contre-propagande et de
discrimination, « actions ayant pour but de monter la population contre les
terroristes » ; il prévoit aussi des arrestations massives et préventives,
l'occupation de localités et le ratissage de zones, la réquisition de véhicules.
Il précise enfin « l'annonce et l'exécution de la disposition que, pour chaque
Allemand blessé et pour chaque Allemand tombé, 10 terroristes seront pendus (et
non fusillés). L'exécution par pendaison n'est pas usuelle dans la justice
française. Par son application aux terroristes, ceux-ci seront discriminés et
exclus de la communauté du peuple français».
Entre le début mai et le 9 juin, la division, et particulièrement le régiment
Der Führer effectue, sous les directives du service de renseignements, de
nombreuses missions de recherche de bases et dépôts de partisans ainsi que des
opérations consécutives aux actes de la résistance. Au cours de ces opérations,
une soixantaine de maquisards est tuée et une vingtaine envoyée en déportation ;
une centaine de civils est également tuée en diverses circonstances et un
millier déporté en Allemagne. Plusieurs centaines de maisons sont incendiées.
La répression allemande en Corrèze
Compte tenu de l'activité de la Résistance dans la région, la Corrèze et plus
particulièrement la ville de Tulle et ses alentours font l'objet de nombreuses
interventions des services de sécurité allemands. Le 14 mars 1944, un kommando
de douze membres du Sipo-SD dépendant du Kommandeur der Sicherheitspolizei und
Siecherheitsdienst de Limoges, August Meier, arrive à Tulle. Dirigés par le
Hauptsturmführer Friedrich Korten, ces hommes participent à la répression des
maquis avec des éléments de la Légion nord-africaine sous le commandement de
Henri Lafont. Pour le préfet Trouillé, « Tulle est en révolution : les loups de
la Sicherheitspolizei et les charognards de la Gestapo française arrivent de
concert. »
Ils collaborent au ratissage systématique effectué au cours du mois d'avril par
la division Brehmer. Celle-ci est une réunion temporaire d'unités composites,
qui comporte notamment le 1er régiment de la 325e division de sécurité et les
Géorgiens du 799e bataillon d'infanterie, recrutés parmi les prisonniers de
guerre de l'Armée rouge. Du 1er au 7 avril 1944, la division du général Brehmer
arrête 3 000 personnes ; dans le village du Lonzac, 17 habitants sont abattus et
24 maisons incendiées ; à Brive, 300 personnes sont arrêtées et envoyées dans
des camps de travail en Allemagne. Le bilan des opérations de répression de la
division Brehmer se solde par 1 500 arrestations maintenues, 55 fusillades, 128
crimes ou délits dans 92 localités et 200 Juifs assassinés, sans confrontation
directe avec le maquis. La division Brehmer quitte la Corrèze en mai, après
avoir également dévasté la Dordogne et la Haute-Vienne9. Cette vague de
répression explique en partie l'attaque de la ville de Tulle par la Résistance
qui espère mettre fin aux souffrances de la population.
La bataille de Tulle
La libération
L'attaque de Tulle est planifiée par le commandant des maquis FTP de Corrèze,
Jacques Chapou, dit Kléber, mi-avril ou début mai 1944 : « à l'origine, il
semble bien que cette attaque ait été envisagée sans aucun lien avec le
débarquement dont la date était encore imprévisible. » Elle poursuit plusieurs
objectifs : « désarmer, et si possible, anéantir la garnison allemande ;
désarmer les Gardes Mobiles et s'approprier leurs armes et véhicules ; rendre
inoffensifs la Milice et les collaborateurs connus », mais aussi, « creuser des
vides dans la garnison, inspirer une crainte salutaire à ses chefs et les amener
à se retrancher dans Tulle sans en plus sortir, faisant ainsi cesser, au moins
pour un temps, les expéditions contre les maquis. » Contactés, les responsables
de l'Armée secrète se montrent tout à fait opposés à une opération contre un
centre urbain.
Selon J. Delarue, Tulle est défendue par une garnison de sept cents hommes du 3e
bataillon du 95e régiment de sécurité de la Wehrmacht, auxquels il faut ajouter
six ou sept cents hommes des Gardes Mobiles et de la Milice française ; B.
Kartheuser estime quant à lui les effectifs du 95e régiment de sécurité à 289
hommes, issus des 8e, 13e compagnies et le (?) l'état-major, sur la base d'un
relevé détaillé établi le 17 mai. Face à eux, les résistants disposent de 1 350
combattants, dont 450 ne participent pas au déclenchement de l'opération et de 1
350 hommes en soutien. Pour Jean-Jacques Fouché & Gilbert Beaubatie, les forces
en présence s'élèvent à un peu plus de trois cents hommes du côté allemand,
l'attaque étant lancée par quatre cents FTP, qui sont rejoints ensuite par
cent-vingt combattants supplémentaires en milieu d'après-midi le 7 et le 8 au
matin.
L'offensive se déclenche le 7 juin 1944 à cinq heures du matin et un coup de
bazooka tiré sur la caserne du Champ de Mars où sont cantonnées les forces de
maintien de l'ordre donne le signal de l'attaque. Dès six heures, les édifices
dans lesquels se trouve la garnison allemande sont cernés ; la poste et la
mairie, où les FTP établissent leur poste de commandement sont occupés vers sept
heures. À huit heures, la gare elle aussi est prise par les résistants, qui y
trouvent dix-huit gardes-voies et un employé des chemins de fer, Abel Leblanc :
invités à rejoindre le maquis, ceux-ci préfèrent attendre la fin des combats
dans la salle d'attente. À 11 h 30, les forces de la Milice et des GMR hissent
le drapeau blanc sur la caserne du Champ de Mars : après des négociations, ils
quittent la ville vers seize heures, en emportant tout leur matériel. Pour Elie
Dupuy, dont le groupe de combat FTP n'avait pas été touché par l'ordre de repli
de Chapu, ce départ est un échec, l'un des buts de l'opération étant de
récupérer le matériel de guerre et de transport des forces de l'ordre ; mais
avec son seul bataillon de quatre-vingt dix hommes, il n'a pas les moyens « de
poursuivre l'attaque contre la garnison allemande et, en même temps, d'imposer
une reddition inconditionnelle aux policiers ».
Pendant ce temps, vers 13 h 30, les Allemands profitent du retrait partiel des
maquisards sur les hauteurs ordonné par Chapou et reprennent brièvement le
contrôle de la gare, dans laquelle ils découvrent à leur tour les gardes-voies,
porteurs d'un brassard blanc, signe distinctif de leur fonction, mais semblable
à celui des FTP. Dès que les gardes-voies sortent du bâtiment, sans le moindre
interrogatoire, sans même être fouillés, ils sont pris sous le feu des troupes
allemandes dans la cour de la gare ou le long des voies menant au garage du
chemin de fer départemental, fauchés « par des tirs croisés dont ceux d'une
mitrailleuse leur tirant dans le dos », alors qu'ils s'adressent aux Allemands
en leur criant « Camarades! Camarades! ». Seul Abel Leblanc survit à la
fusillade. Pour B. Kartheuser, il s'agit d'un assassinat délibéré, les Allemands
étant au courant de la présence des gardes-voies et connaissant leur tenue.
Dans la nuit du 7 au 8, alors que les maquisards, toujours privés des 450 hommes
du groupe A, se sont retirés sur les hauteurs, la garnison allemande se regroupe
en trois lieux : l'école normale de jeunes filles au nord, la manufacture
d'armes et l'école de Souilhac au sud. Les combats reprennent à six heures
trente du matin25, la principale offensive étant dirigée contre l'école normale,
bastion principal des troupes allemandes. Face à la résistance des Allemands,
les FTP boutent le feu à l'édifice vers quinze heures. Vers dix-sept heures,
dans des circonstances qui restent peu claires et discutées, les Allemands
tentent une sortie ou essaient de se rendre : si l'un d'entre eux agite un
chiffon blanc, d'autres portent des grenades amorcées. Dans la confusion la plus
totale, les maquisards ouvrent le feu à l'arme automatique : certains soldats
sont fauchés à bout portant, des grenades explosent, ce qui explique les
blessures, terriblement mutilantes observées sur les cadavres. Après la
reddition des troupes allemandes, neuf membres du Sicherheitsdienst sont
identifiés, notamment avec l'aide d'une trentaine de maquisards libérés, emmenés
au cimetière et fusillés sans jugement. Les combats cessent dès ce moment, les
résistants se contentant de maintenir l'encerclement de la manufacture d'armes
et de l'école de Souilhac, qu'ils comptent attaquer le lendemain. Alors que les
blessés allemands et français sont emmenés à l'hôpital, Kléber se rend à la
préfecture et demande au préfet Trouillé de continuer à assurer la direction de
l'administration. Pour la résistance, à l'exception des deux petits bastions à
prendre le lendemain, Tulle est libérée.
Les pertes allemandes sont estimées à 37 morts, 25 blessés et 35 disparus par
Sarah Farmer. Pour G. Penaud, elles s’élèvent à une cinquantaine de morts, une
soixantaine de disparus, sans doute faits prisonniers et de 23 à 37 blessés. La
majorité des prisonniers est vraisemblablement abattue par la suite, seuls
quelques soldats d'origine polonaise ayant accepté de se joindre au maquis.
La réoccupation
Le 8 juin, à 21 heures, les premiers chars de la 2e division blindée SS Das
Reich arrivent à Tulle par trois axes de pénétration, prenant les maquisards par
surprise. Les postes de l'Armée secrète et des FTP établis à distance ayant été
balayés par les blindés, aucune alerte n'ayant pu parvenir à temps à Tulle. Les
maquisards quittent immédiatement la ville vers les hauteurs, sans livrer de
combats, face à « une colonne de secours [...] [qui] ne comprenait que des
éléments lourds et disposait d'une puissance de feu considérable » : si des tirs
de bazookas depuis le plateau qui domine la ville auraient pu infliger des
pertes aux éléments de la Das Reich, les résistants y renoncent par crainte de
causer de lourdes pertes parmi la population civile. Les SS installent leur
premier poste de commandement dans le quartier de Souilhac, près de la
manufacture d'armes, avant de s'installer, le lendemain en fin de matinée, à
l'hôtel Moderne. À ce moment, l'officier les plus élevé en grade est le
SS-Sturmbannführer Kowatsch, officier de renseignement de l'état-major de la
division. Durant toute la nuit du 8 au 9 juin, les S.S. patrouillent dans la
ville et assurent l'encerclement de celle-ci.
Le 9 juin, à six heures du matin, les Allemands fouillent la préfecture et
menacent d'exécuter le préfet Trouillé, après avoir découvert des armes et
munitions abandonnées par les Gardes Mobiles. Alors qu'il va être fusillé par
des S.S. commandés par un sous-officier, le préfet échappe à l'exécution en
indiquant qu'il a un rang équivalent à celui d'un général, et en exigeant de
parler à un officier supérieur avant d'être fusillé. Il parvient à convaincre
l'officier qui se présente de rendre visite aux blessés allemands soignés à
l'hôpital. Durant la visite, un des blessés allemands confirme à l'officier que
le préfet a empêché un maquisard de les fusiller : « Cet homme nous a sauvé la
vie ».
Le massacre
La rafle
« Habitants de Tulle, vous avez suivi mes instructions et conservé pendant les
dures journées que vient de traverser votre cité un calme exemplaire. Je vous en
remercie. Cette attitude et la sauvegarde des militaires allemands blessés ont
été les deux éléments qui m'ont permis d'obtenir du commandement allemand
l'assurance que la vie normale allait reprendre dans la journée. »
— Proclamation du préfet Trouillé diffusée par haut-parleur, le 9 juin 1944,
vers dix heures du matin.
Le 9 juin, entre neuf et dix heures, le SS-Sturmbannführer Aurel Kowatsch
déclare au préfet Trouillé, et au secrétaire général de la préfecture, M. Roche
: « votre geste [les soins apportés aux blessés allemands] ne sera pas négligé
par le commandant allemand qui en tiendra compte à la population dans la
répression inévitable du crime commis contre nos camarades de la garnison de
Tulle » ; il leur annonce, alors que la rafle a déjà commencé, la mise en
arrestation de tous les hommes de seize à soixante ans et autorise « la
libération de tous les indispensables après vérification de leur attitude ».
Selon Trouillé et Roche, Kowatsch prend ses ordres directement auprès du général
Heinz Lammerding, vraisemblablement par radio. La rafle touche une population
désemparée par les événements : « par petits groupes, les SS ratissent les
quartiers et les rues ; ils entrent dans les logements, examinent les hommes
qu'ils font sortir ; aux femmes, ils affirment qu'il s'agit d'un contrôle
d'identité, que l'absence de leur époux, fils ou frère ne sera pas longue et
qu'il est inutile d'emporter des provisions. » « Encadrés par les S.S. nous
descendons le quai de Rigny. [...] Un groupe plus important s'amalgame au nôtre.
[...] Nous gagnons lentement Souilhac : des auto-chenilles, des tanks sont en
bon ordre, rangés le long des trottoirs. [...] Notre groupe se joint à d'autres
; d'autres groupes se joignent au nôtre ; et comme l'inquiétude rapproche, les
mains se serrent. [...] Nous marchons la tête haute, dissimulant au mieux notre
angoisse. » Les membres des chantiers de Jeunesse, rassemblés dans la caserne
des Enfants de troupe, sont également emmenés vers la manufacture d'armes. Au
total, près de 5 000 hommes et jeunes gens sont regroupés devant la manufacture.
Le tri
Conformément à l'accord passé avec Kowatsch qui avait autorisé la libération des
personnes indispensables à la reprise d'une activité normale dans la ville, des
responsables français se rendent à la manufacture d'armes pour négocier
l'élargissement d'une partie des personnes raflées. « On remarqua bientôt le
maire (le colonel Bouty) accompagné de plusieurs personnages, des chefs de
service, le directeur de l'énergie industrielle, le chef de gare et d'autres
employés avec leurs larges casquettes dorées, l'inspecteur d'Académie - parmi
nous - mais ces messieurs restèrent là-haut, sur la chaussées, en compagnie des
officiers allemands... Cela sentait la collaboration. » Les représentants des
autorités françaises obtiennent la libération de 3 500 des 5 000 hommes et
jeunes gens. Parmi eux, les employés de l'État et de la préfecture, de la
mairie, des PTT, du gaz, des services des eaux, financiers et des colonies de
vacances, des électriciens, des chefs d'atelier et agents de maîtrise de l'usine
de La Marque et de la manufacture d'armes, des électriciens, des boulangers, des
épiciers, des maraîchers, les médecins... mais ni les dentistes, ni les
enseignants... « Cette première partie de la sélection des otages avait été
conçue par les SS pour compromettre les autorités locales ; Lammerding s'en
souviendra lorsqu'il sera interrogé en 1962, il affirmera que le maire désigna
les maquisards37. » Parmi les suppliciés certains sont effectivement des
résistants tel Pierre Souletie et son beau-frère, Lucien Ganne.
Après l'intervention des autorités françaises une seconde sélection est
effectuée parmi les otages, sélection menée par les Allemands et eux seuls. Le
principal responsable de ce deuxième tri est l'interprète du kommando du Sipo-SD,
Walter Schmald, qui a survécu aux combats des deux jours précédents. Si Schmald
n'a sans doute pas agi seul et s'il a vraisemblablement été assisté par d'autres
membres du SD venus de Limoges, sa présence et son action ont frappé tous les
témoins, pour lesquels Schmald incarne le processus de désignation des victimes.
Aux côtés de Schmald, « le bossu » ou « le chacal», Paula Geissler, interprète
de la Wehrmacht attachée au directeur allemand de la manufacture d'armes,
surnommée « la chienne », participe également au tri et fait libérer seize à
dix-sept otages, des ingénieurs de la manufacture ou des hommes qu'elle
connaissait, dont le fils d'un pharmacien.
L'abbé Jean Espinasse, arrêté chez lui vers neuf heures trente, décrit Schmald
comme « un allemand revêtu d'une vieille capote défraîchie, sans galon ni
insigne d'aucune sorte, la tête découverte, l'air fatigué » et qui s'adresse à
lui « dans un excellent français » en lui déclarant : « Je suis un des quatre
survivants du combat d'hier. [...] Nous étions presque tous des Rhénans
catholiques. Nous aurions bien voulu avoir un prêtre pour nous assister. » Pour
Antoine Soulier, il a de longs cheveux blonds avec des reflets fauves et ramenés
en arrière, le visage rasé, le teint mat, 30 ans environ, [les] yeux toujours
demi-fermés pour mieux voir, et surtout la demi-lèvre supérieure droite toujours
relevée, comme gonflée de venin.
Les otages sont répartis en trois groupes, de taille et de composition variable
au fur et à mesure de la sélection qui débouche sur la constitution de deux
groupes de soixante hommes, suspects, selon Schmald, de participation à la
Résistance en se fondant sur des éléments comme le fait qu'ils soient mal rasés
ou que leurs chaussures ne soient pas cirées. Pour J. Espinasse, si Schmald
demande à vérifier certaines cartes d'identité, [il] juge les gens sur la mine
et, on ne sait pourquoi, les désigne pour faire part du petit groupe de gauche
[les futures victimes]. Selon Trouillé, « les trois groupes sont constamment
modifiés, soit par le jeu des libérations, soit par le choix de quelques S.S.
dont Walter, le ténébreux Walter ». Schmald veille à maintenir le chiffre de 120
hommes destinés à l'exécution, qui n'est pas encore annoncée : lorsque diverses
interventions aboutissent à faire libérer l'un de ceux-ci, Schmald en
sélectionne un autre dans le groupe principal : « sauver un ami, c'était du même
coup condamner un autre homme, inconnu [...] avec pour résultat de ne laisser
aux mains des bourreaux que les plus vulnérables, les plus solitaires, les plus
faibles ou les plus malchanceux, ceux qui avaient le plus besoin d'être
défendus. » Ce processus débouche sur la réflexion suivante de l'un des
survivants, Jean-Louis Bourdelle : « Je m'étonne douloureusement d'apprendre que
des Français ou des Allemands tirent vanité d'avoir fait libérer des otages, ils
semblent les malheureux, ne pas se rendre compte qu'ils avouent ainsi avoir pris
part aux exécutions. Je me rappelle en effet avec quelle terreur mes camarades
et moi voyions, après chaque libération, le lieutenant Walter s'approcher de
notre groupe et faire un nouveau choix pour compléter le peloton des futures
victimes. » Conformément à la note de Lammerding du 5 juin et à l'ordre donné
par celui-ci arrivé à Tulle en fin de matinée du 9, ces cent-vingt hommes sont
voués à la mort par pendaison.
Les pendaisons
« Quarante soldats allemands ont été assassinés de la façon la plus abominable
par les bandes communistes. [...] Pour les maquis et ceux qui les aident, il n'y
a qu'une peine, le supplice de la pendaison. [...] Quarante soldats allemands
ont été assassinés par le maquis, cent vingt maquis ou leurs complices seront
pendus. Leurs corps seront jetés dans le fleuve. »
— Affiche signée par le général commandant des troupes allemandes, placardée à
Tulle.
Vers quinze heures trente, Kowatsch en réponse à une dernière intervention du
préfet qui demande que les exécutions n'aient pas lieu par pendaison, lui répond
que « nous avons pris en Russie l'habitude de pendre, nous avons pendu plus de
cent mille hommes à Kharkov et à Kiev, ce n'est rien pour nous. » Il demande au
colonel Bouty, président de la délégation spéciale, d'annoncer au groupe
principal de prisonniers qu'ils doivent assister aux exécutions. Avant que
ceux-ci soient conduits sur la place de Souilhac, Bouty leur déclare : « J'ai
une nouvelle bien pénible à vous annoncer : vous allez assister à une exécution.
Je vous demande le plus grand calme. Ne faites pas un geste, ne dites pas une
parole. » À leur arrivée, les prisonniers découvrent, sur plusieurs centaines de
mètres, des cordes terminées par un nœud coulant accrochées aux arbres, aux
réverbères et aux balcons. Les préparatifs ont été assurés, dès la fin de la
matinée, par le SS-Hauptsturmführer Wulf, chef du bataillon de reconnaissance et
par son adjoint, l'Oberscharführer Hoff, chef de la section de pionniers, qui
fait appel à des volontaires pour effectuer les pendaisons.
Les victimes désignées pour la pendaison sont conduites sur les lieux de leur
exécution par groupe de dix. « Chacun d'eux se trouva bientôt au pied d'une
échelle, entre les mains de deux des bourreaux. Deux SS se tenaient près de
chaque corde ; l'un d'eux gravissait les degrés d'une seconde échelle ou d'un
escabeau en même temps que le condamné. Dès que celui-ci atteignait la hauteur
voulue, il lui passait le nœud coulant, le serrait, et le second SS enlevait
brutalement l'échelle du supplicié. » Dans certains cas, les bourreaux, tous
volontaires, se suspendent aux jambes de leur victime, le frappent ou l'achèvent
à la mitraillette ou au pistolet. « Parfois, pour accélérer l'exécution, les
barbares poussent leur victime à coups de crosse et avec des cris terribles
donnent des coups de pied à l'échelle qui tombe. » À la suite de l'intervention
du colonel Bouty auprès d'un officier allemand, l'abbé Espinasse a été autorisé
à offrir son ministère à ceux qui vont mourir. Il assiste aux premières
exécutions. Lors de celle du premier groupe, « dans un cas [...], la victime,
mal pendue sans doute, s'agite par spasmes ; alors, je vois le soldat qui venait
d'ôter l'échelle s'en servir pour frapper le supplicié jusqu'à son
immobilisation complète » ; par la suite, il constate que « le peloton
d'exécution presse la marche des condamnés, et non sans violence ; je vois
encore le soldat brisant, d'un geste rageur, la crosse de sa mitraillette sur le
dos d'une victime qui a un mouvement d'horreur et d'arrêt à la vue des pendus. »
« Pouvons-nous imaginer la scène? Des hommes immobiles sous la contrainte, des
soldats en dessous des potences, des groupes d'otages conduits au supplice, et
le silence. » Pendant toute l'opération, Paula Geissler et un groupe de SS,
assistent aux pendaisons en vidant de bonnes bouteilles à la terrasse du café
Tivoli, au son d'un phonographe.
99 victimes
« Pourquoi les exécutions ont-elles été arrêtées à 99 victimes? [...] 99 est un
chiffre incompréhensible qu'on ne peut raccorder à rien. Par son absence de
signification, le nombre des victimes restera un mystère »
— Jean-Jacques Fouché et Gilbert Beaubatie.
Dans les versions successives de son témoignage, l'abbé Espinasse s'attribue, et
à lui seul, le mérite d'avoir fait arrêter les pendaisons. Selon lui, alors que
neuf groupes, soit quatre-vingt dix hommes, ont déjà été pendus, et après avoir
été ramené dans la cour de la manufacture d'armes après le meurtre de vingt ou
trente Tullistes, il constate que le dixième groupe comporte treize hommes. Il
intervient auprès de Walter Schmald et obtient non seulement que quatre hommes
soient extraits du groupe, mais aussi que celui-ci soit le dernier à marcher
vers la pendaison. Le nombre des victimes s'arrête donc à quatre-vingt-dix-neuf.
Cette version, reprise par de nombreux auteurs, est radicalement remise en cause
par Bruno Kartheuser, qui juge ce récit incohérent et peu plausible. Kartheuser
souligne tout d'abord que l'intervention décisive que s'attribue l'abbé Jean
Espinasse n'est confirmée par aucun témoin, alors que plusieurs centaines de
personnes sont rassemblées dans la cour de la manufacture ; cette intervention
n'est pas mentionnée dans la déclaration faite en 1948 par le président de la
délégation spéciale de Tulle, le colonel Bouty, qui attribue interventions et
sauvetages au directeur des Établissements Brandt - Usine de la Marque, Henri
Vogel, au directeur adjoint de la Manufacture d'armes de Tulle, Laborie et à
l'ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, Lajugie. Trouillé n'attribue à
l'abbé que la grâce de trois hommes, « Vogel s'est magnifiquement débattu avec
les officiers SS en vue de libérer quelques-uns de ses ouvriers condamnés au
supplice [...]. De la sorte, il a obtenu quatre grâces et a permis au
sous-directeur de la manufacture d'armes, Laborie, d'en réclamer et d'en enlever
autant ; Lajugie, ingénieur en chef du service vicinal [...] est encore épuisé
des efforts déployés en vain pour sauver du supplice un ingénieur de son
service. » L'« intervention décisive » d'Espinasse n'est également pas reprise
dans la citation lors de la remise à l'abbé de la Médaille d'argent de la
Croix-Rouge française, en 1945, qui n'évoque que ses mérites sacerdotaux et
l'assistance matérielle qu'il a apportée aux suppliciés. Enfin, pour Kartheuser,
compte tenu du strict respect de la hiérarchie en vigueur dans la SS, il n'est
pas possible que Schmald ait pris la décision d'arrêter les exécutions, alors
que celles-ci avaient été ordonnées par le général Lammerding (qui déclare après
guerre que c'est sur son ordre que les pendaisons ont été arrêtées avant les 120
victimes prévues), que les pendaisons avaient été supervisées par Kowatsch et
que l'un des supérieurs de Schmald au SD (Korten ou Butsch) était présent sur
les lieux.
Pour J.J. Fouché et G. Beaubatie, « le nombre de 99 victimes a été la
conséquence d'une accumulation de données matérielles indépendantes les unes des
autres [...] Mais plus encore que le nombre, la mise en scène des pendaisons
devait renforcer la terreur de longue durée. L'efficacité n'était pas liée à un
chiffre précis, mais bien plus encore, à la mise en spectacle de la violence
destinée à humilier les hommes. »
Les corps des suppliciés sont dépendus en début de soirée par des membres des
chantiers de jeunesse, sous les ordres d'hommes de la 4e compagnie du bataillon
d'éclaireurs ; malgré l'intervention des autorités locales, ils sont enterrés
sur le site d'une décharge publique, à Cueille, sans aucune procédure
d'identification, avec une brève cérémonie improvisée et écourtée par les
Allemands, au cours de laquelle l'abbé Espinasse, en présence du préfet en
uniforme et de son directeur de cabinet, bénit les corps.
Les déportations
Le 10 juin, les otages restés à la Manufacture des armes de Tulle sont traités
de la même manière que lors de la sélection, la veille, des victimes des
pendaisons : négociations entre membres de la Das Reich et du SD, dont Walter
Schmald, et les autorités françaises, formation de groupes promis à la
déportation, libération d'otages grâce à des interventions. 311 hommes et 660
jeunes membres des Chantiers de Jeunesse sont transférés de Tulle à Limoges.
Après un nouveau tri, dans lequel des membres de la Milice jouent un rôle
essentiel, 162 hommes et tous les membres des Chantiers de Jeunesse sont libérés
; 149 prisonniers sont transférés à Poitiers, puis à Compiègne, d'où ils partent
vers Dachau le 2 juillet : 101 ne survivent pas au voyage ou à la déportation.
Le 11 ou le 12 juin, la division entame sa remontée vers le front de Normandie.
Avec le massacre de Tulle et celui d'Oradour-sur-Glane, et de nombreuses autres
tueries, elle a fait 4 000 victimes, dont de nombreux civils.
La répression se poursuit à Tulle pendant les semaines qui suivent les
pendaisons. Du 11 juin au 31 juillet, le laboratoire de la manufacture d'armes
est utilisé comme centre de torture, où opèrent des miliciens en coopération
avec Walter Schmald. Le 21 juin, le préfet Trouillé y voit trois miliciens âgés
au plus de vingt ans, verser de l'acide sur les plaies du visage d'un homme
qu'ils venaient de frapper à coups de nerf de bœuf. Tulle connaît également une
nouvelle rafle, le 21 juin, à la suite de laquelle 80 hommes sont envoyés en
travail forcé en Autriche. Les troupes allemandes en Corrèze se rendent le 16
août 1944.
Au total, les crimes de la Wehrmacht, de la Waffen-SS et du Sipo-SD ont fait 218
victimes civiles à Tulle. « D'une certaine façon, le général SS a atteint son
objectif : la discrimination des résistants et la terreur de la population65. »
Analyse
L'analyse des historiens
Les proclamations publiques et les explications allemandes auprès des autorités
françaises font systématiquement référence aux éventuels sévices et à
l'assassinat de soldats allemands désarmés. Selon la thèse allemande, les
représailles sont conformes au droit militaire international, au traité
d'armistice et aux conventions de La Haye. À la suite des procès menés en
Belgique concernant l'exécution d'otages par les troupes allemandes et à celui
mené en Italie pour le massacre des Fosses ardéatines, on peut conclure que le
massacre de Tulle a bien été effectué en violation du droit des conflits armés,
notamment des articles 40, 41, 46 et 50 du règlement annexe à la 4e convention
de La Haye de 1907 concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre ainsi
que la « clause Martens » du préambule de cette convention. Bruno Kertheuser
conteste quant à lui l'usage même du terme représailles : « le meurtre et la
déportation de quelques centaines d'habitants de Tulle les 9 et 10 juin relèvent
très clairement du crime de guerre. Toute autre appellation, comme celle de
représailles, d'épuration ou de mesure expiatoire, appartient au jargon des
auteurs de ces crimes et participe de leur logique à eux .
Le massacre de Tulle avait pour but de punir une des capitales du maquis, pour
terroriser d'autres régions, conformément aux pratiques mises en œuvre par la
Wehrmacht et la Waffen-SS sur le front de l'est ; il résulte « de l'action et de
l'inaction de beaucoup de personnes », qu'il s'agisse de membres de la
Wehrmacht, de la Waffen-SS ou du Sicherheitsdienst70.
La thèse révisionniste
Selon le récit auto-publié du SS-Sturmbannführer Otto Weidinger, plusieurs
dizaines de soldats allemands auraient été abattus après leur reddition et de
nombreux cadavres auraient porté des traces de mutilations. Cette thèse est
reprise et amplifiée par deux autres révisionnistes, Sadi Schneid, pseudonyme
d'un ancien Waffen-SS Elimar Schneider73, et Herbert Taege, ancien fonctionnaire
des Jeunesses hitlériennes.
Pour les historiens, le récit de Weidinger n'a aucun crédit. Eberhard Jaeckel «
doute de la véracité de ces affirmations et se demande si les atrocités
alléguées n'ont pas servi de justification au comportement des SS». Pour G.
Penaud, « divers témoignages de militaires ou de civils allemands retrouvés par
Bruno Kartheuser sont assez contradictoires sur la question des mutilations dont
auraient été victimes, d'après la rumeur, les victimes allemandes ; à vrai dire,
à la lecture des déclarations ultérieures de SS, il n'a pas trouvé une seule qui
rapporte un témoignage direct de ces atrocités : tous ceux qui exprimèrent ce
reproche [...] colportèrent indirectement les dires de témoins dont il semble
difficile de soutenir la crédibilité».
B. Kartheuser a réfuté point par point ces thèses révisionnistes. Le seul fait
contraire à l’article 23c et 23d de l'annexe à la Convention de La Haye de 1907
concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre qui stipule qu’« il est
notamment interdit [...] de tuer ou de blesser un ennemi qui, ayant mis bas les
armes ou n'ayant plus les moyens de se défendre, s'est rendu à discrétion [ainsi
que] de déclarer qu'il ne sera pas fait de quartier », consiste en l'exécution
sans jugement de neuf membres du SD et Gestapistes en fin de l'après-midi du 8
juin. Quant aux prétendues mutilations, il ne s'agit que des traces d'impact de
mitrailleuse. Selon un témoin, Robert Lajugie, « dès la reddition des assiégés,
j'ai vu les corps des victimes. Certains, assurément, étaient abîmés et il est
exact que des crânes laissaient échapper leur cervelle, mais c'était là le
résultat d'une concentration des tirs d'armes automatiques. [...] C'est dans cet
état que les éléments de la 2e panzerdivision SS Das Reich trouvèrent leurs
compatriotes avec, en plus, cette aggravation que les camions venus enlever les
cadavres furent pris par les arrivants, fous furieux, pour les instruments dont
on se fût servi pour écraser les corps ou les têtes. » Ce récit est confirmé par
le Dr. Heinz Schmidt, médecin du 3e bataillon du 95e régiment de sécurité : «
Parce qu'on voulait avoir une justification présentable d'une certaine manière
au niveau international pour les mesures de représailles, je fus cité en qualité
de médecin de la place auprès du médecin principal de la division Das Reich. Il
me demanda si j'avais constaté des mutilations sur les cadavres de nos soldats
tombés la veille. Contrairement aux affirmations disant que cela avait été le
cas, j'ai déclaré énergiquement que je n'avais pas constaté de mutilations sur
les soixante morts que j'avais vus. »
À propos du livre de Schneid, Kartheuser écrit qu'il « formule, de la manière la
plus grossière entre toutes les versions qui ont circulé, les reproches de
mutilations voulues opérées sur certains cadavres allemands. Schneider n'évoque
pas ce qu'il a vu. [...] Il ne fait que colporter une version qui fut répandue
dès les premiers jours, entre autres par les milieux SS et nazis d'époque mais
également par la propagande officielle. » Il remarque également que Weidinger et
Taege ne se basent, eux aussi, sur aucun témoin direct.
Les suites du massacre
Walter Schmald, du SIPO-SD est capturé par des maquisards à Brive le 15 août
1944, et exécuté par ceux-ci le 22 août, sans avoir fait l’objet d’un procès.
Otto Weidinger, dernier commandant du régiment Der Führer est interrogé au sujet
du massacre pendant sa détention de 1947 à 1951. Il ne fait l’objet de
poursuites que pour son adhésion volontaire à la Waffen-SS, jugée comme
organisation criminelle lors du procès de Nuremberg, et est acquitté. Après sa
libération, il écrit de nombreux ouvrages sur la 2e panzerdivision SS Das Reich,
considérés en France comme révisionnistes.
La première enquête, qui porte sur l'assassinat de dix-huit gardes-voies est
clôturée 25 mars 1948, et fonde le procès qui s'ouvre à Bordeaux le 29 mars
1949, où comparaissent dix membres du 95e régiment de sécurité, responsable du
meurtre de dix-huit gardes-voies, sous les ordres du capitaine Franz Reichmann,
commandant du 3e bataillon. Les trois officiers inculpés sont condamnés à quinze
(Franz Reichmann, Willi Schlewski) ou dix (Jean Retzer) ans de travaux forcés ;
4 inculpés sont reconnus coupables mais libérés sous l'excuse absolutrice
d'avoir agi sur ordre et trois sont acquittés. Schlewski et Retzer sont libérés
le 18 septembre 1952 et Reichmann le 25 janvier 1953
L’information judiciaire ouverte le 18 juin 1947 sur les pendaisons de Tulle
débouche notamment sur un rapport provisoire rédigé par le commissaire de police
criminelle Félix Hugonnaud, qui conclut que les pendaisons furent apparemment
commandées par le SS-Gruppenführer Heinz Lammerding, à l'encontre duquel trois
mandats d’arrêts successifs sont décernés. Le procès (affaire contre Kahn et
autres. Pendaisons de Tulle) s'ouvre à Bordeaux le 4 juillet 1951 et le verdict
est prononcé le lendemain. Seules cinq personnes y sont accusées : quatre
officiers de la division Das Reich - Lammerding, Aurel Kowatsch, chef
d'état-major de la division, Heinrich Wulf, commandant de la section de
reconnaissance, Otto Hoff, commandant de la section de pionniers qui a procédé
aux pendaisons, et une employée allemande de la Manufacture d'armes de Tulle,
Paula Geissler. Cette dernière n'est accusée que de n'avoir pas sauvé un
ingénieur de la MAT, ce qu'elle aurait pu faire sans courir de risque personnel.
Curieusement, le tribunal omet de mettre en accusation la centaine d'acteurs,
les membres du commando d'exécution qui auraient pu être décelés facilement.
Lammerding et Kowatsch, ce dernier tué en mars 1945 à la frontière hongroise,
sont condamnés à mort par contumace ; Hoff et Wulf écopent de dix ans de travaux
forcés et Paula Geissler de trois ans de prison. Après un appel devant le
tribunal de Marseille, la peine de Hoff est réduite, le 27 mai 1952 à cinq ans
absorbés par la détention déjà effectuée. Hoff est donc libéré au prononcé du
jugement d'appel, comme l'avait été, la semaine précédente, Wulf, gracié par le
président de la république Vincent Auriol. Après sa condamnation à mort,
Lammerding fait l'objet d'une demande d'extradition du gouvernement français
auprès des troupes d'occupation britanniques fin janvier 1953 et le
Haut-Commissariat britannique décerne à son tour un mandat d’arrêt à son
encontre le 27 février 1953, conformément à la loi no 10 du Conseil de contrôle
allié. Il n'y a aucune suite à ces demandes et Lammerding n'a jamais été
inquiété par la justice.
Jusqu’à sa mort, Lammerding a nié toute responsabilité dans le massacre de
Tulle, en déclarant que l'initiative avait été prise par le SS-Sturmbannführer
Kowatsch : « connaissant la hiérarchie rigoureuse et la discipline terriblement
rigide qui régnaient dans le corps des SS, une telle affirmation ne mérite aucun
crédi. » Après avoir également nié, dans un premier temps, sa présence à Tulle,
il a affirmé qu'il n'y était arrivé que tard dans l'après-midi, après les
pendaisons : or l'ordre du jour de la division pour le 10 juin 1944 est rédigé
par Lammerding à Tulle et daté du 9 juin à douze heures quinze ; cette mention «
a été plus tard surchargée à la main en vingt-trois heures quinze. » La présence
de Lammerding à Tulle aux environs de midi le 9 juin est également attestée par
le médecin militaire de la garnison allemande, le Dr Schmidt.
Une procédure est ouverte à l'encontre de Lammerding par le Zentralstelle in
Nordrhein-Westfalen en décembre 1961, procédure au cours de laquelle Lammerding
est interrogé en février 1962 ; le 9 octobre 1962 le directeur du Zentralstelle
des Landes NRW für die Bearbeitung nazionalsozialistischer Massenverbrechen
signifie l'arrêt des poursuites en se basant sur la seule version des événements
de Lammerding.
Ce n'est qu'au détour d'une procédure au civil, intentée à Düsseldorf par
Lammerding contre l'hebdomadaire communiste Die Tat, qui l'avait accusé dans son
édition du 17 juillet 1965 d'avoir été condamné à mort en France pour le meurtre
de nombreux otages, que la justice allemande établit, sans conséquences
concrètes toutefois, la responsabilité de Lammerding dans le massacre de Tulle.
Les attendus du jugement qui déboute Lammerding sont particulièrement clairs : «
Un groupe de 120 hommes, la plupart jeunes, furent sélectionnés, leur groupe fut
réduit sur l'intervention de plusieurs citoyens français de cette ville au
chiffre de 99. Ces 99 furent tués d'une manière cruelle, sans jugement et sans
qu'on leur ait prouvé leur participation à l'attaque des partisans la veille.
Son affirmation [celle de Lammerding] selon laquelle il se serait agi dans le
chef des 99 tués de partisans et non pas d'otages, est inexacte. Par ailleurs,
il ne la maintient plus. [...] Ici, les suppliciés ont été tués en vengeance
pour des attaques de partisans déjà commises et comme dissuasion pour des
attaques de partisans futures. On peut à juste titre appeler la mise à mort de
telles personnes civiles de meurtres d'otages, puisque ces mises à mort sont
encore plus abjectes que la mise à mort de véritables otages. »
Une dernière tentative pour traduire Lammerding devant la justice fait suite à
la publication de l'ouvrage de Jacques Delarue, Trafics et crimes sous
l'occupation, en 1968. À la suite de cette parution, le député-maire socialiste
de Tulle, Montalat, demande le 11 octobre 1968 que le gouvernement français
exige de la République fédérale allemande d'introduire une procédure en
Allemagne contre Lammerding et estime cette procédure d'autant plus impérieuse
que le premier volume d'une apologie de la division Das Reich vient de paraître
(sous la plume d'Otto Weidinger) en Allemagne. Comme les précédentes, cette
tentative reste sans suite. En 1971, Lammerding meurt d'un cancer généralisé à
l'âge de 66 ans.
En 2008, le Sénat a adopté un projet de loi portant adaptation du droit pénal
français à celui de la Cour pénale internationale. Cette adaptation, partielle,
stipule entre autres la prescription des crimes de guerre par trente ans
(article 462-10). Ce texte a suscité l'indignation du collectif "Maquis de
Corrèze", dirigé par le député honoraire Pierre Pranchère, car son adoption
aurait pour conséquence directe l'amnistie pour les responsables des massacres
de Tulle, Oradour-sur-Glane et Maillé.
Historiographie
Les ouvrages consacrés, en totalité ou partiellement, au massacre de Tulle sont
relativement peu nombreux, notamment si on les compare à l’abondante
bibliographie portant sur le massacre d'Oradour-sur-Glane.
Deux ouvrages ont été rédigés par des otages qui ont échappé au supplice,
Jean-Louis Bourdelle et Antoine Soulier. Le livre d’Antoine Soulier est « un des
récits les plus exacts et les plus poignants du drame. L’auteur, instituteur,
dont le fils a été pendu, a été l’un des personnages les plus actifs pour
reconstituer la trame de l’événement et en retrouver les coupables. »
Le récit du chanoine Jean Espinasse, ne peut être écarté mais, « avec la
distance grandissante au fur et à mesure des éditions successives le chanoine
Espinasse a accentué de plus en plus l’importance sacerdotale que l’événement a
présenté pour lui et ses souvenirs deviennent de plus en plus problématiques en
tant que source historique. Les récits et la personnalité du Chanoine Espinasse
ont le plus contribué à créer des mythes. » Le rôle que s'attribue l'abbé
Espinasse dès 1946 a été remis en question de manière fondamentale par Bruno
Kartheuser. Si l'idée du martyre chrétien est déjà présent dans le récit initial
(« Ces héros français sont morts munis des sacrements, c'est-à-dire avec la vie
surnaturelle... celle que n'ôte pas la mort et qui est plus que la survie des
héros à laquelle cependant ils ont droit, ») dans la version de 1979, l'aspect
religieux prend le pas sur les faits : « comme dans l'Évangile, les futurs
condamnés étaient orientés vers la gauche », « chez aucun condamné je n'ai
trouvé le refus de Dieu ou de Jésus ». L'abbé Espinasse va jusqu'à mentionner la
conversion, avant sa pendaison, « d'un professeur de philosophie aux idées
nettement marxistes, matérialistes et donc athées [...] qui après un Notre-Père,
marche sans larmes vers les cordes qui le guettent ... vers la Vie! » ou que le
gracié de la dernière chance aurait, s'il n'avait pas été épargné, « été le seul
exécuté porteur du chapelet. »
Il faut aussi mentionner le journal du préfet Trouillé, « destiné surtout à la
justification de son mandat [émanant du gouvernement de Vichy] à Tulle. » Pour
Bruno Kartheuser, « il est difficile de décider dans quelle mesure ce livre peut
être utilisé comme une source historique fiable. Le document l'est certainement
là où la responsabilité du préfet est moins engagée ; là toutefois où l'attitude
du préfet pourrait être mise en cause, la relation des événements sera plus
subjective. »
La plupart des ouvrages publiés des années 1960 aux années 1990 - Colonel Rémy
(1963), Georges Beau et Léopold Gaubusseau (1969/1984), Henri Amouroux (1974),
Marcel Meyssignac (1978) Max Hastings (1983), Henri Demay (1993), Jean Besse
(1996) - « émanent de personnes qui ont vécu les événements de manière partielle
ou qui fondent leur récit sur des déclarations de tiers ; ils se caractérisent
par l’absence de connaissance éprouvée ou même minimale, des archives et
documents allemands » et « souffrent de leur engagement patriotique. » Largement
romancé, le livre du Colonel Rémy, qui n'a pas été témoin des événements, a
connu une large diffusion et a été la principale source d'information sur les
événements de Tulle pour de très nombreux lecteurs : « la volonté de l'auteur de
fournir un récit captivant est gênante et fait surgir des doutes sur la valeur
du témoignage. » L'ouvrage de Jacques Delarue, Trafics et crimes sous
l'occupation (1968), comme celui consacré à l’Histoire de la Gestapo (1962), se
dégagent du lot : « ces deux livres constituent des ouvrages de référence pour
plusieurs raisons : ils n’émanent pas d’un groupe local impliqué dans les
événements ; ils mettent les faits investigués au centre du récit et ils
parviennent à une présentation cohérente des événements dans leur contexte. »
En 1971, sort la première édition de l'ouvrage Maquis de Corrèze, rédigé par un
collectif d'anciens des maquis FTP. Cette première édition n'évoque ni
l'assassinat des gares-voies, ni les pendaisons, sauf par une brève allusion.
Ces deux épisodes n'apparaissent que dans les quatrième (1988) et cinquième
(1995) éditions. Selon J.J. Fouché et G. Beaubatie, cet ouvrage, même s'il n'est
pas dénué d'intérêt, est avant tout destiné à justifier les décisions des FTP et
du Parti communiste.
La parution de Trafics et crimes sous l'occupation suscite une vive réaction
d'anciens membres de la Waffen-SS, orchestrée par Otto Weidinger, de concert
avec Heinz Lammerding et Albert Stückler. Notamment via des intermédiaires
allemands et français, Otto Weidinger influence fortement la rédaction de
l'ouvrage de Léopold Gaubusseau. Ce dernier affirme dans une lettre à Weidinger,
datée du 12 juillet 1968 : « en France, le communisme est libre. Sa propagande
est puissante et scientifique. [...] En 1945, la propagande communiste s'est
servie de Tulle et d'Oradour à son profit. Elle disait : Das Reich, c'est le
fascisme, la dévastation, la mort. » La servilité de Gaubusseau est mentionnée
dans une lettre de Weidinger à Lammerding : « pour le Dr. Gaubusseau, il s'agit
avant tout de réfuter de manière évidente les affirmations négatives et fausses
de Delarue. [...] Il m'a demandé de vous soumettre sa demande d'organiser une
rencontre commune. [...] Le Dr. Gaubusseau est convaincu que vous n'êtes pas
responsable et voudrait absolument vous connaître. » Un des intermédiaires
allemands, Helmut Grützmacher, partage cette opinion en écrivant à Weidinger : «
Il est touchant en quelque sorte de voir combien il s'efforce de préserver la
division Das Reich et l'Allemagne de ces événements tragiques en rendant
responsable Schmald et ainsi le Sicherheitsdienst. »
Quant aux ouvrages allemands de Herbert Taege, Sadi Schneid et Otto Weidinger,
il s’agit « de trois ouvrages négationnistes », « qui se disqualifient par la
continuation de la rhétorique de justification coutumière dans les actions
d’après guerre de la part des accusés et de leurs avocats » et « se distinguent
par leur manière sélective de traiter les faits et la vérité. »
L’histoire du massacre de Tulle a été revisitée et approfondie par l’ouvrage en
quatre volumes de Bruno Kartheuser, centré sur la personnalité de Walter Schmald.
Kartheuser se base sur l'examen critique de toutes les sources françaises et
allemandes (archives, publications, document judiciaires, témoignages oraux) en
examinant les événements dans leur contexte et sans préoccupation patriotique.
La parution du quatrième tome de l'ouvrage de Kartheuser, en 2008, coïncide avec
celle de l'ouvrage de Jean-Jacques Fouché et Gilbert Beaubatie, qui apporte un
éclairage nouveau sur les événements, notamment en mettant en évidence le
mauvais état de la division Das Reich, son rôle dans la répression, qui ne
relève pas du hasard, et l'impréparation de l'offensive des FTP sur Tulle.
Un odonyme local (Rue du 9-Juin-1944) rappelle aussi ces évènements.