Les Pirates de l'Edelweiss
Plaque commémorative pour les
victimes de Cologne, dans la rue Schönstein près de la gare.
Lu sur Non Fides: On le sait par mil rappels, la barbarie nazie fut l’une parmi
d’autres des plus extrêmes en ce qu’elle fusionna l’extermination à
l’industrialisation dans une banalité des plus effroyables. La reconnaître comme
tel ne procède pas de l’observation quantitative de son faisceau de destruction
: il s’agit là uniquement de la reconnaissance de ses fondements structurels.
L’idéologie nazie n’avait pas attendue que l’on dévoile l’extermination massive
dont elle s’est rendue coupable pour que des amants de la liberté ne l’identifie
comme une énième abominations, de celles que la conscience humaine a pu produire
avant d’en arriver au démocratisme totalitaire d’aujourd’hui.
Lorsque les nazis arrivèrent au pouvoir en 1933, le contexte allemand était
celui d’une classe laborieuse sur-organisée, notamment sous l’égide du
communisme ou du socialisme. Plus forts que jamais, les outils de la domination
que sont les partis, les syndicats, les mouvements de jeunesses et les
organisations politiques permettaient aux exploités de croire en des lendemains
qui chantent, ils étaient au capitalisme allemand ce que dieu était à la
théocratie florentine de Savonarole. Ce compromis permanent des exploités avec
le pouvoir incarnait pleinement son rôle en récupérant, en pacifiant et en
anesthésiant les luttes, comme à son habitude. Ces outils de contrôle n’ont
d’ailleurs eut pour seul « mérite » de rendre obsolète un mode de gouvernement
dont la seule gestion existante des populations est la coercition et
l’extermination. La servitude volontaire a ses raisons que seul l’Etat connaît.
Mais le régime nazi réussit à aller assez loin pour faire le choix de ne même
plus se compromettre, lui, dans la négociation de façade du syndicalisme et du
jeu politique de l’opposition. Et si nous avons toujours lutté, nous anarchistes
qui ne veulent plus attendre, contre toute les formes d’organisations politiques
permanentes tels que les syndicats et les partis, il n’y a jamais de quoi se
réjouir lorsque ceux-ci sont interdits et persécutés par d’autres que ceux qui
en sont les victimes, en l’occurrence par l’Etat. Car il s’agit là, d’un signe
distinct de l’entrée en dictature brune – la dictature rouge consistant, elle, à
donner les pleins pouvoirs à ces mêmes outils.
Dés leur accession au pouvoir les nazis traquèrent les partis, les syndicats,
leurs organisations sociales et leurs milices, ainsi que ceux qui les
composaient. Devenus rapidement indésirables aux cotés des indésirables d’hier,
ils furent emprisonnés, exécutés, exilés, torturés au même titre. Les quartiers
ouvriers étaient encerclés et soumis à la terreur quotidienne du porte-à-porte
meurtrier. Les douze années suivantes ne vinrent qu’intensifier cette terreur.
Les différentes formes d’organisations aliénantes du mouvement ouvrier
éradiquées, le pouvoir put alors leur substituer, dans une même continuité de
l’intégration des populations aux discours du pouvoir, les Jeunesses
Hitlériennes. Au-delà de leur nature première d’organisation para-militaire
inter-classiste de masse au service du pouvoir, elles permettaient de s’assurer
le soutien idéologique de la jeunesse allemande. La raison d’être des JH, fort
peu éloignée de l’agoge spartiate, était la formation de futurs surhommes «
aryens » et de soldats prêts à servir loyalement le Troisième Reich.
L’entraînement physique et militaire y étaient essentiels. L’apprentissage
prodigué aux jeunes comprenait le maniement des armes, le développement de la
force physique, la stratégie militaire et un endoctrinement racialiste. Une
certaine cruauté des plus grands sur les plus jeunes était tolérée, et même
encouragée, puisqu’on pensait que cela éliminerait les plus faibles et
endurcirait le reste.
Il n’y avait rien, pour une partie de la jeunesse allemande rebelle des années
trente, qui permettait d’imaginer un dénouement à cette horrible situation sans
une prise d’arme immédiate.
Mais plus l’hégémonie des Jeunesses Hitlériennes était omniprésente, plus les
actes de résistance et de rébellion se multipliaient. Plusieurs milliers de
jeunes refusèrent d’intégrer les Jeunesses Hitlériennes et décidèrent de
résister à son processus d’acculturation et de normalisation forcée. Nombreux
sont ceux qui franchirent le pas en allant jusqu’à s’organiser en groupes et en
gangs en guerre contre le nazisme. Le régime nazi s’inquiéta alors de
l’insurrection et des pratiques de ces petits groupes informels de jeunes
rebelles d’une quinzaine d’années, que la mémoire collective retint sous le nom
de Edelweißpiraten, les « Pirates de l’Edelweiss ».
Les pratiques insurrectionnelles de ces groupes allaient du sabotage industriel
aux combats de rue avec les jeunesses hitlériennes, de l’absentéisme au travail
et à l’école en passant par l’insubordination, le graffiti subversif et la
distribution clandestine de tracts. L’une des activité favorite de ces groupes
était l’attaque des randonnées et des campements des Jeunesses Hitlériennes,
dans lesquels parfois, ils s’affrontaient avec des dignitaires du régime.
L’attitude de ces rebelles était celle de la conflictualité active et permanente
avec le pouvoir. A tel point qu’en 1942, Artur Axmann, le chef des jeunesses
hitlériennes déclarait :
« La formation de cliques, c’est-à-dire de groupements de jeunes extérieurs aux
Jeunesses Hitlériennes, était en augmentation quelques années avant la guerre et
a particulièrement augmenté durant la guerre, à un tel degré que l’on doit
admettre qu’il existe un risque sérieux de renversement moral, politique et
criminel de la jeunesse ».
Les membres de ces groupes étaient majoritairement issus des couches les plus
modestes et étaient âgés de 14 à 18 ans, même si toutefois quelques déserteurs
plus âgés pouvaient participer à l’aventure. L’un des groupes les plus
importants était installé à Cologne, le Groupe d’Ehrenfeld, actif surtout en 44,
il était composé d’au moins cent jeunes déterminés mais souvent maladroits dans
leur clandestinité. Des jeunes, des détenus et des travailleurs forcés échappés
des camps, des juifs et des déserteurs le composaient. Si le 10 novembre 1944,
13 membres du groupe ont été exécutés publiquement par la Gestapo devant des
centaines de curieux, le groupe réussit tout de meme quelques coup d’éclats, le
tout financé par la contrebande sur le marché noir et le vol d’armes ou
d’explosifs.
Sous le nom de Pirates Edelweiss ((de) "Edelweißpiraten") sont regroupés
plusieurs groupes informels de jeunes allemands aux comportements
anticonformistes, parfois même résistants au Nazisme sous le Troisième Reich.
Après la Seconde Guerre mondiale l'activité de ces groupes a continué jusqu'en
1947 dans plusieurs zones d'occupation de l'Allemagne.
Les pirates Edelweiss se rassemblaient au coin des rues et partaient aussi
camper pour échapper à la surveillance nazie. Ils se sont souvent engagés dans
des combats contre la jeunesse hitlerienne et ont tiré une grande fierté de
leurs attaques. Un de ces groupes les « Navajos » ont chanté :
Toutefois, ce groupe n’était pas représentatif des autres gangs de pirates
puisqu’en moyenne, ceux-ci étaient composés d’une douzaine de jeunes hommes et
femmes, organisés sur la base d’affinités communes. Les groupes avaient pour
habitude de composer et d’interpréter des chansons, sous la forme de cris pour
la liberté et de défiance belliqueuse vis-à-vis des Jeunesses Hitlériennes, de
la gestapo, et des nazis en général. Les pirates passaient la plupart de leur
temps à se retrouver pour passer de bons moments ensemble et conspirer. Aux
cotés des Meuten, « les meutes », groupes de jeunes similaires aux pirates mais
dans une optique plus résolument marxiste, les pirates réussirent à instaurer un
climat de défiance permanente avec les autorités nazies. A tel point qu’un
rapport SA (1941), déclara formellement que chaque membre des Jeunesses
Hitlériennes risquait sa vie du simple fait de sortir dans les rues. Aussi,
plusieurs rapport des Jeunesses Hitlériennes à la Gestapo affirment ne plus être
en mesure de se rendre dans certains quartiers sous peine de se faire harceler
ou molester par les bandes. Les murs de ces quartiers étaient d’ailleurs
quotidiennement recouverts de tags hostiles au pouvoir.
L’un des points forts de tout ces gangs était la capacité de ces jeunes à se
dissoudre dans les foules sans ne pouvoir être repérés. Mais le 7 décembre 1942,
la Gestapo réussit un coup de filet gigantesque en démantelant 28 groupes, ce
qui n’empêcha pas les autres de continuer malgré le sort réservé à ceux qui
tombèrent les premiers. Certains redoublèrent même de férocité à l’égard des
nazis et intensifièrent leurs actions, ainsi que la nature de leurs actions. La
situation devenant de plus en plus sérieuse, le leader des SS, Heinrich Himmler,
publia une ordonnance « pour le combat des gangs de jeunes », le 25 octobre
1944.
Si l’Etat Nazi dut en arriver là, à frapper dans le tas de son nécessaire «
stock de jeunes allemands bien-portants », pour ne pas dire chair à canon, c’est
que derrière la megamachine de propagande étatique qui voulait montrer « une
nation unie sous la bannière du NSDAP », il n’y avait bien souvent que du vent.
Nombreux furent ces jeunes « en guerre éternelle contre les Jeunesses
Hitlériennes », et il s’agit de ne jamais oublier que là ou la domination règne,
résistance et rage insurrectionnelle sont à portée de main.
Extrait de Non Fides N°IV.
Des Hitlers Zwang, der macht uns klein
(La force d'Hitler nous rend petits)
noch liegen wir in Ketten
(nous sommes encore enchâinés)
Doch einmal werden wir wieder frei
(Mais un jour nous serons à nouveau libres)
wir werden die Ketten schon brechen
(Nous briserons nos chaînes)
Denn unsere Fäuste, die sind hart,
(Car nos poings sont durs)
ja--und die Messer sitzen los
(Oui et les couteaux sont bien là)
für die Freiheit der Jugend
(Pour la liberté de la jeunesse)
kämpfen Navajos.
(Les Navajos se battent)
http://www.youtube.com/watch?v=ZI89N9W6Fjg
Une exposition leur a été consacrée à Cologne par le NS-Dokumentationszentrum
der Stadt Köln sous le titre Navajos und EdelweissPiraten1.
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