LES GERSOIS AU COMBAT DANS L'ARMEE REGULIERE

 

Les membres de la commission départementale de l'information historique pour la paix, qui ont participé à la conception de ce dossier, sous la direction de Monsieur Marcel-Pierre Carrère, Directeur du service départemental de l'Office National des Anciens Combattants et Victimes de Guerre, tiennent à remercier tout particulièrement Monsieur Guy Labedan, Correspondant de l'Institut d'Histoire du Temps Présent, qui a bien voulu accepter de mettre à leur disposition sa documentation personnelle et les recherches qu'il a effectuées sur l'Armée française durant le second conflit mondial.

Les remerciements des membres de la commission vont aussi aux associations d'anciens combattants qui ont contribué par leurs dons généreux, à la réalisation de ce document.

Il s'agit de:

l'association départementale des évadés de France, internés en Espagne,

l'association départementale Rhin et Danube et amicale de la 1ère Armée,

l'association départementale des combattants volontaires de la Résistance,

l'amicale de l'organisation de Résistance de l'Armée-Corps Franc Pommiès,

la section départementale de l'association nationale des anciens combattants de la Résistance,



Soldats du 158ème R.I. débarquant sur l'ile d'Oléron.



les gersois au combat dans l'armée régulière



LES GERSOIS AU COMBAT DANS L'ARMEE REGULIERE



1er SEPTEMBRE 1944



2 SEPTEMBRE 1945







Publié en 1994 - O.N.A.C.-S.D. GERS



29, Chemin de Baron - B.P. 368 - 32008 AUCH-CEDEX * Tél : 05-62-05-01-32 * Télécopie : 05-62-05-51-05 *
--------------------------------------------------------------------------------




HISTOIRE GENERALE



LA PARTICIPATION A LA VICTOIRE


Nous abordons là, la phase ultime de la part prise par l'armée française au second conflit mondial. Désormais ses effectifs sont importants. En effet, en 1945, 700 000 hommes sont répartis entre les unités des différentes armes concernées par les combats et notamment entre les 15 divisions de l'armée de terre:


* 1ère division française libre (D.F.L.)



* 2ème division d'infanterie marocaine (D.I.M.)



* 3ème division d'infanterie algérienne (D.I.A)



* 4ème division marocaine de montagne (D.M.M.)



* 9ème division d'infanterie coloniale (D.I.C.)



* 1ère division d'infanterie (D.I.)



* 10ème division d'infanterie (D.I.)



* 14ème division d'infanterie (D.I.)



* 19ème division d'infanterie (D.I.)



* 23ème division d'infanterie (D.I.)



* 25ème division d'infanterie(D.I.)



* 27ème division alpine (D.A.)



* 1ère division blindée (D.B.)



* 2ème division blindée (D.B.)



* 5ème division blindée (D.B.)






Depuis le début de la guerre, les troupes françaises ont été et continuent d'être présentes sur les fronts essentiels d'Afrique, d'Italie, de France ou d'Allemagne. Grâce au nombre de ses soldats et aux services qu'ils rendent, l'armée française est à nouveau reconnue et son rôle évalué avec plus d'objectivité par de nombreux responsables alliés.

C'est donc à une force militaire tendue vers la reconstruction progressive de sa puissance qu'ont à faire, amis et ennemis.


LA BATAILLE DE FRANCE


Paris libéré le 26 août 1944, les Alliés sont à la poursuite des troupes allemandes, fortement éprouvées par la bataille de Normandie qui leur a coûté presque le double d'hommes qu'à Stalingrad.

Le 2 septembre, Dieppe tombe presque sans coup férir, belle revanche pour les Canadiens deux ans après leur raid cuisant sur les défenses allemandes. Toutefois, Le Havre résiste avant de crouler sous les bombes (11 000 tonnes déversées). Boulogne, Calais, enfin débarrassés des rampes de lancement des V1, vont tomber à leur tour. Les Britanniques opèrent victorieusement en Belgique, délivrant Bruxelles; les Américains sont sur la Moselle le 11 septembre, Nancy est pris le 15.

La division LECLERC, placée à l'extrême droite du dispositif allié, est envoyée vers Langres pour faire la jonction avec l'armée B du Général de LATTRE de TASSIGNY remontant vers Dijon. C'est que les troupes françaises débarquées en Méditerranée n'ont pas perdu de temps et sont même en avance sur le planning initial. Tandis que la 5ème D.B. occupe le col de la Faucille (Jura oriental), la 1ère D.F.L. est entrée le 3 septembre dans Lyon que les Allemands ont évacué. Partout, les Forces Françaises de l'Intérieur (F.F.I.), soit isolément, soit en corps constitués, apportent un précieux concours. Leur action est parfois déterminante, comme dans la reddition de l'arrière-garde de la 1ère armée allemande, laquelle gardait de Hendaye à la Loire, la côte atlantique. Laissant sur place des îlots, des "poches", dans les ports de la côte, puissamment défendus mais sans grand espoir de sortie pour la garnison, le dernier corps d'armée allemand à évacuer le littoral cherche à son tour la fuite par le nord et le nord-est, avant que les armées débarquées en Provence ne se joignent à celles de Normandie. Le gros des troupes, en dépit des harcèlements, atteint Dijon. Cependant, le "Kampfgruppe"(K.G.) BAUER et surtout le"groupement temporaire à pied sud" du Général ELSTER ont pris du retard malgré leur désir ardent de rejoindre l'Allemagne. Ils constituent une grave menace pour le flanc gauche de l'Armée de LATTRE qui progresse le long de la Saône. Aussi son chef détourne-t-il dans la direction d'Autun un détachement comprenant entre autres le 2ème Dragons. A Paray-le-Monial, le 7 septembre, le régiment rencontre les éléments avancés de la "Division Légère de Toulouse" du Colonel REDON, partie du "Groupement Mobile des F.F.I. du Sud-Ouest" ou colonne SCHNEIDER. Au cours de durs combats, sur une ligne de front discontinue c'est l'action conjuguée des troupes d'Afrique et des F.F.I. (corps Franc Pommiès entre autres) qui permettra l'anéantissement du KG BAUER, estimé à 5 OOO hommes. Plus à l'ouest, dans le bec de l'Allier, les F.F.I. de la "Division Légère d'Auvergne", auront encore raison des 2O OOO hommes de la colonne ELSTER.

Le 12 septembre a lieu la rencontre d'un peloton du régiment de reconnaissance de la 2ème DB (1er RMSM) avec les éléments avancés de l'Armée de LATTRE (fusiliers marins de la 1ère DFL). Dès lors, est définitivement assurée la liaison entre les forces qui viennent de l'ouest avec celles qui arrivent du sud placées sous le commandement unique du Général EISENHOWER. A ce moment-là, les Alliés connaissent encore de rapides succès. Le 11 septembre, la frontière allemande est traversée au nord de Trèves, le 16 la ligne SIEGFRIED est percée à Aix-la-Chapelle (alors que les Russes atteignent la Vistule). Mais en Hollande, la bataille d'Arnhem (17-27 septembre) opération terrestre et aéroportée ayant pour objectif de s'emparer des ponts sur la Meuse et le Rhin est un échec pour les Alliés.

Sur les Vosges, l'ennemi s'est ressaisi, sûr d'y trouver une ligne de défense naturelle. Il établit des positions successives pour interdire les routes et les crêtes: la ligne de défense pré-Vosgienne et la ligne Vosgienne, bloque la trouée de Saverne. Les ordres du Haut-Commandement allemand sont de tenir coûte que coûte, dans l'espoir pas tellement chimérique de gagner du temps. Ses troupes de l'ouest, qui en sont à leur 3ème commandant en chef, ont au moins un avantage, celui d'être près de leur base, l'Allemagne n'étant plus qu'à une centaine de kilomètres.

Les Alliés, en revanche, connaissent des difficultés de ravitaillement, en essence principalement. Ils ont, en outre, besoin de souffler un peu après avoir parcouru plus de 5OO kilomètres sans cesser de livrer combat. L'Allemagne mobilise ses dernières ressources pour renforcer son front de l'ouest et conserver la partie du sol français qu'elle occupe encore. HITLER va incorporer les jeunes Allemands à partir de 16 ans, puis procéder à la levée en masse des hommes valides jusqu'à 6O ans (VOLKSSTURM).

La 1ère Armée française, nouvelle appellation de l'Armée B, composée des deux Corps d'armée BETHOUART et de MONSABERT, parvenue à sa hauteur, commence à se regrouper face à la trouée de Belfort, en vue d'engager la bataille pour la libération de l'Alsace. Elle a à sa gauche la 7ème Armée américaine qui tend à se porter sur le nord, obligeant de LATTRE à étendre son dispositif.

Les Alliés préparent une grande offensive en direction du Rhin. Elle consiste à attaquer sur les voies d'invasion conduisant en Allemagne. Face à 78 divisions allemandes, dont 5 panzer, ils déploient 3 millions d'hommes, chiffre extraordinaire mais il y a 650 km de front, de la Hollande à la Suisse.

L'attaque débute le 8 novembre dans de mauvaises conditions atmosphériques. Les Américains établissent plusieurs têtes de pont au delà de la Moselle et parviennent même à dépasser la frontière allemande. Metz tombe le 22 novembre mais les forts ne seront définitivement réduits que le 13 décembre.

L'offensive de la 1ère Armée française est déclenchée le 14 novembre. Une semaine après, le Rhin est atteint, Belfort où s'illustrent les commandos de France est libéré en même temps que Mulhouse qui voit à l'oeuvre les blindés de la 1ère D.B. du Général du VIGIER. La percée ainsi réalisée tourne les positions allemandes sur les Vosges. C'est l'occasion pour la 7ème Armée américaine d'avancer sur Sarrebourg, pris le 21. Les blindés de LECLERC mis à sa disposition percent au delà de Saverne, foncent dans la plaine d'Alsace et le 23 atteignent Strasbourg et le Rhin pour la deuxième fois.

La période qui suit voit de nouveaux succès alliés; les Américains s'emparent de Sarreguemines, de Forbach, Sélestat, entrent à Haguenau. Mais les troupes sont fatiguées, la météo toujours détestable. L'ennemi, lui, durcit sa résistance. Il doit toutefois céder Dannemarie aux troupes de de LATTRE auxquelles il cause des pertes sensibles: 1300 tués, 4500 blessés mais en subit beaucoup plus. A l'issue de ces durs et difficiles combats où les deux corps d'armée ont été engagés, la Haute-Alsace est libérée jusqu'à Masevaux.

Mais entre la 7ème Armée américaine, trop au nord, et la 1ère Armée française, les Allemands repliés des Vosges se sont organisés autour de Colmar. Ils forment une vaste poche qu'ils sont résolus à défendre jusqu'au bout. Renforcée de la 2ème D.B. française et de la 36ème D.I. américaine, l'armée de LATTRE se lance à l'attaque le 7 décembre sous une tempête de neige. Les Tirailleurs, les Spahis marocains font des prouesses malgré la crue des rivières, les mines et surtout la réaction violente de l'ennemi. Le 10 décembre, Thann est occupé mais la progression s'arrête là. Les soldats français piétinent dans la boue et le froid. Partout, du reste, les Alliés sont immobilisés.

En campagne depuis 4 mois, épuisés par les combats et par les conditions climatiques, les troupes françaises venues d'Italie et d'Afrique du Nord n'en peuvent plus. Elles sont heureusement complétées par des éléments venus des F.F.I., qui n'ont pas encore l'expérience du front mais sont pleins de bonne volonté. C'est le mérite, après avoir été son souci, du Général de LATTRE de TASSIGNY d'avoir réalisé l'amalgame qui est en quelque sorte la cohabitation, sous un même drapeau des troupes de l'armée d'Afrique et des F.F.I. venus pour la plupart des maquis avec leurs chefs et leurs armes.

Dans les faits, l'amalgame a été chose complexe et délicate. Il y avait des questions de grades, de chefs que les nouveaux venus entendaient conserver, de mentalité, d'éducation militaire qui laissaient souvent à désirer dans les F.F.I.. La synthèse s'est donc réalisée progressivement. En février 1945, l'intégration est une réalité; avec les formations issues de la résistance intérieure sont reconstitués des régiments par emprunt au répertoire historique des corps de l'Armée française. C'est ainsi qu'aux soldats venus de l'Empire s'ajoutèrent 137 000 hommes provenant de la France métropolitaine.

Aucun n'est de trop, compte tenu des évènements qui vont se dérouler. Alors que les Alliés marquent le pas à peu près partout sur le front de l'Ouest, l'Allemagne se prépare à frapper un grand coup. HITLER veut offrir une victoire à son armée et à son peuple, en attendant la mise en service d'hypothétiques armes secrètes. Le 16 décembre, les armées de VON RUNDSTEDT lancent une violente contre-offensive dans les Ardennes. L'attaque débouche par temps de brouillard, avec des moyens considérables, sur un terrain enneigé, peu propice aux opérations d'envergure. Les Alliés sont totalement surpris. L'intention des Allemands est de percer brusquement les lignes alliées en direction de la Meuse, afin de séparer les armées britanniques et canadiennes des Américains, puis d'atteindre Anvers, important port de ravitaillement. Ils pourront alors se déployer vers le sud et vers le nord pour détruire les unes après les autres les forces alliées dissociées. L'opération débute dans l'enthousiasme mais aussi dans le désordre. Pour en conserver le secret au maximum, les commandants de grandes unités n'ont été mis au courant que 2 ou 3 jours avant. Quant aux exécutants, ils ne savent pas toujours où ils sont et encore moins où ils vont. En 10 jours, l'ennemi ne réussit à progresser que de 7 km. Les Alliés se ressaisissent vigoureusement. Les éclaircies dans le ciel permettent à leur puissante aviation d'intervenir en pilonnant les troupes allemandes qui sont définitivement stoppées, puis refoulées jusqu'à leur base de départ. L'ennemi est exsangue mais nous sommes le 26 janvier 1945.

Entre temps il y a eu le drame de Strasbourg. A peine l'offensive des Ardennes semble-t-elle jugulée que plusieurs divisions allemandes attaquent, le 31 décembre, les lignes américaines au nord de Strasbourg que défend au sud la 1ère Armée française. Sans attendre, le Général EISENHOWER donne l'ordre à la 7ème armée américaine, qui avec l'Armée de LATTRE forme le 6ème Groupe d'Armées, de se replier promptement sur les Vosges. Il s'agit en fait d'abandonner Strasbourg que les Allemands auront tôt fait de réoccuper.

Le Général de GAULLE proteste énergiquement auprès du Haut-Commandement allié, soutenu par Winston CHURCHILL. Le chef du Gouvernement Provisoire de la République Française ( G.P.R.F) réussit à fléchir EISENHOWER qui modifie les ordres donnés. La 7ème armée ne doit plus, en effet, se replier que sous la pression de l'ennemi. Mais déjà pour parer au danger d'une intrusion allemande, de LATTRE a fait entrer la 3ème D.I.A. dans la capitale alsacienne, remplacée dans les Vosges par la 10ème D.I. du Général BILLOTTE. Les Allemands sont bien décidés à reprendre Strasbourg. Ayant repassé le Rhin, ils arrivent à 20 km de la ville. Le 7 janvier, ils déclenchent l'attaque générale. Les Américains, qui sont là, tiennent bon ainsi que les troupes de la 1ère D.F.L., renforcées de la brigade Alsace-Lorraine de MALRAUX. Attaques et contre-attaques se succèdent. L'ennemi s'acharne et gagne du terrain jusqu'à parvenir à Wantzenau, la porte de Strasbourg. Il est finalement refoulé par les Tirailleurs algériens et un "combat command"de la 2ème D.B..

Cependant, payant d'audace, de LATTRE malgré une situation plus que critique, décide de s'en prendre à la poche de Colmar où les Allemands tiennent toujours bon. Il a l'assentiment des Américains qui lui fournissent en plus une division.

Le 20 janvier, le 1er corps d'armée du Général BETHOUARD, par un temps abominable, part à l'attaque entre Thann et Mulhouse. Le 2ème corps d'armée du Général de MONSABERT attaque à son tour au nord de Colmar. Après d'âpres combats la ville est prise le 2 février, à peu près intacte. Le Général de GAULLE vient lui-même féliciter les vainqueurs. Les troupes françaises et américaines s'empressent d'exploiter la percée. Cernay, Soultz, Guebviller, Rouffach, Neuf-Brisach, Fessenheim sont enlevés. La poche est nettoyée. 2137 tués, 11 253 blessés sont le prix de la victoire de Colmar. Mais la 19ème Armée allemande, qui s'était reformée après sa retraite du sud de la France, est anéantie. Elle laisse 20 000 prisonniers.

On note qu'est intervenu dans la bataille le 1er Corps aérien français, aux côtés du 12ème Tactical air force américain.

Au nord de Strasbourg, malgré leurs efforts désespérés, les Allemands cèdent de plus en plus de terrain. Le 31 janvier, ils abandonnent Gambsheim où ils avaient établi leur première tête de pont. Strasbourg, dégagé du nord au sud (par l'offensive contre Colmar), est sauvé.

Une nouvelle opération, menée de concert par la 1ère Armée française et le 6ème Corps d'Armée américain, permet de s'emparer de la région de Haguenau le 17 mars. Le lendemain, les troupes françaises libèrent les derniers villages alsaciens. Les Américains leur ont laissé cet honneur qui illustre la fraternité d'armes franco-américaine.

Côté allemand, c'est la désillusion et le découragement. L'année 1944 ne leur a apporté que des défaites. Rien que sur le front de l'Ouest, la Whermacht a perdu en 8 mois, 1 million 500 000 hommes, estime-t-on. A l'est, sous la poussée de l'Armée rouge, que plus rien ne peut arrêter, Varsovie est tombée, la Prusse envahie, la Baltique atteinte, Budapest a capitulé.


LA CAMPAGNE D'ALLEMAGNE


Les opérations militaires

Hormis les "poches" de l'Atlantique et quelques forteresses des Alpes, la France est libérée. L'ennemi est repoussé au delà du Rhin. En dépit des pertes subies, il va s'accrocher cette fois-ci à son propre sol et c'est là que les Alliés vont l'anéantir. Mieux que quiconque, les Français savent qu'il ne faut pas renouveler l'expérience de 1918. Aussi veulent-ils participer à l'envahissement de l'Allemagne et par la présence effective de leurs troupes sur ce territoire, s'assurer d'une zone d'occupation que les Américains et les Soviétiques pourraient leur contester. Le Général de LATTRE de TASSIGNY a obtenu le 27 mars 1945, l'autorisation de faire pénétrer ses forces dans le Palatinat car la veille les Américains ont déclenché l'offensive et passé le Rhin. En un temps record, ses troupes sont prêtes à franchir le fleuve-frontière. Le 31 mars, un peu avant le lever du jour, des tirailleurs du 3ème R.T.A. et du 4ème R.T.M., à bord d'embarcations légères, prennent pied sur la rive opposée, suivis d'éléments du 151ème R.I.. L'ennemi réagit violemment à partir de casemates bien protégées. L'intention du commandement est de s'assurer, pour commencer, la possession de Karlsruhe pour s'ouvrir la trouée de Pforzheim et accéder ensuite au Wurtemberg. La capitale badoise, abordée de trois côtés, tombe le 4 avril. L'ennemi masse alors ses forces, dont une partie s'accroche à la ligne Siegfried, autour de Stuttgart. Au terme d'une manoeuvre d'enveloppement, à laquelle participent la 2ème D.I.M., la 5ème D.B. et la 3ème D.I.A., la capitale du Wurtemberg est prise le 22 avril. Des combats très violents se sont déroulés plusieurs jours, l'ennemi cherchant par tous les moyens à échapper à l'encerclement. La ville est presqu'entièrement détruite. Pendant ce temps, les troupes du 1er Corps d'Armée du général BETHOUART, poussant le long de la Forêt-Noire, ont atteint le Danube, l'ont franchi en divers points et se dirigent vers la frontière suisse et le lac de Constance. Mais il reste quatre divisions SS invaincues, enfermées dans le vaste massif. Le 26 avril, elles tentent une vigoureuse sortie sans toutefois y parvenir et doivent alors se disperser. Des renforts sont envoyés par le commandement de la 1ère Armée, appuyés par le 1er Corps aérien français. Finalement, l'ennemi cerné est anéanti dans la région de Villigen. Quelques troupes SS ont pu se réfugier dans la montagne. Elles seront capturées par la suite au cours d'opérations de nettoyage. Enfin, partant de Khel, la 9ème D.I.C. s'est emparée de Fribourg et le 26 avril a fait la jonction sur la frontière suisse avec la 4ème D.M.M. qui opérait à l'Est de la Forêt-Noire.

A la manoeuvre qui a permis de s'emparer de Stuttgart fait suite celle qui aboutit à la prise d'Ulm sur le Danube, s'agissant toujours de prendre l'ennemi à revers ou de le bloquer en vue de l'anéantir. L'opération est menée par la 1ère D.B. (Général SUDRE) et trois "combat command" partant de plusieurs directions. Ils se rejoignent à Sigmaringen, siège de l'ancien gouvernement de Vichy en Allemagne, dans la soirée du 24 avril. Les drapeaux blancs apparaissent partout.

La rapidité est la caractéristique de la campagne d'Allemagne. La prise de Constance, le 25 avril, et de sa région permettent à la 1ère Armée française de mettre la main sur les ateliers de construction de V2. Le 28 avril la frontière autrichienne est franchie. Les unités SS mènent une lutte acharnée, s'accrochent aux ouvrages de montagne et multiplient les destructions. La bataille fait rage également dans les Alpes bavaroises. Dans la montagne, les fantassins de la 4ème division marocaine et de la 2ème division d'infanterie dépassent parfois les blindés des 1ère et 5ème D.B.. Du 31 mars, jour du franchissement du Rhin au 3 mai, la 1ère armée française a conquis les régions allemandes de Bade et du Wurtemberg, fait plus de 100 000 prisonniers dont 15 généraux. Nuremberg atteint, les Américains passent à leur tour le Danube. La 2ème D.B., libérée du front de Royan, s'est portée à marches forcées à la hauteur d'Augsbourg. Le 3 mai au matin, l'Inn est franchi par ses groupements. Les Allemands réagissent surtout par la destruction systématique des ponts et des barrages de routes. Les chars de LECLERC foncent à toute allure sur l'autostrade conduisant à Berchtesgaden. Mais le pont sur la Sallach qui en défend l'entrée est coupé et la gorge bien défendue par de l'artillerie. Un pont est finalement lancé par le génie et le 5 mai le village est atteint alors que les troupes américaines, arrivées par une voie parallèle, l'occupent déjà. Les SS ne se défendront même plus. Les casernes sont pleines de troupes qui se rendent. La 12ème compagnie du Tchad s'empare du Berghof, le fameux "nid d'Aigle" de HITLER, durement pilonné et y plante le drapeau français. Le symbole de la grandeur et de la puissance du régime nazi n'est plus.

Le 7 mai 1945, un peu avant 3 heures, dans une salle de l'école professionnelle de Reims, où se trouve le P.C. avancé du Général EISENHOWER, l'Allemagne capitule sans conditions. L'acte qui consacre l'effondrement du Grand Reich est signé une nouvelle fois le 8 mai à Berlin, son ancienne capitale en ruines, par les grands chefs militaires; du côté des vaincus: le Maréchal KEITEL, l'Amiral FRIEDEBURG, le Colonel Général d'aviation STUMPF; du côté des vainqueurs: Le Maréchal JOUKOV, le Maréchal de l'Air Sir Arthur TEDDER, délégué du Général EISENHOWER, le Général SPAATZ et le Général de LATTRE de TASSIGNY.

Le 12 mai 1945, les autorités françaises organisent une cérémonie militaire (1) dans la clairière de l'Armistice, près de Rethondes, destinée, dans l'esprit de ses promoteurs, à effacer le souvenir humiliant de l'armistice franco-allemand signé au même endroit, le 22 juin 1940. En effet, en présence du Commissaire de la République de la région concernée, du Général PRIOU, commandant la deuxième région militaire et du Général américain GALLAGHER, lecture est donnée, face au monument du Maréchal FOCH, de l'acte de capitulation de l'Allemagne, signé quelques jours plus tôt à Reims par les Alliés et notamment par le Général français SEVEZ. Un défilé de troupes françaises et américaines mettra un point final à cette cérémonie.

La délivrance

Au fur et à mesure que les troupes alliées avancent en territoire allemand apparaissent, en groupes informels, leur liberté retrouvée, diverses catégories de détenus.

Ce sont d'abord les prisonniers de guerre, marqués au dos de leurs uniformes rapés des initiales K.G. (Kriegsgefangene), appartenant à toutes les nations luttant contre l'Allemagne et abandonnés par leurs gardiens. Devant l'avance alliée à l'ouest et celle de l'Armée rouge à l'est, les Allemands les ont entrainés dans leur fuite. Le haut commandement de la Wehrmacht avait ordonné de ne laisser aucun prisonnier sur place dans les territoires abandonnés par l'armée. Mais la débâcle allemande les a jetés sur les routes et la plupart errent dans le pays à la rencontre des Alliés. L'évacuation des camps, les stalags, a commencé en septembre 1944 par ceux de Rhénanie, suivie en janvier 1945 par la Poméranie. Cependant la majeure partie des camps ne sera libérée qu'en avril 1945 tandis que d'autres, à la frontière de la Tchécoslovaquie, devront même attendre le jour de l'armistice pour voir leurs portes s'ouvrir. Les requis du service du travail obligatoire forment une autre catégorie. Les autorités allemandes ont gardé au travail jusqu'au dernier moment cette main d'oeuvre qui leur coûte peu. L'évacuation des camps s'est faite d'abord à l'est, obligeant les travailleurs, mal vêtus, par des températures très basses, à parcourir à pied de longues distances, mêlés aux civils allemands fuyant l'invasion russe. Au terme de leur voyage, c'est un nouveau chantier qui les attend pour les occuper. A l'indigence vestimentaire, s'ajoutent la sous-alimentation, souvent les bombardements, les prisonniers par exemple n'ayant pas droit aux abris. La misère physique et morale atteint son paroxysme dans les camps de déportation et leur kommandos que les libérateurs vont découvrir avec effroi, suscitant l'indignation du monde civilisé. Les déportés, hommes et femmes, qui ont survécu à la schlague, à la malnutrition, à la liquidation par les S.S., sont moins que l'ombre d'eux-mêmes. Squelettes vivants, ils flottent dans leur tenue rayée de bagnards. Parvenus au bout de la résistance humaine, lorsque leurs libérateurs sont là, ils sont à peine en mesure de réaliser que le cauchemar est fini. Dans les sinistres blocks, d'autres déportés entassés dans les châlits, les yeux enfoncés, achèvent de mourir. Et partout, des morts,à l'intérieur, dehors, attendant de prendre place dans les charniers. Le premier camp à être libéré est celui d'Auschwitz, en Pologne, réservoir de main d'oeuvre pour l'I.G. FARBEN. Les Soviétiques y rentrent le 27 janvier 1945. Mais il ne reste que 5000 détenus, 60 000 environ ont été évacués par les S.S. par moins 20°. Des milliers sont morts en chemin, exténués, gelés, assassinés d'une balle dans la nuque, car tout transfert donne lieu à d'effroyables tueries. Les Américains libèrent les camps de Dachau (29 avril), de Buchenwald (11 avril), de Mauthausen (7 mai) mais dans ces derniers, les déportés se sont révoltés et ont neutralisé leurs geôliers. Les Anglais sont entrés à Bergen-Belsen (15 avril), un camp surpeuplé car il a reçu d'importants contingents en provenance des camps évacués à l'approche des Alliés. Les Soviétiques ont libéré les camps, ou ce qu'il en reste, de Sachshenhausen (27 avril), de Ravensbrück (30 avril), de Dora (8 mai). Les Français ont délivré les déportés du kommando de Vaihingen qui avait dépendu du camp central de Natzwiller-Struthof (Bas-Rhin), jusqu'à son évacuation le 31 août 1944 vers Dachau. A Lindau, sur le lac de Constance, où il a établi son P.C., le Général de LATTRE de TASSIGNY a rendu visite aux personnalités politiques et militaires internés par les nazis au château d'Itter dans le Tyrol et nouvellement libérés: Paul REYNAUD, Edouard DALADIER, Léon JOUHAUX, les généraux GAMELIN et WEYGAND.

(1) Une manifestation comparable eut lieu le 17 juin 1944 à la villa Incisa, à Olgiata près de Rome où fut signé l'armistice franco-italien du 24 juin 1940. Les troupes françaises occupèrent la villa, sévèrement endommagée par les combats et organisèrent une cérémonie militaire.

 




Entre le moment de la libération et celui du retour tant attendu, les anciens captifs sont dirigés vers des centres de rapatriement ou des lieux de rassemblement, créés de toutes pièces, souvent à l'initiative des prisonniers de guerre français. La population civile allemande, adoptant un profil bas, obéit avec empressement aux ordres des nouvelles autorités militaires et ne marchande pas son concours, en ce qui concerne notamment le ravitaillement. Les Alliés ont certes leurs plans de rapatriement mais ils sont vite débordés par le nombre car aux ex-prisonniers de guerre, s'ajoutent les déportés politiques, des travailleurs du S.T.O., voire des travailleurs étrangers. Le sauvetage des déportés, car il s'agit de sauver les survivants d'un affreux génocide, ne manque pas de poser des problèmes. L'impréparation des Alliés, surtout dans le domaine de l'aide alimentaire applicable aux déportés, est patente. Ils n'ont pour y faire face que leurs propres services sanitaires. Cela conduit parfois à des incompréhensions, comme par exemple, le maintien provisoire des déportés pour "quarantaine" dans le cadre concentrationnaire. Un évadé de Dachau s'étant présenté au PC de de LATTRE, porteur d'un message de solitude et de désespoir des déportés français, le chef de la 1ère Armée intervint alors auprès des autorités américaines pour qu'ils lui soient transférés, ce qu'il obtint assez facilement. De la sorte, quelque 8000 déportés furent conduits sur les bords du lac de Constance où il leur fut loisible grâce à des soins appropriés, de réapprendre à vivre. Les plus valides, au bout de quelques jours étaient rapatriés vers la France par trains suisses, les ponts de chemin de fer sur le Rhin étant détruits. Les autres étaient répartis dans des maisons de santé de la Forêt-Noire, où leur famille allait venir les retrouver. Magré tout, les rapatriements vont bon train. On note qu'à partir du 11 avril 1945, les autorités américaines acheminent tous les jours par avion, sur Paris, 8000 anciens prisonniers et déportés. En France, le Ministère des Prisonniers, Déportés et Réfugiés, installé le 1er septembre 1944, s'occupe des questions de rapatriement. Des centres d'accueil et de transit, comme ceux d'Arras, Nancy, Vesoul, Annecy, Lille..., assurent la réception des prisonniers acheminés par train. Certaines structures sont équipées pour recevoir quotidiennement 20 000 personnes. Les rapatriés sont examinés au plan médical, reçoivent un carnet de rapatriement, perçoivent une prime, puis sont dirigés si cela est nécessaire, vers un centre de traitement, sinon ils rentrent chez eux. C'est l'Hôtel Lutétia, transformé en centre d'accueil et d'hébergement qui reçoit les rescapés des camps de la mort.

A la fin de l'été 1945, on comptera 910 000 prisonniers rapatriés. Il en arrivera d'autres, libérés et pris en charge par les Russes mais bien plus tard, après maintes tribulations et embarquement au port d'Odessa. Si les centres d'accueil ont fonctionné à plein, la sécurité militaire et la Prévôté n'ont pas non plus chômé car il s'agissait de contrôler les arrivants, de vérifier soigneusement leur identité. Il est apparu en effet que d'anciens miliciens, des engagés à la Légion des Volontaires Français contre le Bolchévisme ou dans la Waffen S.S., voire des travailleurs volontaires se glissent dans le flot des gens à rapatrier. Ceux-ci sont soumis à de longs interrogatoires que d'aucuns considèrent comme une mesure vexatoire. Les éléments douteux sont gardés pour un examen approfondi de leur situation. La comparution devant les tribunaux répressifs attend les individus coupables de collaboration avec l'ennemi. Il arrive aussi que la justice soit plus expéditive. C'est ce qui s'est passé le 8 mai 1945 aux environs de Berchtesgaden: 11 membres de la L.V.F. rencontrés par un détachement de la 2ème D.B. ont été passés, sur le champ, par les armes.

L'Allemagne occupée

En conséquence de sa capitulation sans conditions, toute l'armée allemande est prisonnière. L'Allemagne, en entier, est occupée par les vainqueurs. La plupart de ses chefs sont mis en prison en attendant d'être jugés par un tribunal international pour crimes de guerre. Militairement et politiquement anéantie, elle n'existe plus en tant qu'Etat, ainsi l'avaient voulu les conférences de Téhéran et de Yalta. Cette dernière conférence assez proche de la reddition finale puisqu'elle s'est déroulée en février 1945, a réaffirmé le démembrement de l'Allemagne, délimité les zones d'occupation et posé le principe d'une occupation indivise pour Berlin. La France, absente de Yalta mais appuyée par CHURCHILL, obtient une zone d'occupation en Allemagne prélevée sur celle attribuée aux Britanniques et aux Américains. La France fera également partie de la commission de contrôle de Berlin. Le 5 juin 1945 sont définies les limites des zones qui seront occupées par les Alliés: l'URSS, la partie Est; la Grande Bretagne, le Nord-Ouest; les Etats-Unis, le Sud-Ouest; la France, l'Ouest. Mais les Américains vont céder à la France le Palatinat, puis le sud de la Rhénanie. Ils partagent avec elle le Pays de Bade et le Wurtemberg. Au moment de la conférence de Postdam, les Français s'installent à Berlin dans la zone qui leur revient.

Dans leurs zones de stationnement, les neuf divisions composant à présent la 1ère Armée française ont pour mission de maintenir l'ordre, fonction qui n'est pas superflue car il arrive que de temps à autre des coups de feu soient tirés sur leurs sentinelles ou éléments isolés. L'armée a également en charge la récupération du matériel considérable que les Allemands ont emporté pendant quatre ans, en provenance des usines et des laboratoires français. Un butin qui vaut des milliards et qui doit reprendre le chemin de la France. Sans doute moins connue, la "chasse aux savants allemands" est une activité à laquelle se livrent la France comme ses Alliés. Bien qu'ayant commencé plus tard que les Anglo-Américains ou les Soviétiques, les Français "recrutent" un nombre très important d'ingénieurs et de techniciens spécialistes des missiles et de l'aviation, dont l'apport ne sera pas sans influence sur la position appréciable qu'occupe aujourd'hui la France, dans le domaine de l'aéronautique et de l'espace. Mais la plus noble des missions reste, comme nous l'avons vu précédemment, le rapatriement de milliers de Français détenus à des titres divers en Allemagne et errant dans la zone de la 1ère Armée. Pendant la période d'été, de nombreux enfants de la banlieue parisienne sont également invités à prendre leurs vacances en Forêt-Noire. Chaque régiment se doit alors de recevoir un contingent de petits Français. Tout naturellement, l'administration des territoires occupés incombe à l'autorité militaire. Suivant les zones, les styles diffèrent. Pour la partie occupée par les Français, c'est un gouvernement militaire qui a la charge de son administration, articulé non pas d'après les secteurs d'occupation impartis aux grandes unités mais suivant les "Lander", divisions territoriales allemandes. Il y a un général à la tête de chacun d'eux. Le personnel, placé sous statut militaire mais ayant sa propre hiérarchie, est recruté par Paris avec une large part d'improvisation. On reproche notamment à ces nouveaux administrateurs de ne pas connaître grand chose à la mentalité, aux problèmes allemands, de ne faire aucune distinction entre nazis et antinazis. La population qui est sous leur férule ne récrimine pas contre les ordres de réquisition dont les Français, comme les autres occupants, ne se font pas faute. Dans les villes et les villages, largement ruinés, les Allemands se serrent un peu plus pour laisser libre aux militaires ce qui est encore habitable. Il est vrai que la débâcle de l'armée du Reich, notamment devant les Soviétiques, a jeté sur les routes des populations civiles allemandes terrorisées. L'exode massif de plusieurs millions de personnes, le plus grand que l'histoire ait connu, mêlées aux troupes allemandes en retraite et fuyant de l'est vers l'ouest sous les bombardements de l'aviation alliée, a grossi notablement la population des zones contrôlées par les Occidentaux. Jeunes, vieux, mutilés de la guerre dont le nombre impressionne, surprennent les Français en leur cédant le trottoir. Abasourdis par leur défaite, les vaincus d'aujourd'hui n'en n'ont pas moins repris courage. Pierre par pierre, les ruines sont dégagées et tout le monde y participe, souvent le ventre creux. Les entreprises de reconstruction sont de grosses demanderesses de main d'oeuvre. Le redressement allemand est déjà en marche mais la tâche est immense. Pendant quelques années encore, le tourisme des ruines en Allemagne attirera beaucoup de monde.

A l'égard de la population allemande, le général de LATTRE entend mener une politique de prestige, afin qu'elle révise son jugement sur la France et les Français. Jusqu'au dernier jour, la propagande nazie avait caché l'existence dans les rangs alliés d'une importante armée française, si ce n'est pour insulter les "bandes gaullistes" et autres "terroristes". De plus, le poids de la défaite de 1940 et pour des raisons en partie politiques (1), l'absence presque totale dans les actualités ou les articles de presse anglo-saxons, des actions militaires mettant en valeur les faits d'armes de l'Armée française reconstituée, n'ont pas permis à la plupart des Allemands de connaître la part non négligeable prise par la France à l'effondrement du "Reich"; de fait, ils eurent tendance à considérer que notre pays n'avait pas participé notablement à leur défaite. Cependant, les armes se sont tues mais les soldats français, conscients de la valeur de leur contribution à la victoire, sont toujours sur la brèche; prises d'armes, revues somptueuses, défilés musique en tête, la démonstration de la présence de la France, pacifique mais ferme, n'est jamais prise en défaut. On y ajoutera la discipline, l'élégance dans la tenue des soldats à l'écusson "Rhin et Danube". Les chefs de corps ont reçu l'ordre d'y veiller personnellement. Le commandant en chef de la 1ère Armée Française est convaincu que les Allemands, malgré leur prostration observent l'attitude de ses hommes ainsi que leur conduite. Tout est volontairement fastueux au P.C. de Lindau, au carrefour de l'Allemagne, de l'Autriche et de la Suisse. Il s'y donne des soirées mondaines, des réceptions éblouissantes en l'honneur des personnalités en visite: ministres, académiciens, le bey de Tunis, le sultan du Maroc auquel de LATTRE offrit pendant trois jours le spectacle de la grandeur française.

C'est surtout vers la jeunesse allemande que le chef de la 1ère armée voudrait agir, les adolescents, garçons et filles, formés dans les sections de la jeunesse hitlèrienne. Ils conservent visiblement de l'éducation qu'ils ont reçue un comportement fanatique; celui-ci, loin de faire appel au raisonnement, les conduit à être subjugués par des spectacles colossaux, des démonstrations de force. Pour influencer ces jeunes, il faut continuer à faire jouer ces réflexes mais dans le sens du Bien, afin qu'ils prennent goût aux valeurs de l'Esprit. Cette entreprise de désintoxication prend un nouveau nom: la dénazification. Les Alliés en tracent les grandes lignes à la conférence de Postdam en juillet 1945: dissolution des organisations et abrogation des lois nazies, interdiction de répandre la doctrine nazie et de confier des postes importants à d'anciens nazis...Dans la pratique, tous les Allemands doivent se soumettre à un examen destiné à établir leur responsabilité politique. Ils sont alors classés en plusieurs groupes selon le degré de participation à l'ancien système; les sanctions sont imposées suivant les responsabilités de chacun. Les Américains semblent avoir pratiqué avec le plus de sérieux la dénazification. C'est eux qui ont établi le questionnaire en 131 points auquel les Allemands avaient à répondre. En réalité, la dénazification n'intéresse qu'assez peu la troupe. Elle lui préfère la "fraternisation" qui à la fin des combats pouvait apparaître comme une gageure. Les rancoeurs, nées de cinq années de servitude, de misère, d'horreur, vécues par les Français, se sont peu à peu atténuées et ont fini par disparaître au contact d'une population débonnaire. Si tout contact avec des civils allemands était interdit au départ, la "fraternisation" est alléguée par certains observateurs dès juin 1945. A la mi-juillet, les Britanniques l'autorisent en partie dans leur zone. Les Français ont déjà détendu leur surveillance. Mais aux environs du 20 septembre, la commission de contrôle interalliée autorise les troupes à "fraterniser" avec la population allemande. Le mois suivant, les membres des forces alliées peuvent loger chez l'habitant. A partir du 10 janvier 1946, les mariages seront autorisés entre nationaux allemands et ressortissants alliés.

(1) La déception causée par la défaite française de 1940, l'antigaullisme des Américains, la francophobie de STALINE manifestée notamment à Yalta et à Postdam, la volonté affirmée par CHURCHILL d'être l'interlocuteur unique et privilégié des Etats-Unis en Europe, ont conduit à une relative marginalisation de la France et donc, dans une certaine mesure, à une sous-estimation de sa participation à la victoire.

 





Au fur et à mesure que les années s'écouleront et que la situation internationale se modifiera, le réglement de la question allemande sera perçue de façon différente par les puissances occupantes. En 1948, la réforme monétaire dans les trois zones occidentales va consacrer la rupture avec les Soviétiques.

Le 23 mai 1949, un nouvel Etat, la République fédérale d'Allemagne est créé à l'ouest tandis qu'à l'est, le 7 octobre 1949, la République démocratique allemande voit le jour. Seule la ville de Berlin restera occupée jusqu'à la période récente qui a vu la réunification des deux Allemagnes. En effet, à la suite de l'accord dit "2+4", signé à Moscou le 12 septembre 1990, qui rétablit la souveraineté de l'Allemagne, les ministres des Affaires étrangères de France, de Grande-Bretagne, des Etats-Unis et de l'U.R.S.S. déclarent officiellement, le 1er octobre 1990 à New-York, que leurs droits issus de la victoire de 1945 sont suspendus.

Les prisonniers de guerre allemands en France

En novembre 1945, le nombre de prisonniers de guerre allemands détenus en France, dans des camps français, dépasse le million.

Près de 300 000 ont été capturés, depuis l'origine, par les forces françaises, tandis que plus de 700 000, qui ont été faits prisonniers, pour l'essentiel, par les Américains, ont été remis aux Français.

En effet, la France a besoin de main d'oeuvre. Entamant la reconstruction de ses infrastructures et la restauration de ses capacités agricoles et industrielles largement détruites par la guerre, la France utilise les prisonniers de guerre allemands, en les affectant, souvent au sein de commandos de travail, dans les secteurs les plus divers de son économie. A cette époque, les Français connaissent de graves pénuries, notamment vestimentaires et alimentaires, aggravées par d'énormes difficultés dans le domaine des communications et des moyens de transport. De fait, les prisonniers de guerre allemands subissent aussi les mêmes privations. Toutefois, leur situation est parfois rendue meilleure quand des employeurs généreux sont en mesure d'améliorer leur alimentation. D'autres Français ont, au contraire, des réactions d'hostilité à leur égard et adoptent une attitude plus rigoureuse. Ces comportements peuvent être rapprochés sur de nombreux points, de ceux que bien des prisonniers de guerre français ont connu en Allemagne, surtout, dans les dernières années du conflit.

Quoiqu'il en soit, les derniers prisonniers de guerre allemands seront libérés par les Français en 1949.

La fin de la guerre pour la 1ère Armée française

Le 24 juillet 1945, la 1ère Armée a été dissoute. Son chef, le Général de LATTRE de TASSIGNY est nommé inspecteur général de l'Armée. Il demeure des troupes françaises d'occupation en Allemagne, placées sous le commandement du Général KOENIG avec pour adjoint le Général de MONSABERT. Plus tard, le Général LECLERC de HAUTECLOQUE débarquera à Saïgon avec des éléments de la 2ème D.B. Un conflit est latent en Indochine.

Les hommes qui ont appartenu à la 1ère Armée française: Européens d'Afrique du Nord mobilisés dès 1943, indigènes, recrues mêlées de l'ancienne Armée d'Afrique, évadés de France, engagés des F.F.I., leur devoir accompli, vont quitter l'uniforme sauf s'ils désirent continuer à servir les armes. Leur libération s'accomplit au cours des derniers mois de 1945. Il y a pour eux une prime de démobilisation de 1000F et une permission de 30 jours avec solde. Ils emportent le souvenir d'une grande épopée, hélas! jalonnée de multiples croix.


LES AUTRES FRONTS


Les six "poches" du littoral

De Dunkerque à la Pointe de Grave, en passant par Lorient, Saint-Nazaire, La Rochelle et Royan, six "poches" subsistent encore au printemps 1945. Ce sont six forteresses dans lesquelles les Allemands solidement retranchés sont bien décidés "à tenir jusqu'au bout". Tels sont, du reste, les termes de la directive de Hitler du 17 août 1944, qui ordonne après la retraite de l'été, que les secteurs de défense des côtes ouest et sud de la France soient tenus jusqu'au dernier homme. Cette directive immobilise sur les côtes françaises plus de 100 000 hommes. Lors de la formation des "poches", ce sont les F.F.I. qui supportent pour l'essentiel la charge de l'encerclement. En octobre 1944, le Général de GAULLE nomme un commandant du front de l'Atlantique : le Général Edgard de LARMINAT. Responsable des deux "poches" de Bretagne : Lorient et Saint-Nazaire et du groupe de "poches" situées plus au sud qui comprend La Rochelle, Royan et la Pointe de Grave, le Général de LARMINAT organise le "détachement d'Armée de l'Atlantique".


Les "poches" de La Rochelle-Royan-La Pointe de Grave:


La première attaque est prévue par le Général de LARMINAT le 10 janvier 1945 ; mais l'offensive allemande déclenchée mi-décembre dans les Ardennes, contraint la première division française libre, envoyée en renfort sur le front de l'Atlantique, à reprendre la direction de l'Alsace. Dès lors, l'attaque est retardée.

Après une période de stabilisation des positions adverses, troublée par l'effroyable erreur du bombardement de Royan par l'aviation américaine, qui fit 1800 tués parmi les civils français, la seconde attaque alliée est fixée au 14 avril. Le Général de LARMINAT dispose des blindés de LECLERC, des F.F.I., d'éléments américains d'artillerie et d'un fort soutien aérien. En outre, au sein même des "poches", les groupes de résistance organisent des coups de main et renseignent le commandement des troupes françaises sur le dispositif allemand.

Le 14 avril, l'attaque dite opération "Vénérable", est donc déclenchée simultanément au sud de la Pointe de Grave et sur toutes les lisières terrestres de la "poche" de Royan. L'offensive est un succès, en quatre jours la "poche" de Royan est réduite. Le 18 avril à 7 heures, a lieu la reddition des derniers défenseurs ennemis. Dans la "poche" du Verdon, c'est la brigade Médoc du Colonel de MILLERET qui déclenche l'attaque le 14 avril à 6 h 30, aidée dès le 18, après la chute de Royan, par les chars de Leclerc. La bataille du Médoc s'achève le 20 avril à 20 h 30. Ces derniers combats ont coûté à l'ennemi de nombreux tués et près de 8000 prisonniers. Mais, côté français les pertes sont lourdes ; la réduction de la "poche" de Royan a fait 364 tués, 1567 blessés et 13 disparus.

L'opération "Vénérable", terminée, l'objectif suivant est la prise de l'île d'Oléron. Le déclenchement de l'opération est fixé au 30 avril à 5 h 3O. Le 1er mai, la conquête de la totalité de l'île est achevée. Les pertes françaises s'élèvent à 18 tués et 55 blessés. Tandis que les troupes françaises se préparent à l'attaque de La Rochelle, prévue pour le 1er mai, la garnison allemande accepte de capituler. La Rochelle est libérée le 8 Mai 1945, alors que la capitulation de l'île de Ré intervient le même jour.


Les "Poches" de Lorient et Saint-Nazaire :


Face à la "poche" de Lorient, qui regroupe 24 000 soldats allemands se trouve la 19ème division d'infanterie du Général Borgnis-Desbordes, qui l'a constituée à partir de divers groupes F.F.I. La division française occupe les 9O kms du front de Lorient, à la seule exception du secteur central tenu par une partie de la 66ème division d'infanterie américaine. Attaques surprises et tirs de harcèlement se succèdent. Le 7 mai 1945, un cessez le feu est signé à Etel, entraînant quelques jours plus tard la capitulation de la garnison allemande.

A Saint-Nazaire 25 000 Allemands se sont enfermés et fortifiés. Chargé de la direction des opérations autour de cette poche, le Général CHOMEL intègre les F.F.I. après leur dissolution, dans le cadre de la 25ème division d'infanterie. Attaques et tirs d'artillerie se succèdent de part et d'autre, tandis qu'au sein de la "poche", la Résistance multiplie les actes de sabotage et développe la collecte des renseignements. Le cessez-le-feu sera appliqué le 8 Mai 1945 et la reddition des troupes allemandes aura lieu le 11 mai.


La "poche" de Dunkerque :


17 000 Allemands se sont regroupés à Dunkerque et disposent d'un armement lourd exceptionnel. Autour de Dunkerque, la brigade blindée tchèque, le 33ème régiment d'artillerie britannique, et les F.F.I. regroupés au sein du 110ème régiment d'infanterie, puis du 51ème régiment d'infanterie tiennent le front. Jusqu'au bout, le commandement des troupes allemandes parvient à conserver à Dunkerque une activité guerrière. Les duels d'artillerie sont constants. Début avril, l'ennemi déclenche une violente contre-attaque qui malgré la résistance des Alliés aboutit à la création d'un saillant irréductible. Il faudra attendre le 9 mai 1945 pour que les Allemands signent l'acte de reddition.

La bataille des Alpes

Après la réussite du débarquement sur les côtes de Provence, la 7ème Armée américaine et la 1ère Armée française se dirigent, en août-septembre 1944, vers le Nord et l'Alsace pour rejoindre les Alliés débarqués en Normandie. Tout au long de son avance, la 7ème Armée américaine épaulant des éléments F.F.I., refoule progressivement l'ennemi sur les cols frontières des Alpes. Sur le front des Alpes, stabilisé à la mi-septembre, les Allemands tiennent dans les hautes vallées, les crêtes et les observatoires.

Durant tout l'hiver 1944-1945, la principale activité dans ces secteurs est déployée par les sections d'éclaireurs-skieurs, patrouillant sur les crêtes et pratiquant embuscades et coups de main.

Le 1er mars 1945, le Général de GAULLE crée un Détachement d'Armée des Alpes (D.A.A.) qu'il place sous les ordres du Général DOYEN. La mission de ce détachement d'armée est de tenir les positions occupées, d'interdire toute incursion ennemie dans les vallées et de préparer des opérations ayant pour but de rejeter l'ennemi, au delà de la chaîne principale des Alpes. Cependant, la faiblesse des moyens dont dispose le D.A.A. ne lui permettra d'entreprendre que successivement les différentes opérations. Sur ce vaste front, divisé en trois secteurs, allant de la Suisse à la mer, le détachement d'armée se trouve face à deux divisions allemandes et à deux divisions fascistes italiennes. Fin mars, le D.A.A. commence à attaquer. A plus de 2000 mètres d'altitude, les Français donnent l'assaut aux ouvrages du Petit-Saint-Bernard et du Mont-Cenis, dont plusieurs sont investis. Le 10 avril à 9 heures, des éléments du D.A.A. attaquent le massif de l'Aution et malgré une violente réaction ennemie, s'en saisissent. Au sud, le Mangiabo est également enlevé à l'adversaire. Les combats dureront sept jours au cours desquels, les Français s'empareront des forts qui commandent la montagne. Au Nord, les cols de Larche et de la Lombarde sont également entre les mains des troupes françaises qui entrent à Tende et à la Brigue. Le 28 avril, le détachement d'armée avance sur la totalité du front. En effet, le D.A.A. se dirige vers Cunéo, entre dans le Val d'Aoste, descend du Mont-Cenis et du Mont-Genève, emprunte la vallée de la Stura. Le 2 mai 1945, alors que les forces germano-italiennes de la Péninsule, cessent le combat, les Français sont dans la plaine du Pô et atteignent les abords de Turin.

Les combats en Indochine

A partir du mois d'août 1940, les troupes japonaises commencèrent à stationner en Indochine, en échange de la reconnaissance par le gouvernement nippon, de la souveraineté française sur ce territoire. Cette reconnaissance permit à l'administration et à l'Armée française de s'y maintenir. Très tôt des mouvements de résistance aux Japonais firent leur apparition. En effet, des réseaux renseignèrent les services chinois, américains, britanniques et français libres sur les emplacements et les mouvements des forces japonaises. En 1944, la politique française en Indochine prend un tournant décisif. D'accord, avec le gouvernement provisoire de la République Française, l'Amiral DECOUX, Gouverneur Général nommé par Vichy, accepte de créer le poste d'inspecteur général des forces armées, en faveur du Général MORDANT, représentant clandestin du Général de GAULLE. Cette fonction importante assurera au Général MORDANT une "couverture" qui lui permettra de diriger sur place la Résistance. Le coup de force japonais du 9 mars 1945 va marquer un revirement de l'attitude nippone à l'égard de l'Indochine. La défaite prévisible de son alliée, l'Allemagne, comme les revers successifs qu'il subit en Birmanie, aux Philippines et dans le Pacifique, conduise le Japon à ne plus pouvoir tolérer "la présence, au milieu de (son) dispositif d'une force étrangère (la France) qui menaçait de devenir hostile." (1) En conséquence, après avoir renforcé leurs effectifs sur le territoire indochinois, les Japonais préparent un plan d'attaque surprise des garnisons françaises et la main mise sur l'administration civile. Un prétexte est trouvé pour réaliser ce coup de force. L'ambassadeur du Japon MATSUMOTO prend rendez-vous le 9 mars 1945, avec l'Amiral DECOUX. A l'issue de la réunion, l'Ambassadeur remet au Gouverneur Général un ultimatum exigeant "le rattachement de l'Armée française au commandement impérial nippon". L'Amiral DECOUX rejette énergiquement cette demande. A 21 heures, les Japonais passent à l'attaque sur tout le territoire indochinois, avant même de connaître la réponse de l'Amiral DECOUX, prenant par surprise les troupes françaises. Celles-ci mal équipées et moins nombreuses que les assaillants, opposent une résistance farouche mais désespérée. A Hanoï, les Français combattent le plus souvent au corps à corps, à Lang Son, les défenseurs sont massacrés par les soldats nippons, dans le centre et le sud de l'Indochine de multiples combats sont livrés dans les garnisons ou en brousse. Au Tonkin, la colonne du Général ALLESSANDRI, au prix d'une "longue marche", de batailles quotidiennes avec les Japonais, réussit à rejoindre la Chine du Sud. Mais partout les troupes nippones ont vaincu. Comme a pu le dire M. Yves GRAS (2) "L'armée d'Indochine payait fort cher sa rentrée dans la guerre. Il n'en restait, au mois de mai, que les trois mille hommes, épuisés, vêtus de loques, démunis de tout, qui avaient trouvé refuge en Chine, ainsi que quelques groupes isolés qui tenaient encore dans les forêts du Laos avec la complicité de la population. 242 officiers et 2400 hommes étaient tombés, 5000 blessés-soit au total des pertes équivalant au cinquième de ses effectifs". Après le coup de force, commence la véritable occupation nippone de l'Indochine. Il n'y a plus d'administration française, les occupants soutiennent des mouvements autonomistes et internent dans les six principales villes d'Indochine, la population civile française. Les combattants français qui ont échappé à la mort commencent, comme l'écrit justement M. Yves GRAS (3) "une captivité misérable dans les camps japonais où des centaines d'entre eux devaient périr, notamment dans celui de Hoa-Binh que sa sinistre réputation fit surnommer "le camp de la mort lente". Après l'explosion des bombes atomiques d'Hiroshima et de Nagasaki, le Japon capitule le 15 août 1945. Le 2 septembre, les Alliés reçoivent la reddition solennelle de l'Empire du Soleil Levant. Grâce au sacrifice des combattants d'Indochine, le Général LECLERC peut signer l'acte de reddition au nom de la France. Le désarmement des troupes japonaises en Indochine est assuré au nord du 16ème parallèle par les Chinois et au sud par les Britanniques, appuyés seulement, par quelques éléments français, notamment ceux du 5ème régiment d'infanterie coloniale (R.I.C.). En effet, les Alliés, Américains et Chinois surtout, marquent leur hostilité au retour de la France dans cette région. Ainsi, les Américains ont refusé d'aider les Français dans leurs combats contre les Japonais, en ne faisant pas intervenir leur aviation basée en Chine; de même, les Chinois n'ont pas admis d'être accompagnés par les soldats du Général ALESSANDRI, qui ont dû rester en Chine du Sud. La situation est encore compliquée par la présence sur le terrain des Japonais, vaincus certes et attendant d'être désarmés, mais qui ne manquent pas de soutenir certains mouvements nationalistes indigènes, parfois en leur remettant leurs armes. Isolés, le 5ème R.I.C., les maquis qui ont poursuivi la lutte au Laos et quelques personnalités, s'efforcent de maintenir les intérêts de notre pays en Indochine. Il faudra attendre le mois d'octobre 1945, pour que l'arrivée d'un corps expéditionnaire français, commandé par le Général LECLERC, réaffirme la présence de la France sur ce territoire. Dès lors, Britanniques et Chinois évacuent l'Indochine. Les Français sont revenus, mais la colonie reste en effervescence. Le Viet-Minh réclame l'indépendance. La première guerre d'Indochine est commencée et durera jusqu'en 1954.



(1) Général de GAULLE - Mémoires de guerre

(2) (3) L'intrusion japonaise en Indochine - Etudes historiques M. Y.GRAS.

 





Des combattants français dans les Ardennes et en Hollande


L'opération "Franklin" - 24 décembre 1944 - 25 janvier 1945


A la suite de l'offensive lancée dans les Ardennes par le Maréchal von RUNDSTEDT à partir du 16 décembre 1944, le commandement allié, d'abord surpris, réussit à arrêter les chars allemands à 6 kilomètres de la Meuse. Le 22 décembre, le 2ème régiment de chasseurs parachutistes (2ème R.C.P.) ou S.A.S. français reçoit l'ordre de reconnaître les lignes de l'avancée allemande afin de venir en aide à la 101ème division aéroportée américaine assiégée dans Bastogne.

Le 24 décembre, les hommes du 2ème R.C.P. entrent en Belgique et installent leur P.C. à Bertrix. Pendant un mois d'hiver très rude, ils harcèlent les points d'appui ennemis, ramenant de nombreux prisonniers. Le 12 janvier, ils s'infiltrent de nuit dans la ville de Saint-Hubert que les Américains se proposent d'attaquer le lendemain après une préparation d'artillerie. Les S.A.S. français y font une vingtaine de prisonniers. Steinbach et Limerlé tombent ensuite entre leurs mains et le 25 janvier, les hommes du 2ème R.C.P. sont relevés et rejoignent leur cantonnement en Champagne.


L'opération "Amherst" - 7 au 14 avril 1945


L'avance anglo-américaine vers le nord-est a élargi une poche sur le flanc ouest, englobant presque tout le nord de la Hollande.

Le 28 mars 1945, le Général CALVET, nouveau commandant de la brigade de S.A.S., reçoit une demande d'intervention de deux unités françaises, les 2ème et 3ème R.C.P. Leur mission est multiple: créer le maximum de confusion dans le triangle Groningen-Coervorden-Zwolle, empêcher la destruction des ponts, s'emparer de l'aérodrome de Steinwijk, soutenir la résistance, signaler des objectifs à l'aviation. Le 7 au soir, 706 parachutistes sont largués sur un terrain difficile. La dispersion des hommes est forte et le regroupement ralenti par la recherche des containers d'armes et de munitions. De plus, c'est avec 24 heures de retard que la résistance locale est avertie. Malgré ces handicaps, l'initiative française joue au maximum. Un P.C. est attaqué en plein jour par une vingtaine d'hommes; des combattants isolés continuent le harcèlement prévu. Certains regroupés, contrôlent les axes routiers et font de nombreux prisonniers. D'autres, trahis, cernés vont lutter jusqu'à la mort. Mais la plupart des missions sont remplies avec succès, malgré le retard atteignant parfois sept jours, de l'arrivée des renforts alliés. Trente-trois Français ont laissé leur vie en Hollande, plus du double a été blessé.

Une unité française en Slovaquie

La participation d'une unité française au soulèvement national slovaque de 1944-1945 est un évènement peu connu du second conflit mondial.

L'origine de la création du contingent français en Slovaquie a résidé dans l'évasion des camps allemands situés les plus à l'Est, de prisonniers de guerre qui cherchant le plus court chemin pour rejoindre les Alliés, s'orientèrent vers les Balkans. Toutefois, ne pouvant y parvenir, ils durent chercher refuge en Europe centrale, notamment en Hongrie. C'est dans ce dernier pays que naquit, chez le Lieutenant de LANNURIEN et le Lieutenant de LA RONCIERE, l'idée de prendre contact avec les partisans, essentiellement tchécoslovaques et soviétiques, disséminés dans les Carpathes. Peu à peu, de petits groupes de soldats français se formèrent et rejoignirent la forêt des Tatras en Slovaquie. Fin août 1944, alors que l'insurrection slovaque est déclenchée, les Français, constitués en compagnie, sous les ordres de de LANNURIEN, participent à des affrontements meurtriers face à des unités blindées.

Elément de choc, de la brigade STEFANIK à laquelle elle a été rattachée, la compagnie française connait de très lourdes pertes lors des premiers combats de Vrutky, de Strecno et de Priekopa. En septembre 1944, elle a la chance de recevoir l'apport de jeunes travailleurs du S.T.O. qui ont pu s'échapper d'une usine Messerschmitt, située en Slovaquie. L'arrivée de ces jeunes galvanise l'unité qui participe à nouveau à de très rudes combats à Handlova, Svaty-Kriez et Starnica, notamment. Ce n'est qu'au printemps 1945, que les survivants français firent leur jonction avec les unités soviétiques. Sur les 200 combattants de la compagnie LANNURIEN, 56 moururent au combat et 45 furent très gravement blessés. Le 9 décembre 1944, le Général de GAULLE citait l'unité à l'ordre de l'Armée.


CONCLUSION


" La France, cependant jalouse de ses gloires et consciente de ses sacrifices, a mal connu le rôle militaire que, grâce à son armée ressuscitée, elle a tenu dans la coalition des Nations Libres, alliées pour vaincre l'Allemagne nazie. Si elle en avait été mieux informée, sans doute aurait-elle aujourd'hui un sens plus vif de sa victoire et une plus grande confiance dans l'avenir que celle-ci lui a ouvert." Ces propos du Général de LATTRE de TASSIGNY sont tout à fait révélateurs. En effet, peu de personnes ont conscience, aujourd'hui encore, du rôle notable joué, au cours de la seconde guerre mondiale, par l'Armée française reconstituée. Pourtant, sans le redressement spectaculaire de celle-ci, jamais les Alliés, plutôt mal disposés à l'égard de la France, n'auraient envisagé le retour de notre pays à son rang d'avant la débâcle. Certes, les Américains, les Soviétiques et les Britanniques ont pour l'essentiel gagné la seconde guerre mondiale, mais à l'évidence, les Français en tant que force d'appoint, ont permis d'accélérer le déroulement de certaines de ses phases: tel est notamment le cas des troupes françaises en Italie en 1944 ou des forces de la Résistance au cours des deux débarquements. Il faut aussi noter que, pendant le conflit, l'Armée française disposera d'effectifs plus réduits que ceux des principales armées alliées; ceux-ci seront malgré tout suffisants pour que, s'ajoutant à l'excellente qualité des combattants, la France bénéficie d'un instrument privilégié assurant sa renaissance. Les pertes militaires françaises sont d'ailleurs à la mesure de cette résurrection. Aux 92 000 morts de la campagne de 1939-1940, aux 24 000 F.F.I. tombés au cours des combats de la Résistance, aux 25 000 résistants morts en déportation, aux 40 000 prisonniers de guerre décédés en captivité, le plus souvent des suites d'affections pulmonaires, s'ajoutent les 57 000 soldats des Forces françaises libres, de l'Armée d'Afrique, de la 1ère Armée française, tombés de 1940 à 1945 (1). Le total de ces pertes s'élève ainsi à 238 000 hommes.

Pour le Général de GAULLE, les questions militaires sont évidemment primordiales; il sait que la France doit participer aux combats au maximum de ses possibilités, si elle veut être l'un des principaux vainqueurs et retrouver sa place dans le "club des Grands". Dans ses mémoires, Charles de GAULLE dira de l'Armée française: "Jamais encore notre pays n'a, en une si grave occasion, été réduit à des forces relativement aussi limitées.....Mais jamais non plus, son armée n'eut une qualité meilleure". A cet égard, M. André MARTEL (2) met clairement en évidence la logique profonde du "maître d'oeuvre et du metteur en scène de la Libération": " Le Général de GAULLE, conscient du rapport de forces au sein de la coalition, n'a pas fait de la Libération du territoire, l'objectif principal des forces françaises. Leur véritable mission, pour lui, était de rendre à la France, le "rang" perdu en 1940, de rebâtir sa puissance afin de la mettre en mesure à la fois de défendre ses frontières, ses valeurs et ses intérêts et de participer à l'établissement du nouvel équilibre européen... donc de franchir le Rhin. Pour ne pas subir la volonté des autres et imposer la sienne, un pays doit posséder une capacité d'action à la mesure de ses ambitions. Les armées françaises symbôle de souveraineté et instrument de puissance, peuvent seules la lui garantir."

Toutefois, si le rôle accru des forces françaises dans le déroulement des opérations contraignent peu à peu, Anglais, Américains et Soviétiques à tenir compte des intérêts de la France, cette situation ne sera pas, sur le moment, parfaitement perçue. En effet, du contraste existant entre l'image de la France vaincue en 1940 et celle de la France en ascension en 1945, naîtra un comportement souvent ambigu de la part des Alliés. Ainsi, ils admettront que les Généraux SEVEZ et de LATTRE de TASSIGNY, signent respectivement à Reims et à Berlin, l'acte de capitulation de l'Allemagne mais s'opposeront à ce que la France participe à la conférence de Yalta; toutefois, au cours de celle-ci, les Alliés lui feront une place identique à la leur sur la scène internationale, en lui reconnaissant une zone d'occupation en Allemagne et un poste de membre permanent au Conseil de Sécurité de l'O.N.U..

(1) Chronique de la 2ème guerre mondiale - Editions "Chroniques"

(2) Communication de M. André MARTEL au cours du colloque international consacré au rôle des armées françaises pendant la deuxième guerre mondiale (fondation de la défense nationale et institut d'histoire des conflits contemporains).

--------------------------------------------------------------------------------


Bien qu'en 1945, la puissance de la France ne puisse pas être mise sur le même plan que celle de ses grands alliés, il est clair que son net redressement modifie le point de vue de ceux-ci à son égard. A l'origine, "quantité négligeable", selon l'expression de ROOSEVELT (1) notre pays, que ce Président avait eu pour projet de dépecer puis plus tard de soumettre à un gouvernement militaire américain (l'AMGOT), est perçu différemment à la fin du conflit. En effet, un rapport (2) rédigé par les conseillers de TRUMAN fera apparaître " l'importance de son apport dans la phase finale des hostilités en Europe" ainsi que la nécessité de sa "participation totale aux affaires mondiales à égalité avec les autres grandes puissances". Quant à CHURCHILL, il dira clairement à Yalta, que sans la France, la Grande - Bretagne ne pourrait envisager de faire face seule à une éventuelle attaque allemande; il est vrai qu'à cette époque les Américains ne souhaitaient pas rester plus de deux ans en Europe (3).

En 1945, la situation internationale est devenue favorable à la France et constitue pour elle un atout supplémentaire. En effet, que l'on envisage le retour de l'impérialisme allemand ou l'apparition d'une menace soviétique, la France, à nouveau reconnue, est un élément indispensable à une future alliance militaire occidentale.

La cohésion retrouvée du peuple français, les efforts de la Résistance et de l'armée régulière, auront donc permis au Général de GAULLE d'infléchir les décisions des Alliés dans le sens de la prise en compte des objectifs politiques français et de réussir ainsi, la surprenante réapparition de la France dans le concert des grandes Nations. Toutefois, celle-ci intervient alors que l'Europe sort de la guerre très affaiblie. Elle est couverte de ruines et partout, la production industrielle et agricole s'est effondrée. En 1945, l'Allemagne n'existe plus, la Grande Bretagne est considérablement endettée, la France a subi d'énormes pertes matérielles.

De plus, l'emprise des états européens sur leurs territoires coloniaux est remise en cause par des mouvements nationalistes qui revendiquent l'indépendance pour les peuples dominés. Face à de tels mouvements, les principales puissances concernées, la Grande-Bretagne et la France, se révèleront incapables d'assurer la cohésion de leurs empires. Dès lors, il ne leur sera plus possible de maintenir ou de rétablir, selon le cas, leur statut de "super-grand" qu'elles devaient à leur position antérieure.

L'après-guerre sonnera le glas de la prééminence de l'Europe; ses plus grands états feront figure de puissances moyennes; la suprématie des Etats-Unis et de l'U.R.S.S. sera pour longtemps établie.

(1) ROOSEVELT et une partie notable de son entourage sont notoirement peu suspects de francophilie et surtout antigaullistes. En fait, le sort de la France leur est indifférent car elle n'entre pas dans la vision du monde quelque peu chimérique du Président américain. Celle-ci est, en effet, fondée sur une relation de confiance susceptible de persister entre les U.S.A. et l'U.R.S.S.

(2) "Les secrets des archives américaines - ni de GAULLE ni THOREZ" de M. Nerin GUN - Editions Albin Michel.

(3) "Yalta" de M. Pierre de SENARCLENS - P.U.F. Collection "Que sais-je?"

 



SOURCES COMPLEMENTAIRES



Dictionnaire de la seconde guerre mondiale-Larrousse; Histoire de la 1ère Armée française, Général de LATTRE de TASSIGNY-Plon; Histoire de l'Armée française, Général WEYGAND-Flammarion; revues d'histoire : "Historia"; "Miroir de l'Histoire", "Historama"; articles signés Maréchal JUIN, Général MONDAIN, Jacques MORDAL, Jacques ROBICHON; la deuxième guerre mondiale de John KEEGAN; la seconde guerre mondiale de Pierre MIQUEL; Chroniques du 20ème siècle-Larousse.
 



HISTOIRE LOCALE


De la période qui a suivi immédiatement la Libération du département, les témoins de l'époque ont gardé un souvenir exaltant. L'occupant défait à L'Isle-Jourdain, la joie et l'espoir faisaient battre les coeurs. Les maquisards qui sortent de l'ombre sont follement acclamés par une population enthousiaste. Avec les effigies de PETAIN et de LAVAL, on fait des autodafés.

Le dimanche 27 août 1944 a lieu à AUCH le grand défilé de la Libération devant les nouvelles autorités rangées place de l'Hôtel de Ville. Au premier rang, on reconnaît : M. VILA, président du Comité départemental de la Libération (C.D.L.), M. DECHRISTE, préfet de la Libération, Melle HACHON, chef de cabinet, M. SOURIGUERE, secrétaire général de la Préfecture, M. NUX, maire de la ville rétabli dans ses fonctions, M. l'abbé TALES, aumônier des F.F.I. Le défilé militaire est conduit par les lieutenants-colonels LESÛR et TERMIGNON. Les troupes descendent de la rue Victor-Hugo. Les uniformes sont disparates, certains éléments ont conservé leur costume civil. Il est visible que les participants n'ont pas été préparés pour cet exercice de fête que rythme à grand peine la musique des sapeurs-pompiers. La foule pour autant ne leur ménage pas ses applaudissements. Il y a des détachements des Bataillons "SIMON" (SOULES) et "PROSPER" (GIRAL), des guerilleros espagnols, drapeaux au vent, largement fêtés, des F.T.P. avec en tête le commandant "MARCEL". Le groupe représentant le Bataillon "BERTRAND" (DORBES) porte sur son drapeau cravaté de noir, le nom douloureux de Meilhan.


LE TEMPS DES F.F.I.


Ce n'est en fait qu'une mince partie du corps de bataille des F.F.I. du Gers. On estimait à l'époque entre 6000 et 7000 hommes son effectif global. Des sources officielles donnent pour plusieurs unités les chiffres suivants au 20 août 1944 :

Groupe franc d'Auch (DURAND) 256

Groupe de Jégun (PEREGORT) 70

Bataillon SIMON (C.F.L.) 564

Bataillon PROSPER (C.F.L.) 995

1/2 Brigade MILER (O.R.A.- C.F.P.) 850

Bataillon GASTON (F.T.P.) 560

Bataillon GEORGES (F.T.P.) 527



auxquels il convient d'ajouter les brigades espagnoles de l'U.N.E. 1250 (époque imprécise)


Peu après son installation, le C.D.L. a lancé un appel à la population par lequel il invite les jeunes à s'engager dans les F.F.I. Dans l'enthousiasme général, le recrutement connaît un large succès chez les "ouvriers de la 11ème heure". On assiste aussi à une floraison de galons sans que ceux-ci correspondent à un commandement précis. Mais ce ne sera qu'un intermède profitable surtout aux passementiers.

Les F.T.P., dès le 19 août ont installé leur Etat-Major au 1er étage du Café d'Etigny, place de l'Hôtel de Ville à Auch, dans les locaux abandonnés par la Milice. Ils ont des détachements dans la région de Vic-Fezensac, à Miradoux (compagnie 3203), à Fleurance.

Le Bataillon SOULES a réparti ses compagnies à Mirande (PRADIER), à Marciac (IHLEIN-LANGLOIS), à Miélan (SAHUC), à Montesquiou (RUFFAT) ; le Bataillon GIRAL à Fleurance, Lectoure, Saint-Clar, Mauvezin, Cologne, le Bataillon DORBES à l'Isle-Jourdain et Gimont. Ils occupent d'importants lieux publics. Les casernes d'Auch, Espagne et Lannes, ont également en charge des F.F.I.

Une police F.F.I. est constituée sous la dépendance directe du Chef départemental F.F.I. Elle siège rue de la Somme dans l'immeuble précédemment occupé par le Foyer du soldat allemand. Elle est à ses débuts commandée par M. TARDY, parachuté début août près de Fleurance comme instructeur des maquis. Appelé à d'autres missions, il est remplacé par le lieutenant SARRET dit "GIL" qui vient du Tarn-et-Garonne et a séjourné quelque temps à Mauvezin. Cette formation a le contrôle des militaires isolés et des groupes en armes ainsi que de la circulation automobile. Elle est en outre chargée de la répression des actes délictueux commis dans le département par les membres des F.F.I. ou des individus s'en prétendant (faux-maquis). Dès le 25 août, le commandement départemental des F.F.I. a prévu la peine de mort pour tout pillard et interdit les actions individuelles de répression.

Quelques qu'elles soient les formations ne devaient pas recruter de volontaires en application d'un ordre du 11 septembre donné par le colonel RAVANEL, commandant régional des F.F.I. de Toulouse. Le plein des troupes étant largement atteint, il était souhaitable que les jeunes se tournent désormais vers les secteurs de l'économie. Néanmoins la directive ne sera pas suivie par certaines unités, notamment celle en partance pour le front.

Nommé chef départemental après l'arrestation du capitaine TERMIGNON le 15 juillet 1944, le commandant Marcel LESÛR reste à la tête des F.F.I. du Gers. Le premier, sorti de la prison Saint-Michel de Toulouse à la suite du départ des Allemands, va présider la Cour martiale, puis le Tribunal militaire d'Auch, qui ont à connaître les cas les plus graves de la collaboration.

Au commandement de la subdivision militaire, dont le siège est inchangé 65, boulevard Sadi-Carnot et qui reprend ses attributions traditionnelles, est nommé le lieutenant-colonel MARCHAL (Jules), polytechnicien, appartenant à l'O.R.A. territoriale qui secondait LESÛR dans les opérations de la Libération. En 1941 et 1942, il était chef d'Etat-Major du commandement militaire du Gers. Il ne reste que quelques mois à la tête de la Subdivision d'Auch car en novembre 1944 le commandement passe au lieutenant-colonel LESÛR. MARCHAL est, à la suite, affecté à l'Etat-Major du général de LARMINAT, commandant en chef du front de l'Atlantique tenu en majorité par des troupes F.F.I. Il assure la liaison avec les corps alliés avant de se voir confier le commandement du 67è R.I.

Les F.F.I. du Gers ont un journal "Vaincre" dont l'ambition, outre le désir de servir de trait d'union entre les éléments F.F.I. du département, est d'aider les résistants à prendre mieux conscience des devoirs qui s'imposeront à tous les Français après la victoire. Il paraîtra 17 numéros entre le 17 septembre 1944 et le 28 janvier 1945, date à laquelle l'autorisation ministérielle est retirée. Le commandement F.F.I. s'est également doté d'une voiture radio de propagande qui parcourt le département à compter du 1er octobre. Alternant avec des marches militaires elle fait entendre la voix du lieutenant-colonel LESÛR qui appelle les populations à aider les F.F.I., l'armée nouvelle, la grande armée populaire qui se constitue et s'instruit. Il ne doit plus y avoir de séparation entre les civils et les militaires ; aussi propose-t-il le concours de la troupe pour l'accomplissement des travaux saisonniers ainsi que pour faciliter certains transports nécessaires aux habitants. Il rassure enfin ceux-ci à propos des faux-maquisards auxquels sont imputés réquisitions indues, pillages, vols à main armée et divers attentats contre les personnes ou les biens et qui se verront comparaître devant les Tribunaux militaires. Malheureusement des exactions n'ont pu être empêchées en divers lieux tout au moins jusqu'à l'instauration des tribunaux militaires.

L'Armée nouvelle ayant les F.F.I. pour noyau, ne manque pas de tenants, politiques et militaires ; elle prend corps aisément dans une région comme Toulouse qui s'est libérée par ses propres forces de la Résistance intérieure. Ses partisans, ils se réclament de CARNOT, de JAURES, ont pleinement conscience que les F.F.I. manquent de connaissances techniques et tactiques propres à une armée moderne. C'est pour pallier ces insuffisances que le lieutenant-colonel DARNAULT ex-commandant de la zone Ouest F.F.I., appartenant lui-même au corps des officiers de l'ancienne armée (Prom. Saint-Cyr 1929-1931), crée l'Ecole d'officiers F.F.I. de Lespinet à Toulouse. La 1ère session du 18 septembre 1944 réunit 120 officiers élèves en provenance de tous les départements de la région. L'éducation morale et civique y est poussée autant que l'instruction militaire. Acquise aux idées et aux méthodes de Lespinet s'ouvre dans le Gers au château de Larroque, près Gimont, une école de sous-officiers F.F.I. Elle est dirigée par le Capitaine BON (un proche dans la Résistance du chef SAHUC) qui sort de Lespinet. Elle s'adresse aux responsables des maquis qui se sont révélés aptes au commandement ainsi qu'à la jeune génération ayant participé aux actions de la Résistance. On y dispense une formation générale, un enseignement dit politique apporté par des concours extérieurs avec discussions sur les problèmes d'actualité. L'instruction militaire pour aller plus vite est abordée dans le cadre du groupe, unité élémentaire du combat. A la sortie, les élèves selon leurs qualités vont être utilisés soit pour l'encadrement des unités, soit dirigés sur les pelotons d'instruction dans le département. Le 3 décembre 1944 sort la 1ère promotion des sous-officiers F.F.I., baptisée PARISOT en souvenir du prestigieux chef du bataillon de l'Armagnac.

Il existe, d'autre part, une école de moniteurs d'éducation physique F.F.I. à Fleurance. Les stages où l'on pratique la méthode HEBERT, sans pareille pour développer les qualités physiques et morales de l'individu, durent un mois.

A Nogaro enfin, sous l'égide de Jean ARMAGNAC, fondateur en 1934 de l'Aéro-club, fonctionne une école militaire de pilotage 1er degré qui forme des pilotes destinés à l'Armée de l'Air. Du reste, un certain nombre de Gersois se sentent attirés par l'Aviation. Un bureau de recrutement est installé à la fin de l'année 1944 à la caserne Espagne. Quelques chanceux sont envoyés faire leur instruction à Agadir (Maroc).


L'AMALGAME PAR ETAPES


Les formations F.F.I. gardent quelque temps leur appartenance d'origine: C.F.L. (ex A.S.), O.R.A., F.T.P.F. Le général BERTIN, venu d'Alger, commandant des F.F.I. des zones Sud-Ouest et Centre, réclame leur amalgame qui est réalisé fin septembre. En principe toutes les formations militaires de la région de Toulouse fusionnent, de la base au sommet, en une seule armée F.F.I. avec un commandement unique tant à l'échelon départemental que régional.

Il apparait de plus en plus clairement que les F.F.I. ne vont pas garder longtemps leur individualité et leur indépendance. Le 19 septembre 1944, le général de GAULLE est venu à Toulouse. On sait qu'il a traité avec condescendance les chefs F.F.I., au point, dit-on, d'être menacé un temps d'enlèvement par certains d'entre eux!

Le 23 parait au journal officiel un décret stipulant que les F.F.I. sont partie intégrante de l'Armée et sont soumises, sous l'autorité du ministre de la Guerre aux règles générales de l'organisation et de la discipline militaires. Elles conservent toutefois leur encadrement mais un autre texte lui faisant suite relatif au statut des F.F.I. précise, d'une part, qu'aucun recrutement dans les Forces Françaises de l'Intérieur ne peut avoir lieu dans une parcelle du territoire lorsque la libération de celle-ci est accomplie et que, d'autre part, leurs membres qui ne contractent pas un engagement pour la durée de la guerre, sont placés jusqu'à l'appel de leur classe de mobilisation, en congé provisoire dans leurs foyers. Ces mesures ont pour effet de réduire considérablement les effectifs en place. Beaucoup de volontaires, en effet, ne se sentent pas en mesure de souscrire un tel engagement. Le décret, enfin, vise l'homologation des grades d'assimilation des F.F.I. par le ministre de la guerre, "compte tenu des commandements effectivement exercés et des services rendus au cours des combats pour la Libération". C'est pour le moins un coup d'arrêt dans la floraison de galons dont il a été parlé plus haut.

A titre indicatif, nous donnons ci-après les résultats des séances de la commission d'homologation des grades de sous-officiers F.F.I. des 27 et 28 février 1945, laquelle comprenait le lieutenant-colonel LESÛR, commandant de la subdivision militaire, le commandant CUGNENC (ex "HENRI" des F.T.P.) et le capitaine VILLANOVA.


Grade F.F.I./ Décision de la commission

Aspirants: 4

maintenus: 4

Adjudants -chefs: 12

maintenus: 4

reclassés adjudant: -

reclassés sergent-chef: 4

reclassés sergent: 4

Adjudants: 8

maintenus: -

reclassés sergent-chef: 5

reclassés sergent: 2

reclassé soldat: 1

Sergents-chefs: 35

maintenus: 8

reclassés sergent: 14

reclassés caporal-chef: 8

reclassés caporal: 4

reclassé soldat: 1

Sergents: 49

maintenus: 24

reclassés caporal-chef: 8

reclassés caporal: 10

reclassés soldat: 7



Nous n'avons pas de renseignements statistiques en ce qui concerne les officiers F.F.I.


Lors de son voyage officiel à Toulouse, le 16 septembre 1944, le général de GAULLE avait déclaré au commissaire de la République, Pierre BERTAUX, qu'il allait lui envoyer COLLET, le général qui en mai 1941, alors qu'il était capitaine, était passé de Syrie en Palestine à la tête de ses escadrons tcherkesses, pour rejoindre les troupes gaullistes. Effectivement, à la fin octobre 1944, le général COLLET prenait le commandement de la 17ème région militaire de Toulouse. On pouvait craindre qu'il se fasse rejeter par les chefs F.F.I. comme cela s'était produit ailleurs, parait-il. Mais ses talents de diplomate, son art du dialogue allaient permettre d'aplanir nombre de difficultés. Sous son autorité, s'accomplit la normalisation des rapports entre F.F.I. et l'Armée française telle qu'elle était conçue rue Saint-Dominique à Paris. C'est sous son autorité que fonctionnent les commissions d'homologation des grades F.F.I. Il dissout les 2ème Bureaux ou autres polices ou prévôtés militaires opérant dans la région. Il accepte, par contre, de reprendre les anciens officiers d'active restés à l'écart du maquis mais qui acceptent de se racheter au combat. Pourtant une note du lieutenant-colonel de BERMOND de VAULX, commissaire militaire de la région de Toulouse, début septembre 1944, consignait à leur domicile les anciens officiers d'active qui ne faisaient pas partie des F.F.I. et leur interdisait de revêtir la tenue militaire. Le besoin en cadres expérimentés, difficilement remplaçables en raison de leur technicité, est la raison évidente de ce changement d'attitude.


LE C.F.P. ET LE BATAILLON DE L'ARMAGNAC A LA POURSUITE DE L'ENNEMI


Alors que les formations F.F.I. n'ayant quasiment pas de formation militaire prennent des dispositions pour s'instruire dans différentes localités du département, sous l'égide d'instructeurs qualifiés, le Corps Franc POMMIES (C.F.P.) et le Bataillon de l'Armagnac ne tardent pas à reprendre le combat sous d'autres cieux. Ce sont, il est vrai, deux unités fortement structurées, bien encadrées et aguerries par les opérations du maquis. Formées dans le même creuset dans la Résistance, elle vont toutefois diverger dans leurs théâtres d'opération. Les hasards de la guerre en ont décidé ainsi.

Le C.F.P. qui a participé victorieusement aux combats de la Libération dans le Gers, les Hautes-Pyrénées, les Landes, le Tarn et Garonne est fort dans la région de Toulouse de quelque 12 000 hommes, y compris toutefois les recrues du 20 août et des jours suivants. Celles-ci remplacent d'ailleurs les éléments âgés, combattants de la Résistance, ou chargés de famille qui renoncent, le sol natal libéré, à poursuivre l'ennemi dans sa retraite.

Les nombreux Gersois engagés au C.F.P. se retrouvent à peu près dans toutes les unités constituées dès avant la Libération, avec une large prédominance pour les demi-brigades MILER, CERONI, les bataillons CASANOVA, FRANCOT, la compagnie de LA LANCE.

Suivant les directives du général KOENIG, chef national des F.F.I., le chef POMMIES a fait déplacer ses troupes sur la frontière franco-espagnole qu'elles doivent garder jusqu'à nouvel ordre. Elles exercent leur surveillance entre la côte atlantique et la région de Montréjeau, réparties d'ouest en est entre les détachements LE MAGNY, de CLERCK, de ROUGEMONT.


DES PYRENEES A AUTUN


La brigade CARNOT, ancien groupement Ouest, après avoir puissamment contribué à la libération de Mont-de-Marsan, s'est portée dans le Médoc où elle est rapidement à pied d'oeuvre.

Le départ pour les Pyrénées est donné à partir du 22 août. Quand les compagnies du C.F.P., mal équipées en véhicules de transport et retardées par les obstacles dressés sur la route pour freiner la fuite de l'ennemi, atteignent la zone frontalière, les Allemands ont déjà gagné l'Espagne, pays ami. Il sera fait quelques prisonniers, presque volontaires pour la capture et recueilli des déserteurs de l'armée franquiste.

La vallée d'Aspe fait toutefois exception. Ce couloir étroit qui donne accès à l'Espagne par le col du Somport est utilisé par la garnison allemande d'Oloron pour se sauver. Pour une raison inconnue, celle-ci a attendu le dernier moment. Aussi a-t-elle à ses trousses les guérilleros espagnols, débouchant de la montagne, des éléments du C.F.P. (détachement de CLERCK), appuyés par les résistants locaux. Les Allemands, au nombre d'environ 150, le 23 août, se sont retranchés à Bédous. Mais craignant l'encerclement, ils reprennent leur marche vers la frontière, décidés à forcer le passage tenu par les guérilleros espagnols qui à leur débouché engagent le combat, sans toutefois réussir à les empêcher de passer. L'ennemi est rejoint par MILER et ses hommes qui poussent au maximum leurs véhicules au pont de Sebers, pas très loin du Fort du Portalet où les Allemands comptent se réfugier. Une nouvelle fois, le combat est engagé au fusil mitrailleur. La compagnie MARATIER parvient à déborder par la montagne la colonne ennemie et à mettre hors d'usage ses véhicules. Après une heure de combat, les Allemands agitent le drapeau blanc; ils sont désarmés à la suite. Le lieutenant LEFEBVRE d'Auch, qui faisait partie des premiers éléments arrivés au pont de Sebers, a été tué au cours de cet engagement du 24 août 1944. Le chef POMMIES ne saurait toutefois se satisfaire d'une mission de contrôle de la frontière, au demeurant fort paisible, dans un pays particulièrement agréable. Il a été invité le 31 août à une conférence de responsables militaires, tenue par CHEVANCE-BERTIN qui arrive d'Alger. Le Gouvernement provisoire de la République française lui a donné le commandement des F.F.I. de la zone sud qu'il va exercer avec le grade de général de brigade. Sa mission est de mettre sur pied de fortes unités prêtes à l'emploi en provenance des F.F.I. Celles-ci, en effet, prolifèrent dans les régions nouvellement libérées. Toulouse ne fait pas exception. Le colonel DARNAULT parle de 50 000 rationnaires dans l'ancienne R4. C'est ainsi que se constitue le 1er septembre un groupement mobile F.F.I. ayant à sa tête le colonel SCHNEIDER, officier qui accompagnait BERTIN lors de son arrivée dans la capitale languedocienne. Cette grosse unité, qui a le mérite de "décongestionner" la région, doit se porter vers le Nord le plus rapidement possible afin d'intervenir sur les flancs ou les arrières des colonnes allemandes du Sud-Ouest et du Centre, en marche depuis une dizaine de jours. Cette manoeuvre a pour objectif de permettre l'encerclement de l'ennemi entre les armées alliées du Nord-Ouest et l'armée de LATTRE remontant la vallée du Rhône. POMMIES met 3800 hommes à la disposition du Groupement mobile. Il fait revenir des Pyrénées une partie de ses troupes. Avec d'autres formations qui viennent du Tarn, du Lot (F.T.P.), du Tarn-et-Garonne est formée la colonne R4, ou colonne F.F.I. Toulouse ou encore colonne REDON-DURENQUE du nom de son chef, forte de 7450 hommes. Elle défile le 3 septembre dans la ville rose. Elle est haranguée notamment par le colonel RAVANEL au stade E. WALLON.

Le lendemain, la demi-brigade CERONI, soit 800 volontaires prend la première le départ. C'est par la route, grâce à ses 70 véhicules en relatif bon état de marche qu'elle se portera dans la région de Clermont-Ferrand où elle doit assurer, selon les prévisions de l'heure, la protection du débarquement des gros de la colonne transportés par fer. Elle franchit en 3 étapes 400 kms à travers le Massif-Central pourvoyant elle-même à son ravitaillement en vivres et en carburant, un voyage mémorable pour ceux qui en étaient.

La brigade POMMIES (changement de dénomination car la colonne R4 est devenue 1ère Division Légère de Toulouse ou 1ère D.L.T.) embarque, à la suite, les 5 et 6 septembre aux gares de Saint-Cyprien et Raynal. Il ne faut pas moins de 10 rames de chemin de fer pour charger personnels et matériels. Compte tenu des destructions, certains itinéraires doivent être détournés. Les cheminots mettent tout leur coeur à faciliter le transport des troupes. Les trains de la Division sont poussés jusqu'à Varennes-sur-Allier et Lapalisse au Sud de Moulins que les Allemands ont évacué depuis peu. Ces gares disposent, en effet, de quais en bout, nécessaires à l'enlèvement des véhicules. Le débarquement s'opère du 7 au 9 septembre, au milieu d'une grande animation. A noter que des hommes ont été perdus en cours de route, voire des sections entières...

Pour sa part, le chef de la Brigade a fait le voyage en avion, un appareil construit de bric et de broc par la Résistance d'Aire-sur-Adour (lieutenant Charles PECASTAING). Il installe son P.C. à Digoin (Saône-et-Loire).

Dans la journée du 7 commence la manoeuvre du C.F.P., motorisée dans toute la mesure de ses moyens, sur Autun qui est à 120 km du point de débarquement. Lors de la traversée des localités, les jeunes filles se précipitent avec des fleurs, croyant avoir affaire aux Américains... Les avant gardes sont au contact de l'ennemi au carrefour de Fontaine-la-Mère (14 km au Sud-Ouest d'Autun) dans la soirée du 7. C'est une colonne allemande, des soldats à pied ou à bicyclette et de nombreuses voitures hippomobiles. Le feu déclenché trop tôt par des éléments embusqués, met la colonne en alerte qui réussit à passer au prix de quelques pertes.

Les ordres supérieurs confirment bien qu'Autun est l'enjeu des opérations de la 1ère Division Légère de Toulouse. La tactique à appliquer est toujours celle de la guérilla : démoraliser l'adversaire par un harcèlement continu de ses éléments isolés. Dans le chapitre "Histoire générale", il a été indiqué que le général de LATTRE, pour protéger le flanc gauche de son armée, avait envoyé vers Autun un détachement comprenant entre autres le 2ème Dragons. La jonction avec les éléments de la brigade POMMIES, à l'Est du Groupement SCHNEIDER, était donc prévisible. Le hasard a voulu que dans la soirée du 7 septembre, à Digoin, le chef POMMIES tombe nez à nez avec le commandant de NEUCHEZE qui avec ses "tanks-destroyers"(T.D.) vient d'arriver à Paray-le-Monial. Les deux hommes ne s'étaient pas revus depuis juin 1943, époque où de NEUCHEZE avait dû quitter le commandement du Groupement Centre de l'organisation clandestine du C.F.P. Le lendemain à Etang-sur-Arroux, dans la ville en effervescence ce sont les mêmes retrouvailles, aussi émouvantes, avec le chef de compagnie GRATTARD, ancien du 2ème Dragons et collaborateur direct de de NEUCHEZE dans la mise sur pied de la Résistance armée. Leur séparation date du jour où de NEUCHEZE prenait à Toulouse l'étendard du régiment pour lui faire traverser la Méditerranée.

Le chef de corps du 2ème Dragons, le lieutenant-colonel DEMETZ a pour mission de s'emparer d'Autun, carrefour de routes importantes, afin d'empêcher le passage des colonnes allemandes du Sud-Ouest en retraite. Il dispose de 3 escadrons de T.D., de fusiliers marins, d'un bataillon de Légion Etrangère ainsi que d'unités F.F.I. Toutefois, l'investissement de la vieille cité romaine ne peut faire oublier la menace que constituent les colonnes en mouvement. En fait, l'ennemi, rendu agressif par ses propres enjeux, est partout : sur les routes qu'il cherche à dégager, dans les bois, les fermes où il se dissimule, dans les cultures. Il n'y a pas de ligne de feu, amis et ennemis s'emmêlent et sont le plus souvent sans liaison avec l'échelon supérieur. Plus que la pression sur Autun, le blocage des voies d'accès est difficile et coûteuse. Les carrefours de Fontaine-la-Mère, des Quatre-Vents, du Mousseau sur la route de Luzy qu'emprunte la colonne BAUER sont le théâtre de combats sans merci. Les automitrailleuses des pelotons de reconnaissance, les "tanks destroyers" (T.D.) doivent intervenir à diverses reprises pour dégager les compagnies F.F.I. prises sous le feu violent de l'ennemi. DEMETZ dans l'après-midi du 8 fait entrer en action sa réserve au carrefour de Fontaine-la-Mère où a pris position la compagnie GRATTARD. Celle-ci tient toute la nuit alors que les chars se sont repliés. Le lendemain matin, le chef d'escadron de NEUCHEZE prend à son compte une nouvelle intervention au même carrefour. Il est accompagné de GRATTARD et d'éléments de sa compagnie ainsi que de la compagnie SEHET. Le choc avec l'ennemi est particulièrement brutal. De NEUCHEZE, après le conducteur de son char, est tué. Le chef GRATTARD prend le commandement. Il est lui-même blessé ; SEHET tombe à son tour mortellement atteint. Les chars, à ce moment-là, sur ordre radio se replient, laissant une section C.F.P. "en l'air". A la demande pressante du commandant MILER ancien lui aussi du 2ème Dragons d'Auch, les chars reviennent, permettant aux F.F.I. de se tirer d'affaires. Pour le colonel DEMETZ, sa mission est terminée car Autun est vide d'Allemands, la majeure partie de la garnison étant partie dans la nuit. Aussi regroupe-t-il ses chars pour faire mouvement vers le Nord. Mais un ordre du 2ème C.A., sollicité par le colonel SCHNEIDER le fait revenir dans la bataille. En effet, la colonne BAUER n'a jusqu'à présent engagé que son avant-garde. Le gros est toujours sur la route Luzy-Autun et menace cette dernière. Un bataillon de la Légion Etrangère, un groupe d'Artillerie tiennent les abords de la ville. Quand la colonne allemande se présente, elle est accueillie par un feu infernal, auquel se sont joints les chars, qui la taillent en pièces. BAUER présente, sa capitulation vers quatorze heures. Sa troupe, 3500 hommes, est épuisée. Elle se rend au milieu d'une quantité impressionnante de morts et de blessés, gisant auprès des carcasses de toute sorte et de chevaux éventrés. Pour sa part, le C.F.P. a fait 850 prisonniers. Une citation à l'ordre du corps d'armée lui est décernée pour son action courageuse dans la bataille d'Autun. Les bataillons BARTHE, DANGOUMAU de la demi-brigade MILER, le bataillon FRANCOT, la demi-brigade CERONI, les bataillons du Lot ont apporté leur contribution, soit en soutien d'infanterie pour les chars du 2ème Dragons, soit par leur harcèlement de l'ennemi sur ses itinéraires. Une mention spéciale pour la compagnie de FUMEL du bataillon FRANCOT, qui participant à l'investissement d'Autun a été une des premières à entrer dans la ville au matin du 9 septembre.

Plusieurs Gersois sont tombés au cours de la bataille d'Autun : le commandant de compagnie Germain BOMAIN (Monferran-Plavès), Daniel CRISTOL (Crastes), Robert LAPORTE d'Auch, Paul GARETTA (Vic-Fezensac). Alors que le 8 septembre, elle approchait de la commune d'Etang-sur-Arroux, la section des engins de la compagnie GRATTARD subit le feu d'avions alliés qui s'aperçoivent trop tard de leur méprise. Le sergent Edmond PALLARES (Vic-Fezensac), le chasseur Jean DOMERC (Bassoues) sont tués. Au 2ème Dragons est tombé le brigadier chef Gabriel LABADENS de Saint-Martin-Gimois.


LES VOSGES, L'ALSACE AVEC LA 1ère ARMEE FRANCAISE


L'affaire d'Autun réglée, le "groupement " POMMIES, d'ordre du général de LATTRE de TASSIGNY, est mis à la disposition du 2ème Corps d'armée. C'est l'occasion pour son chef de rompre avec le groupement F.F.I. de SCHNEIDER pour entrer de plain pied dans la 1ère Armée Française. Le 12 septembre, il reçoit à son P.C. de Saulieu (Côte-d'Or) le général de MONSABERT. Le commandant du 2ème C.A. lui indique qu'il doit le lendemain faire mouvement sur Dijon. Là, il doit se réorganiser, s'habiller et s'instruire. Le général de LATTRE vient également au P.C. POMMIES. Il fait alors connaître son point de vue sur l'utilisation des forces F.F.I. qui voudront bien se mettre sous ses ordres. Le surlendemain de la réception, un détachement du C.F.P. est mis à la disposition de la 1ère D.B. pour participer aux opérations militaires dans le secteur des Vosges, région de Servance-Le-Thillot. Pendant tout le mois d'octobre, les unités du Corps Franc monteront en ligne ou dans leurs cantonnements de la Haute-Saône, parachèveront leur instruction militaire.

Dans des conditions matérielles extrêmement défavorables, elles attaquent et manoeuvrent l'adversaire, l'une après l'autre sans répit, lui causant des pertes sensibles. Elles occupent successivement Melay, Fermay, Saint-Hilaire, Servance, Miélin (N.E. de la Haute-Saône), puis les cols du Drumont et du Tholy. Elles attaquent aux Grands-Champs, à la Pile, mènent des actions défensives dans la région de Ferdrupt et de la Tête du Géant. Cependant, le combat de l'Etraye (2 km au N.O. du Thillot), livré par des éléments du Bataillon FRANCOT, le 14 octobre, coûte cher aux attaquants. Y sont tués, Armand FIDANZA (Saint-Mézard), Jean TOURISSEAU (Saint-Clar), Guy DECAMPS (Samatan), Jean CHARLAS, rescapé du maquis de Meilhan.

Le 20 octobre, le C.F.P. passe en réserve générale de l'Armée, ce qui lui permet de se réorganiser. Il devient alors régiment avec un effectif de 412 hommes ayant effectivement signé un engagement pour la durée de la guerre. Des sections, voire des compagnies entières ont choisi de rentrer dans leurs foyers. Le nouveau corps comprend 1 groupe de commandos, 3 bataillons de choc, 1 compagnie antichars, 1 compagnie de canons et 1 compagnie de transport. Il remonte en ligne le 11 novembre pour participer aux combats qui sont en cours sur le front des Vosges, rattaché à la 1ère brigade de la 1ère D.F.L. Il lui est dévolu le sous-secteur de Château-Lambert, point crucial du dispositif. On se bat dans la neige et dans la boue alors que l'ennemi n'a rien perdu de son mordant. Dans les jours qui suivent, il occupe le Thillot, Fresse, la Hutte, le Plein du Repos, malgré les violentes réactions allemandes. Le 29 novembre, il s'empare par surprise du sommet du Drumont réalisant le premier la percée du dispositif ennemi sur la crête des Vosges. Après avoir libéré Oderen et Fellering, il s'organise défensivement sur un front de 5 km à l'Est de Kruth (Alsace) qu'il va tenir durant 2 mois pleins, tout en vérifiant quotidiennement le contact.

Utilisant la route des Crêtes, avec des canons automoteurs, l'adversaire se livre journellement à des tirs de harcèlement causant des pertes dans les rangs du corps franc. D'autre part, ses patrouilles se montrent particulièrement agressives. Le 4 février 1945, des indices de repli ayant été observés, les dispositions sont prises en vue de conserver le contact. La progression reprend dans la neige, à travers les mines (18 blessés) et la route des Crêtes est atteinte. Le lendemain, au cours d'un raid audacieux de 14 heures dans la montagne fortement enneigée, le régiment réalise à Linthal la liaison avec les troupes françaises descendant la plaine d'Alsace. Après un nouveau regroupement dans la région de Saulxures, Cornimont, puis dans la région de Strasbourg, il prend à son compte le matériel moderne américain du 7ème R.T.A.

Le 10 février 1945, le C.F.P. est devenu 49ème R.I., le régiment de Bayonne. Après les noms prestigieux de la Grande Guerre, il portera "Languedoc-Pyrénées-Résistance 1944" - "Stuttgart 1945". Pour quelque temps, le régiment s'installe défensivement le long du Rhin, à hauteur de Haguenau. L'ennemi continue à se montrer actif, par ses patrouilles, le tir des armes automatiques et son artillerie.


DE STUTTGART A BERLIN


Le 1er avril, le régiment pénètre en Allemagne pour y rejoindre le gros de la 3ème D.I.A. à laquelle il est affecté depuis le 22 novembre ; ses bataillons franchissent le Rhin à Spire et à Mannheim par le pont des Américains. Il est engagé sur un axe Stettfeld-Odemheim. De nombreuses localités allemandes tombent entre ses mains ; les plus durs combats ont lieu à Eppingen, à Cleebronn et à Walheim dans le Pays de Bade. Il est fait plusieurs centaines de prisonniers.

Au cours de son avance, les démineurs de la section CHOUNET, opérant en tête, découvrent le camp de déportés de Vaihingen-sur-Enz qui était un kommando de Natzweiler/Struthof, puis de Dachau. Il restait une centaine de déportés surtout français, très mal en point, qui purent ainsi être sauvés d'une mort certaine.

A compter du 10 avril, le 49ème s'installe sur des positions défensives le long de la rivière l'Enz. Il tient alors un front de 25 km. Dans cette situation délicate, il se doit de tromper l'ennemi pour fixer des effectifs largement supérieurs aux siens. L'objectif final est Stuttgart, capitale du Wurtemberg. Le régiment lui fait face à son nord-ouest. La ville est protégée par une ligne continue de feux. L'artillerie et les tirs de "minen" sont cause de lourdes pertes. Toutefois, au soir du 20 avril, les chasseurs de l'ancien C.F.P. sont en vue de Stuttgart. Ils entrent dans la ville le lendemain, brisant les résistances de l'ennemi qui a accumulé les mines, les destructions et les abattis. Le nettoyage de la ville permet de faire encore de nombreux prisonniers. C'est à Stuttgart que le régiment apprend le 8 mai, la signature de l'armistice.

De nombreux défilés ponctuent l'occupation en Allemagne; la musique du 49ème, une des meilleures de la 1ère armée, est de toutes les parades. Elle a du panser ses plaies après le coup au but tiré des arrières allemands alors que les musiciens répètent à l'hôtel de ville de Kleinsachsenheim. On a relevé 3 morts et un certain nombre de blessés par éclats de 88.

Des éléments du 49ème R.I. participent au défilé à Paris pour l'anniversaire de l'appel du 18 juin.

Le 12 juin a lieu le départ des premiers volontaires pour l'Indochine.

En juillet, le régiment cède à contre-coeur Stuttgart, son titre de gloire, aux Américains. Il s'installe alors dans le Palatinat, zone qui lui est dévolue, autour de Neustadt. Le colonel POMMIES est à la tête d'un détachement qui participe à Berlin, le 7 septembre 1945, à la grande prise d'armes de la Victoire. A la fin de ce mois, le 49ème s'installe dans la zone française de l'ex-capitale du Reich.

La vie en occupation est somme toute assez monotone en dépit des contacts de moins en moins ténus qui s'établissent avec la population. Aussi, la grande majorité des hommes ne pense qu'à la démobilisation. Celle-ci ne sera pas un coup d'éclat. Elle s'effectuera lentement, selon un processus consacré, avec passage obligé à Saverne (Bas-Rhin), pour y changer l'uniforme contre des habits civils, en fait des défroques. Ridiculement vêtue, la nouvelle troupe prend plaisir à défiler ainsi dans les rues de la ville alsacienne. Il en sera de même à l'arrivée à Toulouse. Les journaux locaux ne manquent pas de relever l'incident.

Le colonel POMMIES fait le 10 mars 1946 ses adieux au 49ème RI au cours d'une émouvante prise d'armes sur la Mullerstrasse à Berlin. Le régiment est dissous en 1949 mais en avril 1956 un 49ème Bataillon d'Infanterie est créé qui reprend la tradition et part en Algérie. Il est dissout en 1962.


LE BATAILLON DE L'ARMAGNAC PERD SON CHEF


Le lendemain de la reddition allemande à l'Isle-Jourdain, le bataillon de l'Armagnac fait mouvement sur Toulouse avec une étape à Ausonne. Elle forme un convoi impressionnant d'une centaine de véhicules. Le colonel anglais STARR ("HILAIRE") et les missions alliées l'accompagnent. Les "Armagnacs" sont ovationnés par la population toulousaine, comme ils le seront les jours suivants dans les villes traversées. La troupe s'installe provisoirement à la caserne NIEL. Elle est alors habillée de pied en cap, au moyen des collections d'uniformes neufs, la tenue modèle 1941, stockées à bon escient depuis de longs mois par l'intendant Christian CARDIN. Le 24 août, le colonel VERNANT "BERTHIER" chef départemental F.F.I. de la Haute-Garonne, demande au chef PARISOT d'entreprendre une reconnaissance dans la région du Languedoc que hanteraient encore des éléments ennemis chassés des Pyrénées. L'unité, forte de 800 hommes, fait mouvement le lendemain. Des patrouilles motorisées sont lancées vers Castelnaudary, Auterive, Revel, Caraman. Les villes de Béziers, Carcassonne, Lézignan, Narbonne, sont atteintes sans coup férir. La liaison est établie avec des groupes locaux F.F.I. Il est fait quelques prisonniers et du matériel est récupéré dont un char d'assaut pris à Castelnaudary. Une nouvelle mission de nettoyage conduit le bataillon au Nord de la N.113, vers Saint-Chinian, Bédarieux, tandis que les représentants alliés s'informent de la situation à Montpellier, Sète, Port-Vendres. Sa mission s'arrêtant là, le bataillon de l'Armagnac regagne Toulouse et la caserne NIEL. Il reçoit alors du Lot-et-Garonne un important détachement de Casteljaloux conduit par le capitaine LAMBRET et provenant de l'ex-chantier de la jeunesse, groupement N°47, l'Ecole navale de Clairac, ainsi que des groupes C.F.L. de la Haute-Garonne. L'effectif atteint le chiffre considérable de 1800 hommes ce qui va lui valoir l'appellation de Demi-Brigade.

A Toulouse, le D.M.R. de la R4 (Délégué Militaire Régional) qui est le délégué du Commandement français de Londres, SCHLUMBERGER, suite à la sollicitation de son homologue de la Région B, demande au Bataillon de l'Armagnac de se porter dans la région bordelaise afin de la protéger des forces allemandes repliées dans le Médoc et autour de Royan.

Un drame terrible se produit à ce moment-là. Dans la nuit du 5 au 6 septembre, sur le terrain militaire de Francazal, plusieurs opérations aériennes doivent avoir lieu : parachutage de matériel divers, de munitions à réceptionner par le bataillon, atterrissage d'agents avec reprise d'autres regagnant l'Angleterre. Le colonel RAVANEL a désigné Maurice PARISOT pour veiller à la sécurité du terrain dont est chargée sa 4ème compagnie. Il est un peu plus de minuit quand un premier HUDSON atterrit, suivi d'un parachutage de 24 containers. Un second HUDSON se prépare à atterrir mais prend la piste à l'envers, sans prendre le soin d'effectuer le tour règlementaire. Malgré le signal d'interdiction lancé par l'officier responsable de l'opération, l'avion atterrit à l'endroit où il aurait dû s'arrêter, c'est-à-dire sur le groupe qui l'attend. Le capitaine PARISOT, la nuque brisée par l'hélice, le lieutenant AUSTRUIT du S.A.P. sont tués. Les corps sont transportés à la caserne NIEL où une chapelle ardente est dressée pour les recevoir. Dans la journée, une prise d'armes a lieu en leur honneur dans la vaste cour du quartier avec la participation de l'ensemble des compagnies et en présence des missions alliées. Promu lieutenant-colonel à titre posthume, le vénéré chef du bataillon de l'Armagnac est fait chevalier de la Légion d'Honneur accompagnée d'une citation à l'ordre de l'Armée. L'ordre de l'Empire britannique lui est décerné par le colonel STARR.

Le lendemain 7 septembre, se déroule à Auch la cérémonie officielle de ses obsèques, organisée par le C.D.L. et la nouvelle municipalité. Une foule innombrable, rendue muette par la consternation, y assiste. Les personnalités civiles et religieuses, les chefs militaires, les officiers alliés conduits par le colonel STARR et le major américain FULLER présentent tour à tour leurs condoléances à Madame PARISOT et à sa famille. Dans la soirée, l'inhumation a lieu au petit cimetière de Saint-Go, dans la commune de Bouzon-Gellenave, tout proche du domaine que Maurice PARISOT mettait en valeur tout en oeuvrant pour la Résistance.


SUR LE FRONT DE L'OUEST

Officier le plus ancien dans le grade le plus élevé, le capitaine Henri MONNET prend dès lors le commandement de la puissante formation avec le grade de lieutenant-colonel. Son état-major aura la composition suivante:

Chef d'état-major: commandant CELERIER de SANOY, également chef du 3ème bureau,

1er bureau: capitaine Robert BLOCH

2ème bureau: capitaine de corvette Lucien FOURNIER

Secrétaire général: capitaine Jean GAVE

Intendance: capitaine Léon MALANDAIN

Service chargé du transport: capitaine Abel SEMPE

Service de santé: médecin-capitaine Jean DEYRIES


Le samedi 9 septembre, le commandant FOURNIER, accompagné d'un détachement précurseur, arrive à Bordeaux et prend contact avec le commandement F.F.I. Ce dernier manifeste peu d'enthousiasme à l'idée de recevoir une formation aussi importante qui de surcroît vient de Toulouse, en proie, disait-on, à la révolution... FOURNIER obtient néanmoins un gîte d'étape à l'école de santé navale. Il fait prévenir son chef MONNET, en attente à Langon, des difficultés qui se font jour. Toutefois, l'ordre de départ est donné et les camions de troupe pénétrent dans la ville dans la nuit et la journée du lendemain. Le 10 et 11 novembre, les Allemands qui tiennent le triangle du Verdon donnent des signes de nervosité. Le colonel DRUILHE, commandant d'armes, craint une attaque sur Bordeaux. Ses préventions contre les nouveaux venus cessent; il est alors tout aise de pouvoir compter sur ces renforts. Les premières compagnies se mettent en place suivant un plan de défense rapprochée de Bordeaux. La demi-brigade est répartie en 3 sous-quartiers:


1) Fusiliers marins de l'école navale; commandant BAUSSEAN, P.C. à Blanquefort.

2) 1ère, 2ème, 3ème compagnies, 1/2 compagnie d'engins; commandant CAPIN, P.C. à Eysines.

3) 3ème, 4ème, 5ème, 6ème compagnies, 1/2 compagnie d'engins, commandant Messin, P.C. à Mérignac.


Il y a un troisième bataillon ( 7ème, 8ème, et 9ème compagnies ) en réserve, aux ordres du commandant LAMBRET.

La bonne tenue, la discipline des "Armagnacs" impressionnent la population. Les groupes F.F.I. locaux et les milices patriotiques n'ont plus lieu d'exister dans la zone d'action de la demi-brigade.

Le 17 septembre, c'est la venue du général de GAULLE à Bordeaux. Le colonel MONNET lui rend les honneurs avec la 1ère compagnie à l'aérodrome de Mérignac. La demi-brigade fournit également un détachement à la présentation des troupes, cours de l'intendance.

Un nouveau théâtre d'opérations attend la demi-brigade. Le 30 septembre, elle se porte en Charente-Maritime, face à la presqu'île d'Arvert et l'île d'Oléron, un créneau que lui a attribué le colonel ADELINE, commandant les Forces Françaises du Sud-Ouest (F.F.S.O.) à Saintes. Le P.C. et ses services sont à Port d'Envaux; le 2ème bataillon occupe une seconde ligne, le 3ème bataillon est en réserve.

La préoccupation du commandement des F.F.S.O. est d'empêcher la jonction des forces allemandes installées dans la "poche" de Royan avec celles de La Rochelle, estimées à 25 000 hommes.

L'activité de la troupe se borne à renforcer les avants-postes, à patrouiller aux abords de la Seudre. L'artillerie, les armes automatiques font toujours des blessés et des morts. Le 10 décembre, une patrouille du corps-franc marin Armagnac dans l'île d'Oléron, fait des prisonniers dont l'interprète de la Kommandantur de Saint-Trojan. Le 15, le même corps franc enlève et ramène 7 soldats F.F.I. prisonniers des Allemands. Le 22 décembre, une patrouille de 11 hommes attaque un poste ennemi à Coux, sur la Seudre, 4 Allemands sont tués.

En octobre, l'obligation pour les volontaires de signer un engagement pour la durée de la guerre a eu pour effet de réduire notablement les effectifs. Les raisons étaient diverses: familiales, professionnelles, parfois de santé. L'administration, de son côté, avait rappelé certains fonctionnaires. On compta quelque 300 départs, compensés par un apport F.F.I. de la Dordogne.

Cependant, le secteur tenu par la demi-brigade avait considérablement augmenté, au delà de Marennes jusqu'au Port-des-Basques. Des renforts étaient nécessaires. Ils furent demandés au général COLLET, commandant la 17ème région militaire.


LE 1er REGIMENT DU GERS MONTE EN LIGNE


Il a été dit plus haut que les éléments F.F.I. n'appartenant pas au corps franc POMMIES ou au bataillon de l'Armagnac mais décidés à se battre, étaient à pied d'oeuvre pour recevoir la formation militaire qui leur manquait. Ces nouvelles forces, au moral élevé, vont constituer pour commencer le 1er régiment du Gers, créé officiellemment le 13 octobre 1944. Le lieutenant-colonel

TERMIGNON en prend le commandement avec pour adjoints les commandants DORBES et HOLGAN. Il s'articule en 3 bataillons:

Bataillon "R" (en souvenir de son premier chef le Docteur RAYNAUD, tué à Meilhan) commandé par le capitaine LUSSIA-BERDOU, comprend les compagnies GALAN, LAROSE, CORNILLEAU "DOMINIQUE", stationne quartier Espagne à Auch.

Bataillon "GEORGES", commandé par le commandant Georges MOUDENS (ex-F.T.P.), comprend les compagnies CAZES, ILHEIN "LANGLOIS", SERIN, stationne à l'Isle-Jourdain.

Bataillon TRIPET, commandé par le capitaine TRIPET, comprend les compagnies COUSTHAM, HAUSBERGER, JEAN-PAUL, DUPUY, BRUNET, VINCENT, stationne à Condom.

L'instruction se poursuit sous le contrôle du chef de corps qui visite périodiquement les unités. Fin octobre, le régiment est en alerte. Il s'agirait de se porter dans la région de Dax (Landes) pour barrer la route à des forces allemandes échappées de la Pointe de Grave. Les bataillons "R" et "GEORGES" sont sur pied de guerre; finalement, ils n'ont pas à bouger.

Lors des cérémonies commémoratives du 11 novembre à Auch, le 1er régiment du Gers reçoit son drapeau des mains du colonel LESÛR et le bataillon "R" un fanion offert par les Alsaciens-Lorrains.

Le 21 novembre l'ordre lui est donné de se préparer à partir. Les permissionnaires sont rappelés ainsi que les démobilisés après le 25 septembre. La formation doit se donner en peu de temps une nouvelle structure, exigée par le commandement de la 17ème région militaire. Ainsi, est mis sur pied un détachement de 867 hommes, constituant un bataillon dit type "Atlantique". Vu le faible délai imparti, une grande fébrilité règne dans les cantonnements. Une compagnie d'engins (capitaine d'ANTRAS) entre dans la composition du nouveau bataillon tandis que d'autres compagnies cessent d'exister. L'appellation 1er régiment du Gers demeure néanmoins et il est toujours commandé par le lieutenant-colonel TERMIGNON qui a pour adjoints DORBES et LUSSIA-BERDOU. Le commandant MOUDENS fait également partie de l'état-major. On retrouve les compagnies GALAN, CORNILLEAU, ILHEIN, d'ANTRAS. Le samedi 25 novembre, en fin de matinée, la troupe défile dans la basse ville d'Auch. La population est nombreuse pour l'accompagner à la gare. Mais ce n'est plus l'enthousiasme du mois d'août, certains chroniqueurs le constatent amèrement. Un détachement du 2ème régiment du Gers, créé à la suite du 1er, avec pour chef le lieutenant-colonel SOULES, rend les honneurs sur le quai. Le détachement "GEORGES" embarqué à l'Isle-Jourdain, rejoint à Toulouse-Raynal. Le voyage est marqué par de nombreux arrêts dûs à l'état du réseau, notamment à Brive. Le débarquement s'opère dans la nuit du 26 au 27 en gare de Pisany (Charente-Maritime). Le colonel MONNET, commandant la demi-brigade de l'Armagnac, accueille les nouveaux venus, tout en mettant à leur disposition ses véhicules pour rejoindre les cantonnements prévus: Saint-Saturnin, Port d'Envaux, le Peux, Saint-James. Le colonel TERMIGNON prend le surlendemain ses ordres chez le général de LARMINAT et le 2 décembre, le bataillon du 1er régiment du Gers prend la relève d'un bataillon de la demi-brigade. La compagnie LANGLOIS est installée aux avant-postes. Les hommes s'emploient à aménager et à consolider les abris. Le colonel LESÛR visite le front le 6 décembre; il a conféré avec les colonels MONNET et TERMIGNON. L'envoi d'un 2ème bataillon gersois est dans l'air mais s'avère par la suite difficilement réalisable. Cependant à la mi-décembre, un protocole d'accord est établi entre le colonel MONNET et son homologue TERMIGNON qui prévoit la constitution d'un régiment dans lequel seraient intégrées les 2 formations. Ce sera le régiment PARISOT, comprenant 3 bataillons type Atlantique, une batterie d'artillerie et une forte compagnie d'engins. Le colonel TERMIGNON se rend à Auch le 18 décembre, pour régler les problèmes liés à la future organisation. Le Bataillon "R" devient le 3ème bataillon commandé par DORBES qui conserve ses hommes et commandants de compagnie. Le colonel MONNET est chef de corps tandis que TERMIGNON devient son adjoint. L'abbé TALES, naguère aumônier des F.F.I. du Gers, rejoint le front de l'Atlantique et prend en main le service social. Comme tous les F.F.I. et peut-être davantage sur le front de l'Ouest, les hommes sont mal équipés en vêtements et en chaussures. Aux avant-postes et dans les cheminements, on patauge dans la boue. Le 10 décembre, un colonel américain vient en inspection, accompagné de ses officiers; une section de la compagnie GALAN leur rend les honneurs. Beaucoup d'hommes sont en sabots. Les Alliés s'étonnent que dans un tel état de dénuement, ils soient chargés d'une mission de sûreté, pourtant essentielle. Mais leur commisération est sans conséquences pratiques. Plus efficace est la visite un peu plus tard du colonel anglais Georges STARR qui fait obtenir aux volontaires du lieutenant-colonel TERMIGNON des collections d'uniformes "tommies". Ces dernières n'arriveront toutefois qu'à la fin janvier 1945. Si l'hiver est moins rigoureux sur l'Atlantique que sur le front d'Alsace, propice aux gelures, on notera que le 11 janvier 1945, il neigea sur la Saintonge, ce qui n'arrive dit-on que tous les 10 ans.

Pour venir en aide spécialement aux volontaires de l'Ouest ainsi qu'aux blessés et malades de l'hôpital d'Auch, une association s'est créée à Auch, "les amies du front", ayant des ramifications dans tout le département. Conduites par Madame TERMIGNON, ces généreuses dames se présentent le jour de la Noël 1944 avec un chargement de 500 colis individuels, de diverses denrées alimentaires, de couvertures, pull-overs, chaussettes et 120 bouteilles d'armagnac collectées dans la région de Valence-sur-Baïse. La troupe est en liesse. D'autre part, depuis le 13 décembre un tour de permission est établi, permettant à 10% de l'effectif de passer quelques jours en famille.

Il est vrai que le secteur est relativement calme. Les activités de patrouille, particulièrement pénibles dans les marécages bordant la Seudre, occupent à peu près tout l'hiver. On ne saurait pour autant négliger les harcèlements quasi journaliers par l'artillerie adverse des postes avancés, sans trop de dégâts toutefois. Les hommes s'habituent, qui ont fini par acquérir les réflexes voulus. Du 3 au 15 février 1945 notamment, on assiste à des duels d'artillerie de part et d'autre de la Seudre. L'observatoire installé en haut du clocher de Marennes est pour l'ennemi une cible de choix. Les infiltrations allemandes dans les lignes amies sont toujours redoutées, voire un débarquement en force. Une opération de cet ordre a lieu le 19 janvier. Montés sur des barques, une centaine de soldats allemands ont tenté de traverser la Seudre afin de neutraliser les avant-postes. Mais ils ont été arrêtés par les armes lourdes. Les Gersois sont par ailleurs témoins du pilonnage par l'aviation alliée de Royan, en particulier celui du 15 janvier 1945, qui fait de très nombreuses victimes civiles. Les médecins et les moyens de transport du régiment PARISOT sont mis, à la faveur d'une trêve, à la disposition de la population pour les soins à donner aux blessés et l'évacuation des sans-abri.


DES GASCONS REFONT LE 158ème


Nouveau pas vers la normalisation, de même que le C.F.P. est devenu 49ème R.I., le régiment PARISOT s'intègre davantage dans l'Armée française en prenant, par décision gouvernementale, la suite du 158ème R.I., dit aussi "15-8", le régiment de tradition de Strasbourg. Celui-ci s'est notamment distingué à Lorette, dans l'Artois pendant la Grande Guerre. Le 2 avril, le colonel MONNET, accompagné du lieutenant MONDEVAIN et de 5 hommes sont à Paris pour recevoir le drapeau du valeureux corps des mains du général de GAULLE. Il est présenté à la troupe le 5 avril au cours d'une émouvante prise d'armes.

Alors que dans l'euphorie de la libération, les engagements dans les F.F.I. s'étaient multipliés au point que les autorités durent y mettre un terme (Voir supra), l'armée qui se bat connaît une crise des effectifs dès le mois de décembre 1944. Dans son journal " La Gascogne libre ", à l'intention de ses lecteurs de l'arrière, la demi-brigade de l'Armagnac lance un appel pour que de nouvelles recrues viennent la rejoindre et participer de la sorte à l'entière libération de la France. Le général COLLET, de son côté, s'exprime à la radio le 16 janvier 1945 pour stimuler les engagements dans l'Armée, citant la Bretagne comme exemple du patriotisme français. Des encadrés du genre "Français aux armes!" figurent dans les journaux. Il en est appelé aux officiers et sous-officiers de réserve pour venir servir volontairement, de même qu'aux réservistes de l'armée de l'air, des troupes coloniales et d'une façon générale aux spécialistes quelle qu'en soit la catégorie. Fin janvier 1945, parait l'ordre d'appel de la classe 1943 qui doit s'effectuer en 3 tranches et ne sera pratiquement d'aucun secours pour les forces combattantes, étant donné le cours pris par les évènements de guerre.

Le front de l'Atlantique s'anime à compter du 16 avril. Le général de LARMINAT, commandant des Forces françaises de l'Ouest, qui a pour mission de réduire les "poches" de l'Atlantique, a donné l'ordre d'attaquer simultanément à la Pointe de Grave où est en position la brigade de MILLERET et Royan dont le résultat sera le dégagement du port de Bordeaux, indispensable pour la reprise du trafic maritime (opération vénérable). Le 158ème participe à l'opération qui comporte l'investissement de la presqu'île d'Arvert. Plus spécialement sa mission est de s'emparer de La Tremblade, puis de pousser au nord vers Ronce-les-Bains. La Seudre est traversée au moyen d'embarcations légères. Les commandos du capitaine CAPIN sont maîtres de la ville avant midi, ceux du capitaine de corvette FOURNIER atteignent Ronce-les-Bains dans la soirée. Il y a des pertes dues aux tirs de l'artillerie ennemie et aux mines: 8 tués dont 4 officiers et 19 blessés. Les 17 et 18 avril, les compagnies étendent leur action sur la totalité de la presqu'île d'Arvert. Elles nettoient la forêt de la Coubre et font des prisonniers. Le régiment s'établit sur les territoires nouvellement libérés jusqu'au 30 avril. Des accidents dûs aux mines feront 4 tués et de nombreux blessés durant cette période qui prélude à l'attaque de l'île d'Oléron.

La prise de l'île d'Oléron est dans l'esprit de LARMINAT, la phase préliminaire à la réduction de la "poche amiral" de La Rochelle. La préparation de cette opération fait apparaître des divergences de vue entre le chef du détachement d'armée de l'Atlantique et le colonel MONNET, commandant le 158ème R.I. qui tient par dessus tout à économiser ses hommes. Aussi voit-on nommé à la tête du régiment un officier chevronné, le lieutenant-colonel BABONNEAU qui vient de la Légion Etrangère et s'est déjà illustré à Bir-Hakeim en 1942. Mais celui-ci entend laisser le commandement du régiment au colonel MONNET pour le temps de l'opération qu'il a lui-même préparée. Il sera seulement son conseiller technique. L'attaque est déclenchée le 30 avril. Le 158ème fait partie de la brigade MARCHAND qui doit prendre l'île par le sud. Les commandos de CAPIN, contrariés par le gros des troupes en mer, ne peuvent être débarqués comme prévu sur la côte est. Le soir seulement, ils prendront pied au sud-est de l'île. Le groupe franc marin du commandant FOURNIER débarque le lendemain avant le jour à "La Perrotine", sur la côte est, avec mission de traverser l'île pour rejoindre les résistants locaux. Il s'emploie par la même occasion à neutraliser les points de résistance allemande. Le bataillon "R" du commandant DORBES s'est pour sa part emparé de Saint-Trojan et le 1er mai du fort de Boyardville. Durant les 2 journées, le 158ème et le groupe franc marin ont fait près d'un millier de prisonniers et mis la main sur un important butin en vivres et en munitions.

Le régiment, de son côté, a perdu 2 hommes décédés des suites de leur blessures. Mais il y a de très nombreux blessés qui sont hospitalisés. Après l'armistice, une maison de convalescence s'ouvre à leur intention à Capbreton (Landes), portant le nom de "centre PARISOT".

Le 3 mai, à Saint-Pierre d'Oléron, le général de LARMINAT décore sur le front des troupes les éléments qui se sont particulièrement distingués au combat. Ultérieurement, de très nombreuses croix de guerre sont attribuées. La 8ème compagnie (lieutenant CORNILLEAU) est citée à l'ordre de la brigade.

La capitulation de l'Allemagne est fêtée sur le continent car le régiment a rejoint sa base primitive entre Saint-Jean d'Angle et Saint-Agnan. Le colonel MONNET quitte son commandement mais le colonel TERMIGNON reste adjoint au chef de corps BABONNEAU qui réorganise le régiment avec ses 3 bataillons. Le 158ème R.I. passe alors à la 23ème Division d'Infanterie, commandée par le général d'ANSELME. Après le 6 juin, le régiment stationne près de Thouars dans les Deux-Sèvres. L'encadrement est complété par des officiers d'active, récemment libérés d'Allemagne.

Le 18 juin, le drapeau, le colonel et une compagnie d'honneur défilent à Paris pour la commémoration de l'appel du général de GAULLE. Du 12 au 15 septembre, il est en manoeuvres au camp de la Courtine. A son retour, il apprend qu'il part en occupation en Allemagne. Du fait des mesures de démobilisation concernant les classes antérieures à 1944 qui affectent une grande partie de la troupe, la composition du régiment est entièrement remaniée. Le 24 octobre, il passe la frontière allemande pour se porter dans le Palatinat (Pfalz). Le général de MONSABERT le passe en revue au camp de Baumholder, le 8 novembre. Le lendemain, un détachement de 643 hommes, sous les ordres du commandant BOISSARIE, part en renfort du 49ème R.I. à Berlin. Le drapeau est ramené à l'hôtel des Invalides à Paris, tandis que le régiment en tant qu'unité constituée est dissous.


LE RETOUR DES PRISONNIERS DE GUERRE


Afin de mieux comprendre l'importance historique de ce retour, il nous est apparu utile de le situer dans le cadre plus vaste de l'histoire de la captivité des soldats français au cours du second conflit mondial. Quelles en sont les données générales?

Au cours des combats malheureux de mai-juin 1940, où fut démontrée la terrifiante efficacité du binôme blindés-aviation, environ 1 580 000 soldats français ont été faits prisonniers. Le chiffre est énorme quand on sait que les effectifs de notre armée, engagés sur le front Nord-Est, étaient de 2 240 000 hommes. La grande majorité a été capturée en Belgique, dans le Nord de la France, entre la Somme et la Seine, entre l'Aisne et la Bourgogne, entre la Seine et la Loire, mais aussi dans les Vosges et l'Alsace, là où les grandes unités se sont trouvées encerclées par les manoeuvres allemandes. Les militaires, en plus ou moins bon ordre, qui refluent vers le Sud-Ouest sont dépassés, encerclés et contraints de remettre leurs armes au vainqueur. Dans tous les cas, la capture est massive, des régiments entiers tombent aux mains des Allemands. Le futur général BARTHE, originaire d'Auch, qui commande au front le 13ème régiment d'infanterie de Nevers, est fait prisonnier le 21 juin après s'être bien battu et avoir perdu beaucoup d'hommes. Emmené au quartier général allemand, les honneurs militaires lui ont été rendus.

Le 14ème régiment d'infanterie de Toulouse, où de nombreux Gersois sont affectés, tient également jusqu'au bout. Il met bas les armes dans la région de Neufchâteau (Vosges). Les Allemands ont parqué une partie des hommes tout à côté de la maison natale de Jeanne d'Arc à Domrémy, un détail que les prisonniers ignorent. Aussi ne comprennent-ils pas pourquoi les officiers et la troupe de la Wehrmacht adressent des saluts militaires dans leur direction. On sait en fait, que les Allemands avaient de l'admiration pour la sainte qui bouta les Anglais hors de France. Quant aux prisonniers, ils n'auront l'explication de leur méprise que plus tard. Abattus et désorientés les prisonniers vivent leurs premières heures dans les frontstalags, camps de prisonniers au nombre de 62, répartis dans la zone occupée, principalement au nord de la Loire. Il y en a un cependant à Peyrehorade (Landes). Les occupants y connaissent la faim tandis que l'hygiène est déplorable. Le lieutenant de réserve Henri BOCQUIER, Professeur à l'école normale d'Auch, écrit dans son livre "Visage de l'absence", en 1946: "Prisonniers. Le mot se découvrait soudain dans la clarté de son vrai sens... Il lui revenait alors en mémoire la prière qu'il récitait machinalement dans son enfance, à l'église, pour les prisonniers, les malades et les agonisants." (1) Il se raconte beaucoup de "bobards" dans les camps. Nombreux sont ceux qui croient à leur libération prochaine, à l'instar des Alsaciens-Lorrains. Cependant, ils ignorent que selon les conditions de l'armistice: ... "Les membres des forces armées françaises qui sont prisonniers de guerre de l'armée allemande resteront prisonniers de guerre jusqu'à la conclusion de la paix." Il n'y a pas plus clair bien que le général KEITEL ait précisé à la délégation française que des négociations ultérieures pourront aboutir à des mesures plus libérales. Après la rencontre de Montoire (24 octobre 1940), premier jalon sur la voie de la collaboration, certaines personnes pensent que la libération des prisonniers français est imminente. Le Maréchal PETAIN, après son entrevue avec HITLER, a visité le camp de prisonniers d'Amboise (frontstalag 180 à 40 kilomètres de Montoire). Il leur a demandé de patienter:"votre libération ne saurait tarder" ("Le Légionnaire", organe officiel de la légion française des combattants, du 1er décembre 1940). Un rapport officiel sur la situation du département du Gers fait état des mêmes espérances, mêlées toutefois d'une certaine crainte à l'égard du vainqueur. Un mois après, le 6 décembre 1940, le commandant militaire du département du Gers souligne le désenchantement de la population qui escomptait le retour progressif des prisonniers. Les déclarations rassurantes de l'ambassadeur SCAPINI, dit "l'ambassadeur des prisonniers", ne sont pas davantage crues.

(1) "Scènes du temps de l'exil"; édité par l'association départementale des anciens combattants prisonniers de guerre.

 




C'est que peu à peu, les frontstalags se vident de leurs occupants qui prennent le chemin de l'Allemagne, le plus loin possible de l'ancienne frontière franco-allemande (crainte d'évasions). Ils sont entassés dans des wagons à bestiaux; pour tous la destination est inconnue. Le moral ne peut être que bas. Les convois atteignent la Bavière, le Brandebourg, la Poméranie, la Prusse orientale. Les militaires allemands les conduisent dans les camps: stalags pour les sous-officiers et hommes de troupe, oflags pour les officiers. Ils refont connaissance avec les barbelés et les miradors. La nourriture laisse généralement à désirer en quantité et en qualité. Le prisonnier reçoit un numéro matricule et est photographié. Son nouveau cadre de vie, le camp, varie selon les lieux.

Il peut s'agir d'usines désaffectées, d'anciennes fabriques ou alors de baraquements en bois, type de bâtiments vite montés qui reflètent parfaitement l'état de guerre. Les conditions d'existence y sont très précaires. Hormis les officiers qui sont enfermés en permanence car ils ne sont pas astreints au travail selon la convention de Genève de 1929, les prisonniers ne restent pas longtemps au camp. Ils constituent, en effet, une main d'oeuvre considérable à exploiter dans l'entreprise de guerre nazie. L'administration du camp les répartit dans les "Arbeit Kommando" ou détachements de travail. Au camp ne restent que les prisonniers chargés des services d'entretien, les inaptes et les malades. Les "kommandos" agricoles sont majoritaires, ce qui ne peut étonner: plus de la moitié des prisonniers appartiennent à la profession agricole (neuf cent mille, selon l'almanach de la Légion 1942). L'ambassadeur SCAPINI a d'autre part, obtenu que les prisonniers de guerre soient, dans la mesure du possible, employés à des travaux en rapport avec leur formation et leur profession. En fait, la répartition professionnelle dans les différents "kommandos" varie selon les régions et les époques. Sont également variables les conditions de traitement, d'existence, tout dépend de la mentalité de l'employeur. Il y a de bons et de mauvais "kommandos". Il est certain que le travail dans les fermes du Tyrol est tout à fait supportable. Dans l'industrie et les mines, le travail est particulièrement pénible. Il dépasse largement les 40 heures par semaine. Il s'y ajoute le risque d'accident, les conditions de sécurité n'étant pas toujours observées par les employeurs. Mais dans l'ensemble, les prisonniers utilisent la "force d'inertie", c'est à dire le travail le plus lent et le plus inefficace possible. Leur journée terminée, les prisonniers retournent au "kommando" (12 à 20 hommes), un local fermant à clé et qu'un soldat en arme garde en permanence.

L'éloignement des siens marque profondément le prisonnier relégué en territoire allemand; éloignement et absence de nouvelles. Les 6 premiers mois de captivité se passent pratiquement sans échange de courrier avec les familles; il en sera de même au cours des 6 derniers mois de la guerre. Il y a certes des exceptions, comme cette carte postale de Châteauneuf, datée du 15 juillet 1940, arrivée à Auch sans timbre ni cachet de la poste, par laquelle l'Auscitain André CASTEX informe sa mère qu'il est -tout simplement- prisonnier et va jusqu'à lui donner l'adresse du camp où il est retenu. A partir du 12 août 1940 paraissent les listes officielles de prisonniers français, d'après les renseignements fournis par l'autorité militaire allemande. Ces listes, comprenant chacune quelque 10 000 noms, atteignent les plus petites communes du département. En mai 1941 est atteint le chiffre de un million, indication qui rend compte de l'ampleur du phénomène national touchant toute la société française. Les premières adresses des stalags sont connues avec la livraison du 14 novembre 1940. Avis est toutefois donné aux familles que les visites sont interdites...

Entre temps la Croix-Rouge s'est beaucoup dépensée pour informer les familles, dont elle était la seule ressource pour connaître le sort d'êtres chers, s'ils étaient tués, blessés ou captifs. Dès fin juillet 1940, les camions de la Croix-Rouge ravitaillaient dans la mesure de ses moyens les camps de prisonniers en France, réussissant même à faire entrer ses camions conduits par un personnel féminin. Pour les camps situés en Allemagne, les envois de colis sont faits par la Croix-Rouge internationale de Genève qui a obtenu la réservation de wagons de chemin de fer pour le service des prisonniers de guerre. Par ailleurs, la Croix-Rouge organise en zone occupée des centres d'hébergement afin de recevoir à leur retour de captivité les prisonniers blessés ou malades.

A la détresse morale s'ajoute dans d'innombrables cas la misère physique. Les malades, les blessés sont loin de recevoir les soins désirables. La tuberculose commence à frapper dans les fronstalags. La Croix-Rouge a été autorisée à faire passer dans des camps ses camions radiophotographiques en vue du dépistage de la maladie. La tuberculose, en effet, est encore dans cette moitié du XXème siècle un véritable fléau (on disait alors qu'elle décimait le quart de l'espèce humaine). Le bacille de Koch trouve dans la population captive, qui manque de défenses naturelles, un terrain particulièrement propice à sa multiplication. L'agglomération d'un grand nombre de personnes dans des camps, les mauvaises conditions d'hygiène, la nourriture peu fortifiante, constituent des causes prédisposantes à la tuberculose qui atteint principalement les sujets de 20 à 35 ans. On sait que la phtisie ou tuberculose pulmonaire, peut succéder à un rhume négligé, à un simple refroidissement. Aussi ne faut-il pas s'étonner si la maladie frappe notamment les pionniers, soldats employés par tous les temps aux travaux de terrassement. Beaucoup vont venir mourir dans les sanas de Plateau d'Assy (Haute-Savoie) après leur évacuation d'Allemagne.

Les autorités allemandes ont accepté, dès le début, de rapatrier les malades des camps, tant en France qu'en Allemagne, inaptes à servir la machine de guerre du Reich. Il s'ajoute la peur des maladies contagieuses, commune à tous les pays mais plus fortement ressentie par l'Allemagne qui peut craindre pour l'avenir de la race aryenne...

Les premiers prisonniers qui ont pu revoir la France mais fortement diminués, sont donc les malades qui arrivent par train sanitaires complets. La Croix-Rouge est toujours présente pour les recevoir, de même que les journalistes patentés du pouvoir. Le Journal Officiel donne périodiquement la liste des militaires blessés ou malades rapatriés avec leur répartition dans les hôpitaux des différentes régions militaires. C'est en principe une commission médicale qui dans les camps statue sur les différents cas présentés. Mais la décision du rapatriement dépend uniquement des autorités allemandes. A n'en pas douter, des prisonniers ont su bénéficier des rapatriements sanitaires alors que leur état physique n'avait rien d'alarmant.

Selon une statistique du Ministère des Anciens Combattants parue en 1951 (J.O. du 12 décembre 1951), il y eut environ 45 000 prisonniers rapatriés pour des raisons sanitaires. D'autre catégories de prisonniers font également l'objet de mesures libératoires, obtenues des autorités allemandes par l'ambassadeur SCAPINI, dès fin 1940. Il s'agit des militaires pères de 4 enfants, des aînés de 4 enfants mineurs. Si l'on s'en tient aux publications de l'époque, l'entrevue de l'amiral DARLAN avec le chancelier HITLER, le 12 mai 1941 à Berchtesgaden, a eu pour résultat de rendre la liberté aux anciens combattants de la guerre 1914 -1918.

Sont venues ensuite les opérations de la "Relève", imaginées par Pierre LAVAL et qui consistent à envoyer en Allemagne des travailleurs volontaires français contre le rapatriement de prisonniers de guerre. L'accord qu'il a conclu le 16 juin 1942 avec le Gauleiter SAUCKEL, surnommé le "Négrier de l'Europe", est ignominieux car il s'établit sur l'échange d'un prisonnier contre trois ouvriers spécialisés. L'échec est patent malgré une grande campagne de propagande: peu de Français s'offrent pour venir relever les prisonniers, 17 000 au 1er septembre 1942. Malgré tout, un premier train de prisonniers rapatriés au titre de la "Relève" - le nombre n'est pas précisé - arrive en gare de Compiègne, le 1er août 1942, répartis ensuite sur Paris et Mâcon. Venant de cette dernière ville, une vingtaine de prisonniers libérés arrive à Toulouse le samedi 15 août. Quelques autorités sont là pour les recevoir. On note que le même jour un convoi de 40 rapatriés malades, dont 11 couchés, était arrivé tôt le matin en gare de Matabiau, venant de Lyon et dirigés aussitôt sur l'hôpital de Purpan.

Un nouveau train de rapatriés au titre de la "Relève" est reçu à Compiègne par de nombreuses personnalités un mois après. Il est dit que les prisonniers rapatriés sont surtout choisis parmi les agriculteurs et les veufs, pères de famille. D'autres trains de la "Relève" continueront d'arriver, sans que le nombre des libérés soit toujours indiqué. Alors que le Service du Travail Obligatoire est institué l'année suivante du fait de l'échec d'une opération à base de volontariat, les prisonniers de guerre que les Allemands consentent à libérer continueront officiellement à faire partie de la "Relève". Dans les faits cependant, il ne sera pas toujours facile de distinguer les rapatriés "échangés" et les prisonniers réformés.

La statistique du Ministère des Anciens Combattants de 1951 donne le chiffre de 100 000 (environ) prisonniers qui furent rapatriés au titre de la "Relève". La Direction départementale du Gers des Prisonniers de Guerre, Déportés et Réfugiés (D.D.P.G.D.R.) donne le chiffre de 1278 prisonniers rapatriés au 1er janvier 1945, sans distinguer les rapatriés sanitaires et ceux de la "Relève", étant précisé par ailleurs que 18 communes dont celle d'Auch n'ont pas fourni les renseignements demandés. De fait, il se passe peu de semaines au cours de l'année 1943, sans que soit annoncée l'arrivée d'un certain nombre de prisonniers libérés à un titre ou à un autre. Il y a des retours importants: 23 en janvier, 77 en février, 57 (dont 7 Polonais) en mars. En juin, c'est le retour de deux ingénieurs agronomes et d'un entrepreneur de battages d'Aubiet. Les mois suivants, les prisonniers rentrés se feront beaucoup plus rares, malades mis à part.

La statistique départementale citée plus haut fait également état de 645 prisonniers transformés (210 000 au plan national). Il s'agit d'une autre catégorie de prisonniers, non renvoyés chez eux mais bénéficiaires d'un statut particulier destiné, pouvait-on croire à stimuler leur ardeur au travail. La mesure vient d'un nouvel "accord" passé en avril 1943 entre le Président LAVAL et le Gauleiter SAUCKEL, prévoyant la transformation de quelque 250 000 prisonniers, mis en congé de captivité pour devenir des travailleurs libres. Ils cessent de porter l'uniforme militaire; un costume civil leur est remis à la place, une cocarde tricolore étant cousue à la manche gauche. Ils perçoivent le salaire des travailleurs allemands de la même catégorie professionnelle. Ils peuvent, d'autre part, obtenir une permission pour revenir voir leur famille en France. Un premier contingent de travailleurs permissionnaires est accueilli le jour de Pâques à Châlons-sur-Marne. Ils étaient un millier; le même nombre, la permission terminée, regagne l'Allemagne. La seconde fois, ce sont près de 8000 hommes, en plusieurs trains, qui ont la joie de revoir la France. Mais dans les convois du retour, il en manque 2500. Plusieurs appels leur seront adressés, suivis des exhortations de l'ambassadeur SCAPINI, en vain semble-t-il car les autorités allemandes suspendent les permissions. De toute manière, les prisonniers transformés s'ils relèvent du Commissariat Général à la Main d'Oeuvre en Allemagne comme les travailleurs du S.T.O., restent des prisonniers mais à statut "allégé".

Dès l'été 1940, combien de soldats prisonniers n'ont-ils pas songé à fausser compagnie à leurs gardiens alors qu'en longues colonnes ils prenaient le chemin de la captivité. Mais, assurent des témoins, il y avait toujours un motocycliste allemand qui, sans brutalité mais fermement, repoussait les velléitaires vers le gros de la troupe. Cette idée de rompre avec la captivité a poursuivi de nombreux prisonniers, sans pouvoir se concrétiser. Car s'évader n'est pas une mince affaire. Il faut avoir en plus la "baraka". Passés les frontstalags en France occupée, l'entreprise se faisait de plus en plus hasardeuse. Il n'y avait plus guère d'opportunités, comme se plaisent à le raconter les premiers évadés.

Dans les stalags ou en "kommandos" de travail, le candidat à l'évasion doit se préparer longuement, s'assurer des complicités le cas échéant et un jour, il tente la grande aventure. Il a des centaines de kilomètres à parcourir, le plus souvent à pied, pour atteindre la ligne douanière française ou la Suisse. Il n'a garde d'oublier qu'il se trouve en pays ennemi, que le moindre contrôle risque de lui être fatal, qu'il lui faut malgré tout survivre... Il y a beaucoup d'échecs et en cas de reprise c'est pour le moins la bastonnade. Les récidivistes sont bons, les officiers, pour la forteresse de Colditz, les sous-officiers et les hommes de troupe pour le camp 325 de Rawa-Ruska en Galicie (Pologne), région de marécages où règnent de façon endémique typhus et typhoïde. Les conditions de détention y sont très dures mais le moral reste intact.

On compte une soixantaine de Gersois, forcenés de l'évasion, qui sont passés par le camp de représailles de Rawa-Ruska.

Il nous est impossible de fixer le nombre de prisonniers originaires du département et ayant réussi leur évasion depuis l'Allemagne. Il est certainement très inférieur à 100.

Au plan national, on en dénombre 70 000 dont 33 000 en 1943 et seulement 3000 en 1944. Militaires de carrière ou pas, il se trouve toujours des évadés prêts à reprendre les armes. Le 18ème régiment d'Infanterie de Pau, unité de l'armée d'armistice qui a un bataillon à Tarbes et un autre à Aire-sur-Adour, en compterait 102. On pourrait citer aussi le cas de l'adjudant BOMAIN de Monferran-Plavès, prisonnier se morfondant dans un camp de la région de Kassel. C'est la fiancée d'un de ses compagnons d'infortune, Lorraine de Hagondange, qui nantie de sa bonne connaissance de l'allemand et d'un courage à toute épreuve, entreprend de les délivrer. Elle y parvient à la 3ème fois, grâce à quelques complicités. Revêtus de vêtements civils, les évadés font le voyage en train jusqu'à Hondange, puis un passeur les prend en charge. De cette façon, les deux hommes, nous sommes en octobre 1943, sont à pied d'oeuvre pour recommencer la lutte, via les maquis du Corps Franc POMMIES.

Localement, à partir de l'occupation allemande, les prisonniers ne cherchent pas à se faire connaître par crainte d'être repris. Par une sorte de connivence, les services administratifs ayant à s'occuper de leur cas les appelle "rapatriés spéciaux". Les dénonciations malheureusement existent. On connait le cas d'un habitant de Sarrant, évadé du stalag XII, qui en a été certainement la victime car le 16 février 1943, la Feldgendarmerie d'Auch procédait à son arrestation. Sur l'intervention du Préfet régional, il recouvrait néanmoins la liberté. Les gendarmes allemands reviennent dans la région, à Solomiac, en septembre de la même année, afin de reprendre Y. A..., soi-disant évadé d'Allemagne. L'information cependant, n'est pas tout à fait exacte, l'intéressé se trouvant à la prison militaire de Metz, ville où il a été découvert. Un autre prisonnier de guerre évadé, revenu à Solomiac début décembre 1943, est à son tour inquiété. Mais les militaires allemands ne le trouvant pas à son domicile s'en retournent sans le chercher davantage.

C'est le lieu de signaler l'existence, durant ces années languissantes, d'une forme nouvelle d'escroquerie qui tend à abuser des familles décidées à payer le prix pour faire rentrer l'un des leurs des camps d'Allemagne: c'est l'escroquerie au prisonnier. Elle est le fait d'individus présentant bien, qui moyennant le versement d'une certaine somme (pour frais...) promettent de faire revenir un prisonnier de guerre. La gendarmerie de Lombez arrête un de ces personnages sans scrupules en février 1943 tandis qu'un réseau de Résistance en capture et en exécute un autre.

Un texte émanant de Vichy a, d'autre part, érigé en délit aggravé le commerce adultérin avec la femme d'un prisonnier de guerre. Un métayer de Montaut-les-Créneaux, individu d'ailleurs mal considéré par la population, écope de ce chef de 5 mois de prison, le 10 décembre 1942. Le fait sera d'ailleurs largement cité. Les femmes indignes se voient, par ailleurs, retirer les allocations qu'elles percevaient par l'intermédiaire du bureau militaire de la Maison du Prisonnier.

En dépit de ces cas malheureux qu'il n'était pas possible de passer sous silence, les prisonniers et leur famille sont l'objet du pays tout entier d'une grande sollicitude. Plusieurs organismes officiels s'occupent d'eux, étant précisé que la protection des prisonniers en Allemagne et les envois collectifs de denrées et de vêtements ressortent d'un service des prisonniers de guerre à Paris. Les familles des prisonniers et les prisonniers rapatriés ont à leur disposition la Maison du Prisonnier, installée d'abord 10, rue Caumont à Auch qui rassemble tous les services mis à leur disposition dont le service du reclassement des prisonniers libérés dirigé par L. ANDIGNAC. Elle est aussi un foyer de Résistance, des membres de son personnel appartenant au M.N.R.P.G. (Mouvement National de Résistance des prisonniers de guerre). Auprès de la Maison du Prisonnier, on trouve un centre d'entraide constitué par des prisonniers rapatriés qui prennent en charge leurs camarades à leur libération.

Il y a le Secours National, installé lui aussi à une époque rue Caumont à Auch, dont un délégué "prisonniers" suit les familles des captifs ainsi que les prisonniers rapatriés, leur apportant un soutien moral et matériel. La Légion Française des Combattants agit de même.

La Croix-Rouge, par l'intermédiaire de son service médico-social prend en charge les questions médicales et médico-sociales. Elle fournit notamment une aide matérielle en matière de soins.

Au plan privé existent diverses associations dont le but est de secourir les prisonniers par l'envoi de colis et elles ne s'en font pas faute. Les captifs réclament des denrées alimentaires, comme du sucre et du chocolat, pour améliorer leur pitance mais aussi du tabac et des vêtements, surtout des lainages. Pour confectionner ces colis, les fonds sont apportés par des collectes organisées en maintes occasions. Dans les villages, l'instituteur ou le curé, avec le concours des élites locales, dirigent des troupes de théâtre amateur. Le plein est fait dans les salles qui ne sont souvent que des granges fermées. Le bénéfice de la soirée ou de la matinée, va aux oeuvres chargées d'envoyer des colis aux prisonniers. Une rencontre sportive est également l'occasion de recueillir des fonds. On signalera enfin la reprise d'une tradition: "l'aguilhounè" qui consiste pour les jeunes gens à parcourir la campagne, en période d'Avent, pour recueillir toutes sortes de denrées ainsi que des dons en espèces.

Si l'année 1945 doit voir le retour des prisonniers, ceux-ci comme leurs familles en sont à présent sûrs, en raison des progrès des armées alliées, elle débute cependant mal. Le moral est bas chez les uns et chez les autres, faute de recevoir de nouvelles. Le courrier ne fonctionne quasiment pas. Plus de colis ou l'expédition est très aléatoire car les envois butent à la ligne de front qui ceint le territoire allemand. Les familles, par contre, apprennent par la presse ou par la radio que certains camps ont subi des bombardements, ce qui les met dans l'anxiété comme celles qui ont un des leurs retenu dans la partie orientale de l'Allemagne. De grandes batailles s'y déroulent; l'Armée rouge, après avoir traversé la Prusse orientale, atteint la Vistule le 1er février. Entre le rouleau compresseur russe et les combats retardateurs de la Wehrmacht, de nombreux prisonniers français vont être ballotés. La majorité des Gersois figurant sur la "liste des prisonniers décédés en captivité" ont effectivement trouvé la mort sur ce théâtre d'opérations, principalement en mars 1945. Pour certains dont la trace ne fut jamais retrouvée, les tribunaux de première instance ont dû rendre un jugement déclaratif de décès.

Recensés à la date du 1er janvier 1945 par la Direction départementale du Gers des Prisonniers de Guerre, Déportés et Réfugiés (D.D.P.G.D.R.), le nombre des prisonniers de guerre détenus en Allemagne serait de 4202, sous la réserve indiquée plus haut, puisque toutes les communes n'ont pas fait connaître leur chiffre, dont Auch. Malheureusement, les renseignements fournis par les services concernés, D.D.P.G.D.R. et Maison du Prisonnier, comportent d'importantes lacunes d'où l'impossibilité de retrouver les 4000 prisonniers dans la statistique du rapatriement.

Il n'y a pas eu de retour en décembre 1944. En novembre, on n'a signalé que l'arrivée d'un commerçant de Mirande ayant passé plus d'un an en Roumanie et d'un propriétaire de Saint-Puy, rentré comme malade à la suite d'un accord entre les F.F.I. de Haute-Savoie et les Allemands. Les mois de janvier et de février 1945 sont aussi déconcertants; on enregistre en tout et pour tout le retour d'un travailleur passé en septembre 1944 chez les partisans français en Slovaquie, grièvement blessé et rapatrié par Moscou.

Une quarantaine de prisonniers arrive en mars. Ils proviennent essentiellement de Rhénanie: Coblence, Dortmund, Trèves, ayant été libérés par l'avance américaine. Ce sont des hommes très affaiblis car ils ont vécu plusieurs semaines cachés pour se protéger des bombardements ou échapper à la surveillance nazie, mangeant rarement à leur faim. Les médecins qui les examinent ne font pas toujours preuve de compréhension à leur égard. Il est rare qu'un congé de convalescence leur soit accordé.

Cependant, la solidarité est grande chez les prisonniers. Ceux qui ont eu la chance de rentrer, à quelque titre que ce soit, ont hâte d'accueillir leurs camarades encore en exil. Le 25 novembre 1944, il ont désigné le bureau du comité départemental de leur association de prisonniers de guerre:


Président: Clément BIAUTE (rapatrié sanitaire en novembre 1942)

Vice-Présidents : BOURGADE, Georges DUCAMIN (rentré en juillet 1944)

Secrétaire: René PELOUSE (rapatrié "vieilles classes" en août 1941)

Trésorier: Gabriel SABATHIER (évadé en avril 1941)


Ils participent aux réunions d'information organisées en divers points du département par Monsieur BONFILS, directeur départemental des Prisonniers de Guerre, Déportés et Réfugiés, 7, rue Diderot à Auch et Monsieur NICOLAS, directeur de la Maison du Prisonnier, 2, rue Dessoles à Auch. Ces conférences portent essentiellement sur les modalités de l'accueil que l'on réservera aux rapatriés le moment venu. Ils ont soin en même temps de relever les cas de détresse qui leur sont signalés dans les foyers des absents.

Il s'est formé également une association de femmes de captifs qui regroupe les femmes ayant leurs maris, leurs fils ou leurs frères en Allemagne. Elle poursuit les mêmes buts que l'association des prisonniers. Ensemble, ils animent en janvier 1945 la "Semaine de l'Absent", initiative nationale au cours de laquelle des collectes sont faites en diverses occasions: soirées récréatives avec tirage de tombola ou enchères américaines, quêtes de maisons en maisons avec vente de timbres spéciaux. Les fonds sont reversés à la Maison du Prisonnier qui les utilise en secours d'urgence. Plusieurs millions de francs se trouvent dès lors en sa possession, lui permettant d'agir plus efficacement qu'auparavant.

Début avril 1945, une réunion se tient au siège de la Direction départementale des Prisonniers de guerre, Déportés et réfugiés, 7, rue Diderot à Auch, aves la participation des représentants des divers organismes concernés par le retour des prisonniers et des déportés. Il s'agit, toujours, de recevoir dans les meilleures conditions possibles la masse des prisonniers dont la venue ne saurait tarder, étant donné la tournure des évènements militaires. On vient d'apprendre, en effet, que les services de rapatriement échelonnés de Lyon à la frontière suisse sont en état d'alerte. Des dizaines de milliers de prisonniers et de déportés se dirigent d'Allemagne vers la frontière suisse et française. Il y a peu est arrivé à Marseille le premier contingent important de prisonniers (1978 hommes), libérés par l'avance russe, en provenance d'Odessa.

A Auch, un hôpital complémentaire de 120 lits a été installé, caserne Lannes avec à sa tête un médecin-chef. Dès novembre 1944, à la demande du ministre Henri FRENAY, il avait été recherché dans le département un château susceptible d'être transformé en maison de repos pour les rapatriés déficients. Le choix s'était porté sur le château de Larroque près de Gimont, propriété de la société immobilière de la Croix-Rouge, rue du Général Marchand à Grenoble, idéalement situé sur le trajet Auch-Toulouse par route et par fer. Mais dans cette splendide demeure néo-renaissance, pouvant recevoir 120 personnes, est déjà installée l'école des cadres F.F.I. et l'autorité militaire n'entend pas la céder. Après de multiples recherches, c'est le château d'Izaute à Caupenne d'Armagnac, propriété de la société des vêtements Saint Rémy d'Agen, après être passée par les mains d'un certain VALINOT ou VALLINO, sujet italien, agent patenté de MUSSOLINI, qui va servir, dans un cadre de qualité, de maison de repos pour prisonniers et déportés. La municipalité de Nogaro accueille les premiers arrivants, 4 prisonniers et 2 déportés politiques, de façon très conviviale, fin mai 1945. Ils seront 32 en juillet 1945.

L'hôtel de Paris à Auch, à 200 mètres de la gare SNCF, est réquisitionné par la Préfecture pour devenir centre d'accueil et d'hébergement, pouvant à ce dernier titre servir 300 repas par jour. Des bureaux y sont aménagés afin de renseigner les arrivants et les aider à accomplir les premières démarches. Un gradé et un employé du centre de démobilisation sont sur place pour rendre à la vie civile des centaines d'hommes dont certains ont passé une dizaine d'années sous l'uniforme.

En outre, une baraque d'accueil provisoire est édifiée dans la cour de la gare. Dès la descente du train, les rapatriés sont conduits dans ce local où ils donnent leur nom, celui de leur dernier camp et leur destination. Il leur est délivré un bon de repas qu'ils prendront à l'hôtel de Paris. Les véhicules du service emportent les moins valides et font suivre les maigres bagages. Il s'agit après le passage à l'hôtel de Paris, d'acheminer les rapatriés vers leurs domiciles respectifs. Cela se fait au moyen de véhicules privés, non sans grosses difficultés car on manque d'essence et de pneus de rechange. Il n'est pas possible de compter sur les transports en commun, les lignes d'autobus desservant le département étant au mieux bi-hebdomadaires. Ici encore la solidarité "prisonnier" joue à plein. Les associations cantonales vont prendre le relais du centre d'accueil d'Auch. On signalera le centre d'accueil de Lectoure qui se charge d'aller chercher les rapatriés soit à Auch, soit à Agen et de les ramener dans leurs foyers; le centre d'accueil de Condom fait appel aux automobilistes de passage à Auch ou à Agen pour prendre en charge les prisonniers de l'arrondissement. Des cantons viennent alors des voitures qui assurent le transport jusqu'au domicile.

Le dimanche 1er avril, jour de Pâques, 8 prisonniers gersois retrouvent leur famille. Venant de Toulouse, il sont reçus sur le quai de la gare d'Auch par les représentants de l'Armée, du Préfet, du Comité départemental de Libération, le maire A. NUX, les responsables des services chargés des prisonniers, les délégués des associations, Mademoiselle MAUROUX du C.O.S.O.R. L'ambiance est toute à la joie et à la fête.

Durant le mois, ce sont 293 rapatriés qui foulent à nouveau le sol gascon dont 33, les 25, 26 et 27 avril. Les stalags VI, VII, IX, XII A, XII F, XIII C, sont les principaux fournisseurs. Les arrivées vont crescendo. Environ 5000 Français sont rapatriés chaque jour par avion mais beaucoup arrivent trop tard pour participer aux élections municipales provisoires qui ont lieu dans toute la France le dimanche 29 avril 1945. Pour la première fois les femmes votent. C'est souvent en qualité de femme de prisonnier que certaines ont accepté de figurer sur les listes des candidats à élire. Il était également possible de voter pour un prisonnier en instance de rapatriement. Dans l'ensemble du pays, la majorité revient aux partis de gauche ou aux listes présentées par la Résistance. La population auscitaine a eu la joie d'accueillir le 30 avril, Georges DAUBEZE, un des pionniers de la Résistance gersoise, arrêté par les Allemands dans la nuit du 9 au 10 mars 1944 et heureusement libéré de Buchenwald. Il a été reçu à la mairie d'Auch par l'ensemble des autorités départementales. Le maire A. NUX se devait de le féliciter du magnifique succès qu'il avait rencontré la veille aux élections. Une émouvante "Marseillaise" ponctuait cette réception. Durant le mois de mai, ce sont 2100 prisonniers de guerre (1) (plus 49 déportés politiques et 501 requis du S.T.O.) qui sont reçus par le service départemental des P.G.D.R. Devant cet afflux de rapatriés, il a dû embaucher 33 auxiliaires et 5 contractuels. Des équipes de bénévoles ont été constituées par les associations de rapatriés pour prêter main forte au personnel administratif. La générosité publique n'est pas en reste, qui fournit le vin dont les captifs ont été longtemps privés.

Les chiffres de juin n'apparaissent pas clairement. Le rapport du service départemental concernant la deuxième quinzaine de juin fait état de 1600 rapatriés (plus 11 déportés politiques et 407 S.T.O.) . Juin toutefois, clôt l'arrivée des prisonniers libérés par les armées américaines, anglaises et françaises. Mais beaucoup de familles sont encore sans nouvelles des leurs. On apprend qu'un certain nombre est en instance de rapatriement à Odessa. De fait, arrivent en juillet des prisonniers d'origine gersoise ayant transité par la zone russe. Ils sont peu nombreux à louer leurs libérateurs, se plaignant des vols dont ils ont été l'objet sur leur personne. A l'arrière, cependant, les autorités soviétiques semblent être préoccupées d'adoucir leur sort, dans toute la mesure du possible. Les derniers jours de juillet, la presse donne la liste de 90 habitants du Gers, prisonniers de guerre et requis du S.T.O. présents en Russie et en instance de rapatriement. Aussi d'autres prisonniers arrivent-ils encore mais irrégulièrement, en novembre. Il reste néanmoins un certain contentieux avec l'U.R.S.S. Il oblige la Maison du Prisonnier qui continue d'exister pour quelques mois de plus, 2, rue Dessoles à Auch, à faire paraître, en mars 1946, une mise au point, du reste un peu confuse, du colonel MARQUIE, chef de la mission française de rapatriement en U.R.S.S., selon laquelle il ne subsiste plus dans ce pays que des Français malades ou blessés, soignés dans les hôpitaux. En tout état de cause, le centre d'accueil de l'hôtel de Paris à Auch est dissous le 1er octobre 1945 et la maison de repos d'Izaute l'est le 15 du même mois.

(1) Il n'est pas possible de retrouver les 4202 prisonniers signalés supra, du fait que les rapports concernant les rapatriements sont quelquefois incomplets et qu'un certain nombre de prisonniers ne sont pas passés par Auch pour accomplir les formalités du retour.

 



Le retour des captifs, qu'ils soient prisonniers de guerre, déportés politiques ou de la Résistance, requis du S.T.O., a donné lieu à d'authentiques transports de joie. A Samatan, un panneau de forte dimension leur souhaitait la bienvenue au nom de la population. A Lombez, à l'arrivée du train de Toulouse, une délégation de la municipalité et du comité de Libération, sans compter les nombreux habitants, étaient présents pour les recevoir. Il en était de même à la gare de Monferran-Savès. A Riscle, la société musicale accueillait avec ses instruments l'un des siens, parmi les premiers libérés par l'avance américaine. En certains endroits, comme à Solomiac, on a fait sonner les cloches pour saluer le retour des exilés. A Condom, le sous-préfet Monsieur BELLION, le maire Monsieur NAPLES, ont réuni pour un vin d'honneur les premiers rapatriés, présentés par Monsieur MOIZAN, président du centre cantonal d'accueil. Le représentant de l'Etat, dans son allocution, leur a demandé de conserver l'union et la solidarité des camps au sein de la patrie retrouvée.

Jusque dans les plus humbles villages, un dimanche de l'été devait être consacré à la fête du retour, comprenant invariablement une grand-messe, une cérémonie au monument aux morts, l'allocution du maire ou d'un membre du comité de libération, un banquet faisant fi exceptionnellement des restrictions et enfin un bal dont la légalité a été rétablie.

Dans l'ensemble, le rapatriement jusque dans leur foyer de plusieurs milliers de compatriotes s'est déroulé dans des conditions satisfaisantes, grâce au concours des autorités administratives, des associations spécialisées, de la population. Mais toute médaille a son revers. Les rapatriés ont ressenti vivement la pénurie en effets vestimentaires. A leur arrivée, il leur était remis des points textiles et des bons accompagnant la carte prioritaire. Mais ceux-ci sont parfois contestés par les commerçants; ou alors ceux-ci rétorquent qu'ils sont démunis de marchandises. On a vu, au moment des premiers retours, d'anciens prisonniers de guerre regagner leur foyer sans pouvoir changer la tenue qu'ils portaient dans les "kommandos" en Allemagne.

Quand, par la suite, les rapatriés obtiennent le costume gratuit auquel ils ont droit, la qualité du tissu comme sa confection laissent beaucoup à désirer. D'où un évident mécontentement chez les intéressés qui vont jusqu'à penser qu'on leur réserve les lots invendables. En septembre 1945, il reste 4000 demandes non encore satisfaites. Elle le seront toutefois avant la fin de l'année, les distributions se faisant dans les chefs-lieux de canton.

La pénurie de chaussures est aussi patente. Tout le pays d'ailleurs en souffre. Une autre grave lacune apparait: l'impossibilité au moins dans les débuts de s'équiper en pneus de bicyclette. Les demandes sont pressantes en raison de la pauvreté des moyens de communication dans le département. Pourtant, la quasi totalité des enveloppes et chambres à air attribuées sur le plan départemental: un peu plus de 2000 en juillet 1945, un millier en août, se trouve réservée aux rapatriés. Il est encore plus difficile d'obtenir une bicyclette neuve: une pour 10 demandes. Les prisonniers qui ont quitté la France au moment où elle était bien approvisionnée comprennent difficilement cet état de chose. A l'évidence, ils s'attendaient à leur retour à trouver moins de difficultés. D'autre part, les formalités qu'on leur demande d'accomplir les exaspèrent. Il sévit enfin le marché noir, où l'on trouve de tout mais dont ils ne peuvent s'approcher étant donné les coûts qui s'y pratiquent.

Les agriculteurs, c'est à dire la grande majorité des rapatriés, retrouvent après cinq ans d'absence, une exploitation sur la voie de la décadence. Il leur est impossible de se réapprovisionner en outillage ou en matériel. Les attributions de produits indispensables à l'agriculture, comme les engrais, le sulfate de cuivre, le soufre sont nettement insuffisantes ou arrivent trop tard. La ficelle-lieuse reste cause de soucis. Les commerçants sont accusés de vendre leurs stocks au marché noir, à des prix variant de 1000 à 2000 francs la pelote, soit au minimum le montant de la prime de libération perçue par les anciens prisonniers.

La joie du retour est souvent, hélas!, ternie par le mauvais état de santé du rapatrié. Il est fréquent que les médecins décèlent des cas de tuberculose, des diabètes, sans compter les troubles dus à la dénutrition, les pertes de poids étant à peu près générales. Les soins dentaires sont de première nécessité (caries généralisées). On trouve une forte proportion d'édentés. Malheureusement, les prothèses dentaires, qui ne paraissent pas avoir été prévues, vont tarder à venir. Ce n'est qu'en septembre 1945, que le service médico-social de la Maison du Prisonnier pourra intervenir efficacement. Cet organisme, affinant sa mission pour des opérations ponctuelles, recrute en novembre 1945 une assistante sociale ayant en charge les rapatriés tuberculeux. La découverte de la streptomycine ne peut toutefois avoir raison des tuberculoses trop avancées.

Les rapatriés malades, en incapacité de travail, bénéficient de l'assistance médicale temporaire avec une allocation journalière uniforme de 50 francs. Les salariés, au moment de leur démobilisation ont été tout de suite rétablis dans leurs droits d'assurés sociaux.

Enfin cinq ans d'absence sont la cause d'infidélités conjugales. Dans les cas d'inconduite notoire de l'épouse, le service des P.G.D.R. avait été amené à supprimer l'allocation qui lui était versée. Mais certaines situations étaient restées cachées et c'est avec une immense douleur que le prisonnier découvre son foyer détruit: un enfant né pendant la captivité, l'épouse ayant quitté le domicile conjugal ou vivant en concubinage. Des interventions de parents et amis ont pu dans certains cas raccomoder les ménages, quand le mari est disposé à pardonner. Néanmoins, ce sont environ 300 demandes en divorce qui sont formulées après le grand retour des prisonniers. La Maison du Prisonnier, étant donné la complexité de la procédure a préféré s'assurer le concours d'un avocat-conseil, en la personne de Maître RIO. Il s'agit, en effet, d'engager des instances à bon escient et de faire respecter à tout le moins les droits des rapatriés dans un domaine aussi délicat.

Les cas d'infortune mis à part, les prisonniers ont hâte de réintégrer la vie civile et d'être des citoyens à part entière. Le reclassement professionnel des rapatriés pose peu de questions dans un département agricole comme le Gers quand la grande majorité d'entre eux viennent de la terre. Ils retrouvent l'exploitation familiale, même si celle-ci a périclité faute de bras vigoureux. On observe toutefois qu'un nombre relativement important d'agriculteurs nouvellement libérés entendent moderniser, ou tout au moins améliorer l'habitat. Les années passées en exil leur ont permis de découvrir dans les fermes allemandes un confort qu'ils ne soupçonnaient pas. Malheureusement, l'état de précarité dont souffre le pays tout entier ne permet pas d'entreprendre même de petits chantiers. Des tuileries artisanales ont bien recommencé à produire mais on manque toujours de ciment. Aussi voit-on de petits propriétaires, d'anciens ouvriers agricoles, attirés par la vie plus confortable des villes, quitter la terre et postuler un emploi dans le Commerce et l'Industrie, voire dans les échelons les plus bas de l'Administration.

En fait, la France, épuisée par la guerre et l'occupation, a besoin de tous les siens. Il lui faut retrouver son équilibre au point de vue démographique, politique. L'économie est à redresser au plus vite. Rarement tâche a été plus vaste que celle qui attend les Français.

Avec le retour des prisonniers et autres exilés, la natalité reprend, fortement encouragée par les gouvernants. On assistera bientôt au "baby-boom". La découverte de la streptomycine permet d'enrayer de nombreux cas de tuberculose, maladie qui accablait, on l'a vu, beaucoup de rapatriés. Politiquement, le pays a besoin de l'assentiment général pour établir des structures solides et non plus provisoires. Il est appelé à voter le 21 octobre 1945 pour le choix du régime à venir. Les électeurs se prononceront en faveur d'une nouvelle constitution à définir par l'assemblée élue le même jour. Au plan économique, tous les bras sont les bienvenus. La reconstruction doit commencer au plus tôt mais elle est freinée, comme indiquée plus haut, par la pénurie des matières premières. L'agriculture repart grâce au retour des prisonniers; elle n'a plus le sentiment de travailler pour l'ennemi. Peu à peu, les Français remangent à leur faim. Le relèvement économique est en marche. La terrible épreuve de la guerre n'a pas interrompu la continuité française.


LA COLLABORATION SOUS L'UNIFORME ALLEMAND


Une minorité de quelques milliers de Français ont combattu aux côtés des Allemands. Il s'est trouvé, bien entendu des Gersois qui ont endossé l'uniforme "feldgrau". Leur nombre est faible mais il convenait d'en parler, conformément à la vérité historique.

Il va sans dire que les sources auprès desquelles un historien peut se documenter sont des plus minces. Les quelques volontaires qui ont réapparu après guerre et sont passés devant les Cours de Justice ont fait des déclarations plus ou moins fantaisistes, ne serait-ce que pour gagner des circonstances atténuantes. D'autre part, la mémoire populaire n'est pas en mesure de préciser à quelle organisation favorable à l'Allemagne, tel individu appartenait. On se souvient seulement qu'il portait l'uniforme de l'occupant.

Le choix, en effet, existait entre la Waffen S.S. et la Légion des Volontaires Français contre le Bolchévisme ou L.V.F., cette dernière ralliant la majorité des gens désirant participer à la "croisade contre le communisme". Créée en 1941, après l'entrée en guerre de l'Allemagne contre l'U.R.S.S., elle agira uniquement sur le front de l'Est.

La L.V.F. a un bureau à Auch, d'abord place aux Herbes, puis 3, rue de la République. Les secrétaires, appointés, qui s'y sont succédés n'ont pas porté l'uniforme allemand mais avaient des rapports étroits avec la Milice. Outre leur travail de recrutement, ils animent l'association des "Amis de la Légion", comprenant, prétendaient-ils, une soixantaine de membres, abonnés au journal "Le Combattant européen", imprimé à Berlin. On compte une vingtaine de Gersois engagés pendant l'année 1943 à la L.V.F. dont 3 officiers. Les motivations des ces engagés sont diverses. Il y a des "sans travail", des anciens militaires, des gens qu'attire l'aventure en pays lointain, des déçus de la vie mais aussi des idéalistes, quand ce n'est pas la famille, franchement collaborationniste, qui a poussé l'un des siens à s'engager. Nous n'avons trouvé qu'un seul repris de justice, le nommé V..., qui commettra en outre quelques petits délits au cours d'une permission à Auch.

Dans le but de susciter des engagements, des conférences sont organisées dans les meilleures salles du département. La première a lieu le 2 avril 1943 à Auch. Il y a plus de 400 personnes mais beaucoup de cartes forcées: lycéens, fonctionnaires. Aucun engagement n'est signalé. Cependant des contacts sont pris en juillet de la même année avec les militaires démobilisés de l'Armée d'armistice, à l'instigation du capitaine BRIDOUX. Fils du secrétaire d'Etat à la guerre du gouvernement de Vichy, le général BRIDOUX, favorable à la collaboration, il est bien connu des anciens du 2ème Dragons d'Auch puisqu'il accomplissait son temps de commandement dans ce corps de troupe juste au moment où les Allemands envahissaient la zone libre, le 11 novembre 1942. Lui-même et le délégué de la L.V.F. à Toulouse avaient projeté de rencontrer à Auch quelques uns de ses anciens compagnons d'armes. Mais l'entrevue n'a jamais eu lieu, BRIDOUX se contentant d'activer les secrétaires départementaux auprès des militaires démobilisés.

De nouvelles manifestations de propagande, au cours desquelles l'accent est mis sur le danger bolchévik, ont lieu le 27 janvier 1944 à Auch (cinéma Rex), le 6 mars à Condom, le lendemain à Mirande pour de piètres résultats. A noter le refus d'un hôtelier de Rabastens (Hautes-Pyrénées) de loger les conférenciers, de crainte d'un attentat. S'engage dans la L.V.F. en juillet-août1943, le jeune Georges BERTHOUMIEUX d'Auch, membre du P.P.F. (Parti Populaire Français, fondé par Jacques DORIOT, pratiquement l'initiateur de la L.V.F.). Mais pour une raison mal définie, il retourne dans sa famille à Auch avant la fin de l'année et devient, sous le nom de "Mann René", l'homme de confiance des Allemands qu'il assiste dans leurs opérations de répression jusqu'à son exécution par la Résistance en juin 1944.

Les visites d'incorporation qui ont lieu à la caserne Borgnis-Desbordes à Versailles sont sévères. Aussi de nombreux volontaires sont-ils refoulés. L'âge également intervient; pour cette raison la candidature d'un officier de gendarmerie à la retraite dans le Lectourois, quinquagénaire, est refusée, ainsi que celle d'un ancien officier de marine dans la région d'Eauze. Une fois accepté, le volontaire reçoit l'uniforme du fantassin de la Wehrmacht et part au camp de Dempa, situé en pleine forêt de pins à 200 kilomètres au sud de Varsovie. L'instruction s'y fait à l'allemande, armement et fourniment sont aussi allemands mais les commandements restent français, ce qui ne va pas sans causer des difficultés de traduction. L'entrainement terminé, les légionnaires prêtent serment à HITLER, en présence d'officiers généraux de la Wehrmacht.

Dans le corps de bataille de l'Armée allemande, la L.V.F. devient le régiment d'infanterie n° 638. Les recrues de 1941 sont engagées par un froid insoutenable (- 40°) dans le secteur de Djukovo, à 60 kilomètres de Moscou. La L.V.F. a pour mission de s'emparer de cette localité mais son attaque est stoppée par les troupes sibériennes qui lui infligent d'importantes pertes. Elle est alors retirée du front et ses effectifs recomplétés jusqu'à former 3 bataillons. Désormais, les volontaires français seront employés à l'arrière dans la lutte contre les partisans soviétiques. Elle mène de durs combats contre les bandes dans des zones parfois très éloignées les unes des autres: la Bérézina, Smolensk, Briansk... où elle connaît quelques succès.

Fin 1941 a été tué quelque part en Russie, le capitaine B... officier de la L.V.F., dont la famille réside à Condom. Deux ans après, le secrétaire départemental de la L.V.F. s'avise de remettre à la mère du disparu un diplôme d'honneur signé par le Führer en personne mais elle le refuse au grand regret de l'état-major allemand d'Auch. Le capitaine BRIDOUX part le 25 octobre 1943 sur le front de l'Est à la tête d'un contingent de légionnaires qui vont reformer le 1er bataillon du régiment 638. Alors qu'il était question de les renvoyer en France où vient d'avoir lieu le débarquement du 6 juin 1944, les légionnaires, d'ordre du commandement allemand, sont maintenus sur le front de l'Est. BRIDOUX et ses hommes font des prodiges pour s'opposer à l'avance russe. Les pertes sont sévères et de replis en replis, la L.V.F. se retrouve en août 1944 dans le corridor de Dantzig où viennent se rassembler également les volontaires français de la Waffen S.S. Avec des éléments de la Milice arrivés à Sigmaringen, ils forment la Brigade de la Waffen S.S. "Charlemagne" qui monte au front en février 1945. Promue division, celle-ci tirera ses dernières cartouches dans Berlin assiégé.

De fait, les engagés gersois de la Waffen S.S. sont principalement d'anciens miliciens ou francs-gardes de la Milice repliés de France. On en compte 6 mais il doit y en avoir davantage. Aucune situation d'effectifs ne nous est parvenue. Il n'y a pas d'historiographes des unités. La moitié des volontaires qui sont rentrés se sont faits repérer par la sécurité militaire et ont été mis à la disposition de la justice. Ils seront condamnés à la peine de mort mais celle-ci sera commuée en travaux forcés desquels ils seront finalement libérés grâce aux lois d'amnistie. C'est surtout à cause de leur participation, en tant que francs-gardes, à la lutte contre les maquis en France qu'ils ont encouru la peine capitale.

Il est aussi difficile de préciser le nombre de Gersois qui furent tués dans les rangs de la L.V.F. Nous avons cité le cas du capitaine B...; à vrai dire aucun officier n'est revenu, pas plus que BRIDOUX, promu commandant. Sur la vingtaine qui a été recensée, on n'est sûr que du retour de 8 volontaires. On sait que nombre d'anciens membres de la L.V.F. ont souscrit un engagement à partir de 1945 pour l'Indochine, où ils constituaient une unité spéciale, le bataillon des réprouvés. En effet, la France a encore besoin d'hommes, cette fois-ci pour combattre dans ses lointaines possessions formant l'Union Française.

 




TEMOIGNAGES

TEMOIGNAGE DE MONSIEUR MOÏSE BERNADOT

DOMICILIE A SAINT-SAUVY (GERS)


"Le 2 avril 1945, la traversée du Rhin, les tripes nouées. Qu'allions nous trouver de l'autre côté de la rive, si nous y parvenions? Pour notre unité, tout se passa sans trop de casse. Puis ce fut la chevauchée, direction Eppingen. Nous traversâmes une ville dont le nom me sembla bizarre puisque nous étions en Allemagne: Saint-Léon où se trouvait une manufacture de tabac. Le bombardement assez sévère de cette ville avait éventré les entrepôts de cigares. Il y en avait de toutes sortes, du gros au petit format en passant par le moyen, du plus long au plus court. Les quelques civils qui se hasardaient dans la rue, des hommes âgés, en faisaient ample provision. Etaient-ils privés de cette denrée? Leur attitude le laissait croire. Mais nous, les militaires, eurent la prétention d'être servis les premiers, comme les Allemands le firent en France quelques années auparavant. Déjà, l'esprit de revanche se faisait sentir. Toutefois, il y eut assez de cigares pour tout le monde.

Puis nous voilà le 4 avril, je venais d'avoir 20 ans. Toutes les patrouilles envoyées aux lisières de la ville d'Eppingen rapportaient que celle-ci était solidement tenue. L'ordre d'attaque parvint au point du jour et dès dix heures, le poste de secours installé dans une cave était déjà bien garni. La jeep de la Croix Rouge avait déjà fait pas mal de navettes. Tout à coup, je la vis revenir avec une femme à son bord, qui criait, se débattait et voulait se jeter à terre. Les infirmiers la maintenaient. J'ai pensé qu'elle était devenue folle de peur mais quelques instants après, je compris. Elle accoucha d'un beau bébé au milieu de nos morts et de nos blessés. Je revois cette jeune maman allemande, fixant sans mot dire, notre brave médecin ORTHOLAN. J'avais l'impression qu'elle était malgré tout heureuse que des Français l'ait sauvée ainsi que son enfant.

A côté de celà, la bataille faisait rage. La conduite de certains civils à notre égard n'était guère convenable, à l'image de ce pharmacien du quartier qui indiquait à l'armée allemande, les positions françaises. Ceci coûta la vie à l'équipage d'un char venu nous épauler et qui fut percé d'un coup de panzerfaust.

Stuttgart était encore loin; on nous avait dit que c'était notre objectif et il le fut! Nous passâmes par Kleingartak, Laberfeld, Aurich, Vaihingen, camp de déportés mais nous laissions bien des camarades. Dans tous ces villages non évacués, la population civile ne semblait pas trop mauvaise et pour cause; il n'y avait plus de jeunes, l'armée allemande reculait et tous étaient affamés. Nos boules de pain blanc, parfois rassis, faisaient bien des envieux. En échange de ce pain, les femmes réchauffaient nos boîtes de haricots ou de "singe". Il y en avait pour tout le monde. Je constatai tout de même, la tristesse de ces gens là, qui voyaient leur pays occupé et par des Français!... Cette impression me fut encore plus apparente à Stuttgart. Je connus à cette époque, dans ce qui restait d'une maison dans laquelle nous étions cantonnés, une jeune fille. Elle me fit comprendre qu'elle militait dans un groupe de la jeunesse hitlérienne; elle en était d'ailleurs très fière. Elle me raconta que son fiancé avait péri en Russie; il était pilote de chasse. Comme je tentais de lui faire comprendre qu'elle avait dû pleurer sa perte, elle me répondit d'un ton sec "nein", en ajoutant je ne sais quoi. Je portais toujours mon étoile noire du Corps Franc Pommies sur la manche et me la montrant du doigt, elle me demanda "Was ist das?" (qu'est ce que c'est ?) J'en fus très surpris et me voyant un peu embarassé, elle me dit "égal SS?" Décidément, c'était une pure nazie.

Pendant les moments de loisirs, je parcourais les ruines de Stuttgart; un jour, j'arrivai devant ce qui ressemblait à un gouffre au milieu des décombres; un immense escalier de pierre descendait dans une très grande cave où un stock de gros foudres pleins de vermouth, avait été découvert. Ceux qui étaient arrivés avant moi, avaient ouvert les robinets et j'assistai à un spectacle écoeurant. Dans ce local, le liquide coulait à flots; il y en avait plus d'un mètre et les pauvres civils, tous des vieux, tentaient de recueillir un peu de cette boisson, tout heureux d'avoir à boire, faute de mieux. Je crois que la ville entière défila à cet endroit avec des pichets, après nous avoir demandé s'il était possible d'avoir de ce liquide. Je fus surpris par l'attitude du vaincu qui, privé de tout, demandait s'il pouvait prendre quelque chose qui se trouvait chez lui.

Le 13 mai, en tenue de parade, le régiment défila, musique en tête dans les rues de Stuttgart, en présence du général de LATTRE de TASSIGNY et du général américain DEVERS. Pas un seul civil. Le 19 mai, nouveau défilé et pas des moindres, en présence des généraux de GAULLE, de LATTRE de TASSIGNY, de MONSABERT et GUILLAUME.

Le 6 juin, fête du régiment. Le lendemain, j'appris que le régiment avait eu une nouvelle citation et la fourragère jaune et verte. Puis, nous apprîmes que les Américains allaient prendre Stuttgart dans leur zone d'occupation et qu'il nous fallait déménager dans le Palatinat. Notre unité y occupa un village. La population civile, moins affamée que dans les villes, acceptaient apparemment notre présence, jusqu'au jour où un incident se produisit. En effet, notre camarade BARBAT, équipé d'une moto, allait tous les jours prendre notre courrier au P.C. du bataillon. Un soir, en rentrant, il fut pris par un filin d'acier tendu en travers de la route. Il se blessa sérieusement. Le capitaine GOUZY, ordonna un raid en représailles dans ce qui était un petit "bled" non occupé mais à population très dense. Je fus surpris par le nombre important de jeunes. A l'aide de l'un des nôtres, Alsacien-Lorrain, qui tint le rôle de l'interprête, un rassemblement fut ordonné. Le capitaine signifia que si un tel incident se renouvelait, il serait amené à prendre de sévères mesures de sécurité. Il y eut aussi quelques gifles distribuées par quelques excités de notre régiment mais rien de bien méchant. GOUZY, en fait, fit mine de n'avoir rien vu. Ainsi, le calme fut rétabli.

Je fus tout de même impressionné par les plus jeunes, 10-12 ans, qui jouaient à la petite guerre en confectionnant des abris de branchages avec des ouvertures de guet et ne cessant de nous narguer avec leurs fusils de bois. On sentait un mauvais esprit inculqué à ces gamins.

Un autre souvenir de cette vie d'occupation concerne une fille qui était venue un jour, rendre visite à l'un des nôtres et ce n'était pas la première fois. Surprise par sa mère, la fille n'osa pas lui avouer qu'elle était consentante. Les deux femmes allèrent voir le capitaine pour se plaindre. Le capitaine ordonna alors le rassemblement de la compagnie, nous sermonna et pour terminer nous fit faire l'exercice avec le sac à dos au complet. Nous ne revîmes jamais les deux plaignantes.

Fin août, après des préparatifs et contrôles de santé (vaccination contre le typhus), nous prenons la direction de Berlin par la route. Que de lièvres avons-nous vus dans les vastes plaines allemandes. Mais si nous étions contents de partir dans la capitale, personnellement, j'allais vite déchanter. La ville était entièrement démolie et une odeur de cadavre se dégageait de ces amas de toutes sortes sur lesquels s'acharnaient des gens venus pour déblayer. Une véritable horreur! Ici, on ne s'était pas fait de cadeaux. Enfin, nous arrivâmes à destination, caserne NAPOLEON. Il faisait une chaleur à crever. Installation rapide, car bientôt, nous devions, paraît-il, défiler. Je me demandais où nous allions pouvoir défiler dans de telles ruines. Mais ce fut je pense, le 7 septembre, que le 49ème R.I. participa à la prise d'armes de la Victoire. Puis le colonel POMMIES, affecté à un autre commandement, nous fit ses adieux. Ensuite, nous nous installâmes dans notre zone d'occupation à Berlin. Je me souviens qu'au début, il fallait traverser un triangle de zone russe, pour accéder à divers postes. Tous les jours, il se produisait des incidents. C'était devenu un calvaire et la peur s'était installée dans nos rangs. La troupe russe était à la limite de la folie, constamment ivre, sans aucune retenue ni respect. J'en ai eu vite assez, en pensant que je pouvais y laisser la peau alors que la guerre était finie. Les agissements que j'ai pu voir sont difficiles à décrire, tellement c'était presque honteux.

Puis l'hiver s'installa, le mercure descendit à - 30°, avec verglas et neige dont la hauteur atteignit les appuis des fenêtres. Le ravitaillement en vivres se mit en place avec quelques difficultés mais rien de bien grave. Bien plus mauvais était le sort des civils, qui survécurent pour la plupart grâce à nous. Je les ai vus manger des patates gelées. Ces pauvres vieux, des jeunes, il n'y en avait plus, glanaient tout ce qui se présentait à eux et nous adressaient des remerciements qui n'en finissaient plus, quand on leur donnait des boîtes de corned-beef. L'hiver a été terrible pour les civils et il ne se passait pas de jour sans que l'on assiste à un enterrement. Je suis resté dans cette capitale maudite jusqu'au 1er janvier 1946 et lorsque ce jour-là, on m'annonça mon départ, je serais parti par n'importe quel moyen, plutôt que de rester un jour de plus.

Que de tristesses en une année sur le sol allemand, que de misères ici ou d'arrogance là, suivant les régions. Comme partout ailleurs, le peuple allemand était loin de voir la réalité de la même façon et jusqu'au dernier souffle, les fanatiques ont tenu bon."

--------------------------------------------------------------------------------



EXTRAITS DU TEMOIGNAGE DE MONSIEUR EMILE DISON



DOMICILIE A L'ISLE-DE-NOE (GERS)


"En 1937, je souscris un engagement de quatre ans pour servir en Extrême-Orient (Indochine). En octobre, j'embarque à bord du "Cap-Saint-Jacques". Après trente cinq jours de voyage en mer et d'escales, je découvre les côtes de Cochinchine et d'Annam avant de débarquer à Haïphong. Dirigé sur la citadelle de Hanoï, je suis affecté à la 6ème compagnie du 9ème régiment d'Infanterie Coloniale (R.I.C.). Après six mois d'instruction, je suis désigné pour servir au poste de Chapa situé près de la frontière chinoise. Mon unité comprend de nombreux tirailleurs autochtones; la mission principale de ma compagnie est le renforcement des défenses fixes: patrouilles sur la frontière de Chine, liaisons avec les petits postes et surtout poursuite des bandes de trafiquants et de pillards qui infestent les confins. Après quinze mois passés dans ce magnifique poste, je suis envoyé à Tong, vaste centre-école des garnisons, pour suivre le peloton de caporal. Six mois après et un court passage à Hanoï, je rejoins Chapa. C'est là que parviennent, à la poignée de Français que nous sommes, les désastreuses nouvelles de la métropole.

En mai 1940, la déroute de nos armées est connue. Du fait de cette circonstance, le général CATROUX est obligé de céder aux premières exigences de Tokyo et d'accepter ses conditions, à savoir: la fermeture de la frontière sino-indochinoise et son contrôle par une mission militaire japonaise. A la suite de ces évènements, nous apprenons que le général CATROUX est remplacé par l'amiral DECOUX. Mais il subit les mêmes pressions et le 2 août 1940, le Japon lui demande le droit de faire passer ses troupes à travers le Tonkin et la mise à leur disposition des aérodromes du nord du territoire indochinois. Après de dures discussions, un accord est conclu le 30 août, qui prévoit qu'en échange de l'acceptation de la demande japonaise, Tokyo reconnaisse et respecte les droits de la France en Extrême-Orient. Mais je me rends vite compte de la valeur des engagements du Japon, quand le 22 septembre 1940, malgré l'accord, l'armée japonaise attaque nos garnisons de la province de Langson. Bien que moins nombreuses que l'agresseur, nos troupes combattent durement mais ne peuvent l'empêcher d'encercler Langson. La puissance française étant bafouée, le Siam (aujourd'hui Thaïlande) fait connaître ses ambitions. Soutenu par le Japon, il réclame une partie des rives laotiennes et cambodgiennes du Mékong puis nous attaque le 7 janvier 1941. Mon bataillon de marche est dirigé sur la Cochinchine et renforcé d'éléments du 11ème R.I.C. Au sein de mon unité, je participe à une série d'escarmouches le long du fleuve sans que nous remportions de succès décisifs. La victoire navale française du 17 janvier 1941, au cours de laquelle, grâce notamment au croiseur "Lamotte-Picquet", la flotte française détruit la flotte siamoise, met les Thaïs en difficulté. Cependant, la pression des Japonais nous obligera à leur céder quelques provinces. Après la fin de ces tragiques évènements, je retourne avec mon bataillon au Tonkin.

En juillet 1941, à la suite d'un accord précédé par leurs habituelles pressions, les Japonais stationnent dans toute l'Indochine mais y reconnaissent l'autorité de la France. Toutefois, on sent bien que de 1942 à 1945, nombreux sont les Français qui organisent la résistance: renseignements aux Alliés, renforcement des défenses, filières d'évasion. Comme tous mes compatriotes, j'observe que les Japonais travaillent à détruire le prestige de l'homme blanc et permettent au parti révolutionnaire indochinois de faire de la propagande auprès des populations.

En 1944, je suis muté au groupement du 2ème T.M. à Cao-bang et affecté comme sous-officier adjoint au lieutenant GOUPIL, commandant le poste de Dong-Khe situé sur la R.C. 4. Mes principales occupations sont l'entretien du camp et les patrouilles de maintien de l'ordre contre les pirates chinois.

Fin 1944 et début 1945, le Japon commence à subir des revers dans les régions qu'il a conquises. Il décide alors de frapper un coup très dur sur nos troupes en Indochine. C'est l'affaire du 9 mars 1945. Attaquées par traitrise, nos garnisons résistent héroïquement et ne tombent qu'à bout de munitions. C'est alors la ruée japonaise horrible et sauvage. Après le massacre de la garnison de Langson, le commandant du 2ème territoire (Cao-bang) donne l'ordre à tous nos postes de se regrouper et d'organiser la résistance contre l'ennemi. Mon lieutenant me demande de me porter sur la frontière chinoise pour renforcer un poste de partisans et échapper à l'encerclement. J'ai reçu l'ordre d'installer deux mitrailleuses sur un piton surplombant le poste et de stopper la progression ennemie. Un bataillon japonais s'est déployé en quelques minutes, les clairons sonnent, les sections courent au rythme des ordres hurlés; les premières vagues nippones cherchent à nous couper la retraite. Un avion de chasse nous survole à basse altitude, apparemmment sans nous voir. Mon détachement mobile se replie dans les rochers. Après seize heures de combats retardateurs, le capitaine BEAUDENON décide que nous devrons nous regrouper sur Phuc-Hoa à la tombée de la nuit. Ma section occupe au sud du village une colline qui lui permet d'interdire la piste conduisant vers Cao-Bang. La journée du 12 mars se passe en accrochages de détail autour de Phuc-hoa tandis que le gros des troupes nippones est surtout occupé à piller et à brûler les quatre villages qui jalonnent la vallée entre Talung et Quang-Uyen. Le 13 mars au matin, nous reprenons le combat retardateur sur les pentes boisées du col de San-Xuyen, passage obligé; il faut dire que le terrain est sévère et particulièrement favorable à notre défense. Le 14 mars notre compagnie s'organise afin de pratiquer la guerrilla mais le commandement envisage les choses autrement et donne l'ordre de repli immmédiat vers l'ouest. Dans un décor réputé comme étant l'un des plus hostiles de la péninsule, les énergies s'épuisent. Le repli en Chine devient inévitable d'autant que les tirailleurs et les partisans dont la conduite fut irréprochable, commencent à se décourager. Les bandes de pirates chinois et le Viet-Minh n'hésitent plus à attaquer nos colonnes égarées pour prendre leurs armes. L'existence de bandes armées engagées directement au côté des "Japs" est d'ailleurs connue depuis le 9 mars. Le 13 avril ma section est attaquée par une bande armée. Le lieutenant GOUPIL et deux tirailleurs sont grièvement blessés. Etant son adjoint, j'ai réagi vivement et donné les ordres nécessaires pour dégager la section et ramener mon lieutenant et les tirailleurs blessés. Malgré toutes les difficultés: nourriture, tenue, munitions, mon groupement se maintiendra jusqu'au 30 mai sur le territoire indochinois. Ce jour là seulement et sur ordre, mon groupement se résigne à gagner la Chine où nous attendent les émissaires de la D.G.E.R.R. et de l'O.S.S. Une nouvelle aventure m'est offerte et seul cent vingt "marsouins" et tirailleurs sont volontaires pour suivre le capitaine BEAUDENON. En accord avec le commandement français, l'O.S.S. propose de former des commandos pour des actions derrière les lignes japonaises. Mes camarades et moi sommes regroupés à Tsin-Si, armés et habillés à l'américaine. Nos instructeurs sont pour la plupart Américains ou Canadiens. Après l'explosion de la bombe atomique début août 1945 et à compter du 18 août, le commando BEAUDENON est rendu aux forces françaises et réclamé par la mission française de Jean SAINTENY à Kun-Ming. Notre capitaine BEAUDENON est chargé de mettre sur pied un commando action. Je fais partie des vingt cinq hommes qui acceptent de suivre leur chef. C'est par les airs que mes camarades et moi allons de Kun-Ming à Ceylan, en passant par Calcutta, Chandernagor et Trincomallee. Mon Commando revient en Indochine et est rattaché au commando PONCHARDIER. Au sein de ce commando, je sillonnerai le delta du Mékong en Cochinchine, l'immense plaine des joncs et nous libérerons Mytho, Vinh-Long, Cantho.

Ainsi, du 9 mars 1945 au 26 août 1946, date de mon rapatriement, j'ai participé à toutes les opérations en Indochine, ce qui me valut trois citations et la croix de guerre. Mais malgré la dureté des combats, je garde surtout au fond de moi le souvenir de ce pays magnifique et de ses peuples si accueillants et généreux."

 




EXTRAITS DU TEMOIGNAGE DE MONSIEUR HENRY DAIGNAN



DOMICILIE A AUCH (GERS)


"Je me suis engagé le 18 juin 1942 (une date mémorable mais à l'époque l'appel célèbre du 18 juin m'était inconnu), à la gendarmerie d'Auch au 24ème régiment d'Artillerie d'Afrique (R.A.A.) à Meknès (Maroc). Pourquoi hors de la Métropole ? La réponse, je la tenais du colonel SCHLESSER qui commandait le 2ème régiment de Dragons à Auch. Je faisais partie en 1941-1942 de l'Escadron ESPAGNE où les jeunes auscitains apprenaient à monter à cheval. Un jour, le colonel s'entretenant familièrement avec nous, nous avait franchement dit que notre place de jeunes Français était en Afrique du Nord. Ma voie était donc tracée : je quittais mes parents laitiers à la Caillaouère pour le quartier COMPANS à Toulouse. Mais là, comme d'autres engagés, je m'entendais dire qu'il n'y avait plus de départs pour le 24ème R.A.A. Par contre, je pouvais opter pour la Coloniale, à la condition d'en prendre pour un an de plus, ce que je fis. Ensuite, on m'envoya dans un dépôt à Nîmes. Courant août, j'embarquais à Marseille non sans avoir subi les contrôles de la commission d'armistice (2 engagés furent retenus et fusillés, parait-il, pour avoir commis des attentats contre l'Armée allemande).

Traversée sans histoire, courte escale à Alger ; au passage de Gibraltar, on nous fit descendre dans les cales car il ne devait y avoir personne sur le pont. Débarquement à Casablanca, envoyé au camp de Médiouna où se trouvait le régiment d'Artillerie Coloniale du Levant (R.A.C.L.), mon corps d'affectation. Survint le débarquement anglo-américain le 8 novembre 1942. J'étais alors de garde aux "Municipaux", la mairie de Casa, place Maréchal LYAUTEY ; je pus tout à loisir assister au pilonnage du port par la marine américaine et c'est à mon poste que je fus fait prisonnier par les G.I. J'ai surtout retenu d'eux le fou-rire qui les prit à la vue de l'arme que j'avais dans les mains : un fusil Lebel qui avait sans doute fait l'autre guerre, emmanché d'une énorme baïonnette capable d'embrocher deux hommes à la fois. Ils me le confisquèrent à titre de souvenir sans doute, puis ne s'occupèrent plus de moi.

Les choses sérieuses reprirent peu après. Avec d'autres recrues je me retrouvais au camp de la Jonquière, toujours à Casablanca. D'une certaine façon, les Américains nous avait pris en main. Bon nombre de copains furent employés à Anfa aux ateliers de montage de véhicules américains : jeeps, doodges 4x4, arrivant des USA dans de lourdes caisses.

Pour ma part, j'étais magasinier au garage du camp. J'assurais également, à la demande, le transport des officiers et des personnalités, parmi lesquelles il y eut Son Excellence l'ambassadeur PEYROUTON. J'avais obtenu mon permis de conduire à 16 ans et cela me rendait service.

Les différents groupes du R.A.C.L. furent fondus dans le R.A.C.M. (régiment d'Artillerie Coloniale du Maroc) qui devint une unité de premier ordre, équipée de 105 longs américains. Les canons étaient tractés par des G.M.C. de 120 chevaux.

Le 28 octobre 1943, le R.A.C.M. gagnait l'Algérie, pour y subir l'entraînement dans de grands camps. Déjà se constituait la 9ème Division d'Infanterie Coloniale (D.I.C.). Sous le commandement du général MAGNAN elle participa à la conquête de l'Ile d'Elbe du 17 au 19 juin 1944. Faisant partie de la deuxième vague d'assaut et vu les succès de la première, je ne fus pas réellement engagé dans cette affaire.

Nos forces revinrent en Corse, d'où elles étaient parties. Dans l'île de Beauté, il n'y eut plus que des exercices d'entraînement en vue du débarquement en Provence. C'est ainsi que le 21 août 1944, mon régiment débarquait à Sainte-Maxime (Var) d'ailleurs déjà libérée. Sa mission consistait à contourner Toulon par Sollies-Pont pour prendre à revers les forts qui défendaient la ville. Un nouveau mouvement nous faisait revenir sur Toulon par Ollioules. C'est de là que notre artillerie tirait notamment sur les batteries de Saint-Mandrier qui subirent notre feu 4 jours durant.

Nos pertes étaient insignifiantes. Il n'en était pas de même chez nos pauvres tirailleurs sénégalais, attaquant parfois au lance-flammes.

La population de Toulon nous fit un accueil délirant, comme il se doit à des libérateurs. Mais le 3 août, nous reprenions la route des Alpes, la fameuse route Napoléon, passant par Grenoble, où les combats avaient cessé, près d'Annecy et des Glières dont nous ne connaissions pas les héroïques combats du maquis au mois de mars 1944.

Plus rien ne semblait pouvoir arrêter les chauffeurs de G.M.C. dont j'étais (transport de munitions)... sauf le manque d'essence qui nous stoppa net, après avoir traversé les départements de l'Ain et du Jura, juste après Pontarlier. Un camion G.M.C. consomme sur route entre 25 et 30 litres d'essence aux 100 km. En opérations ou en terrain difficile comme la montagne -et nous n'avions fait que ça- il faut compter sur une consommation de 80 litres environ. Les jerrycans que nous transportions ne purent suffire. Mon G.M.C. dut attendre les ravitailleurs en essence avant de pouvoir reprendre sa progression dans l'unité.

Nous allions, dès lors, participer à la bataille de Belfort. Je fus témoin, car il passa à Maîche, de la visite de Winston CHURCHILL à la 1ère Armée Française la veille de la grande offensive et dont le général de LATTRE de TASSIGNY ne lui souffla mot. Nous nous trouvions dans le Haut-Doubs, sur les coteaux de Maîche. Puis, nous avons avancé jusqu'aux abords de Pont-de-Roide, changeant fréquemment de position, suivant la demande que nous en faisait la division pour appuyer son action. Du reste, le front était loin d'être stabilisé. Les Allemands occupaient les usines de Sochaux, mais non la totalité des établissements de fabrication, disséminés autour de Montbéliard. Avec 4 hommes, je fus envoyé à l'antenne de Peugeot de Valentigney pour y récupérer de l'acier de Norvège, de qualité spéciale, que les Allemands n'avaient pas eu le temps d'emporter. Je revois toujours l'endroit : nous avions la montagne en face, à 2 km de nous, dans laquelle était dissimulée l'artillerie ennemie. Elle ne se fit pas faute de nous tirer dessus quand le camion fut aperçu dans l'allée de l'usine. Alors, j'ai fait louvoyer mon G.M.C. d'un bâtiment à l'autre et de cette façon nous avons pu éviter les tirs et charger les quelques 7 tonnes de précieux acier.

Belfort tomba le 20 novembre. La division se porta aux environs de Mulhouse. Le R.A.C.M. se trouvait au Nord, à Ruelisheim et y resta 8 ou 10 jours, toujours en appui d'artillerie. Puis nous avons dû nous replier, comme d'ailleurs toute la division, laissant du champ entre les Allemands et nous.

Je crois que c'est à ce moment-là que nous avons eu 4 tués dans un village où les Allemands avaient pris le clocher pour cible, le considérant comme un observatoire de choix. Dans l'église, à la sacristie était installée l'infirmerie. Une bordée, lâchée par les Allemands, tua les occupants dont le médecin.

Je me souviens aussi de la nuit de Noël qui fut très calme. Nous étions alors à Ruelisheim. Les tirs adverses ne reprirent que le lendemain matin.

A propos de la bataille pour Mulhouse, il convient de signaler l'enjeu important que représentaient les mines de potasse, lesquelles devaient être prises intactes. Pour la première fois, nous avons utilisé des obus dont j'ai oublié le nom et qui avaient la particularité d'éclater à 5 mètres du sol. Ils firent des ravages considérables chez l'ennemi. Des Allemands s'étaient planqués dans des gravières. Après avoir subi nos bombardements, le sol était jonché de cadavres.

L'hiver fut exceptionnellement dur cette année-là. Il avait fallu se défaire de nos vaillants tirailleurs noirs. Il furent remplacés, pratiquement au pied levé par des maquisards venus de Lomont ou des engagements individuels, des gens de tout âge.

Lorsque la poche de Colmar fut liquidée, les premiers jours de février 1945, on nous envoya à Erstein, au sud de Strasbourg. Nous y restâmes 3 semaines au repos. Un nouveau mouvement nous conduisait à Haguenau. Nous avons relevé les Américains qui tenaient entre autres l'usine hydraulique. J'ai toujours en mémoire un épisode des plus tragiques de la guerre dont on a peu parlé. Une cinquantaine environ de chars américains étaient parqués dans un petit espace à côté du déversoir. La nuit, les Américains décidèrent d'aller faire la fête à Haguenau. Mal leur en prit car dans la nuit un commando allemand se répandit dans le dépôt, décrocha les mines pendues aux chars pour les placer sous les chenilles. Quand le matin à 5 heures, ils furent mis en route tous sautèrent, tuant beaucoup de monde. Nous arrivâmes peut-être une semaine après et notre premier travail fut d'enfouir les cadavres déjà tout noirs.

Du reste, les Allemands se montraient très agressifs dans ce secteur. Leurs patrouilles se traduisaient toujours par des pertes chez nous. Elles venaient de l'autre côté du Rhin, par groupes d'une dizaine d'hommes. Elles prenaient toujours soin d'opérer une diversion avant d'attaquer le point principal. Comme nous n'étions pas très nombreux pour occuper le terrain, les infiltrations de l'ennemi étaient difficiles à empêcher.

Il y a dans ma vie une autre date mémorable, c'est le 29 mars 1945. Ce jour-là j'entrais dans ma 21ème année, jour aussi où nous sommes entrés en Allemagne. Pour ma part, j'ai traversé le Rhin à Mannheim, beaucoup plus au nord de Spire, où un autre pont de bateaux permettait de faire passer le matériel lourd comme mon G.M.C. chargé de munitions pour l'infanterie.

La 9ème D.I.C., commandée alors par le général VALLUY, s'est battue à Karlsruhe, a conquis le Pays de Bade, atteint Fribourg au pied de la Forêt-Noire. Puis contournant le massif par le Sud, nous ne nous trouvions pas très loin de Constance quand l'armistice du 8 mai 1945 mettait fin à la guerre. Mais nous ne l'avons su que deux jours après... "

 




EXTRAITS DU TEMOIGNAGE DE MONSIEUR AURELIEN CARRERE



DOMICILIE A MONTREAL (GERS)


"Après avoir participé à la libération du Gers et de Toulouse, la demi-brigade de l'Armagnac dont je fais partie est dirigée sur Bordeaux. Après être restés trois semaines ou un mois à l'école de santé navale, nous sommes dirigés vers la "poche" de Royan-Oléron où se sont réfugiés les derniers Allemands de la région. Commandée par le capitaine VINCENT, notre compagnie arrive à Beurlay début octobre, en troisième ligne. Loin de l'ennemi, nos officiers nous soumettent à un entraînement défensif et offensif et mettent en place des postes avec mitrailleurs et voltigeurs. Cela me rappela ce que j'avais entendu raconter par mon père qui avait fait la guerre de 1914 -1918. Au mois de novembre, nous sommes déplacés en 2ème ligne sur la route de Saujon-Marennes; nous nous installons à la ferme de La Pré. L'endroit est plus dangereux et nous devons construire des postes défensifs capables de nous protéger des tirs d'artillerie que nous subissons assez souvent. Au village le plus proche, Les Touches, à 1 kilomètre, un obus fait un mort et un blessé dans notre compagnie. Vers la fin novembre, des ordres sont donnés pour que chacun signe un engagement pour la durée de la guerre ; nous avons la possibilité, si nous ne nous engageons pas, de rentrer chez nous. Il en résultera des départs importants puisque d'une compagnie, il ne restera plus qu'une section commandée par le lieutenant BILLERES, ancien de 1914-1918, qui ne voulut pas nous abandonner. Il se comportera d'ailleurs avec nous comme un père de famille. A partir de ce moment, notre unité devient le 158ème régiment d'infanterie, formation qui avant la guerre était cantonné à Strasbourg. Nous passons alors à la 4ème compagnie, commandée par le capitaine MARCEAU. Après une période de repos à Sainte-Radegonde, nous montons en première ligne à Nieulle-sur-Seudre. Là, l'ennemi n'est plus très loin. Des patrouilles sont organisées dans les marais sur les bords de la Seudre. Le moindre bruit dans l'eau nous fait sursauter bien qu'il ne s'agisse souvent que d'un canard ou d'un héron. Je garde le souvenir d'un hiver très froid et des difficultés que nous avons eues à nous réchauffer lors d'une nuit de garde dans une cabane d'ostréiculteur.

Puis vient le mois d'avril; nous sommes à la veille du débarquement à La Tremblade. On nous fait faire des manoeuvres d'embarquement sur des barques de pêcheurs. Un jour, l'entraînement fut très perturbé par une salve d'artillerie tirée de l'île d'Oléron qui nous obligea à quitter les lieux. Le 16 avril, nous partons de très bonne heure prendre position sur le bord du canal de la Seudre pour embarquer. Dans la nuit, alors que nous attendons, des tirs de l'artillerie française sont tout à coup déclenchés sur la Tremblade et sur sa région. Les obus passent au dessus de nous faisant un bruit infernal. Le jour que nous attendons est enfin arrivé. Les corps francs ayant déjà débarqué, les embarcations viennent nous chercher. Un des marins chargé de nous conduire à destination nous dit:" Je ramène un mort". Nous avons un peu froid dans le dos mais nous embarquons tout de même sur un ensemble de quatre barques avec au centre, un petit remorqueur. Le plus dur reste à faire mais notre forte motivation parvient à dominer la peur. Pour nous, la traversée se fait sans dégât malgré les tirs de l'artillerie allemande venant de l'île d'Oléron. Les obus tombent dans l'eau provoquant de gros bouillonnements. J'avoue franchement qu'il me tarde de mettre pied à terre car je ne sais pas nager comme beaucoup de mes camarades. Arrivés à terre au Mus-du-Loup, un véritable champ de mines nous attend. Nous devons suivre les démineurs qui nous font progresser très lentement. Les Allemands ayant rectifié le tir, la compagnie débarquant derrière nous sur la plage, est touchée par les obus. J'en garde un souvenir horrible; on entendait les hommes crier; ils sautaient sur des mines et je revois encore les corps projetés en l'air. Il y a eu de nombreux morts dont le commandant CELERIER, le lieutenant NICOLAS et plusieurs hommes. Par la suite, nous réaliserons la jonction avec les chars de l'Armée américaine venant de Royan.

Le lendemain, nous devons "nettoyer" la forêt de La Coubre; dure journée dans les dunes où nous nous déplaçons en évitant les mines. Après cette opération, nous sommes envoyés au repos à La Tremblade. Logés au bord de la route, nous sommes réveillés dans la nuit du 30 avril au 1er mai par le passage incessant des camions; nous nous rendons bien compte qu'il va se passer quelque chose; tout à coup, le bruit assourdissant des canons se fait entendre. Il n'y a plus de doute, le débarquement sur l'île d'Oléron se prépare. Un gradé vient alors nous chercher et nous dit: "Allez les gars, le 3ème bataillon a débarqué sur l'île, il faut y aller!" Au petit matin, nous partons pour l'embarcadère de La Tremblade où nous assistons au va-et-vient des camions amphibies transportant les hommes et des embarcations chargées de chenillettes. Embarquée sur un bâteau de pêche, notre compagnie arrive enfin à Saint-Trojan. Nous prenons alors la direction du Château d'Oléron. Nous passons la nuit du 1er mai dehors alors qu'il fait très froid; je me souviens avoir passé une partie de la nuit à creuser dans le sable pour me mettre à l'abri du vent; le lendemain, tout était gelé. Dans la journée, au cours des opérations, nous faisons 17 prisonniers. Le soir notre mission est terminée.

Pour nous, la guerre est finie; nous repartons à Sainte-Radegonde et c'est là que nous apprenons la signature de l'armistice. A cette occasion, un petit conflit va nous opposer au carillonneur de la commune qui n'étant pas au courant de la capitulation de l'Allemagne, refuse de nous donner les clés de l'église pour faire retentir les cloches de la victoire. Nous décidons de prendre une échelle et malgré un essaim d'abeilles, nous faisons sonner les cloches de l'église en passant par le toit.

Plus tard, je partirai pour la Vendée où je serai démobilisé au mois d'octobre avec certains de mes camarades, tandis que le reste du régiment partira en occupation à Berlin.

Je sais que je n'oublierai jamais cette partie de ma vie."

Retour 2 guerre mondiale