Le Blanchichement de la 9 ème D.I.C.


Relever brutalement neuf mille hommes d'une Division
est en tous temps une opération compliquée.
Elle exige des délais très longs, des formalités difficiles,
et a pour le moins pour effet de paralyser la vie de la
Grande Unité pendant plusieurs semaines.
Mais envisager cette transformation en pleine période
d'opérations, sur le champ de bataille lui-même, avec
des éléments hétérogènes, peu instruits et ne connaissant
pas le matériel, parait une gageure.
Pourtant, c'est ce que réussit à faire la 9e D.I.C. au
cours de l'automne 1944.
Bien avant son débarquement en France en août 1944,
le Général Magnan, commandant la 9e D.I.C., avait envisagé
la nécessité de transformer la division mixte sénégalaise,
en une Division blanche. Il s'en était ouvert à
ses Chefs de Corps qui tous étaient de son avis. Car
chacun savait, l'expérience de la Guerre 14-18 l'avait
montré, qu'à partir du 15 octobre, les tirailleurs devraient
être retirés du front pour gagner une région plus
tempérée. Ils ne pourraient remonter en ligne qu'en
avril.
Pendant plus de cinq mois, la Division risquait ainsi de
disparaître, ce qui signifiait sa mort, car son armement,
sûrement, ne lui serait pas laissé pendant cette période
d'inaction.
La valeur combattive de nos braves sénégalais
n'était certes pas en cause. Parfaitement entraînés,
rompus aux exercices les plus durs, ils constituaient
une troupe forte, disciplinée, confiante en
ses Chefs et en tous ses cadres, manoeuvrière,
ardente au combat. L'Ile d'Elbe, Toulon, venaient
de le prouver. Mais le froid pouvait les paralyser.
Et le mauvais temps commençait déjà fin septembre
dans cette boucle humide du Doubs, secteur
de la Division. Le matin, Coulibaly faisait "grise
mine" au sens absolu du terme, sous la pluie
continuelle, dans la boue glaciale du Lomont.
Dès le débarquement de Toulon, le blanchiement
avait commencé, et s'était poursuivi pendant la
longue montée à pied des unités. Des jeunes
gens de toutes provenances, maquis, ville ou
campagne, avaient été accueillis à bras ouverts.
Mais ils ne fournissaient qu'un faible appoint malgré
tout ; or c'était 9.000 sénégalais qu'il fallait
remplacer, et très vite.
Pendant son séjour à Paladru, sur les bords du
lac du même nom, près de Voiron, l'E.M. de la Division
s'attaque résolument au problème. Des
perspectives assez larges apparaissent tout
d'abord. Certains Officiers, qui ont groupé un
"maquis" autour d'eux, s'offrent à rejoindre avec
lui les rangs de la Division ; bien peu peuvent le
faire, soit que leur troupe se disperse, soit que
d'autres sollicitations les retiennent. Par contre, les
individuels se présentent nombreux, de la région
de Grenoble et de Lyon. Un premier point de regroupement
leur est fixé à la Valbonne où un
échelon du C.I.D. s'installe. Les effectifs atteignent
rapidement six cents hommes. Au total,
deux mille engagés viennent à la 9e D.I.C. pendant
les trois premières semaines de septembre et permettent
de renvoyer un nombre égal de Sénégalais
dans le midi.
L'habillement a pu être trouvé sans trop de difficultés
jusqu'alors en prélevant sur les réserves
clandestines, combien utiles, et sur les maintenances
normalement destinées au renouvellement
des effets usagés.
Le mois d'octobre est marqué par une intense activité
de recrutement. Les prospections s'étendent
très loin, dans le Centre, en Normandie, en Bretagne,
dans la région parisienne, dans le Nord, dans
l'Est. La 1ere Armée — où la Division est heureusement
soutenue — la Direction des Troupes Coloniales
à Paris, donnent leur aide.
Dans les pays encore désorganisés, il n'est pas
facile de trouver, à ce moment-là, la bonne porte
où frapper pour organiser un recrutement suivi ;
et pourtant les offres se multiplient, mais les jeunes
volontaires manquent de renseignements, de
directives. Des bureaux de recrutement divisionnaires
sont installés à Grenoble, à Dijon, à Pontarlier...
Des camarades prêtent main-forte à Paris,
Nancy, Toul, Langres, Belfort... Les affiches
"Engagez-vous dans les Troupes Coloniales" réapparaissent.
Un second centre de regroupement
et d'instruction est organisé au Valdahon. Mais,
comme pour la Valbonne, la Division ne pourra s'y
maintenir longtemps, et le C.I.D. sera, pendant
toute cette période, l'éternel errant manquant de
matériel, de moyens de transport et surtout,
chose plus grave, d'habillement. Quel dévouement
de la part de ses cadres ! Finalement, il faut
en arriver à déshabiller en partie BQS Sénégalais
pour pouvoir doter nos de l'essentiel.
Certes, on ne réalise pas ainsi une troupe de
dandies. Les capotes, les souliers, les pantalons
de nos tirailleurs ne sont évidemment pas à la
taille de jeunes engagés amaigris par les privations
endurées pendant l'occupation.
Car ces petits gars qui viennent à nous n'ont pas
un physique brillant.

 

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