 JOURNAL DE MARCHE
DU IIe GROUPE
DU R.A.C. - A.O.F.
Je dédie ces pages de l'obscur devoir, et de la fière servitude au canon -
qui fit de beaux soldats dont le chair était d'acier et le sang d'huile
lourde - à ceux qui ont payé de leurs souffrances et de leur vie l'honneur
d'appartenir à la 1re Armée Française, à tous ceux qui sont morts pour que
la France vive et vive plus belle…
Nous sommes des coloniaux.
Formé le 1er juin 1943 à Dakar, comme 4e Groupe de l'A.D.10, le groupe était
rattaché au Groupement n° 4 le 1er mars 1944, sous la désignation du II/R.A.C.
A.O.F.
Il était cantonné au Ram-Ram, sans armes, si mal vêtu qu'il ne défila pas
pour celui qui venait rencontrer M. Winston Churchill et nous apporter sa
parole. Pour le Général De Gaulle, le groupe brossé jusqu'à la trame, ciré à
boucher les crevasses des chaussures, fit la haie à Marrakech, les talons au
trottoir.
Une promesse fut faite et tenue… Le II/R.A.C. A.O.F. attendit quatre mois
son armement - 155 M. M Howitzer - au bivouac d'El Hank, dans les faubourg
de Case. Les coloniaux connaissaient la récompense à leur patiente espérance
: la plus belle pour des artilleurs. Le II/R.A.C. A.O.F. était en effet le
seul groupe d'Artillerie coloniale qui devait, pendant la campagne de
France, servir ce nouveau modèle de 155 américain, puissant et mobile,
lançant 50 kilos d'acier à 14 kilomètres, un matériel précis, robuste et
maniable, attelé à son mack, un tracteur de 60 chevaux, une énorme bête
puissante qui entraînera les 26 tonnes et son attelage complet à 50
kilomètres heure, sur les chemin de la guerre.





Le 16 juillet, le groupe s'acheminait par voie de terre, par Rabat, Meknès,
Taza, Oujda, vers Oran et la zone d'attente n°1. Il complétait son armement
et chargeait ses véhicules. Le 30, le groupe prenait la mer à Oran à
destination de la Corse - brève escale de trois semaines pour des écoles à
feu dans la région de Bonifacio - et le 19 août, le convoi des L.S.T.
quittait Ajaccio à destination de la France.
Le 21 août 1944, le L.S.T. 160 ouvrait sur l'étroit passage déminé de la
petite plage de la Nartelle, à l'est de Saint-Maxime ses portes de proue. La
France était toute offerte dans un grand silence lumineux.
La 4e batterie et des éléments avancés de la 5, de l'E.M.2 et de la C.R.2,
passent la nuit sur le prè, non loin du village de la Mole, et remontent le
lendemain, sur Pierrefeu. C'est la première veillée d'armes, en face de
l'horizon qui flambe, de nos garçons qui brûlaient depuis l'Afrique Noire de
répondre à l'appel de détresse lancé par la Métropole.
Rattaché à la 9 D.I.C. qui prendra Toulon, le groupe, dont le gros
débarquera le 23 août dans le val d'Arquières, ne rejoindra que dans
l'après-midi de ce jour pour se reformer au sud de Pierrefeu, et la 4e
batterie s'engage seule.
Le 23 à 13 heures, elle ouvre le feu depuis les vignes rousses du Couvent de
La Maubelle, et tire cent coups en destruction sur des batteries ennemies du
Fort Lamalgue et sur les défenses organisées au pied de Mont-Faron. A
minuit, elle reprend sa place dans la colonne de groupe qui, sur des routes
d'encre, roule à 5 miles heure, << aux yeux de chat >>, vers la position de
Pierre Ronde.
Et brutalement des contre-jours fulgurants qui, sur l'étroit chemin montant
du carrefour de la grande route de Toulon, gonflent dans le noir l'ombre des
macks de la 5e. Les 88 tirent en harcèlements… L'alerte passée, les canons,
dans l'ombre, trouvent leur place.
Les pièces ennemies qui demain chercherons l'observatoire et les batteries,
sont là, tout près. Harassés, les hommes se couchent sur la terre, à coté
des tubes. On ne se garde pas dans la confiance que donne ce fer magnifique,
ce fer qu'on va servir, nus jusqu'aux reins et saouls de poudre, et qui va,
demain, révéler à de vrais garçons, leur première joie d'homme.
Le lendemain, c'est en effet le combat. Le groupe accroche sur une batterie
de 164,7 de la Croix-des-Signaux, et en appui de bataillon G. du 6e R.T.S.
déclenche successivement deux concentrations massive sur le fort de l'Artigue,
avec réglage en observatoire avancé au fort Sainte-Catherine.
L'aspirant de la 4, qui a l'honneur de conduire le feu, aura 22 ans
dimanche, le jour où il sera proposé pour la croix de guerre… des yeux de
fille, qu'embue un peu cette mélancolie que donnent à leurs gens les terres
de lumière. Il revient du faubourg où les mitrailleuses crachent par les
fenêtres, pour nous dire la belle ardeur des marsouins qui montaient au
drapeau, et qui savaient mourir devant les tourelles écrasées
Si l' Infanterie ne prend pas dans la nuit le fort de l'Artigue aux portes
duquel elle arrive, le groupe reprendra sa concentration à l'aube du 25.
Au matin, les Allemands abattent à la mitrallette, les parlementaires qui
leur sont envoyés sous le drapeau blanc, pour régler les conditions de leur
reddition. Et à 8 h .50, tandis que la 5 tire en contre-batterie sur la fort
de Saint-Mandier, la 4e et la 5e batteries pilonnent et écrasent le fort de
l'Artigue, reprennent en destruction à 16 heures en réglant pièce par pièce,
jusqu'à 18 h. 45, heure à laquelle la forteresse se rend avec trois cents
prisonniers.
Avant l'assaut de lendemain sur les organisations défensives du Mourillon,
les marsouins demandent une forte préparation de groupe pour appuyer le
bataillon S… du 4e R.T.S.* Et au jour, le Capitaine, commandant la 4, règle,
de son observatoire avancé de fort Lamalgue, un tir de 200 coups en une
heure sur la Pointe de la Mitre, et les murs d'enceintes de l'Arsenal. La
garnison se rend à 11h 30 avant la reprise de tir (80 blessés - 700
prisonniers). Le Colonel commandant l'A.D. 9 transmet un témoignage de
satisfaction pour le Capitaine commandant et pour le Lieutenant de tir.
Le soir, de 19 heures à 19h 20, le groupe exécute, sur la presqu'île de
Saint-Mandrier, des concentration qui seront reprises le lendemain de 10 à
17 heures et dont l'efficacité est telle qu'à la nuit on est déjà averti que
les ouvrages se rendront au matin.
*4ème
Régiment de Tirailleurs Sénégalais
Toulon est libéré.
A la Pointe de la Mitre et au fort de l'Artigue, le Chef d'Escadron
commandant le Groupe, permet à ceux qui ont servi les tubes, d'aller visiter
ce qui reste des forts : les murs en ruines, les canons brisés, et de voir
comment les tonnes de fer qu'ils ont chargées à pleins bras, ont là-bas,
arraché fer au fer et le ciment à la pierre
Dans cette campagne de France, qui commence et nous conduira par l'Alpe
blanche, du Jura aux Vosges, de l'Alsace au Rhin, et à travers les plaines
d'Allemagne à la frontière autrichienne, dans le magnifique élan de la Ière
Armée française, ceux de la Coloniale donneront leur mesure, par delà le
rideau des bois noirs, derrière cette première rampe des feux où les
spectacles de la mort et de la courageuse offrande s'éclairent à vif,
portant leurs tubes comme à bout de bras, de la boue qui poisse à la neige
qui enlise.
Et je dirai d'obscurs renoncements et la passion sans éclats qui a soutenu,
à un des bouts de la trajectoire, de splendides machines humaines rodées
comme des mécaniques, ceux du cambouis et de la graisse, qu'ont tentées,
dans le secret des gloire sans panache.
LES ALPES
Opérations dans les Alpes: avec la 2éme DIM ( 06 à 30-09 ) ;
avec la 4éme DMM (30-09 à 25-11) ; avec la 27ème Division Alpine ( 26-11-44 à
09-01-45 ) position diverses en Tarentaise , Maurienne , Briançonnais.
27ème
Division Alpine
Attaché à la 2e D.M.I.(*1) en renfort d' artillerie, le groupe fait mouvement le
31 août par Aix, Sisteron et Gap pour cantonner à la Batie Neuve. Une étape
de 225 kilomètres dans la journée.
Les campagnes, les bourgs, les moindres hameaux ont fleuri les robes de
leurs filles, et sont descendus jusqu'à la route. Comme l'enthousiasme est
généreux… on nous jette des fruits, des fleurs : un véritable tir
d'interdiction, en melon, poires et tomates. L' écho en nous de l' Afrique
Noire, de cette joie répandue, embellit encore l' admirable paysage de
France.
Quatre jours à la Batie Neuve, et le 3 septembre le groupe quitte son
cantonnement pour se porter vers le col du Lautaret, prêt à intervenir sur
Briançon ou sur la Maurienne. Le Chef d' Escadron reçoit alors l' ordre de
disposer une batterie devant Briançon, en mesure de tirer sur la ligne
Montgenève-Janus, d' en mettre une seconde à la disposition du 5e R.T.M.(*2)
pour appuyer ses opérations en Maurienne, et de donner à la troisième le
charge d'assurer la sécurité en Tarentaise.
Le groupe s'ouvre en éventail pour le quartier d'hiver des Alpes. Les unités
vont opérer en batteries isolées ; la 4 dans le Briançonnais, la 5 en
Maurienne, la 6 en Tarentaise.
(*1)
2ème Division d'Infanterie Marocaine (*2)
5ème Régiment de Tirailleurs Marocains
LE BRIANCONNAIS
Le 6 septembre, en batterie à Le Serre au bord de la Guisane, la 4 change
trois fois de gisement de surveillance. On cherche l'ennemi. Peu de
renseignements, aucune couverture.
Dans l' après-midi la première section détruit en trente coups une pièce d'
artillerie ennemie repérée au fort d' Anjou ; et le soir à 18 heures,
disposition de route, et par des chemins pour jeeps, on monte creuser les
trous de blèches avec 26 tonnes attelées et un empattement de plus de 2
mètres 50, au fort du Granon, à 2.420 mètre d' altitude. Le lendemain, le
ciel de coton gras interdit toute visibilité.
La batterie mise à la disposition du II/63 R.A.A.,(*1) descend à Foreville,
commence le 8 septembre ses réglages sur Clavière, le Chaberton et Césane,
et dans les jours qui suivent interdit l'entrée du Mont-Cenis et réduit une
batterie de D.C.A. signalée par avion de réglage.
Le 15 septembre, la 4 monte au fort du Ramdouillet qu'elle devait occuper un
mois, aux vues du Chaberton dont elle fit taire, une à une les tourelles. Le
20, les récompenses promises à Toulon sont officiellement publiées. L'
Aspirant et un canonnier sont cités à l'ordre de l'artillerie divisionnaire
de la 9e D.I.C. (*2) Les premières neiges se tendent sur les sapins que le soleil
du lendemain est assez dru encore pour effacer, mais déjà le froid mord à
vif et nos indigènes se recroquevillent dans leurs manteaux.
Ils sont cinquante qu'il faut remplacer en quelques jours par un recrutement
dans la montagne : Nevache, La Vallouise, le Queyras, d'où je ramène, avec
un benjamin de 17 ans, un garçon qui a tenu le maquis pendant un an,
commandé un peloton de 60 hommes armés de fusils de chasse et qui rend ses
galons pour servir chez nous comme 2e canonnier.
(*1)
63ème Régiment d'Artillerie d'Afrique
(*2) 9ème
Division d'Infanterie Coloniale
Et ces noirs qui nous quittent, qui, le matin vers neuf heures, nous
cherchent et nous trouvent, ces noirs << collent >> aux tubes espérant
peut-être qu'on les oubliera autour des pare-éclats qu'ils dressent et qui
protègeront les nouvelles recrues : nos jeunes, dont cinq, demain, seront
blessés à leur poste, avant même d'avoir été complètement équipés.
Il faut avoir vu nos Sénégalais dans la neige, prendre leur quart de faction
et réchauffer leur chair et leur cœur en chantant à mi-voix une chanson de
soleil, la chanson de la quatre :
Ambara, 4e batterie,
Toubadou be, amoro fi,
Melian ani m'bele beule
......................................
Et reprendre en chœur au refrain, en wolof, le proverbe de toutes les
saisons de l' homme, de son froid, de son chaud, de sa joie, de sa peine :
Kou amoul n'degue, nampa mame (Quand on n'a pas de mère on tête la
grand-mère).
Il faut avoir aimé nos soldats noirs dans leur magnifique volonté de servir.
Chaque, tirs sur Chaberton, Clavière dont il ne reste que pierres, Césane en
ruine, Rocca-Glarie, Bousson, et cette batterie du Champ de l' Ort prompte à
la riposte. Le 11 octobre à 10 heures du matin, après repérage d'un Dornier
les 150 poussent deux fusants hauts, plaquent leur tir et 20 coups tombent
en plien sur la batterie. On évacue en hâte les blessés, et les garçon
excités enfournent pour les représailles sur Césane auxquelles l' ennemi
répond aussitôt, blessant un autre devant le P.C. au milieu de la cour
encaissée dans les rochers, à la place où les macks partis au ravitaillement
en munitions étaient parqués il y a moins d'une heure. Le Commandant de
groupe qui vient justement visiter la batterie, est salué par les derniers
obus ennemis à sa descente de voiture. C' est double fête… nous nous sentons
à l' aise dans l' affectueuse bonté qu'il dispense si naturellement à tous,
au cours de ces visites à ses enfants perdus sur tous les horizons de la
montagne.
Le Lieutenant de tir et les blessés sont cités à l'ordre du II/64 R.A.A.(*1)
dont nous appuyons les 105 depuis le départ du IV/63.
Les routes sont déjà prises par les neiges que commencent les sorties en
sections et pièces nomades dont je reparlerai.
Le 14 octobre, par un ciel du bleu passé des lavandières et qui permit, de
la Croix de Toulouse à une distance d'observation de 19 kilomètres, de
régler sur Sestrières, une section nomade tire en destruction 200 coups en
deux heures et supporte une contre-batterie bien ajustée, sous Cervières en
ruines.
Les routes en lacets qui descendent du fort serons bientôt impraticables, et
la batterie va occuper le 20 octobre au Crau, nue nouvelle position près de
l' ancienne cartoucherie de Briançon. On s'enterre dans un jardin, sous la
Guisane. De là, il nous faut répondre aux exigences de ce front de l' Alpe,
et bientôt seuls, avec nos << quatre >> quand le II/64 aura quitté la
région. Les hommes prennent la garde dans un mètre de neige. On a touché
6paires de snow-boots.
(*1)
64ème Régiment d'Artillerie d'Afrique
Pour ménager la ville que les allemands ont sous leur feu, on se tait le
plus possible sur la position d'où on arrache, c' est le mot, toutes les
nuits, une ou deux pièces. Et sans lumière, dans la neige qui mange les
routes, on marchent devant nous, les macks, on fait la piste en se gardant,
parce qu'il n'y a souvent devant nous, que la montagne . Et les autres en
descendent. Ils ont mis en batterie une mitrailleuse au bord de la route, le
jour de Plampinet et attendu la première voiture convoi qu'un mack enlisé
retardait. La Citroën des gars de Nevache qui nous a doublés, a été criblée
de balles. Les mortiers ennemis ne se taisent pas la nuit et crèvent les
chemins ; mais le jour de Plampinet, c'est Bardonnèche qui a payé, avec sa
centrale électrique éventrée, la conduite d' eau crevée, le P.C. des
artilleurs allemands détruit, et ce train qui arrivait en gare juste pour y
sauter.
Ca paye en retour les garçons qui, pour tirer 300 obus ont chargés et
déchargé deux fois le mack renversé, gelé dans la neige un jour et deux
nuits, à trente, en cercle, autour de deux tracteurs, deux tubes, deux
mitrailleuses, et qui reviendront par ce chemin en surplomb que limite un
rocher et dont l' autre bord longe le précipice. Ce chemin, qui sur 300
mètres est moins large que les tracteurs : à gauche le pneu jumelé de l'
extérieur est dans le vide, le rocher bloquant à droite. Je les ai vu faire
passer là, sur une glace où l'on glissait sans rouler, les 26 tonnes trop
larges, à quatre pattes éclairants mètre par mètre sous chaque roue, à la
lampe de poche, et en trois heures pour 300 mètres. Mais ça passait…
Le front du Briançonnais : c' est Terre Rouge, c'est la Maison Crénellée et
Les Alberts où les allemands sont venu faire un coup de main à minuit,
buvant aux caves, emmenant les vaches, et que le Lieutenant H… traversa à
deux heures du matin avec deux gaillards mitraillette au poing, les moteurs
éteints, à coté de l' église. Le Lieutenant H… est mon ami. Cela ne doit pas
m' interdire de dire avec quelle conscience et quelle fidélité il sert, et
quel exemple il est pour nos garçons. Le front du Briançonnais : c'est
Cervière, le 19 novembre d'où on tirera 300 coups en deux heures avec une
section pour n 'en recevoir que 80, des 150 et 88 à moteur qui ont rallié au
canon et encadrent dans sa montée vers les pièces, le premier mack qui vient
accrocher : 8 salves de 88 qui noircissent la neige, tandis qu'un entonnoir
énorme s' ouvre juste derrière la troisième pièce dont tous les servants,
debout, ne sont occupés que de la masse noire dont on entend toujours le
moteur.
Nous serons en Alsace, à Rustenhart, quand seront notifiées les récompenses
obtenues à la batterie en cette journée où Sestières a , pour la seconde
fois, payé pour Briançon. Le chef, le chauffeur et un canonnier de la
première pièce sont cités à l' ordre du 64 R.A.C.
Pendant sa garde à la frontière italienne, du 06.09.1944 au 02.01.1945, la
batterie à tiré 6.700 coups et fait taire la menace qui tonnait sur
Briançon. Lorsque les chiens de garde se turent, à notre départ, et que la 4
prit la route d' Embrun, saluée la veille de sa mise en route par 80 coups
bien groupés sur la batterie, il y eut un répit sur les pentes d'en face.
Et pour garder le contrôle des horizons blancs : la Croix de Toulouse, l'
Aiguille Rouge, et un point à 2.700 mètres, le Janus.
Six heures de montée, 2 en voiture et 4 à pied ou sur les genoux, par les
lacets interdits du Chenaillet. Silhouettes qui se traînent dans le blanc de
lune, à 50 pas d' intervalle et se défilent contre la cloison de glace.
Là-haut, c' est le réduit de béton dans l' humidité qui vous détrempe la
chair, sans lumière, sans feu, et de l' eau seulement pour boire et que l'
on ménage. Le quart sous la coupole d' acier où l' on se recroqueville, l'
œil collé au verre, vision mouvante d'un univers blanc où se bousculent des
montagnes, du Clos des Morts qui se découpe à gauche du Chaberton, au col de
l' Izoard, à la pointe de la Portiola, et aux champs bleus de la Dormillouse
où les skieurs ennemis boulent comme des lièvres blancs à la première rafale
qui ponctue de noir la fin de leur trajectoire, à mi-pente. Le Janus… un
tube de périscope qui crève trois mètres de neige ; Et les petits matin dans
la cage de ciment, avec, aux créneaux, cette désolation des étendues vides
où passent les cohortes fantômes, dont les yeux fatigué comptent les hommes
sur les pentes gelées. Enfin, malgré le froid qui ne purifie pas cette
fosse, cette insupportable odeur des autres… et de soi. Le Capitaine
commandant aura passé au Janus trois mois sur cinq ; escale de silence à la
pointe du froid noir. Mais, il sert… il n'est rien d autre que soldat, celui
qui ne choisit pas l' armure. Sa part est faite. Seul, il dispose du poids
de la réponse en fer, sur ces versants italien confiés à sa garde… et les
tubes lui sont si obéissants… Je reviens à eux, enfouis dans la neige,
chiens fidèles et qui comme les femmes, s'embellissent dans la main de l'
homme. Servitude et amour. Les << 4 >>… et puis, oui, bien sur, des hommes,
mais de << boulon >>, de la << S.A.E.-30 >> et du << vérin >>… et les
cuistots font des ragoûts pour cette table de valets d' armes qui aident au
montoir quatre chevaliers lourds.
MAURIENNE
C'est la 5e batterie qui sera l' élément lourd de ce secteur.
Le 6 septembre 1944, à 5 heures du matin, la batterie cantonnée au Grand
Clot, se rend au col du Lautaret où sa première destination lui est donnée :
Valloire. Il faut passer le Galibier - 2556 mètres. Le matériel donne sa
mesure. On est à pied d'œuvre que l' ordre arrive déjà de se porter au fort
du Télégraphe qui fut tenu autrefois par une batterie…
Il faut dire que dans cette campagne des Alpes, l' épreuve a été faite du
155 Howitzer au cul de ses macks, et tant en Maurienne qu' en Briançonnais
et Tarentaise, pourvu que la route soit assez large, je ne parle pas des
tournants en épingle à cheveux, qu' on passe en décrochant et à bras, ce
matériel qui s' impose par son envergure et son poids s' est révélé aussi
maniable, que la plus mobile des artillerie de montagne.
Le fort de Télégraphe est un piton dont les flancs se coupent à la verticale
sur des pics de 800 mètres avec, devant la crête, une aire d'un soixantaine
de pieds carrés. Dans ce vide qu'on surplombe, les ponts routiers et ceux de
la voie ferrée sur l' Arc sont les objectifs quotidiens de l' ennemi qui
dans sa retraite garde en otage la population civile. Dans le Briançonnais,
les Allemands ont cloué des enfants en croix, sous le porche des églises,
comme les paysans font des chouettes aux portes de leurs granges pour
conjurer le mauvais sort… Il ont scié une jeune fille entre des planche.
Ici, ils se mettent à l' abri derrière les paysans qu'ils poussent en
troupeau muet. La situation est si confuse que la batterie ne peut tirer et
descend de nuit, le 10, pour atteindre la redoute, et les casernes de
Modane.
Ah… ces mises en batteries de nuit, quand le temps vous presse, que la
mission est impérative, que le roc refuse la pioche et qu' on y voit avec
ses mains. De belles mains d' hommes, fortes, usées de gel, saignant au fer…
ces mains que la mort semble épargner et qui continuent le geste au bout des
bras des gisants terribles jetés aux fossés de la route…
Du 14 au 17, la 5 change trois fois de position pour des mission sur le col
du Fréjus, le Pas du Roc et le col de La Roue. A Avrieux, on ouvre les
sections de 3.200 millièmes. C' est le << tir au Lapin >> observé de la Tura
du Lavoir, sur les mortiers, les nids de mitrailleuses et les convois de
muletiers qui descendent au Pas du Roc.
On attend des munitions.
Dans l' Alpe, il a fallu souvent compter ses coups, et c 'est le dur
problème du ravitaillement.
Pour demain, deux macks à la C.R. qui roule sans répit… trois jours de
vivres . Roulez, les lourds… la route est ouverte de la montagne à la mer.
On ira jusqu' à Fréjus et à Hyères, 400 kilomètres. On tient 20 heures au
volant. On revient. On passe les cols, on rêve de se laisser tomber et de s'
anéantir dans la paille qui vous attend après la répartition aux pièces. Et
on trouve la batterie de tir alertée, on la devine plutôt, avant d' être
dessus. On la devine dans le tournant en surplomb sur la route en lacets :
les flèches sont fermées, les couvre-avants et les couvre-arrières sont mis.
La première section va passer l' Arc et chercher pendant 4 heures de nuit,
par des routes englouties sous la neige, les positions de pièces nomades,
des Aussois, de Braman, ou de la redoute Marie-Thérèse.
On ne fait pas assez sa part au chauffeur. Quand il est bien rôdé comme son
moulin, celui que personne ne relève de la garde épuisante qu' il monte à 20
miles heure, avec trente tonnes dans les reins, celui-là aussi a des mains
dans ses gants.
L' activité de l' ennemi s' est accrue dans les cols et le Mont Cenis. On
multiplie par quatre pour les faire taire. De 120 à 180 coups par jour.
Le 16 novembre, les Allemands attaquent Termignon et s' assurent l' avantage
; Nos deux pièces sont dans une situation critique et pour ainsi dire sans
protection jusqu' à l' assaut donné par les Tirailleurs de Modane et la
reprise de Termignon qui permet l' installation d' un observatoire dans un
piton qui surplombe.
L' ennemi déclenche le 24 une attaque qu' enrayent immédiatement nos tirs d'
arrêts sur le Coin d' où les vues sont excellentes, et sur la section d'
infanterie de protection.
L' hiver écrase la montagne.
Le Lieutenant commandant la 5 prend son poil d' hiver, il est d' une âpre
qui forme ses gens. On le trouve en lui, attaché comme au caillou noir de
son Auvergne. C' est un bon compagnon qui ne change pas de pas et, comme ses
gars, il a des mains. Du 6 au 25 novembre, la 5 n' est plus autorisée qu' a
tirer en pièce nomades. Elle montera alors sa garde depuis Avrieux, jusqu'à
son départ de Maurienne le 9 janvier 1945.
Trois mois d'un hiver sordide ont tanné les cuirs, fait des anciens, des
montagnards, et des conscrits venus à nous de la montagne, des soldats qui
sont encore gauches dans l' uniforme et gênés aux entournures, mais des
lurons décidés qui servent les tubes comme des anciens.
EN TARENTAISE
Il est des noms qui chantent comme des cloches de pâques, il en est qui
embaument. Pour ce qui est de la Tarentaise il faut savoir comment un hiver
froid noir met l' accent sur le parfum et la chanson…
Le 8 septembre, la 6e batterie arrivait dans cette fière vallée portée pour
les petits frères, furent immédiatement pris à parti par nos aînés qui
firent en destruction de beau travail. En réponse le 10 septembre, la 6
recevait le baptême du feu.
Dans tout le secteur des Alpes, tenu par le groupe, l'ennemi a fait
quotidiennement l' aveu de cette passivité sournoise, et s' est montré
économe de ses coups. Il tenait le front avec du 150 auto-moteur très mobile
et nous cherchait depuis des positions préparées et à s' assurait l' effet
de surprise. Comme sur Cervières, ce jour-là riposte en représailles, éclata
sur Bourg-Saint-Maurice, deux heures après l' alerte donné chez l' ennemi
par l' efficacité de notre tir du matin. Ils avaient aussi, pour se défiler
sur leurs versants, les terribles petits chemins bordés par des vides
lumineux qui attirent, mais il faut leur rendre cette justice, ils savaient
rallier au canon. Donc le 10, les 150 cognent. Où est notre batterie : à la
sortie de bois à l'entrée du bourg ? L' ennemi essaie sa chance et la
répartit à l' aveugle. Les obus sifflent et tout à coup c' est le
chuintement aigu, jusque dans la chair même ; à la gueule des tubes, la
terre soufflée, les cailloux giclent… et ce réseau des cordes d' acier qui
se rompent ; la harpe des queues de trajectoire. C'est beau.
Les jeunes tiennent le coup. Il faut aux hommes cette épreuve et s' être un
peu sentis dans la main de Dieu, petits, si petits, et, dans les minutes
terribles, innocents de leur haine, de leurs passions, de l' ardeur cruelle
de leur sang épais. Cette terre fouillée où on a creusé des trous d' hommes,
ces pare-éclats où l' on a entassé d' énormes troncs de sapins, nous
protègent.
Le guerre est la plus belle école qui soit pour apprendre au servant de son
arme à n' être que ce qu' il est. Aux obscurs, leur crasse. Il suffit de l'
enchantement d' une heure précieuse pour qu' elle soit chaude et généreuse.
Il y aura après cette guerre, c' est certain, comme après la grande
dernière, toute une littérature de la boue et du cambouis, parce que nombre
de gars qui reviendront chez eux, à la << quille >> comme ils disent, quand
ils revivront leurs souvenirs de guerre, s' isoleront encore dans cette
gangue magique.
Qui saurait faire une observation à un de ces mécanos de la C.R. bien à l'
épreuve de la graisse et oint jusqu' au derme et qui n' a pas le temps de
nettoyer autre chose que ses moteurs. Alors… ? Et du canon comme du mack… On
va atteler, la batterie est répétée ; demain dans la cour du fort désarmé de
Vulmix, on connaîtra, l' acharnement que l' ennemi dépense pour écraser l'
ancienne position de batterie.
Le lieutenant V… qui commandera la batterie jusqu' en décembre, fait la
guerre de son pas de paysan des plaines d' Oranie, et trace droit, comme à
la charrue. L' observatoire est à 1.600 mètres, au lieu dit Courbaton. Le
26, l' ennemi le prend à partie, et les 149 Italiens règlent, assurant la
hausse et s' en donnent. Une voiture et une pièce de la batterie de 105
voisine sautent, et à l' observatoire, tous les appareils sont détruits.
Le 1er octobre, la 6, qui a reçu l' ordre de s' enfoncer plus avant, s'
installe dans la vallée au village de Viclaire.
Les chiens de garde vont être attachés de court et ne gueuleront que plus
fort à la lune qui nous vient d' Italie.
L' ennemi s' acharne sur Bourg saint-Maurice et fait des morts parmi la
population civile. Des représailles… il les faut immédiatement et efficaces.
Sur le col du Mont, une grande activité vient d' être signalée : troupe et
travailleurs ennemi. Une pièce est détachée à Sainte-Foy et les baraques de
col sautent en l' air.
La montagne d' hiver est la même partout. On devine sur l' autre versant, s'
arrachant de son abri enterré, le pointeur qui a regardé sa montre, et tire
ses 10 coups sur Briançon, le Coin ou Bourg Saint-Maurice et l' observateur
qui guette nos vallées et s' assure un pic par une ascension de toute une
nuit.
Le 15 octobre, l' << aspi >> monte avec un radio pour participer à un raid
F.F.I. en Italie. De là-bas, il règlera sur des villages ennemis. Il
règlera… Cela se dit au pied de la montagne et le sommet est à 3.000. On se
traîne, on s' arrache à la neige, et ce qu' on abandonne de soi aux haltes
qu' empire le froid terrible, est plus précieux que du sang. En haut, le
gars est dépouillé, vidé jusqu' au fond de la poitrine ; sous les pieds, la
mer de coton, l' édredon bourré de nuages. Toute vue interdite… l' Aspirant
H… aura ajouté 1 mètre 92 à l' altitude de son piton… Et la descente sera
plus pénible encore que la montée. On remontera demain. Malheureusement, on
n' a que des mots pour mettre bout à bout ces << demains >> d' un hiver de
trois mois. Devant nos fantassins, ceux de coup de main, ceux qui feront 10
kilomètres en 10 heures pour aller chercher un prisonnier chez l' ennemi,
ont besoin de cet encagement de fer. Et les 155 y vont avec ardeur : 100 à
200 coups par jour en harcèlement et tirs d' appui direct.
Et ainsi jusqu' au 9 janvier 1945, date à laquelle le groupe qui va se
reformer pour la campagne d' Alsace, ordonne la relève des canons de
Viclaire.
LES VOSGES
Le 9 janvier, les batterie font mouvement avec point de ralliement Grenoble
où le groupe se reforme, après des étapes de 200 kilomètres. Dans la cour du
quartier de Bonne, on fait les peins. Le départ est pour demain 8 heures. On
fera encore 200 kilomètres dans la journée jusqu' à Voiteur, près de
Lons-le-Saunier, et à 2h.30 du matin, on reprend la route en direction de
Gérardmer.
Ce sont des étapes du gel et du silence. Les chauffeurs sont pris dans le
froid, comme des blocs, à leur volant.
Arrivée à 6 heures du matin à Gérardmer, la 5 relève le 1er batterie du 66/R.A.A.(*)
tandis que la 4 s' installe à la Bresse où la 6 viendra la rejoindre au
creux du vallon de la Mosellotte dans un paysage décharné.
Ce ne sont pas des soldats qui sont passés sur ces villages écrasées, mais
des hordes de bêtes. Tout le val fume encore de l' explosion gigantesque qui
a jeté les maison, pierre à pierre, dans le ciel noir. Ils ont bourré les
caves d' explosifs et mis le feu.
(*1)
64ème Régiment d'Artillerie d'Afrique
Nous arrivons sous un ciel beau. La montagne courte aux lignes pures, porte
les longs fûts des sapins altiers, si lumineux qu' en bas, le reflet de
cette majestueuse grandeur, de cet équilibre d' une nature irréductible, de
tout ce qui refuse glorieusement la guerre et ses ombres terribles, l'
intense reflet chauffe ces ruines et ces décombres. Des têtes d' enfants
passent aux soupiraux des caves. Des femmes qui vont sans regarder les
gravats et les cendres, ont de beaux regards Rasé, brûlé, ce village a gardé
son âme.
L' hécatombe de la route de Aasen et tout fer dont nous écraserons sur le
Danube les 2 colonnes de groupes ennemis pour ouvrir le chemin à nos chars,
dans le fer et dans la chair vive, paieront-ils assez la détresse de ces
fiers villages de France. Les moindres chemin sont truffés de mines ; Dans
cette zone qui donne peu de choix pour l' emplacement des batteries, l'
ennemi nous a laissé des terrains bien préparés pour nous recevoir. Sur le
bas côté de la route où la colonne de la 4 a ouvert la neige, la jeep qui
conduit les tracteurs de la 6, saute sur une mine. Il retombe des morceaux
de voiture, et les passagers… dans leur entier.
Le groupe tire sur le col de la Schlucht, sur Montaley, les abris de
Rottenbach, détruit la ferme de Hus, prend à partie des batteries ennemis
qui se révèlent par leur feu et harcèlent nos fantassins de couverture ainsi
que nos observatoires avancés. Celui de la 5 est soumis chaque jour, avec
une fréquence et une intensité étonnante, à des bombardements de mortiers d'
une rare précision.
Le 14 le maréchal des logis L… observateur de la batterie, redescend après
une dure journée, et le lendemain, avec son bel entrain, et cet allant qui
le poussait à chercher toujours sa place aux poste les plus périlleux, il y
montera à nouveau pour trouver une mort dont il était digne. Dessinateur de
talent, il n' aura pas vu l' exécution d' après la maquette qu' il avait
donné de l' insigne du groupe : l' éléphant dans sa roue, et bleu, blanc,
rouge… rouge de sang.
A la visite qu'il nous fait, le Médecin - Capitaine R… nous parle de celui
qui vient de succomber à Gérardmer où l' on a eu le temps de la transporter.
Le docteur est une des belles figures du groupe. Sa voiture à Croix Rouge
est bien, avec celle du Commandant, celle qui totalise le plus de
kilomètres. Médecin et Soldat, lui aussi a le droit de dire : mes batteries,
mes garçons…
Nous ne ferons dans les Vosges qu' une escale brève.
L' ordre de départ est reçu le 17 janvier. En appui de la 4e D.M.M.,(*1) le
groupe, dont les éléments lourds rassemblés à Gérardmer, prendront la route
dans l' après - midi, devra être en place à 20 heures à Steinheim en Alsace,
après une étape de 150 kilomètres, par Belfort, Lure, Luxeuil et Remiremont.
Nous allons traverser l' Alsace à plein moteur.
(*1)
4ème Division Marocaine de Montagne
L' ALSACE
Le groupement n° 3 auquel est rattaché le II/R.A.C.-A.O.F. va jouer son rôle
dans l' action d'ensemble, au profit de la 4e D.M.M.(*1) dont la mission est de
rompre le dispositif ennemi sur l' axe Thann-Defultz, de prendre Vieux-Thann
et cernay, et en liaison étroite avec la 2e D.M. II de poursuivre l' effort
de rupture sur l' axe Uffholtz - Reguisheim, avec l' aide des blindés de la
1re D.B. franchissant la Thur à l' est de Cernay.
Avec le I/65 et le II/61, le II/R.A.C.-A.O.F. appuiera le groupe de commandos
pour une préparation d' avant l' attaque. L' ETAT-MAJOR du Groupe cantonné à
Lauw. Les batteries sont de part et d' autre du pont de la Doller, en
bordure nord au sud de Vieux-Thann.
Le 20 janvier, le groupe, en préparation de l' attaque sur les pentes ouest
de l' Anselkopf, tire deux mille coups de canons de 7h 25 à 11h 20 avec
comme objectifs principaux : Backerhof, sa route et son tournant, la tête de
la vallée de Steinbach, et les pentes sud du Wolskopf.
L'infanterie poursuit son attaque et dans la journée du 21, après les
harcèlements qui tiennes nos gars alertés toute la nuit, le groupe met en
place et consomme 800 coups en neutralisation.
Sa mission dans ce secteur est terminée ; et rattaché à la 2e D.M.I., il va
disposer ses batteries à la sortie de Galfingue, tire 300 coups en
harcèlement dans la journée de 23, 600 le lendemain en destruction et 700 le
surlendemain en concentration sur la cité Langezug et Wittelsheim. La
position de groupe reconnue primitivement à la cité Esle étant jugée par le
commandement trop avancée, le Chef d' Escadron fait occuper le 25 par la 4
une nouvelle zone au nord de Heimsbrun, les 2 autres devant faire mouvement
le 26.
Pour nous, du soutien lourd, cette campagne d' Alsace va être la course au
nœud de forces, l' appui brutal, le garde, et la poursuite sans répit,
tracteurs bourrés jusqu' à surcharge, et dans l' impérative mise en demeure
d' être prêts, à tier ailleurs et tout de suite à l' obus qui attaque et de
n' accrocher qu' au dernier moment pour tirer ici, encore à obus qui
harcèlent. On monte le vérin, on tire, on débèche, on charge, on roule, on
décharge… il n' est plus question de pare-éclats ni de protection. On s'
atèle, on tire à pleine épaules.
Un coup de fouet… le Commandant. Il mène le groupe depuis notre départ des
Alpes et le conduira jusqu' en Autriche. Il a choisi sa formule de
discipline stricte, et le geste. Il s' y tient. S' il casse, c' est sans
bavure, nettement. Devant, il tire en flèche.
Ca suit…
(*1)
4ème Division Marocaine de Montagne
On dit que la boue ne se mange pas. On en mangeait…. C' était boue, à
Richwiller, à Pulversheim, à Meyenheim, à Hirtzfelden… boue absolument. Mais
c' est elle qui avalait les canons.
Ah…. Le dégel à heimsbrunn. S' il découvrait les champs de mines, des prés
et des vignes où les macks avaient passé comme entre des quilles sur la
nappe blanche, à la mise en batterie, ils faisaient penser à la sortiie.
Quand… ? L' ordre venait peut être d' arriver de se porter en avant. Les
trous individuels se remplissaient comme des baignoires. La vase montait
dans la maigre paille non battue, sous la guitoune. Q' importe… ; Les nuits
de harcèlement se passent à se désembourber de la fosse de recul qui s'
ouvre d' elle même, jusqu'aux flèches.
Le 28, le groupe tire un millier de coups sur la Thur et Wittelsheim.
Allons-nous nous enliser là, malgré les chemins de rondins et de fascines ?
Le 3 février, concentration de 300 coups, et dans l' après-midi les
batteries foncent sur Richwiller et se mettent en position sur la lisière
nord du village, et à l' aube : dispositions de route. Pour faire des
chemins, on a abattu des clôtures, des arbres, on a bourré de pierres un sol
qui engloutit tout, et à la 4 , les macks s' embourbent attelés au mack
embourbé qui pensait pouvoir seul désembourber, première pièce. D' autres
unités feront appel aux chenilles qui devraient bien être amphibies.
La nouvelle position est dans un pré bordé d' un rideau de forêt claire. C
'est Pulversheim d' où nous tirons sur les carrefours de Reguisheiem,
Ensisheim, et la lisière sud du bois à 1 kilomètre de Mayenheim… où nous
serons demain.
Les hommes entre deux harcèlements passent la nuit à abattre le bois et
entassent les branches, de la route à chaque pièce, de chaque tracteur à la
route. On sort de batterie, on fonce et à Mayenheim la 5 et la 6 à l'ouest
du village, pour chercher le dur, montent sur la voie ferrée, tandis que la
4, à la sortie nord, ne descend que prudemment sur les bas-côtés de la
route.
L' ennemi s' est jeté au Rhin. Ses dernières batteries attelées de chevaux
de charrue, poussent devant lui des troupeaux de vaches auquels il n' aura
pas le temps de faire passer le fleuve ;
Arrivé le 7 dans l' après-midi à Mayenheim, le 8 à 21 heures, le groupe
tirait son premier coup de canon en Allemagne d' une nouvelle position
étalée entre route et bois, aux environs de Hirtzfelden. Le 9, la 4 décolle
et fait un bon en avant en forêt, au nord des anciennes usines de
Blodelsheim sur lesquelles les batteries de la forêt noire déclencheront de
violents harcèlements à la tombée de la nuit. Le groupe est sous tente, dans
le bois mouillé qui s' égoutte, et tire en harcèlement. Sur les bas côtés du
chemin, l' ennemi qui a fui en hâte, a abandonné d' énormes dépots de
munitions. Quelques jours passent. Un espoir précieux à lui. Et la nuit de
veille hachée toutes les cinq minutes par le hurlement de quatre tubes qui
crachent 320 coups sur Buggingen, Battenheim, Hugelheim, la station de
Mulheim et le village, les gars ne rêvent pas de repos qu' on va leur donner
mais de la rive enchantée, l' autre… des terres de l' est et d' une
Allemagne ouverte par l' Alsace reconquise.
Du 4 au 11 avril, les Pipers qui n' ont jamais chômé ne sont pas descendus
du ciel . Le 10, au cours d' une reconnaissance profonde vers Mayenheim, l'
oiseau découvre deux pièces dans une clairière près de Feldkirch. La 4 les
écrase. Le 11, malgré la D.C.A. lourde, une piste insolite lui permet de
repérer deux pièces bien camouflées au sud-est de Schlingen. La 6, par une
concentration bien en place, la pilonne.
Et c' est la fin de la résistance dans ce secteur. Le 13, l' ennemi est
définitivement chassé de l' Alsace et les troupes françaises bordent le Rhin
du sud au nord. Nous allons prendre un peu le temps de regarder cette
province que nous avons traversée dans la fièvre, ses champs et ses claires
maisons aux charpentes peintes de vert, de rouge, d' ocre qui débordent des
mortiers du mur. Le soleil chante sur les guérets dont les charrues
retrouvent les sillons et les payants un patois qui s' adoucit dans les
maison qui nous accueillent. Ah… regarder des canards marcher au pas dans
une cour de ferme où on lave les macks, où on démonte les culasses et se
décrasser le cuir dans le cuveau des lessives ! Nous savions bien pourquoi
nous pouvions mêler à nos <> les éclaboussures jaillit de cette terre
chargée d' un lourd destin. Elle porte bien le soldat. Elle en a fait. Elle
se souvient. Et un vieux qui a dû servir des canons allemands est à la
gueule de nos tubes. Pas d' encuivrage aux rayures de la bouche… Bien sûr
qu' il sait, ce vieux, et qu' il a déjà soupesé ce matériel, en livres. Et
nos gars de se sentir <>. Ils ne se souviennent plus que, tout à l' heure
sur la route au carrefour de Fessenheim, ils ont eu la route coupée devant
les macks par une batterie qui interdit le passage. Le caoutchouc aussi est
bon. On a sorti des pneus de beaux éclats.
Sue les journaux de marches de chaque batterie, pendant quelques jours on
peut lire : R.A.S. Il faut savoir traduire (entretien de matériel) . Tandis
que la 4, d' abord en instruction de peloton à Mulhouse se rendra au
Valdahon pour les écoles à feu d' instruction de cadres d' une promotion de
polytechniciens, la 5 tient position au sud de la Maison forestière, et la 6
à l' ancienne fabrique, près de Sausheim, avant d' être mise à la
disposition du I/65 R.A.A. Le groupe est complété en remplacement par la 1re
batterie du I/65, en position au nord de carrefour de Grunhutte.
Le 2 mars, la 5 tire en destruction sur un train arrêté ; Le 10, la 6e
batterie que la 4 relèvera en quittant Valdahon, tire à vue sur des
travailleurs ennemi depuis Blotzheim où elle est violemment prise à partie
par les batteries allemandes. Le 20 février, la 5 reçoit l' ordre de
détruire au pont de Chalampé, une tour qui sert de rufuge à des armes
automatiques. Le tir de 150 coups est observé à 200 mètres de l' objectif.
La tour est détruite.
La nécessité de faire réviser le matériel est impérative. Une à une les
batterie passent par les ateliers de Belfort.
Durant le rude hiver, de nombreux véhicules rendus indisponibles par suite
du froid, ont été immédiatement remis en état par l' atelier auto du groupe
qui a donné en janvier-février son rendement maximum. Un gros travail de
remise à neuf à été fait à Mulhouse. Grâce à l' effort de la C.R.2., le
groupe, sans avoir un véhicule hors d' état de marche, va faire sa campagne
Rhin-Danube dans le mouvement endiablé qui porte les fantassins de la 1re
Armée Française, à qui son chef a fait chausser des bottes de sept lieues.
ALLEMAGNE
Nous sommes revenus à la garde du Rhin. Du bois de la Hartwald où les
muguets sont avance sur le printemps, nous pilonnons la rive ennemie. Les
ripostes sont violentes. Quand passerons-nous le fleuve ? Une belle
impatience nous tourmente à mesure que les jours s' écoulent. On attend la
nouvelle. Elle va vite. La 1re Armée Française en plein élan, ouvre son
chemin en Allemagne et déjà bouscule l' ennemi. Et l' ordre, enfin… le 16
avril.
Et le 17 le groupe brûle les chemin, passe le Rhin à Seltz au début de l'
après-midi et va cantonner à Lichtenau.
Qu' elle est grasse cette terre d' Allemagne, et fleurie, et passive dans la
même saison qui blanchit aussi tous les cerisiers d' Alsace. Qu' il est
imposant ce pont de bateaux qui ploie sous nos macks, ce chemin de bois
ondule, tandis que nos garçons chantent la Colonile, hurlent leur joie à
plein gosier insensibles à la basse platitude des travailleurs ennemis qui
travaillent dans la boue.
Le Commandant fait passer le pont flottant à un groupe aguerri et bien en
mains qui, sous lui, pourra faire face aux exigences de l' heure. En Alsace,
le P.C.T. a donné sa mesure sous les ordres du Lieutenant A…. qui a la
vigilance, la rudesse de dogue et qui sert avec passion. Les observateurs
savent porter les yeux du groupe là où on cogne, en nos Pipers montés par
des jeunes qui ont la religion de la mission et un tranquille courage,
tiennent l' air tant <>.
Dans la nuit, le Capitaine commandant la 4 a un grave accident en Jeep, en
reconnaissant la prochaine position. Pendant une semaine, il se fera porter
derrière ses pièces sur un brancard. Un éclopé qui enrage, comme enrageait
en Alsace la Capitaine commandant la 6 qui marchait avec un pied gelé, et
avait appris de ses Landes silencieuses de beaux silences d' homme.
A 2 heure du matin, le groupe va s' installer près du village d' Erlach.
Accroche et course contre la montre ; A 17 heures le groupe s' est porté en
avant et tire depuis Oberkirch pour faire à nouveau mouvement dans la nuit à
23 heures ; Etape de 150 kilomètres sans lumière dans une nuit à couper au
couteau, par Ranchen, Achern, Bull où la C.R.2. est mitraillée par un avion
qui prend la route en enfilade, Baden-Baden, Gerrnesbach, herrenhalb,
Calmbach, Wildbad. C'est une randonnée de cauchemar. On cherche sa route
chez l' ennemi, sans protection. L' ombre inquiétante pèse sur de hauts bois
fermés et denses : de fameux nids de maquis qui interdiraient une route avec
une bonne mitrailleuse. Et il faut ouvrir ces ténèbres en poussant tant qu'
on peut les moteurs. La Forêt Noire… oh combien défendue par sa nuit,
troublée par les échos de la vie sourde de ceux qui fuient sous couvert, de
ceux qui s'y cachent ; Pourquoi n' osent-ils pas tirer sur le convoi et
mettre le feu à cette essence qui roule ?
Le Havre- c' est le mot- après qu'on a couru toute voiles dessus, et comme
au compas, dans cette marée du noir ardent- l' escale est à Freudenstadt. La
ville brûle encore, l' artillerie et l' aviation ont jalonné nos étapes. Le
lendemain 20 avril, le groupe est sur roues et gagne ; à 35 miles heure, sa
position d' attente près de Dornhan. Courte halte pour des battues dans le
bois dense par de petits commandos qui ramènent des prisonniers.
Le 21, on force encore les étapes : Seedorf, Dunningen, Lackendorf, Stetten,
Flozlingen, pour cantonner à Horgen. Nous sommes de la course au Danube. On
le verra demain, derrière l' ennemi qui bat en retraite, à Donaueschingen,
où le fleuve encaissé commence à prendre son élan. Nous passons Pfohren. Le
groupe se met en position sur les berges sinueuses dans les près gonflés d'
eau près du pont de Neudigen. C'est là, que lors de la reconnaissance
préalable, les commandants de la 5 et de la 6 arrivés avant les fantassins,
ont trouvé un village qui, près du pont, venait se rendre derrière son
drapeau blanc.
Le P.C. et l' Etat-major sont à la Maison Isolée, sur la pointe de court
mamelon, près de la route Donaueschingen-Geisingen, à l' angle du petit
chemin qui descend au pont de Neudingen. De part et d' autre de ce chemin,
les batteries sont au Danube, à 800 mètres de là.
Nous restons sur bêche, en position avancée, réglant devant les fantassins
qui prennent les crêtes du sud-est. La situation est étonnante pour un
groupe de notre poids engagé de si près- nous avons cette- chance- qu'on est
oblige de tirer à 1.500 mètres sur les nœuds de résistance des fantassins
ennemis, qu' on voit, sans jumelle, organiser leur terrain, leurs nids de
mitrailleuses et de mortiers, et nous posons comme à la main nos coups
devant nos fantassins qui rampent pour l' assaut de la colline et que nous
aidons dans la réduction des villages et bois.
Tirs sur Achdorf, Evatingen. L' observatoire est à 1.500 mètres ouest de
Ragen, à moins de 2 kilomètres de la frontière suisse, dont on admire les
croupes d' un vert charnu et le massif développement qui porte au ciel les
sommets clairs. Nous ne savons pas encore, au cours de cette action où le
groupe donne plein tube, que déjà notre observatoire avancé est isolé à
Zollhaus, et toutes liaisons coupées, dans un point d' appui sur lequel l'
ennemi s' acharne.
Dans deux jours, après que Behla aura été pris, puis repris par nos
tirailleurs, et que l' ennemi se sera regroupé à Achdorf, l' assaut qu' il
donnera à notre petit poste n' empêchera pas notre observateur de signaler
au groupe les concentrations de ceux d' en face, et de faire en même temps
le coup de feu avec les fantassins.
Les fortes colonnes allemandes, blindés S.S. montés de la Forêt Noire, ont
décidé de payer le prix pour leurs derniers jours de bataille et sont en
train de tenter de se frayer, derrière leurs chars, des passages au sud et
au nord du Danube, notre avant-front immédiat. Nous avons un de ces chars le
25 avril, à 12h 30, en cinq coups. Et je vais dire maintenant comment dans
ces jours des 24 et 25 avril va se nouer sur Pfohren, avec le Danube dans
les reins, la convergence des poussées ennemis sur le groupe qui va vivre
ses plus belle heures de guerre.
Bloqué en Forêt Noire, les allemands s' ouvrent en deux béliers de part et
d' autre de Danube. Le premier, celui du nord, descend en direction
nord-ouest, sud-est, au nord de Beckhofen et de Gruningen, vers Aasen. L'
autre sensiblement sur la ligne ouest-est, Doggingen, Behla, Fustenberg, et
au sud de cette ligne.
Nous sommes à cheval sur un axe convoité. Les forces ennemis dont, au soir
du 24, on connaîtra les puissantes masses, devraient nous balayer dans cette
pression qui commence d' ouvrir la voie que nous tenons. La courbe de leur
marche s' infléchit au sud, avec son point de rebroussement à Aasen, quand,
grâce à l' activité de nos tirs et aux belles résistances auxquelles ils se
heurtent, les convois allemands seront obligés de prendre plus au nord.
Dans la nuit du 24, des flammes mangent l' horizon, loin, dans les
directions de Hufingen, et Donaueschingen, et sur le sud ; De le position on
peut suivre dans la nuit la dépense qui est faite dans ce secteur qui s'
embrase, à la violence des explosions dont le prolongement sourd, vibre, aux
feux d' artifices gigantesques allumés aux dépôts de munitions qui sautent.
C 'est féerique et tragique à la fois. On se bat au cœur de la nuit qui
saigne dans les rouges terribles et les éclats du tonnerre grandissant :
orange de sang, tumulte de lumières, orgue des ténèbres. Ces deux béliers
venant du sud et du nord, foncent par des chemins de terre, donnant
largement le prix du sang pour payer le droit de passage. Ils sont décidés à
attaquer âprement dans ces heures de leur fuite héroïque et pour rompre l'
encerclement qui les menace, vont, demain encercler le groupe, déjà coupé de
sa C.R. seul dans ces près, devant Pfohren.
Dans le sud, les allemands s' engagent à fond. Les fantassins, sous la force
du nombre, sont contraints de céder le passage en avant de Behla à l' ennemi
qui se heurte ay 1/64. Les gars du 105 acceptent cette lutte à l' abordage,
à la proue des canons, et pouce à pouce défendent leurs tubes et tiennent
contre la horde qui se concentre, enfle son flot sur une batterie et la
submerge. Sur tous les autres points de cette zone sud, c' est une lutte
sans merci, le combat fait rage. Attaques contre-attaques, reprise de
villages… le gros est contenu, l' avance allemande est stoppée mais des
éléments ont réussi à forcer des percées, à s' infiltrer par les bois et les
chemins à bœufs qui se perdent dans la campagne, se perdent… vers
Hintschingen et Immedingen où nous les retrouverons dans l' est sud-est à
nous.
Le gros de la poussée allemande et le colonnes lourdes vont chercher les
voies du nord. Au nord de Donaueschingen, en avant de la grande route
Eschingen-Stugart, le I /R.A.C.L.(*) est massé, qui soutient le choc.
(*)
Régiment d'Artillerie Coloniale du Levant
Et résiste toute la nuit dans un combat d' une rare violence où la chance
change de camp à chaque heure. L' ennemi a le nombre, le poids, les chars,
et sa courageuse échappé sur l' est rompt un moment le barrage. Du matériel
saute, des dépôts explosent, et ceux qui résistent là avec la dernière des
énergie, signent sur place un témoignage de bravoure. Mais, au dernier
sursaut de la lutte, c' est notre camp qui l' emporte. L' ennemi a traversé
la route de Donaueschingen à Villingen et la grande route
Donaueschingen-Schweningen entre Danube et Neckar ; et, comme au sud, quand
le gros des force allemandes seront bloquées, des éléments s' infiltreront
vers Zimmern, par le bois, se faufilant derrière des petites collines nous
bordant directement au nord à 3 kilomètres.
Le groupe a l' ennemi sur tous ses fronts : nord, sud, est, ouest. Il se met
en cercle ouvre les sections, la 4 qui est venue couvrir la Maison isolée au
nord de la route de Pfohren met une section, en même temps que la 6, sur la
direction qui permettra de prendre par le flanc la colonne ennemi entre
Aasen et Klengen, par où les allemands vont essayer de rejoindre le Danube à
Geisingen. La 5 et la 2e section de la 4 agissent sur la colonne sud, Behla,
Achdorf, Blumberg, Hausenvorwald et poussent leur tir empêchant le débouché
ennemi à l' est de la route Donaueschingen-Schaffhouse. C' est le 25 avril.
Nous ne pouvons plus compter sur le ravitaillement en munitions et nos obus
s' épuise. ( voir 1*)
A Aasen, le 1er bataillon du 1er R.T.M. s' est mis en hérisson et bloque la
colonne qui cherche le bois. Elle est pour nous. La 4 et la 6 ouvrent le
feu, et tout le jour, tandis que les Thunderbolts français piquent,
bombardent, mitraillent et reviennent vingt fois reprendre en enfilade le
chemin où la colonne bousculée, détruite, est abandonnée avec ses morts et
ses blessés.
Le groupe pilonne sur tous les fronts.
Visions qui resteront dans le souvenir des obscurs servants du canon qui,
pour une fois, voient tomber leurs coups et se dépensent avec un entrain
joyeux. Nous sommes encerclés, les pièces crachent, et si derrière les
flèches on peut compter maintenant les obus nos gars donnent le ton, dans
les guitounes, et ceux de la montagne accompagnent ce beau vacarme en
étirant leur accordéon.
Nous sommes encerclés, et si bien, que le 26 au matin les blindés qui
chercheront pour leur percée le même axe que les ennemis et qui doivent nous
croire submergés, tirent sur Pfohren, au canon, Pfohren où le commandant de
groupe s' est porté avec nos éléments de liaison avancés et nos guetteurs…
La colonne nord a buté sur le môle de Aasen sauf quelques chars qui arrivent
au Danube et réussissent à passer à l' est du groupe. On s' organise pour
défendre, et seuls, notre chance. Un guet est reconnu dans le lit du Danube,
près du pont de Neudingen. On a aménagé les accès en accumulant les rondins
et les pierres dans la vase. Les ordres : en cas d' attaque tirer le dernier
obus, puis protéger les chemins de terre au Danube. On ne fera pas sauter
les tubes, on sauva le matériel. Tout a été prévu pour l' honneur de canon.
Et pendant que les mitrailleuses et les rocket-guns s' installent, la 5,
pour fermer le cercle de défense, pivote sur place, pointe sur l' est et met
en place un tir d' arrêt à 1.500 mètres de la Maison Isolée.
Pour la nuit, on renforce les dispositifs de défense rapprochée. Les canons,
sont en anti-chars. Veillée d' armes dans un beau calme. La nuit s' étire,
coupée de rafales de mitrailleuses sur la Danube et sur l' est où s'
approchent, dans le noir flou, de petits groupes ennemi qui veulent
rejoindre leurs forces.
Au matin, les chars débouchent de Pfohren, les nôtres… On les acclament. Ils
vont ouvrir la voie sur l' est par Geisingen et Immendingen tandis que le
groupe qui compte maintenant ses coups un à un réduit au canon les nœuds de
résistance ennemis qui tiennent encore sur la zone d' action immédiate, dans
des villages ou des bois. C' est la 26 avril. Le soir il ne restait dans le
groupe que 50 obus. On les tirera et nos dernier coups de canons, dans cette
guerre éclair que la 1re Armée a porté en Allemagne, vont éclairer cette
nuit la route de nos chars.
Fonçant vers l' est, réduisant les dernières résistances, nos blindés sont
bloqués, le soir près d' Intschingen où se sont regroupés tous les éléments
ennemis qui s' étaient infiltrés par le nord et par le sud, ralliant au
Danube. Les chars demandent qu'on leur ouvre le chemin et la 4e pièce de la
4 qui aura tiré, en Allemagne, le premier et le dernier coup de canon, part
avec 47 coups tout ce qui reste et se met en position au carrefour nord de
Geisingen.
Demain, quand toutes les routes seront libres et nos tracteurs vides, nos
garçons iront voir l'immense colonne de deux régiments bloquée et détruite
dans les chemin de terre où les autres n 'ont même pas pris le temps de
compter leurs morts. A tous les échelons, des citation tant au Corps d'
Armée qu' à la Division et au Régiment viennent récompenser les coloniaux de
Pforen.
( 1*) WITZ- Alfred-Guy, Le dimanche 6.5.1945 attribution de le Croix de
guerre 1939-1945 avec étoile de bronze, 1re Canonnier chauffeur a rempli toutes
ses missions avec conscience au cours de la campagne, en particulier pendant
l'attaque du 24 au 27 avril assurant souvent et dans une région non encore
nettoyée les liaisons ou le ravitaillement, de la batterie.
Le groupe a accompli sa tâche. Il va descendre par Eigeltigen, Immenstadt et
Oberreitnau, vers le lac de Constance et l' Autriche. Sur les collines d'
Oberreinau, dans la nuit du 7 mai, les mitrailleuses tirent à balles
traceuses, et dans le ciel, en pointillés rouge, dessine le V de le
Victoire. La guerre en Europe est finie.
Les coloniaux regardent derrière eux, l' Afrique Noire, et entendent encore
dans leur cœur, la mélopée lente des palmiers et des sables scandée par
battement sourd des pilons à mil à l' aube des villages de brousse… La
mélopée qui consola si longtemps, dans leur gents et muets, demandaient à
nos provinces noires, du Sénégal, de la Volta, du Niger, d' être assez
fidèle pour répéter l' écho de nos amours, de notre foi et de parler pour
nous le patois d' Alsace, d' Auvergne ou de Saintonge.
Le Français a renouvelé le Français, celui de l' histoire et de l' épopée.
Les coloniaux, ceux de la tradition, de l' héroïque aventure, qui ouvrirent
les terre de l' Empire au fusil et à la parole, viennent de faire leur plus
belle campagne lointaine et d' agrandir l' Empire. Ils ont traversés les
mers pour venir rendre la France à la France.
Mes camarades, rappelez-vous comme nous étions fraternels, là-bas. Depuis
les eaux du Niger, du Sénégal, de la Comoé, nous avons bu au Danube et au
Rhin. Toute ces eaux se mêlent maintenant dans nos verres…
René GUILLOT
Capitaine d' Artillerie de Réserve. Mai 1946.
Dossier informatisé par WITZ-Gilles
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