Gaz de combat de la Première Guerre mondiale
Les gaz de combat de la Première Guerre mondiale regroupaient une vaste gamme de
composés toxiques allant du gaz lacrymogène relativement bénin aux mortels
phosgène et bertholite en passant par le gaz moutarde. Cette guerre chimique est
un composant majeur de la première guerre totale. La capacité meurtrière de ces
gaz était cependant limitée ; seuls 4 % des morts ont été causées par les gaz.
Contrairement à la plupart des autres armes, il était possible de développer des
contre-mesures efficaces à ces gaz ce qui mena les deux camps à se livrer une
course acharnée pour créer de nouveaux composés.
Histoire des gaz de combat durant la Première Guerre mondiale
1914 : gaz lacrymogènes
L’utilisation de substances chimiques dans le but de rendre intenable une
position fortifiée, fut envisagée avant la Première Guerre mondiale. En France,
dès 1905, une commission secrète fut formée pour déterminer les substances qui
pouvaient avoir un intérêt militaire. De nombreuses substances furent testées et
un produit lacrymogène, le bromacétate d’éthyle, fut retenu et chargé dans
différents projectiles. Le pouvoir suffocant de ce produit neutralisant,
véritablement toxique, est deux fois plus élevée que celui du chlore. Durant la
Première Guerre mondiale, les Français furent les premiers à utiliser des
grenades chargées de gaz lacrymogène (bromacétate d'éthyle) en août 1914. Les
stocks furent rapidement utilisés et l'armée française lança une nouvelle
commande en novembre. Après plusieurs mois d’utilisation, cette substance fut
remplacée par de la chloracétone, un produit encore plus toxique, et un deuxième
type de grenade suffocante apparut en avril 1915.
En octobre 1914, les troupes allemandes utilisèrent des obus à fragmentation
remplis d'agents irritants contre les positions britanniques à Neuve-Chapelle.
Là encore, la faible concentration n'eut pas beaucoup d'influence sur le cours
de la bataille. Aucun des belligérants ne considéraient qu'utiliser des gaz
lacrymogènes était en contradiction avec les conventions de La Haye de 1899 et
1907 qui interdisaient l'utilisation de projectiles contenant des gaz
asphyxiants ou toxiques.
1915 : utilisation à grande échelle des gaz mortels
L'Allemagne fut la première à lancer une attaque chimique de grande échelle
lorsque le 31 janvier 1915 sur le front de l'Est, 18 000 obus contenant du gaz
lacrymogène furent tirés sur les positions de l'armée impériale russe le long de
la Rawka à l'ouest de Varsovie lors de la bataille de Bolimov. Cependant, le
froid intense bloqua l'action du gaz et les russes ne remarquèrent pas sa
présence.
Le premier agent mortel employé par les militaires allemands fut le chlore. Les
compagnies chimiques allemandes BASF, Hoechst et Bayer (qui s'associeront pour
former le conglomérat IG Farben en 1925) utilisaient déjà le chlore en tant que
sous-produit de la fabrication de teinture. En coopération avec Fritz Haber du
Kaiser Wilhelm Institute de Berlin, ils développèrent des méthodes pour répandre
le chlore dans les tranchées adverses.
D'après une lettre du major Karl von Zingler, la première attaque au gaz chloré
aurait eu lieu le 2 janvier 1915 : « Sur les autres théâtres militaires, cela ne
va pas mieux et il a été dit que notre chlore était très efficace. 140 officiers
britanniques ont été tués. C'est une arme horrible... ».
Le 22 avril 1915, l'armée allemande disposait de 168 tonnes de chlore déployés
dans 5 730 bonbonnes en face de Langemark-Poelkapelle, au nord d'Ypres. À 17:00,
dans une légère brise d'est, le gaz fut libéré formant un nuage gris-vert qui
dériva vers les tranchées tenues par les troupes coloniales françaises de
Martinique. Celles-ci paniquèrent et s'enfuirent créant un vide de 7 km dans les
lignes alliés. Cependant, les troupes allemandes se méfiaient du gaz et manquant
de renforts, ne purent exploiter cette brèche avant que les troupes canadiennes
et françaises ne se redéploient hâtivement. Les gouvernements de l'Entente se
plaignirent que cela était une violation flagrante des lois internationales.
L'Allemagne répondit que ces traités interdisaient seulement les obus chimiques,
pas les conteneurs de gaz. Dans ce qui devint la deuxième bataille d'Ypres, les
Allemands utilisèrent les gaz trois autres fois contre la 1re Division
canadienne, Le British Official History fait état qu'à la colline 60 :
« 90 hommes moururent du gaz dans la tranchée avant qu'ils n'aient pu atteindre
une station médicale ; Sur les 207 qui furent amenés à la station la plus
proche, 46 moururent presque immédiatement et 12 après de longues souffrances. »
Le chlore est un puissant agent irritant qui peut infliger des dégâts aux yeux,
au nez, à la gorge et aux poumons. À hautes concentrations, il peut causer la
mort par asphyxie.
Sur le front de l'Est, lors d'une attaque chimique près de Varsovie, les pertes
de l'armée russe s'élevèrent à 9 000 dont 1 000 morts. En réaction, une
commission militaire fut organisée pour étudier l'envoi de gaz dans des obus.
Efficacité et contre-mesures
Il devint rapidement évident que les hommes qui restaient sur place souffraient
moins que ceux qui s'enfuyaient, car tout mouvement aggrave les effets du gaz.
De même, le gaz étant souvent plus dense que l'air, les hommes se tenant debout
sur les parapets étaient moins touchés que ceux qui s'allongeaient au fond de la
tranchée.
Le chlore fut également une arme moins efficace qu'espérée par les Allemands, en
particulier lorsque de simples contre-mesure furent mises en place. Le gaz
produisait un nuage verdâtre clairement visible tout en ayant une forte odeur le
rendant facilement décelable. Il était soluble dans l'eau donc un simple tissu
humide réduisait les effets du gaz. Il fut découvert que ce tissu était encore
plus efficace lorsqu'il était imbibé d'urine car l'urée réagissait avec le
chlore pour former des produits moins volatils donc moins agressifs pour les
muqueuses.
Le chlore nécessite une concentration de 1 000 ppm pour être fatale, détruisant
les tissus pulmonaires, principalement en formant de l'acide chlorhydrique à
partir de l'eau contenue dans les poumons (2Cl2 + 2H2O → 4HCl + O2). Malgré ses
limitations, le chlore était une arme psychologique ; La vue du nuage de gaz
était une source continue d'effroi pour l'infanterie.
Les contre-mesures furent rapidement introduites pour lutter contre le chlore.
Les Allemands équipèrent leurs unités avec des petits tampons de coton et des
bouteilles d'une solution de bicarbonate de sodium pour imbiber les tampons.
Immédiatement après l'utilisation de chlore par les Allemands, des instructions
furent transmises à destination des troupes alliées pour placer les mouchoirs ou
les vêtements sur la bouche. De simples tampons similaires à ceux utilisés par
les Allemands furent rapidement proposés par le lieutenant-colonel N.C. Ferguson
de la 28e division britannique. Ces tampons ne furent pas distribués en temps et
en ordre et les unités du front commencèrent à construire des tampons artisanaux
à base de mousseline, de flanelle et de gaze. Des tampons respiratoires furent
envoyés avec les rations aux troupes britanniques au front dès le 24 avril.
En Grande-Bretagne, le Daily Mail encouragea les femmes à fabriquer des tampons
en coton et en moins d'un mois, une grande variété de tampons étaient
disponibles ainsi que des lunettes pour protéger les yeux. Malheureusement, le
design des tampons du Daily Mail se révélait inutile lorsqu'il était sec et
empêchait de respirer lorsqu'il était humide. Dès le 6 juillet 1915, l'ensemble
de l'armée britannique était équipée du très efficace 'hypo helmet conçus par le
major Cluny MacPherson du Royal Newfoundland Regiment qui se composait d'un sac
de flanelle équipée d'une visière en celluloïd qui recouvrait entièrement la
tête. Les deux camps se livrèrent à une guerre acharnée pour développer de
nouveaux composés toxiques avant que des mesures de protection ne soient
disponibles.
Les attaques britanniques
Les Britanniques furent outrés de l'utilisation par l'Allemagne de gaz de combat
mais répondirent en développant leurs propres capacités offensives. Le
commandant du IIe Corps britannique, le Lt-Gen Ferguson déclara officiellement à
propos du gaz :
« C'est une forme de guerre lâche qui ne se recommande ni à moi ni autres
soldats britanniques... Nous ne pourrons pas gagner cette guerre à moins que
nous ne tuions ou neutralisions plus de soldats ennemis qu'ils ne le font de
nous, et si pour cela, nous devons copier l'ennemi dans le choix des armes, nous
ne devons pas refuser de le faire. »
La première utilisation de gaz par les Britanniques eut lieu lors de la bataille
de Loos le 25 septembre 1915, mais ce fut un désastre. Le chlore, nom de code «
Étoile rouge », fut l'agent utilisé (140 tonnes stockées dans 5 100 bonbonnes).
Cependant, à cette occasion le vent se révéla capricieux et le gaz stagna dans
le no man's land voire reflua dans les tranchées britanniques. Cette débâcle fut
aggravée par le fait que toutes les bonbonnes ne purent être ouvertes car de
mauvais jeux de clés avaient été envoyés. Des tirs de représailles allemands
touchèrent les bonbonnes non utilisés libérant encore plus de gaz sur les lignes
britanniques.
1915 : des gaz de plus en plus meurtriers
Les défauts du chlore furent surmontés avec l'introduction du phosgène, qui fut
inventé par un groupe de Français menés par Victor Grignard et utilisé pour la
première fois en 1915. Incolore et possédant une odeur semblable au « foin moisi
», il était difficilement décelable ce qui faisait de lui une arme plus
efficace. Bien qu'il fût parfois utilisé seul, il était plus souvent associé à
un volume égal de chlore qui aidait le phosgène plus dense à se répandre. Les
Alliés appelèrent cette combinaison « Étoile blanche » d'après le marquage peint
sur les fûts contenant le mélange.
Le phosgène était un puissant agent, plus mortel que le chlore. Son principal
inconvénient était que les symptômes ne se développaient qu'après 24 heures.
Cela signifiait que les victimes restaient capables de combattre pendant une
courte durée. Cela signifiait également que des soldats apparemment en forme
seraient neutralisés dans les jours suivants.
Lors de la première utilisation du mélange chlore/phosgène par les Allemands
contre les troupes britanniques près d’Ypres le 19 décembre 1915, 88 tonnes de
gaz furent utilisées causant 1 069 pertes dont 69 morts. Le masque à gaz P
britannique déployé à ce moment, imprégné de phénol fut moyennement efficace
contre le phosgène. Le masque à gaz PH (en) imprégné de méthénamine pour
améliorer la protection contre le phosgène fut disponible à partir de janvier
1916.
Environ 36 600 tonnes de phosgène furent produites au cours de la guerre sur un
total de 190 000 tonnes d'armes chimiques, faisant de lui le second composé le
plus produit après le chlore (93 800 tonnes):
• Allemagne : 18 100 tonnes
• France : 15 700 tonnes
• Royaume-Uni : 1 400 tonnes (il utilisa également les stocks français)
• États-Unis : 1 400 tonnes (ils utilisèrent également les stocks français)
Bien que le phosgène soit moins connu que le gaz moutarde, il fut responsable de
85 % des tués par arme chimique au cours de la Première Guerre mondiale.
Attaque au gaz toxique lors de la bataille de Verdun
1917 : le gaz moutarde
Le gaz le plus connu et peut-être le plus efficace de la Première Guerre
mondiale fut le gaz moutarde, un agent vésicant, introduit par l'Allemagne en
juillet 1917 juste avant la bataille de Passchendaele. Les Allemands
identifiaient les fûts de gaz moutarde par la couleur jaune et les fûts de
phosgène et de chlore étaient marqués de vert, ils nommèrent donc le nouveau
gaz, « croix jaune ». Les Français l'appelèrent ypérite (d'après la ville
d'Ypres).
Le gaz moutarde n'était pas un agent réellement mortel (bien qu'à hautes doses,
il le soit) mais était utilisé pour harceler et handicaper l'ennemi tout en
polluant le champ de bataille. Le gaz moutarde étant plus lourd que l'air, il
stagnait au niveau du sol comme un liquide huileux de couleur jaunâtre. Une fois
dans le sol, il restait actif pendant des jours, des semaines voire des mois
selon les conditions météorologiques.
La peau des victimes du gaz moutarde se couvrait de cloques, leurs yeux étaient
très irrités et elles commençaient à vomir. Le gaz causait des hémorragies
externes et internes et détruisait les tissus pulmonaires. Cela causait des
douleurs abominables aux soldats qui se noyaient littéralement du fait des
liquides présents dans les bronches. Les patients mettaient généralement quatre
à cinq semaines pour mourir.
Une infirmière Vera Brittain, écrivit : « Je souhaite que les personnes qui
parlent de continuer cette guerre quel qu'en soit le prix puissent voir les
soldats souffrant du gaz moutarde. De larges cloques jaunâtres, des yeux fermés
aux paupières collantes et collées ensembles, se battant pour chaque bouffée
d'air, murmurant que leur gorge se fermait et qu'ils savaient qu'ils allaient
étouffer. »
Les gaz ne reproduisirent jamais l'impact obtenu par les Allemands lors de
l'affrontement du 22 avril 1915 ; Cependant, ils devinrent une arme standard
qui, combinée à l'artillerie conventionnelle, fut utilisée jusqu'à la fin de la
guerre. L'Allemagne utilisa également les gaz contre la Russie et le manque de
contre-mesures efficace provoqua la mort de 56 000 Russes, tandis que les
Britanniques les expérimentèrent en Palestine lors de la seconde bataille de
Gaza.
L'armée britannique considéra que l'utilisation des gaz était nécessaire et mena
plus d'attaques chimiques que l'Allemagne en 1917 et 1918. L'Allemagne devint de
plus en plus incapable de suivre le rythme de production imposé par les Alliés.
L'entrée en guerre des États-Unis aggrava encore plus cette difficulté. D'autant
plus que les vents dominants du Front de l'Ouest venait de l'ouest d'où des
conditions plus souvent favorables pour les Alliés.
Vers la fin de la guerre, les États-Unis lancèrent la production à grande
échelle d'un gaz vésicant appelé Lewisite pour les offensives de 1919. Le gaz se
dégradant rapidement dans un climat humide, il n'est pas certain qu'il aurait eu
une grande efficacité.
Après-guerre
À la fin de la guerre, les armes chimiques avaient perdu beaucoup de leur
efficacité contre des troupes bien entraînées et protégées. Néanmoins, elles
furent utilisées dans de nombreux conflits, principalement coloniaux, où un camp
disposait d'un armement supérieur à l'autre
Les Britanniques utilisèrent le gaz moutarde contre les rebelles irakiens en
1920 ; L'Armée rouge utilisa les gaz de combat pour réprimer la révolte de
Tambov en 1920. L'Espagne et la France utilisèrent des armes chimiques contre
les insurgés marocains pendant la guerre du Rif au cours des années 1920
L'Italie utilisa également le gaz moutarde en Libye et en Éthiopie. En 1925, un
seigneur de guerre chinois du nom de Zhang Zuolin fit construire une usine de
production de gaz moutarde à Shenyang par une entreprise allemande, qui fut
terminée en 1927.
Sous la pression de la population, le protocole de Genève fut signé par la
plupart des belligérants de la Première Guerre mondiale en 1925. Celui-ci
interdisait l'utilisation des gaz de combat mais pas la production ou le
stockage d'armes chimiques.
Bien que la majorité des combattants de la Seconde Guerre mondiale possédassent
des stocks d'armes chimiques, ils ne furent pas utilisés. Seul le Japon employa
des petites quantités de lewisite et de gaz moutarde en Chine. En Europe,
l'Allemagne largua des bombes de gaz moutarde sur Varsovie le 3 septembre 1939,
ce qu'elle reconnut en 1942 mais en précisant qu'il s'agissait d'un accident. Le
gaz moutarde était l'agent privilégié de la plupart des combattants, le
Royaume-Uni en stockait 40 719 tonnes, l'Union soviétique, 77 400, les
États-Unis, 87 000 et l'Allemagne, 27 597 tonnes.
La technologie des gaz joua un rôle important dans la Shoah.
Bien qu'ils fussent utilisés dans les années qui suivirent la Première Guerre
mondiale, les armes chimiques ne furent pas utilisées à grande échelle jusqu'à
l'utilisation de gaz moutarde et de gaz innervant par l'Irak lors de la guerre
Iran-Irak. Ces gaz tuèrent 20 000 Iraniens et en blessèrent 80 000 autres, ce
qui correspond environ au quart des morts causées par les armes chimiques
pendant la Première Guerre mondiale.
Pertes
La contribution des armes chimiques fut relativement faible. Les documents
britanniques rapportent que seuls 3 % des soldats touchés mouraient, 2 %
devenaient invalides et 70 % était prêts à retourner au combat en moins de six
semaines. Toutes les victimes des gaz ont été psychologiquement marquées et le
gaz est resté l'une des peurs majeures des soldats de première ligne.
« Il a été remarqué comme une blague que si quelqu'un criait "Gaz" en France,
tout le monde mettrait un masque. ... Le traumatisme des gaz était aussi
fréquent que l'obusite. »
— H. Allen, Towards the Flame, 1934
Le gaz ! Le gaz ! Vite, les gars ! Effarés et à tâtons
Coiffant juste à temps les casques malaisés ;
Mais quelqu'un hurle encore et trébuche
Et s'effondre, se débattant, comme enlisé dans le feu ou la chaux…
Vaguement, par les vitres embuées, l'épaisse lumière verte,
Comme sous un océan de vert, je le vis se noyer.
Dans tous mes rêves, sous mes yeux impuissants,
Il plonge vers moi, se vide à flots, s'étouffe, il se noie.
— Wilfred Owen, Dulce Et Decorum Est, 1917
La mort provoquée par les gaz était souvent longue et douloureuse. D'après
Dennis Winter (Death's Men, 1978), une dose fatale de phosgène provoquait « une
respiration haletante et difficile, un pouls de 120, un visage blême et
l'expulsion de 2 litres d'un liquide jaune provenant des poumons chaque heure
avant que le malade ne se noie 48 heures plus tard».
L'effet le plus courant d'une exposition était la cécité, le chlore et le gaz
moutarde en étaient les causes principales. Une des peintures les plus célèbres
de la guerre, Gassed de John Singer Sargent représente les gazés au gaz moutarde
qu'il a croisé à la station médicale de Le bac-du-Sud près d'Arras en juillet
1918. Les gaz utilisés provoquaient une cécité temporaire ou une forte douleur
oculaire. Les bandages étaient imbibés d'eau pour apporter un soulagement
rudimentaire de la douleur le temps que les blessés atteignent une station
médicale mieux équipée.
Le gaz moutarde fut le gaz qui causa le plus de pertes par gaz sur le Front de
l'Ouest, bien qu'il n'ait été produit qu'en plus faibles quantités que les
autres agents chimiques. Il causa 90 % des pertes britanniques dues aux armes
chimiques et 14 % des pertes totales.
Le gaz moutarde contrairement au chlore et au phosgène n'avait pas besoin d'être
inhalé, une simple exposition cutanée suffisait. Celle-ci provoquait d'énormes
cloques. Les muqueuses et les zones moites comme les yeux, le nez, les aisselles
ou l'aine étaient particulièrement sensibles. Une exposition provoquait un
gonflement de la conjonctive et des paupières les forçant à se fermer, rendant
la victime temporairement aveugle. Les autres symptômes incluaient de violentes
migraines, un pouls élevé, de la fièvre et une pneumonie causée par les liquides
présents dans les poumons.
La plupart des survivants étaient traumatisés à vie. Des maladies pulmonaires et
une perte de l'acuité visuelle étaient courantes.
L'une des victimes des gaz les plus célèbres fut Adolf Hitler, qui fut rendu
temporairement aveugle par le gaz moutarde et fut soigné à Wervik. Cela explique
en partie pourquoi Hitler a toujours refusé l'utilisation de gaz de combat sur
les champs de bataille de la Seconde Guerre mondiale. L'autre raison est que la
science des gaz avait encore progressé dans l'entre-deux-guerres et que les
nouveaux composés étaient bien plus meurtriers que les précédents, la peur des
représailles a donc empêché chacun des camps d'utiliser les armes chimiques
durant cette guerre. Cependant, des gaz toxiques comme le monoxyde de carbone ou
le Zyklon B furent utilisés contre les déportés pendant la Shoah.
Contre-mesures
Aucun des belligérants de la Première Guerre mondiale n'étaient préparés à
l'introduction des gaz de combat. Une fois que les armes chimiques furent
utilisées, le développement des gaz et des masques à gaz fut rapide.
Même lors de la seconde bataille d'Ypres, l'Allemagne, encore non certaine de
l'efficacité des gaz, ne fournit des masques à gaz qu'aux ingénieurs manipulant
les gaz. À Ypres, un officier médical canadien identifia rapidement le chlore et
recommanda aux troupes d'uriner sur les vêtements placés sur la bouche et le
nez. Le premier équipement officiel fourni était également primitif : un tampon,
imprégné de produits chimiques, était placé sur le bas du visage et des lunettes
étaient destinées à protéger les yeux des gaz lacrymogènes.
L'avancée suivante fut l'introduction de masques à gaz. Le premier masque
britannique était un simple sac placé sur la tête et l'air devait passer à
travers le tissu imprégné de produits chimiques destinés à neutraliser les gaz.
Le masque possédait une visière assez fragile et il arrivait que les agents
chimiques coulent dans les yeux des soldats en cas de pluie. La visière avait
également tendance à d'embuer. Lors du combat, le masque à gaz était roulé sur
la tête, prêt à être déroulé pour protéger le soldat. Le tissu était imprégné de
thiosulfate de sodium. L'évolution de ce masque fut le masque P qui était
imprégné de phénol. Un embout dans la bouche fut ajouté pour éviter
l'accumulation de gaz carbonique. L'adjudant du London Regiment relate son
expérience du masque à Loos :
« Les visières devinrent rapidement opaques et l'air arrivait en si faible
quantités suffocantes que cela demandait un effort de volonté continu de la part
du porteur46. »
Une version améliorée du masque P était le masque PH introduit en janvier 1916
et imprégné de méthénamine pour renforcer l'efficacité contre le phosgène21.
Infanterie australienne portant des respirateurs à petite boîte, Ypres,
septembre 1917.
Les masques avec respirateur représentaient le summum du masque à gaz pendant la
Première Guerre mondiale. Ils étaient constitués de deux parties : un masque
relié par un tube à un filtre dans une boîte. Celle-ci contenait des granules de
produits chimiques qui neutralisaient les gaz présents dans l'air avant de
l'envoyer vers le masque. Séparer le filtre du masque permettait d'augmenter la
taille du filtre donc son efficacité mais également son encombrement. La
première version connue sous le nom de « tour d'Harrison » fut jugée bien trop
encombrante et réservée aux artilleurs.
Le respirateur « à petite boîte » était composé d'une seule pièce : un masque en
caoutchouc avec des oculaires. La boîte contenant le filtre était suffisamment
petite pour être enroulée autour du cou. Ce masque conçu par les Britanniques
fut déployé dans le Corps expéditionnaire américain. Les soldats le
considéraient comme leur bien le plus précieux ; lorsque les Britanniques durent
faire retraite à la suite de l'offensive allemande du printemps 1918, certaines
troupes avaient abandonnés leurs fusils mais avaient conservé leurs masques.
Les humains n'était pas les seuls à nécessiter une protection ; les chevaux et
les mules, qui étaient les principaux moyens de transport et les chiens utilisés
comme messagers ou comme mascotte étaient parfois équipés de protections
adaptées.
Pour le gaz moutarde qui pouvait causer de sévères lésions par simple contact
avec la peau, aucune contre-mesure ne fut trouvée pendant la guerre. Les
régiments écossais portant des kilts étaient particulièrement exposés. À
Nieuport dans les Flandres, certains bataillons écossais portèrent des collants
pour obtenir une forme de protection.
L'alerte aux gaz devint une routine pour les soldats de première ligne. Une
cloche était souvent utilisée pour prévenir de l'arrivée du gaz.
Les autres tentatives de contre-mesures britanniques ne furent pas très
efficaces. Une des propositions initiales était la fabrication de 100 000
ventilateurs pour disperser les gaz. La combustion de poussière de charbon ou de
carbure de silicium fut testée. Il fut également proposé d'équiper les
sentinelles de première ligne avec des scaphandres à casque.
Systèmes de diffusion des gaz
Le premier système de diffusion était la libération du gaz contenu dans des
bonbonnes de gaz sous un vent favorable pour qu'il soit transporté au-dessus des
tranchées adverses. Cette méthode était relativement simple et permettait, sous
de bonnes conditions climatiques, de produire un nuage épais permettant de
surmonter les défenses des masques à gaz. Cependant, il fallait un grand nombre
de bonbonnes et des conditions atmosphériques favorables pour ne pas voir le gaz
refluer dans ses propres tranchées. De plus le nuage était un avertissement de
l'approche du gaz et laissait le temps à l'ennemi de se protéger.
Les bonbonnes de gaz étaient donc placées en première ligne pour libérer le gaz
directement au-dessus du no man's land. Cela signifiait qu'elles devaient être
transportées à la main à travers le réseau de tranchées souvent encombré et
détrempé puis stockées dans un abri pour éviter qu'elles ne soient détruites par
un bombardement.
Une bonbonne de chlore britannique pesait 86 kg dont seulement 27 kg de chlore.
Le phosgène introduit plus tard était contenu dans des bonbonnes de 23 kg.
Envoyer le gaz à l'aide d'obus d'artillerie aurait permis de résoudre la plupart
des problèmes posés par les bonbonnes. Les obus à gaz étaient indépendants du
vent et pouvaient être envoyés sans avertir l'adversaire en particulier dans le
cas du phosgène, très peu odorant et incolore. Ils permettaient également
d'atteindre des cibles beaucoup plus éloignées rendant tout le territoire à
portée du canon vulnérable.
Le principal défaut de cette technique était la difficulté d'atteindre une
concentration mortelle. Chaque obus ne contenait qu'une quantité limitée de gaz
et il fallait tirer de nombreux obus pour atteindre cette concentration. Le gaz
moutarde, n'avait pas besoin de former un nuage concentré du fait de sa nature
liquide. Il était donc parfait pour être utilisé par l'artillerie.
La solution pour atteindre une concentration létale était l'utilisation de
mortiers à gaz. Il s'agissait d'un mortier de gros calibre tirant la bonbonne de
gaz comme un missile. Le mortier Livens britannique (inventé par William Howard
Livens en 1917) était très simple ; Un tube de 200 mm de diamètre était enterré
dans le sol suivant un angle prédéfini, un propulseur était mis à feu par un
signal électrique et projetait la bonbonne contenant 15 kg de gaz à près de 1
900 mètres. En faisant tirer un grand nombre de mortiers simultanément, une
concentration mortelle pouvait être atteinte. Les premiers mortiers furent
utilisés à Arras le 4 avril 1917. Le 31 mars 1918, les Britanniques conduisirent
leur plus grand tir avec 3 728 bonbonnes à Lens.
Pertes dues aux gaz
Nation
Morts
Blessés
Empire russe 56 000 419 340
Allemagne 9 000 200 000
France 8 000 190 000
Empire britannique (Canada inclus) 8 109 188 706
Autriche-Hongrie 3 000 100 000
États-Unis 1 462 72 807
Italie 4 627 60 000
Total 88 498 1 240 853