L’ARTILLERIE, LE TRAIN D’ARTILLERIE,LES PONTONNIERS DES ARMEES DE NAPOLEON BONAPARTE


L’artillerie va jouer un rôle considérable pendant les guerres du premier Empire. N’oublions pas deux critères essentiels qui vont dans ce sens. Tout d’abord l’Empereur est lui-même un artilleur de formation. Après l’école militaire, il est affecté au régiment d’artillerie de La Fère en garnison à Auxonne (Côte-d’Or), avant de rejoindre celui de Valence dans la Drôme. D’autre part, l’artillerie française de la fin du xvute siècle est la plus efficace et la plus manoeuvrière d’Europe, grâce aux réformes de Gribeauval 328.

Reconstitution armée napoléonienne

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Le Comité central de l’artillerie329 est encore en place à la fin du Consulat; cette création de la Révolution datant du 18 floréal an III (7 mai 1795) a la mainmise sur l’" arme savante "330. Un arrêté des consuls du 15 nivôse an VIII (5 janvier 1800) rétablit le premier inspecteur général de l’artillerie331, supprimé en 1790. Cet homme, placé sous les ordres directs du ministre de la Guerre, est chargé de la surveillance générale du matériel et du personnel de l’armée. Il inspecte et fait inspecter les corps, correspond avec les directeurs, il se fait rendre tous les comptes qu’il juge convenable et se fait adresser tous les mémoires, plans et projets sur l’artillerie et ce qui s’y rapporte. A partir de 1804, le premier inspecteur général de l’artillerie est en même temps commandant en chef de l’artillerie de la Grande Armée. A partir de 1811, dans le cadre de la préparation de la campagne de Russie, il travaille de plus en plus avec l’Empereur en privé et donne des ordres à l’insu du ministre de la Guerre et du major général de la Grande Armée. Occuperont successivement ce poste: F. M. d’Aboville en janvier 1800, A. Viesse de Marmont en septembre 1802, N. M. Songis des Courbons en février 1805, J. A. Baston de Lariboisière en février 1811, J. B. Eblé en janvier 1813 (il est nommé trois jours avant sa mort) et J. B. Sorbier en mars 1813.

La plupart des généraux d’artillerie se trouvant généralement en campagne, le décret du 3juin 1811 va reconstituer le Comité d’artillerie composé du premier inspecteur général, de deux inspecteurs généraux, de deux colonels, d’un chef de bataillon, d’un secrétaire. Ce comité est chargé de donner des avis sur les projets soumis à son examen.

Le corps de l’artillerie 332 comprend en 1810 un état-major général de l’arme composé d’un premier inspecteur général de l’arme, de il généraux de division avec rôle d’inspecteurs généraux, 16 généraux de brigade dont 6 inspecteurs généraux et 9 commandants d’écoles, 46 colonels-directeurs, 51 chefs de bataillon sous-directeurs, 272 capitaines en second détachés, 30 capitaines en résidence fixe à vie, 10 lieutenants en résidence fixe à vie. L’arme comprend, proprement dit, 8 régiments d’artillerie à pied, 6 régiments à cheval, 2 bataillons de pontonniers, 16 compagnies d’ouvriers d’artillerie, 4 compagnies d’armuriers, 26 bataillons du train d’artillerie, 114 compagnies de canonniers garde-côtes, 28 compagnies de canonniers sédentaires, 18 compagnies de canonniers vétérans.

Sous l’Empire, un régiment d’artillerie à pied est composé d’un état-major comprenant: 1 colonel, un major, 5 chefs de bataillon, 1 quartier-maître, 2 adjudants-majors, 1 officier de santé (2 en temps de guerre), 4 adjudants sous-officiers, 1 tambour-major, 1 caporal-tambour, 1 artificier en chef, 8 musiciens dont un chef, 1 maître-tailleur, 1 maître-cordonnier, 1 maître-armurier.

Chaque compagnie comprend: 1 capitaine en premier, 1 capitaine en second, 1 lieutenant en premier, 1 lieutenant en second, 1 sergent-major, 4 sergents, 1 fourrier, 4 caporaux, 4 artificiers, 12 canonniers de première classe, 36 canonniers de seconde classe y compris deux ouvriers en bois et en fer, 2 tambours. Soit un effectif de 68 hommes par compagnie en temps de paix; chiffre porté à 120 en temps de guerre par le décret du 9 avril 1807. Chaque régiment à pied étant composé de 22 compagnies, cela en application de l’arrêté du 10 floréal an XI (30 avril 1803)333.

Un régiment d’artillerie à cheval possède une composition un peu différente. L’état-major comprend: 1 colonel, 1 major, 2 chefs d’escadrons, 1 quartier-maître, 1 adjudant-major, 1 officier de santé, 2 adjudants sous-officiers, 1 trompette-brigadier, 1 artiste-vétérinaire, 1 maître-tailleur, 1 maître-bottier, 1 maître-sellier, 1 maître-armurier.

Chaque compagnie comprend:1 capitaine en premier, 1 capitaine en second, 1 lieutenant en premier, 1 lieutenant en second, 1 maréchal des logis-chef, 4 maréchaux des logis dont deux montés seulement, 1 fourrier, 4 brigadiers dont deux montés, 4 artificiers non montés, 12 premiers canonniers dont 6 montés, 36 seconds canonniers dont 18 montés, 2 trompettes; soit 68 hommes pour le pied de paix et 120 pour le pied de guerre.

Un régiment d’artillerie à cheval comprend 180 pièces réparties en 30 compagnies à six pièces (chacune six pièces formant une batterie); il faut dix hommes pour le service d’une pièce, dont deux à la garde des chevaux. Les pièces de 12 livres et les forges sont tirées par six chevaux, les autres pièces par quatre chevaux. Une division d’artillerie àcheval comprend 6 pièces de calibre 8 tirées par 24 chevaux, 2 affûts de rechange, 14 caissons, 3 chariots, 2 forges, soit au total 27 véhicules et 156 chevaux.

À partir de 1809, Napoléon, conscient de la supériorité de l’artillerie autrichienne dans les journées d’Essling et d’ Aspem, décide d’attacher de l’artillerie régimentaire334 a ses régiments d’infanterie. Par ordre du 24 mai et par décret du 9juin 1809, il prescrit de leur faire donner deux pièces autrichiennes de 3 ou de 4. Ce système sera appliqué de manière inégale sous l’Empire et le décret du il avril 1810 retirera même aux régiments d’Allemagne et d’Italie leurs pièces de campagne335.

Le service des pièces de l’artillerie336 est le même dans 1’ artillerie à pied et à cheval; les manoeuvres diffèrent très peu. L’ artillerie à pied conserve ses pièces sur l’avant-train dans toutes ses manoeuvres tandis que l’artillerie à cheval met ses pièces à la prolonge ; il s’agit d’une grosse corde de trois centimètres de diamètre, longue de 42 pieds (14 mètres), et reliant l’affût à l’avant, après l’arrivée sur la position de la batterie. L’artillerie à pied n’utilise les prolonges que pour passer les fossés. Le canonnier-pointeur, appelé chef de pièce, est chargé de tous les commandements à pied ou àcheval selon le cas. Les bouches à feu sont alignées les unes à côté des autres à hauteur des essieux; on place les plus gros calibres sur la droite de la ligne de feu et les obusiers àgauche. Le commandant en chef, le colonel, se place toujours de façon à être entendu de tous les chefs divisionnaires. La position de l’avant-train est prescrite par le règlement; celle des caissons est en arrière des pièces à 16 ou 20 toises (32 à 40 mètres), alignés entre eux. Quand l’artillerie manoeuvre avec les troupes, elle doit veiller à ne jamais gêner les autres troupes dans leur mouvement. Le service est réglé d’une façon très minutieuse. Pour celui d’une pièce de 4 livres (poids du projectile) il faut deux canonniers et six servants d’artillerie. On trouve sur la gauche de la pièce: le 1er servant qui a une bricole337, un sac a cartouches et qui fait fonction de pourvoyeur de la pièce, il est a hauteur de la bouche du canon. Le 2ème servant a une bricole, un dégorgeoir et un sac à étoupilles à la ceinture; il dégorge la pièce, met l’étoupille et fait le signal du feu ; il est à la hauteur du bouton. Le canonnier bouche la lumière du canon et pointe la pièce; il saisit des deux mains le levier de pointage de gauche du canon. Le canonnier-pointeur de première classe porte un doigtier de cuir à l’index de la main droite ce qui lui permet de boucher la lumière du canon malgré la chaleur du fût après le tir. Le 3ème servant a un sac à cartouches, c’est le pourvoyeur de la pièce ; il porte les munitions au premier servant de gauche, le remplace au besoin. A droite de la pièce se trouve un autre servant portant une bricole, un écouvillon porté horizontalement; il écouvillonne et charge. Le 2ème servant a une bricole, un sac à lances à feu, un porte-lance, un boutefeu qu’il porte en dehors de la pièce, il est chargé du seau d’eau pour rincer la pièce après chaque mise à feu; c’est lui qui met le feu au signal du 2 ème servant de gauche. Le canonnier dirige la pièce, fait le commandement Chargez, saisit des deux mains le levier de droite. Le 3 ème servant distribue les cartouches du coffret au pourvoyeur de la pièce et tient ce coffret fermé. Le coffret est toujours posé sur l’avant-train de la pièce, il contient six charges et permet au canon d’être opérationnel dès sa mise en batterie; ensuite les pourvoyeurs font la navette entre les caissons, situés à 30 ou 40 mètres en arrière, et la pièce. Les caissons sont situés en arrière des pièces par protection, en cas d’explosion, pour ne pas blesser ou tuer les artilleurs. Le service d’une pièce de 8 livres est fait par 13 hommes : 2 canonniers, 6 servants d’artillerie et 5 servants d’infanterie. Le service des plus grosses pièces de campagne, celles de 12 livres, est fait par 15 hommes: 2 canonniers, 6 servants d’artillerie et 7 servants d’infanterie.

Le service de l’artillerie peut être classé en deux grandes catégories : le service des places et celui de campagne. D’un point de vue technique, les canons sont essentiellement classés en pièces de 4, 8, 12 livres (du poids du projectile envoyé), d’obusiers de 6 ou de 8 pouces (calibre des projectiles) et des pièces de siège de 12, 16 et 24 pouces. Les projectiles sont à classer également en plusieurs catégories. Tout d’abord le boulet plein en fonte de fer qui n’éclate pas, puis la boîte à mitraille appelée également biscaïen. Quant aux obusiers,

ils envoient des obus sphériques creux, pleins de poudre et munis d’une fusée; les obus éclatent plus ou moins tôt en fonction de la longueur de la fusée. Les boulets traditionnels sont préparés à l’avance dans une cartouche qui comprend le boulet proprement dit fixé à un sabot de bois cylindrique, lui-même solidarisé par une gargousse de toile de serge, pleine de poudre.

On tire parfois à boulet rouge mais pour pouvoir pointer avec justesse en utilisant les boulets rouges, il faut placer entre la charge de poudre et le boulet rougi un isolant constitué de terre grasse ou de foin mouillé trempé dans l’eau douze à quinze minutes; dans la marine on utilise des bouchons en algues très isolants. À défaut de cette précaution élémentaire, on comprend facilement que dès qu’un boulet rougi approche de la charge de poudre le coup part immédiatement avec tous les dangers que l’on peut imaginer. C’est la raison pour laquelle les artilleurs écouvillonnent la pièce après chaque coup tiré; c’est-à-dire qu’ils passent une sorte de longue brosse mouillée, fixée à l’extrémité d’un bâton appelé écouvillon, afin d’enlever toutes les petites combustions restantes. Dans le cas inverse, l’introduction d’une autre charge sans cette précaution entraîne des risques d’explosion. Les boulets rouges doivent être préparés dans des fours spéciaux appelés " fours à boulets " ; il faut à peu près une heure pour obtenir un feu suffisant puis les boulets rougissent pendant trente à trente-cinq minutes. Notons qu’une pièce chargée à boulet rouge a plus de recul, car le bouchon isolant comprime encore davantage la poudre.

Afin de neutraliser les pièces d’artillerie il existe un système qui s’appelle l’enclouage. Cela consiste à fixer un clou dans la lumière du canon pour éviter la mise à feu. Cette pratique est utilisée durant les batailles quand la troupe s’empare de canons ennemis qu’elle ne peut pas emmener immédiatement; ils sont ainsi rendus inutilisables par les artilleurs ennemis. Dans la cavalerie, deux cavaliers sont équipés de marteau et de clou pour le travail de neutralisation des canons. Lors de la bataille de Waterloo, la cavalerie française ne prendra même pas cette précaution élémentaire après avoir passé les lignes de l’artillerie britannique ; personne ne songera non plus à briser les écouvillons ou simplement à retourner les pièces... Pour enclouer une pièce, il convient d’enfoncer un clou carré dans la lumière. On peut encore améliorer le système en mettant au fond du canon de la terre et en enfonçant un cylindre de bois durci, ou un boulet de calibre, enveloppé de feutre et entré à force. Pour désenclouer la pièce, on recourt parfois à de l’eau-forte (acide) pendant quelques heures au niveau du clou dans la lumière.

L’artillerie de l’Empire comprend un parc très important de 4 506 pièces de gros calibre, 7 366 de petit calibre, 8 320 obusiers et 1 746 mortiers. L’artillerie de la Garde utilise des pièces de 12 livres, de 8, de 4 et des obusiers de 6 pouces. Les bouches à feu sont en bronze et reposent sur des affûts en bois avec deux roues à rayons. La portée des pièces varie selon le calibre; la portée efficace d’un boulet de 12 livres est de 800 à 900 mètres, 800 mètres pour le 8, 700 mètres pour le 4. En réalité, les boulets sont efficaces à plus grande distance, mais le tir est souvent moins précis.

Joseph Horemans raconte qu’à la bataille de Wagram, il a vu une file de onze voltigeurs emportée par un seul boulet. " Et pourtant, il fallait rester au poste ", ajoute-t-il338. A la limite de la vis de pointage — c’est le seul système de visée qui existe — la portée peut atteindre de 1 200 à 1 800 mètres selon le projectile. L’obusier tire entre 700 mètres et 1 200 mètres un boulet sphérique dont les éclats sont dangereux dans un rayon d’une vingtaine de mètres. Les boulets sont légèrement inférieurs à l’âme du canon (de deux millimètres environ); c’est que l’on appelle le vent du boulet. Plus il est faible, plus la portée est précise.

Le double approvisionnement dont est dotée la Garde impériale permet de tirer 350 coups par pièce, répartis entre les caissons de batterie, les voitures du parc d’ artillerie qui forment la réserve de l’artillerie et le coffret pour les premiers coups à tirer. La vitesse de tir est de deux coups par minute pour les pièces de 4 et de 8 livres, mais de un coup par minute pour les pièces de 12 plus lourdes à manoeuvrer après chaque tir, car le recul est important et le pointage doit être refait après chaque coup tiré. A titre de curiosité, une pièce de 12 livres et son affût coûtent 3 774 francs napoléons ; une de 8 ou un obusier 2 730; une de 4, 1 760. Un boulet revient, selon le calibre, de 0,50 franc à 1,50 franc. La récupération du matériel est ainsi un souci constant pour le ministère de la Guerre, aussi alloue-t-il des primes aux soldats qui ramènent du matériel militaire au grand parc de l’artillerie, après une bataille. Un barème est dressé dès le 29 vendémiaire an XIV (21 octobre 1805): un cheval ramené est payé 100 francs, une bouche à feu sur son affût 60, un fusil avec sa baïonnette en bon état I franc, un fusil brisé 50 centimes, une platine entière 15 centimes, une bonne baïonnette 10 centimes, un sabre d’infanterie en hon état 5 centimes, un sabre de cavalerie en bon état 20 centimes, un boulet 5 centimes.

L’artillerie est approvisionnée par le train d’artillerie, complément indispensable. Le 13 nivôse an VIII (3 janvier 1800), un arrêté des consuls militarise les charretiers d’artillerie et employés des entreprises339. Les charretiers sont organisés en bataillons de cinq compagnies. L’arrêté des consuls du 1er nivôse an IX (22 décembre 1800)340 fixe le numéro de chacun des bataillons du train d’artillerie; ils sont alors numérotés de 1 à 38 et servent aux armées du Rhin (1 à 16), d’Italie (de 17 à 30), de l’Ouest (31 et 32), des Grisons (de 33 à 35), du corps d’élite (36 et 37) et de Paris (38). Le système va permettre une mobilité de l’artillerie et de ses caissons à munitions d’une manière plus efficace. L’arrêté du 16 thermidor an IX (4 août 1801)341 stipule que le train d’artillerie sera organisé en huit bataillons et chaque bataillon en six compagnies. Avec la paix d’Amiens, les effectifs seront réduits alors qu’une compagnie d’ouvriers du train est formée. Avec la reprise des hostilités en 1805, les besoins en transports pour l’artillerie sont de plus en plus pressants ; les 9e et 10e bataillons sont créés en l’an XIII, puis les 11e et 12e en l’an XIV, un 13e en 1808. En 1810 ces bataillons sont dédoublés en bataillons principaux et bataillons bis. Des capitaines d’artillerie sont chargés de l’inspection du train comme l’écrit Pion des Loches "Passau, ler août 1806 [...] On m’a nommé inspecteur du train d’artillerie de notre corps d’année: c’est toujours un capitaine qui est chargé de cet emploi, qui ne subsiste qu’en temps de guerre et qui consiste à pourvoir l’artillerie de chevaux, ou par la voie des réquisitions en pays ennemis, ou au moyen des fonds du gouvernement quand on est en France342." Le train d’artillerie sera toujours confronté à deux problèmes majeurs: le poids des véhicules et la qualité des conducteurs. Pour le premier problème, le ministre de la Guerre essayera de substituer aux lourds chariots un modèle plus léger appelé à la comtoise; il y aura des bataillons composés de ce type de véhicule qui feront la campagne de Russie. Quant aux conducteurs, il s’agit souvent de soldats n’ayant aucune connaissance des chevaux et des voitures, parfois même des conscrits réfractaires mutés dans des unités jugées non combattantes. Malgré la qualité des officiers, le train aura toujours des difficultés arrivant de nuit, repartant à l’aube, devant affronter l’état déplorable des routes défoncées par les lourds convois. Les chevaux eux aussi sont largement mis à contribution, à tel point que pendant la campagne de Russie, il faudra faire appel aux petits chevaux russes, appelés konias, jugés très résistants.

Les pontonniers343, contrairement à une idée reçue, ne dépendent pas du génie mais de l’artillerie et ne constituent pas un régiment. Il existait un bataillon en 1795 et un second fut créé en 1799, attachés respectivement aux armées du Rhin et des Alpes. Jusqu’en 1807 les équipages de pont, comme ceux de l’artillerie sont traînés par des charretiers de réquisition ; les pontonniers sont ainsi subordonnés au bon vouloir des entrepreneurs, plus soucieux de conserver leur vie et leurs chevaux, que d’acquérir une éventuelle gloire militaire. Pendant la campagne de 1800, les deux bataillons de pontonniers, qui sont à dix compagnies, furent portés sur le Danube; après 1810, l’annexion de la Hollande à la France porta de dix à onze le nombre des compagnies de pontonniers du premier bataillon. Les pontonniers, comme leur nom l’indique, sont chargés de la construction de ponts sur les rivières. Un pont de bateau doit se faire en un jour; il faut cinq heures pour décharger et jeter à l’eau quatre-vingts bateaux, deux heures pour appareiller. Il faut ensuite disposer les agrès sur la rive dans un lieu commode; soixante hommes sont répartis d’une manière précise pour faire ce travail. Pendant la campagne de 1809, les pontonniers sont mis largement à contribution pour la construction et la consolidation des ponts sur le Danube; même si les crues et les objets jetés dans le fleuve par les Autrichiens vont détruire à plusieurs reprises leur travail. Le grand pont sur le Danube, en 1809, mesurait 380 toises, soit près de deux cents mètres de long.

En vue de la campagne de Russie, Napoléon réorganise les pontonniers en onze compagnies d’une centaine d’hommes chacune. Pendant la retraite, Napoléon, qui désire conserver son artillerie, donne l’ordre aux pontonniers d’abandonner leur matériel et de fournir leurs chevaux aux artilleurs. Le général Eblé conserve cependant un fourgon avec du matériel et deux modestes forges de campagne; cette précaution va sauver beaucoup de vies quelques jours après, quand les restes de la Grande Armée se présentent au gué de Studianka pour franchir la rivière Berezina. Les quatre cents pontonniers du général Eblé travaillent alors dans des conditions inhumaines pour la construction de ponts ; beaucoup y ont laissé leur vie. Brandt note dans ses Mémoires: "La Berezina, dans cet endroit, est large d’au moins cent cinquante pas. Elle avait bien huit à dix pieds de profondeur à certaines places et charriait des glaçons, dont plusieurs avaient dix et jusqu’à quinze pieds carrés344.


En 1813, Napoléon réorganise à Mayence les compagnies de pontonniers ; un troisième bataillon est créé ; une fois de plus ces unités s’illustreront lors des passages de fleuve pendant la campagne de Saxe. Pendant la

campagne de France, Napoléon ne possède plus que quatre compagnies nouvellement formées (l1e 12e, 13e, 14e), deux en Italie à Turin (7e, 8e), trois récupérées de l’armée d’Espagne et une compagnie de la Garde. C’est avec ces maigres moyens qu’il va faire la campagne de France. Pendant les Cent-Jours, les pontonniers seront organisés en un bataillon formé de dix compagnies.


Tiré de "L'armée de Napoléon" de chez Tallandier part Alain PIGEARD

Canon Gribeauval

Le système Gribeauval.

Textes extraits :
- Essai rédigé par le LCL Gilles Aubagnac Conservateur du musée de l’Artillerie - Draguignan - en se référant à quelques unes des grandes évolutions de l’Artillerie. : Un long et lent parcours (
voir texte en vert),
- d’une bannière de présentation au musée de l’artillerie.

Gribeauval s’est engagé au Royal Artillerie en 1735. Officier, il trouve, peu à peu, que les idées novatrices qu’il tente de propager sur l’utilisation de l’artillerie ne reçoivent pas l’écho qu’il espère. Il quitte la France en 1757 et s’engage en Autriche. Il étudie les diverses artilleries européennes. Son action sur le champ de bataille est appréciée par l’Impératrice qui le nomme Maréchal de Camp. Il rentre alors en France et le souverain le réintègre dans l’armée royale. A partir de 1765, il développe un système qui porte son nom. En 1776, il est nommé inspecteur de l’Artillerie. Son concept se résume à une phrase, révolutionnaire pour l’époque :

"Tout se tient dans un système d’artillerie : calibre, longueur du tube, système de pointage, affût, munitions, voitures de réapprovisionnements et une lacune dans l’une des parties compromet le fonctionnement de l’ensemble."

Cette notion de système est totalement neuve. Pour parvenir à mettre en oeuvre son principe, Gribeauval doit bousculer les habitudes, les corporations et les arsenaux. Son système repose sur quatre piliers :
• unicité des mesures dans toutes les provinces de France pour les fabrications d’armements ;
• interchangeabilité de toutes les pièces et accessoires entre eux ;
• définition chiffrée et normée d’un seuil de tolérance pour toutes les pièces usinées ;
• contrôle absolu de toutes les fabrications suivant un cahier des charges strict et grâce à des boîtes de contrôle, identiques dans tous les arsenaux, permettant avec des gabarits de vérifier les pièces.

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Gribeauval est ainsi le père de toutes les industries modernes . Son système, défini pour l’artillerie, est aussi appliqué à d’autres armes comme en particulier le premier fusil réglementaire français en 1777, réglementaire parce qu’il répond à un règlement ; tout comme l’arme d’ordonnance qui est fabriquée suivant une ordonnance du roi.

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Napoléon, qui a d’abord été un officier d’artillerie brillant et qui s’est fait remarquer, en tant que tel, au siège de Toulon en 1793, est celui qui a le premier compris le potentiel de l’emploi de l’Artillerie dans un système Divisionnaire. Il utilise des pièces Gribeauval qui n’ont alors pas d’égal en Europe et fait manœuvrer l’Artillerie au rythme de la bataille. Ceci est particulièrement vrai lors de la bataille de Wagram où, le 6 juillet 1809, il fait aligner 100 pièces sur un front de 1400 mètres. L’Artillerie française qui tire ce jour là, de l’ordre de 90000 boulets soit environ douze tonnes de poudre, décide du sort de la bataille. Mais tout autant que la qualité des tubes, c’est la manœuvre de l’artillerie, le savoir-faire des artilleurs, et la logistique pour employer un mot anachronique, qui décident du sort de la bataille. L’Artillerie est bien un véritable système tel que l’avait préconisé Gribeauval quelques décennies plus tôt.

Voir les caractéristiques des matériels du système Gribeauval.

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Ce qu’il faut retenir :

Les réformes de Gribeauval transforment l’ensemble de l’artillerie, elles sont enseignées dans des écoles spécialisées. Gribeauval considère qu’il faut environ huit canons pour mille hommes.

Les fonctions du canon sont réétudiées afin de les adapter à quatre emplois spécifiques : l’artillerie de campagne, de siège, de place et de côte. S’inspirant de l’industrialisation, il crée des prototypes permettant la production de canons en masse.

Les décorations du tube et les anses de manutention sont simplifiées, tandis que les insignes du roi apparaissent sur le tube. Les bouches ont désormais la forme de tulipe. Gribeauval apporte de la performance à la portée du tir : la cale qui permettait auparavant d’élever ou d’abaisser le tube, est remplacée par une vis verticale placée sous le tube, laquelle permet d’affiner l’angle de tir. Des précisions d’usinage respectant les cotes des calibres sont apportées au tube, afin de mieux les adapter à la taille des boulets.

Le chargement de la munition dans le tube est également simplifié : la poudre, la bourre et le boulet sont regroupés en un coup complet portant la cadence de tir à trois coups par minute. Néanmoins, la portée du tir reste de l’ordre de 500m.

Ces nettes améliorations ne remédient pas aux défaillances. La violence du tir rend difficile la maitrise du tube, et nécessite de réajuster et de repointer la pièce à chaque tir.

Pourquoi le canon Gribeauval est en forme de tulipe ?

L’épaississement de la bouche du tube a permis d’éviter son explosion à la sortie du boulet. L’intérieur du tube subissait une telle force, qu’il était indispensable d’en renforcer les parois.

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Au début du XVIIème, l’artillerie marque le pas technologiquement et tactiquement, elle est toujours un corps de spécialistes séparé du reste de l’armée, dotée d’une administration qui lui est spécifique. Le siècle de Louis XIV relance en France la dynamique de l’artillerie avec le "canon classique français" et la véritable organisation de l’artillerie en tant qu’Arme spécifique. En France, en 1671, le corps des fusiliers  du roi est chargé de la garde et du service de l’artillerie royale. Ce corps donne naissance en englobant d’autres formations au Royal Artillerie en 1693. Les officiers d’artillerie, contrairement à l’infanterie et à la cavalerie, sont formés dans des écoles.

Dans le premier tiers du XVIIIème, les Suédois révolutionnent la fabrication des canons, en fondant des tubes plus légers qui se déplacent ainsi plus facilement sur le champ de bataille. Ceux-ci sont munis d’une vis de pointage qui permet d’assurer des tirs précis et rapides en donnant au tube l’angle de site voulu. Mais ce procédé suédois n’est guère copié en Europe du fait du poids des habitudes. En France l’ordonnance de 1732, dite de Vallières, tente d’uniformiser, sans s’inspirer de la révolution suédoise, les canons eux-mêmes. En revanche, il n’en est pas de même pour tout ce qui gravite autour du tube : les caissons, les charrois, les forges, etc. Il n’y pas encore de vision d’ensemble.

Au milieu du XVIIIème siècle, les nouveautés viennent de Prusse : Frédéric a rendu parfaitement indépendantes les Artilleries de campagne et de siège, mais il a surtout créé une Artillerie à cheval capable de manoeuvrer et de soutenir les actions de la Cavalerie et de l’Infanterie. Ce XVIIIème siècle est une période d’effervescence. C’est l’époque des Lumières, des esprits libres et novateurs, de Voltaire et de Rousseau. C’est l’époque de l’Encyclopédie et des grandes révolutions techniques. L’armée en général et l’artillerie en particulier, n’y échappent pas, bien au contraire. Choderlos de Laclos est ainsi, à la fois, officier d’artillerie et écrivain.

Le comte de Guibert, s’inspirant des actions du maréchal de Broglie durant la campagne de Bohème en 1757 lors de la guerre de Sept Ans et des écrits de Bourcet, commence à théoriser le principe divisionnaire : il s’agit du juste emploi dans un cadre tactique défini de l’Infanterie et de la Cavalerie (les armes de mêlées, dirions nous aujourd’hui) et les appuis avec surtout l’Artillerie. Le but est de disposer sur le terrain des moyens complets pour emporter le sort de la bataille en conjuguant les efforts des divers moyens. Guibert publie un Essai général de tactique en 1772 qui inspire la grande réforme du comte de Saint Germain, ministre de la Guerre, en 1776. Pour Guibert, l’artillerie doit jouer un rôle global dans la bataille et cela est rendu possible par les innovations dues à Jean Baptiste Vaquette de Gribeauval . Il s’agit d’un saut technologique majeur dont le concept est, aujourd’hui encore, d’actualité.

Gribeauval s’est engagé au Royal Artillerie en 1735. Officier, il trouve, peu à peu, que les idées novatrices qu’il tente de propager sur l’utilisation de l’artillerie ne reçoivent pas l’écho qu’il espère. Il quitte la France en 1757 et s’engage en Autriche. Il étudie les diverses artilleries européennes. Son action sur le champ de bataille est appréciée par l’Impératrice qui le nomme Maréchal de Camp. Il rentre alors en France et le souverain le réintègre dans l’armée royale. A partir de 1765, il développe un système qui porte son nom. En 1776, il est nommé inspecteur de l’Artillerie. Son concept se résume à une phrase, révolutionnaire pour l’époque :

"Tout se tient dans un système d’artillerie : calibre, longueur du tube, système de pointage, affût, munitions, voitures de réapprovisionnements et une lacune dans l’une des parties compromet le fonctionnement de l’ensemble."

Cette notion de système est totalement neuve. Pour parvenir à mettre en oeuvre son principe, Gribeauval doit bousculer les habitudes, les corporations et les arsenaux. Son système repose sur quatre piliers :

Gribeauval est ainsi le père de toutes les industries modernes. Son système, défini pour l’artillerie, est aussi appliqué à d’autres armes comme en particulier le premier fusil réglementaire français en 1777, réglementaire parce qu’il répond à un règlement ; tout comme l’arme d’ordonnance qui est fabriquée suivant une ordonnance du roi.

Napoléon, qui a d’abord été un officier d’artillerie brillant et qui s’est fait remarquer, en tant que tel, au siège de Toulon en 1793, est celui qui a le premier compris le potentiel de l’emploi de l’Artillerie dans un système Divisionnaire. Il utilise des pièces Gribeauval qui n’ont alors pas d’égal en Europe et fait manoeuvrer l’Artillerie au rythme de la bataille. Ceci est particulièrement vrai lors de la bataille de Wagram où, le 6 juillet 1809, il fait aligner 100 pièces sur un front de 1400 mètres. L’Artillerie française qui tire ce jour là, de l’ordre de 90000 boulets soit environ douze tonnes de poudre, décide du sort de la bataille. Mais tout autant que la qualité des tubes, c’est la manœuvre de l’artillerie, le savoir-faire des artilleurs, et la logistique pour employer un mot anachronique, qui décident du sort de la bataille. L’Artillerie est bien un véritable système tel que l’avait préconisé Gribeauval quelques décennies plus tôt.

Napoléon fait école très vite puisque dès 1813, le roi de Prusse Frédéric-Guillaume peut écrire : "Faisons comme Napoléon, il faut ménager les forces et nourrir le combat jusqu’à ce que nous passions à l’attaque principale ; puis, lorsque l’attaque principale se produit, il faut la pousser très vigoureusement avec une grande masse d’artillerie et d’infanterie, pas avec 10 ou 12 canons, mais avec 100 pièces".

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XVIIIème siècle : Révolution - Empire

Apparition des systèmes d’artillerie standardisés. Désignation des pièces : masse du boulet en livres (canons) ou calibre en pouces (mortiers).

Système Vallière (1732)
Désignation Calibre (mm) Longueur du tube en calibre Masse en batterie (kg) Masse en ordre de (kg) Transport Vitesse initiale Vo (m/s) Masse de projectile Portée max (m) Portée efficace (m) Cadence de tir Observations
Canon de 24 156 20         12 3200      
Canon de 16 137 22         8 3200      
Canon de 12 124 23   2425     6 3000      
Canon de 8 109 24   1750     4 2800      
Canon de 4 86 25   1200     2 2600      
Mortier de 12 pouces 320 2 720 720     85 800      
Mortier de 8 pouces 220 2 250 250     25 600      
Pierrier de 15 pouces 400 0,9                  
 
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Canons d’infanterie
Désignation Calibre (mm) Longueur du tube en calibre Masse en batterie (kg) Masse en ordre de (kg) Transport Vitesse initiale Vo (m/s) Masse de projectile Portée max (m) Portée efficace (m) Cadence de tir Observations
2 1/2 livres à la Rostaing (1748)                      
Canon de bataillon de 4 (1757) à la suédoise 86 18   720 2/3 chevaux   2        
 
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Système de Gribeauval (1765) de Campagne
Désignation Calibre (mm) Longueur du tube en calibre Masse en batterie (kg) Masse en ordre de (kg) Transport Vitesse initiale Vo (m/s) Masse de projectile Portée max (m) Portée efficace (m) Cadence de tir Observations
Canon 12 121 18 2100   6 chevaux 415 6 1800 1000 1 à 2 cp/mn  
Canon de 8 106 18 1630   4 chevaux 410 4 1500 800 -d°-  
Canon de 4 84 18 1050   4 chevaux 416 2 1250 700 -d°-  
Obusier de 6 pouces 165,7 4,7 1450   4 chevaux 170 11   500    
 
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Système de Gribeauval (1765) de siège et place
Désignation Calibre (mm) Longueur du tube en calibre Masse en batterie (kg) Masse en ordre de (kg) Transport Vitesse initiale Vo (m/s) Masse de projectile Portée max (m) Portée efficace (m) Cadence de tir Observations
Canon de 24 151 21 4100     450 12        
Canon de 16 132 23 3200     460 8        
Canon de 12 121 24 2500       6        
Canon de 8 106 24         4        
Obusier de 8 pouces 220 4,3                  
Mortier de 18 pouces 480 1,5       150          
Mortier de 12 pouces 320 1,5       150 75 1200      
Mortier de 10 pouces 270 1,5       150 51 1200      
Mortier de 8 pouces 220 1,5       150 24 560      
 
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Système de Gribeauval (1765) de côte
Désignation Calibre (mm) Longueur du tube en calibre Masse en batterie (kg) Masse en ordre de (kg) Transport Vitesse initiale Vo (m/s) Masse de projectile Portée max (m) Portée efficace (m) Cadence de tir Observations
Canon de 36     5500                
Canon de 24     4300                
Canon de 18     3800                
Canon de 12     3000                
Pierrier de 15 pouces           250          
 
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Système de l’An IX (1803)
Désignation Calibre (mm) Longueur du tube en calibre Masse en batterie (kg) Masse en ordre de (kg) Transport Vitesse initiale Vo (m/s) Masse de projectile Portée max (m) Portée efficace (m) Cadence de tir Observations
Canon de campagne de 6             3        
 
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Le système de l’An IX devait (outre des simplifications de construction des matériels Gribeauval) adopter des obusiers plus longs. Seul le nouveau matériel de 6 fut réalisé.

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