Le 320e Régiment d'Artillerie Coloniale Porté sur l'Ailette, juin 1940

Le 75 porté 


Avec la généralisation de la traction automobile, le canon de 75 modèle 1897, conçu pour la traction hippomobile, s'avère totalement inadapté avec ses roues en bois à bandes de roulement métalliques et son absence de suspension, limitant la vitesse de déplacement à 8 km/h. 
Pour palier ce problème, au début des années 30, on prévoit non plus de tracter le canon, mais de le porter sur un camion à plate-forme spécialement aménagée. Deux rampes permettent de monter le canon, à l'aide de cordages ou d'un treuil. Mais cette solution complique la tâche des artilleurs pour mettre en oeuvre le canon, le transport s'effectuant sur d'antiques camions de la 14-18 et la mise en place avec des tracteurs agricoles.
D'autres solutions sont donc retenues : traction sur train de roulement sur pneumatiques (1938-1940). 

Outre le 10e RACTTT de Rueil, il existe un régiment d’artillerie tractée tout-terrain à deux groupes de canons portés de 75 par des tracteurs d’artillerie du type UNIC P107 et un groupe de canons courts portés de 105 dans les trois divisions de cavalerie d'août 1939 et dans les deux divisions légères mécaniques où les tracteurs sont du type Laffly S35T. En 1940, quatre régiments de la série 300 reçoivent du matériel Américain et le 317e des FIAT, les autres conservent des véhicules français.

Encore largement en service au début la seconde guerre mondiale, avec 4 500 pièces en stock, le 75 servira comme pièce antichar d'opportunité lors de la dernière phase de la bataille de France.

Voir GBM n°88, " Des chevaux-vapeur pour le 75 " et GBM n°89, " Des chenilles pour le 75 ".

A sa formation, le Régiment compte 12 officiers et 100 hommes d'active sur un effectif total de 1.531.

De Rueil, le Régiment est ensuite envoyé en Alsace dans le Secteur Fortifié du Bas-Rhin, près de Strasbourg (5e Armée), où il est est en ligne du 14 octobre au 20 décembre 1939. Du 20 décembre au 4 mai, il est dans le SF des Vosges, secteur de Bitche-Rohrbach, Moselle (5e Armée). Du 4 au 26 mai à nouveau en Alsace, puis gagne la Somme, près de Nesle (7e Armée).

Le VIIIe groupe du Chef d'Escadron Patier est constitué des 22e (Cne Beigbeder), 23e (Cne Seraine) et 24e batteries (Cne Carel). Il stationne en 39-40 à Illkirch-Graffenstaden, Bas-Rhin près de Strasbourg, puis Felsenhof, Lambach, Moselle près de Bitche et Mesnil-le-Petit, Somme près de Nesle.

Le 28 mai 1940, le Régiment est mis à la disposition du 24e CA de la 7e Armée. Le 29, le VIIIe groupe (VIII/320) est affecté à la 29e DI. 

Le 1er juin 1940, le VIIIe groupe est rattaché à la 87e DIA (Division d'Infanterie d'Afrique) et fait mouvement dans la nuit vers le secteur de la Division. 

Le VIII/320 s'installe, selon son JMO, le 2 juin dans la région de Bourguignon-sous-Coucy (Aisne) avec un observatoire à St-Paul-aux-Bois et une liaison infanterie-artillerie à Manicamp. Le groupe est en renforcement de la 87e DIA, il a ses positions à la limite ouest de la DI, sous-secteur du 18e RTA

Le Groupe a son PC à Bourguignon au carrefour près de l'église et sa batterie de gauche, la 22e, à 300 m au nord de la ferme Montjay à Quierzy (683-162), derrière le bois des Gravières, à 5 km à vol d'oiseau du pont de Bichancourt (la portée pratique du 75 est de 6.500 m).  

Il reçoit là l'attaque allemande le 5 juin 1940. 

Les premiers éléments ennemis arrivent à 6 h 30 au contact de la batterie ouest (22e) contournée par l'ouest. Le groupe assure dès lors sa propre défense avec une section de Pionniers (SLT Evrard du 624e), mise à disposition du groupe le 3 juin, et quelques Tirailleurs rescapés des premières lignes.

Les allemands cherchent à encercler la batterie tandis que le bois situé immédiatement en avant de la batterie (B. des Gravières) se peuple d'allemands. 

Les communications téléphoniques entre les batteries et avec le groupement fonctionnent toute la journée grâce à quelques réparations.

Vers 16 heures, le Chef d'Escadron Patier commandant le VIIIe Groupe arrive à la 22e batterie et organise deux patrouilles de reconnaissance des positions ennemies en direction du nord-est. Il prend la tête de la première, l'autre est commandée par le Sous-Lieutenant Evrard. Les patrouilles sont contraintes de se replier devant  le feu ennemi. Les patrouilles rentrent avec des manquants. Le Chef d'Escadron Patier et le Sous-Lieutenant Evrard sont portés disparus et un canonnier de la 22e batterie est tué. 

Le Capitaine Carel, commandant la 24e Batterie prend le commandement du Groupe.

Vers 19 heures, des avions ennemis attaquent en piqué neutralisant un moment les batteries. Aucun renfort n'arrive malgré les demandes. Seuls quelques hommes d'un GRD sont venus participer à la lutte. 

Vers 20 h 30, la 22e Batterie encerclée doit faire sauter ses tubes et abandonner sa position. Vers 21 heures, l'ennemi attaque à l'est en direction de Besmé. Le Groupe risque d'être encerclé. L'Etat-Major se replie sur la batterie voisine (23e).

Les munitions commencent à manquer et l'encerclement par la droite se précise. Entre 21 h 45 et 22 h 30, les munitions s'épuisent. Les 23e et 24e batteries font sauter les tubes avec les derniers obus et rejoignent les éléments voisins. Le Cne Carel se met à la disposition du IIe Bataillon du 17e RTA à Camelin-Le Fresne. Le Groupe est alors chargé de participer à la défense de la route de Cuts tenue par un GRD et des Pionniers. Vers 3 heures du matin, le Groupe reçoit l'ordre de couvrir le repli du GRD vers Moulin-sous-Touvent. 

Le Cne Carel, qui rejoint le régiment le 7 juin se présente au PC vers 14 heures. Le régiment était sans nouvelle du VIIIe Groupe depuis le 5. Après avoir exécuté des tirs d'appui au profit de l'infanterie, le VIIIe Groupe a subi l'attaque directe des allemands et a brûlé toutes ses munitions en tirs à vue, puis encerclé, après avoir mis hors d'usage ses pièces, il s'est replié par échelons en maintenant le contact pendant le repli. 

Le Chef d'Escadron Patier parti faire des prisonniers dans le bois à 1.200 m (Bois des Gravières, en direction de Quierzy) de son PC est porté disparu. Il fait parti des deux hommes du 320e RACP, Leveil et Patier, décédés à Quierzy le 5 juin 1940 lors de l'attaque allemande.

Le Régiment a 4 tués le 5 juin lors de l'attaque allemande : deux à Bourguignon et deux à Quierzy.

Nom Prénom Date de naissance Département ou pays de naissance
LEVIEIL Marcel Charles Oscar 09-08-1916 80 - SOMME
PATIER René Jean 21-03-1893 63 - PUY-DE-DOME

Résultat de recherche sur SGA/MdH pour 320e RCAP + Quierzy
 

Le 320e RACP est dissout en juillet 1940. Le VIIIe groupe est démobilisé à Montagrier, Dordogne et Semalens, Tarn. 


Sources et liens

 

JMO - SHD Vincennes - Côte 34 N 1118 - 6 à 12 

France, 1940 - http://france1940.free.fr/oob/fr_oob.html

Militaria Magazine - http://www.militariamag.com/

Manuel du Gradé d'Artillerie Légère - HCL - 1940

 

Coloniaux et Africains

La présence d'un régiment coloniale au sein d'une division d'Afrique permet de rappeler la différence entre les deux. Les "Coloniaux" appartiennent au Troupes Coloniales et les "Africains" à l'Armée d'Afrique. L'insigne de la "Coloniale" est l'ancre de marine et celui de l'Armée d'Afrique le croissant symbolisant le Maghreb.
Les Troupes Coloniales apparaissent en 1900, lorsque les troupes terrestres dépendant du ministère de la Marine, appelées Troupes de Marine, sont transférées sous l'autorité du ministère de la Guerre. Ces unités sont à l'origine des unités devant assurer la défense des colonies, puis des troupes recrutées dans les colonies, hors Afrique Française du Nord, où l'Armée d'Afrique est créée en 1830, lors du débarquement français près d'Alger.
L'Armée coloniale, regroupe deux grands types d'unités :
 

- l'Infanterie coloniale (les "Marsoins") et l'Artillerie coloniale (les "Bigors") appelés "Coloniale Blanche" car composée en majorité d'engagés métropolitains,
 
- les tirailleurs indigènes, hors Afrique du Nord, (tirailleurs sénégalais, tirailleurs malgaches, tirailleurs indochinois) formés d'indigènes, "sujets" français des colonies, commandés par des officiers français. Le terme tirailleurs sénégalais est un terme générique donné à toutes les unités d'infanterie recrutés en Afrique noire.
 

Les Troupes Coloniales disparaissent au moment de l'indépendance des colonies et elles reprennent alors, avec de nouvelles missions, le nom de Troupes de Marine, tout en restant rattachées à l'armée de terre.

 

Les combats de 1940 à Quierzy,
La lutte acharnée de la 22e Batterie

Les combats qui se déroulent à Quierzy le 5 juin 1940 sont décrits par le Capitaine Carel du VIIIe Groupe du 320e Régiment d'Artillerie Coloniale Porté (RACP)1

Le VIIIe Groupe du 320e RACP, commandé par le Chef d'Escadron Patier, a été rattaché le 1er juin à la 87e Division d'Infanterie d'Afrique (DIA) en position sur l'Ailette entre l'Oise et Pont-Saint-Mard.

Le VIII/320 s'installe le 2 juin dans la région de Bourguignon-sous-Coucy à la limite ouest de la DIA, en appui du 18e Régiment de Tirailleurs Algériens (RTA), qui a son IIIe Bataillon à gauche, Quartier de Manicamp, son Ier Bataillon à droite, Quartier de St-Paul-aux-Bois, une compagnie du IIe Bataillon et deux compagnies de Pionniers à Blérancourt avec une section à Besmé et une à Le Fresne et le PCRI à la Rue de Noyon.

Le VIIIe Groupe a un observatoire à St-Paul-aux-Bois et une liaison infanterie-artillerie à Manicamp. Il a son PC à Bourgugnon au carrefour près de l'église :
- sa batterie de gauche, la 22e (683-162), entre Les Bruyères et le bois des Gravières, à 300 m au nord de la ferme Montjay à Quierzy,
- sa batterie du centre, la 24e (682-159), immédiatement au nord de la ferme Montjay,
- sa batterie de droite, la 23e (689-152), à 250 m au nord-ouest de Bourgugnon.

Les 22e et 24e batteries se trouvent donc sur le territoire de la commune de Quierzy, la 23e sur la commune de Bourguignon-sous-Coucy.

Lz Groupe est mis en alerte le 5 juin à 2 h 45. L'attaque allemande se déclenche sur le canal de l'Oise à l'Aisne à 3 h 30. A partir de 4 h, le Groupe effectue des tirs au profit des sous-secteurs ouest et est.

Dès 6 heures, Manicamp, où se trouve le PC du III/18e RTA, dont le Groupe assure l'appui direct, semble encerclé.

A 6 h 20 des éléments ennemis commencent à arriver au contact de la 22e Batterie, la plus à gauche. Cette batterie se trouvant découverte en l'absence d'éléments amis entre elle et l'Oise, une section du 624e Pionniers commandée par le Sous-Lieutenant Evrard est placée en flanc garde et  vient renforcer la mitrailleuse de la batterie.. 

Dès 8 heures, les éléments ennemis commencent à s'infiltrer derrière la Batterie. L'ennemi cherche visiblement à l'encercler. La Batterie tire alors à vue, débouchant à zéro. La mitrailleuse et les FM 15 de la Batterie entrent en action. Les servants disponibles se disposent en tirailleurs et font feu de leur mousqueton 1892.

Les deux autres batterie du Groupe tirent dans le bois des Gravières situé immédiatement en avant le 22e Batterie et qui se peuple de plus en plus d'éléments ennemis.

A midi, la 22e Batterie est coupée de sa roulante, qui se trouve à la ferme des Bruyères, et parait en danger immédiat d'encerclement. Elle dispose alors ses pièces en éventail et fait feu dans toutes les directions. Grâce aux tirs des deux autres batterie du Groupe, l'étreinte est desserrée : vers 11 heures, sous le feu ennemi, la colonne de ravitaillement du Groupe réussit à envoyer à la 22e Batterie un camion de munitions.

De 15 à 16 heures, la situation semble rétablie et un calme apparent règne. Le Chef d'Escadron Patier commandant le 8e Groupe arrive à 16 heures à la 22e Batterie est fait former deux patrouilles pour aller reconnaître les positions ennemies en direction du nord-est (au nord du bois des Gravières). Il prend la tête de la première, l'autre est commandée par le Sous-Lieutenant Evrard et formée de Pionniers.

Les patrouilles sont contraintes de se replier sous le feu ennemi. Elles reviennent avec des blessés et des manquants dont le Chef d'Escadron Patier. Le Canonnier Levieil de la 22e Batterie a été tué

A 18 h 30, la situation s'aggrave de nouveau. Sans nouvelle de la patrouille du Chef d'Escadron Patier, le Commandant de la 22e Batterie tente à trois reprises une sortie. La Batterie complètement encerclée tire à vue autour d'elle. Une vingtaine d'hommes du GRD avec deux FM arrive en renfort.

Le 5 juin, le Groupe Léonard du Peloton Vincent de l'Escadron Moto du GRDIA 87 est envoyé sur Bourguignon. Il trouve sur place le Capt Delmas et le Groupe Guibert (2e Peloton) préparant une intervention de l'Escadron en faveur d'un groupe du 320e RACP, débouchant à zéro et dont une des batteries est encerclée. Le capitaine engage les deux groupes puis un troisième (Massiot) arrivé avec le Lt Vincent, qui prend le commandement des trois groupes et dégage la la batterie, qui reprend son tir. A 22 heures, les trois groupes se replient derrière les artilleurs, reprennent leurs machines dans Bourguignon à la barbe des allemands entrés dans le village à la nuit.
 

A 19 heures, l'ennemi, qui piétine depuis plus de douze heures devant la Batterie avec de lourdes pertes, fait appel à l'aviation. Pendant une demi heure, six Henschel bombardent et mitraillent le Groupe sans résultat.

Mais la situation devient critique, la 22e Batterie a épuisée toutes ses munitions et l'ennemi commence à sortir du bois de Fèves en direction de Bourguignon où le PC du Groupe n'est défendu que par une quinzaine de mousquetons. Une quinzaine d'hommes de la 2e Compagnie du 17e RTA ? et du 18e RTA récupérés pour la défense du PC sous le commandement du Sous-Lieutenant Renard avaient été envoyés vers 19 h 30 pour dégager la 22e Batterie.

A 20 h 30, la Batterie fait sauter ses pièces et le feu du GRDI et des mousquetons de la Batterie ouvrent un couloir par lequel s'opère le repli sur la ferme Montjay et la 24e Batterie, où la résistance se poursuit jusqu'aux dernières cartouches. Les pièces de la 24e Batterie sautent vers 22 heures 30, tandis que l'ennemi venant du bois de Fèves progresse vers Besmé et bat Bourguignon de ses tirs. 

Le Groupe rejoint alors le IIe Bataillon du 17e RTA du Chef de Bataillon Cafarelli pour prendre part à là défense de Camelin, puis est envoyé se mettre à la disposition du GRD du Capitaine de Ballincourt à Cuts, qui se replie au cours de la nuit.

Au cours de cette journée, le Groupe a tiré environ 3.800 cartouches de 75 et 16.000 de 8 mm, menant 16 heures durant, de 6 h 30 à 22 h 30, un combat d'infanterie, les batteries débouchant à zéro ou à angle négatif avec ricochet, infligeant de grosses pertes à l'ennemi. 

Quatre régiments allemands sont lancés à l’assaut du canal de l'Ailette dans le sous-secteur du 18e RTA. Côté Oise, le 475. Infanterie-Regiment de la 255. Infanterie-Division Wetzel attaque au pont de Bichancourt dans le Quartier de Manicamp du IIIe Bataillon du 18e RTA, au centre le 266. IR entre Manicamp et St-Paul-aux-Bois et à droite le 124. IR, tous deux de la 72. ID Mattenklottt, dans le Quartier de St-Paul-aux-Bois du Ier Bataillon du 18e RTA.
Le 485. IR de la 263. ID a également a franchi le canal de l’Ailette vers Bichancourt derrière le 475. IR et avance vers Noyon par Quierzy, Varesnes.

Outre les blessés et disparus, les Morts pour la France du Groupe confirmés par Mémoire des Hommes sont :
 

- Chef d'Escadron Patier, à Quierzy2,
- Canonnier Euzen, 22e Batterie à Bourguignon,
- Canonnier Levieil, 22e Batterie à Quierzy2,
- Canonnier Valeux, 22e Batterie à Bourguignon,

- Pionnier Picard, 642e RP à Bourguignon.   

Le Capitaine Carel note en conclusion : "Tout le personnel a fait parfaitement son devoir et fait preuve du plus grand sang froid".
 
1
Compte-rendu des opérations de la journée du 5 juin 1940, Capitaine Carel, 9 juin 1940
Les corps se trouvaient, au retour de l'exode de la population, le long de la route entre Quierzy et le bois des Gravières (témoignages).

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