Le 1° Bataillon d'Infanterie de Marine, les
marsouins FFL
Ce qui suit est tiré du mémoire que je viens de rédiger dans le cadre de mes
études en histoire militaire. Ce travaille a été noté très favorablement par
Jean François Muracciole, profeseur de l'université Paul Valéry-Montpellier III
et historien spécialiste de la France Libre.
Les premiers rebelles
1- De la rébellion au ralliement, genèse des marsouins de la France Libre
Le bataillons de Chypre
Pendant l'été 1939, alors que l'Europe est au bord de la guerre, l'armée
française décide de renforcer les défenses de ses mandats du Levant. Dans ce
contexte, des renforts d'infanterie coloniale sont dirigés sur le Levant pour y
former le 22 juillet 1939, le Régiment de Marche d'Infanterie Coloniale du
Levant sous les ordres du colonel Fonferrier.
Cette unité, l'unique unité entièrement blanche du Levant, stationne à Tripoli
du Liban. Il s'agit d'un régiment professionnel puisque 90% de son effectif est
composé de soldats de métier, les 10% restant sont des réservistes ou encore des
appelés. Le RMICL est renommé 24° Régiment d'Infanterie Coloniale le 26 octobre
1939, il prend ainsi le nom d'un régiment de la Coloniale créé en 1902 qui a
combattu pendant la première guerre mondiale avant d'être dissous en 1923. Son
drapeau, gardé jusqu’alors par le 24° Régiment de Tirailleurs Sénégalais basé à
Perpignan, est envoyé au nouveau 24°RIC qui est désormais stationné en majeur
partie à Beyrouth.
Le 10 juin 1940, au moment où la France subit les assauts des Panzerdivisionen
depuis un mois jour pour jour, Mussolini fait entrer l'Italie dans la guerre aux
côtés de son allié germain. Cette déclaration de guerre de l'Italie contre la
France et la Grande-Bretagne transforme désormais la Méditerranée en champs de
bataille. La menace est prise très au sérieux par les alliés. Il ne faut pas
oublier que Chypre est à la portée des appareils de la Regia Aeronautica basés
dans les îles italiennes du Dodécanèse . C’est pourquoi, Le général Wavell, à la
tête des troupes alliées au Moyen Orient, demande au commandant des forces
françaises au levant, le général Mittelhauser, de renforcer la garnison
britannique de l’ile de Chypre en y envoyant un bataillon d’infanterie.
Le 3° bataillon du 24° RIC quitte Tripoli le 15 juin et arrive deux jours plus
tard au port chypriote de Famagouste à bord de deux cargos anglais convoyés par
trois contre-torpilleurs et appuyés par l'aviation. Le bataillon est mis en
garnison dans le Sud de l'île à Larnaka (9° compagnie) et à Famagouste même (le
reste du détachement). Sa mission est de repousser toute tentative de
débarquement au sud de l'île. Il doit également maintenir une réserve afin de
pouvoir appuyer les forces britanniques dans la région de Kyrenia au Nord de
l'île; cette mission est confiée à la 11° compagnie.
Le 3° bataillon n'est pas la seule unité à renforcer les défenses britanniques
de Chypre puisqu'il est accompagnée d'un détachement du Train comprenant une
quinzaine de camionnettes. On note également la présence d'un élément détaché
des Forces Aériennes Françaises d'Orient qui prend le nom surprenant de
Groupement de marche de Chypre et qui compte 81 hommes dont cinq officiers. En
tout, ce détachement inter-armes français compte près de 900 hommes. Le
sous-lieutenant Roudaut, chef de section de la 11° compagnie, note que ce
détachement est deux fois plus important en termes d'effectif et dispose d'un
armement plus puissant que celui des Britanniques sur l'ile.
Le 18 juin, les hommes du détachement apprennent par les journaux grecs que le
maréchal Pétain est arrivé au pouvoir et qu'il souhaite mettre un terme à la
guerre. Roudaut indique qu'ils apprennent par la même source qu'un certain
général De Gaulle s'est rebellé à Londres. Il est néanmoins peu probable que les
marsouins aient eu cette informations par des journaux grecs le 18 juin. En
effet, le discours du général De Gaulle a été diffusé à 18 heures à Londres soit
20 heures à Chypre.
Pendant plusieurs jours, le bataillon reste dans l'expectative. Mais très vite,
des bruits courent dans les compagnies, des discussions sont tenues à voix
basse., des débats se font en chuchotant. Certains soldats prennent conscience
qu'ils disposent d'un potentiel militaire non négligeable et que leur situation
géographique les protège des Allemands. Parmi eux, le capitaine Lorotte, de la
compagnie d'accompagnement, se distingue par sa capacité à convaincre ses hommes
de la mission qu'ils doivent accomplir désormais: poursuivre la guerre jusqu'au
bout. La révolte prend de l'ampleur et au début du mois de juillet, des conseils
de guerre réunissent les officiers convaincus de la nécessité de résister.
Lorotte en prend la présidence; il est rejoint par les lieutenants Giraud et
Cavelier commandant les 10° et 11° compagnies mais aussi par la plupart des
jeunes officiers comme le sous-lieutenant Denis Jacquin, officier de
renseignement qui n'a que 27 ans au moment des faits.
Cependant, cette volonté de continuer le combat n'est pas unanime dans le
bataillon, à commencer par le chef de corps. En effet, le commandant Gautier et
son adjoint, le capitaine Meunier, cherchent à dissuader les marsouins à se
rebeller. Ils multiplient les conférences avec les officiers et les
sous-officiers en appuyant sur le fait que l'Angleterre elle-même n'a plus
qu'une semaine à vivre avant d'être emportée par la marée allemande; dans ce
contexte, se rebeller pourrait avoir des conséquences très graves. Ils évoquent
également le devoir d'obéissance du militaire et la menace afin de maintenir ses
hommes. Gautier sait bien qu'à un moment donné il lui faudra ramener tout son
bataillon au Levant et que l' état major lui demandera alors de rendre des
comptes. Pour cela, il espère avoir le soutien des Anglais dont il pense qu'ils
ne voudront pas se brouiller avec le nouveau gouvernement de Vichy. Le
bombardement de la flotte française à Mers el Kebir par la Royal Navy le 3
juillet met fin à cet espoir mais lui donne un nouvel argument, celui de la
trahison de la "perfide Albion". Il donne alors l'ordre de faire abaisser les
couleurs en signe de deuil.
Devant cette résistance du commandant du bataillon, les leaders de la rébellion,
décident de ne pas entrer en action tant que l'unité reste en état de guerre, ce
qui signifie qu'il n'y aura pas d'acte de désobéissance tant que les missions du
détachement français à Chypre sont maintenues. Pour cela, Lorotte compte sur les
informations transmises par Jacquin qui a directement accès aux messages secrets
venant de l'État Major à Beyrouth. Jacquin ira jusqu'à donner les informations à
Lorotte avant même qu'elles ne soient transmises au commandant Gauthier. Grâce à
cet atout, Lorotte apprend le 10 juillet que Beyrouth veut faire rembarquer le
détachement français le lendemain. Le capitaine convoque alors le conseil de
guerre et la décision est prise de mener la rébellion dès le lendemain matin.
Chaque compagnie devra être réorganisée en conservant uniquement les volontaires
qui devront récupérer toutes les armes lourdes et les équipements collectifs.
Ceux qui voudront repartir au Levant seront regroupés dans leur cantonnement
avec un fusil, dix cartouches et deux jours de vivres par personnes.
Le lendemain, tout ne se passe pas comme prévu. En effet, à la 11° compagnie, le
lieutenant Cavelier ne semble pas pressé d'annoncer à ses hommes la nouvelle
situation et ce sont les deux chefs de sections, les sous-lieutenants Roudaut et
Gourvez qui décident de prendre les choses en mains avec l'appui des
sous-officiers. Finalement, 72 hommes et 17 sous-officiers se rallient alors que
Cavelier refuse de désobéir et ne garde avec lui qu'une quarantaine d'hommes et
deux sous-officiers. Néanmoins, Cavelier laisse faire ses chefs de sections et
Roudaut prend le commandement de la compagnie réorganisée.
A Larnaka, le capitaine Clauss qui commande la 9° compagnie, trahit Lorotte en
envoyant le sous-lieutenant Barbas à Nicosie afin de l'écarter de la compagnie.
Il décide également de ramener ses hommes à Famagouste afin d'embarquer pour le
Levant comme prévu. Mais Barbas prévient Lorotte de la trahison de Clauss (qui
était pourtant présent lors du conseil de guerre de la veille). Lorotte rejoint
en side-car la compagnie de Clauss mais ne récupère qu'une trentaine d'hommes
qui sont alors mis sous les ordres de Barbas.
Autre échec également pour les dissidents: le détachement du Train choisit de
regagner le Levant. Lorotte aura comme maigre compensation un certain nombre de
camions subtilisés par ses hommes.
Cependant, les choses ne vont pas si mal que ça pour les dissidents: les hommes
de la compagnie d'accompagnement qui sont alors à Varosha, rejoignent
massivement leur chef. Lorotte peut ainsi compter sur près de cent cinquante
hommes avec à leur tête le lieutenant Salunpinquer. De son côté, le lieutenant
Giraud conserve autour de lui soixante hommes de la 10° compagnie.
On peut noter que le commandant Gauthier et son adjoint le capitaine Meunier ne
sont pas intervenus durant la journée pour mettre fin à cette révolte. Il faut
dire que Lorotte a pris ses précautions en faisant étroitement surveiller le
poste de commandement du bataillon par les hommes de la compagnie
d'accompagnement.
Finalement, au soir du 11 juillet, le capitaine Lorotte se retrouve à la tête de
340 hommes soit 80% des officiers, 75% des sous-officiers et 45% des hommes de
troupes du bataillon.
Le lendemain, alors que le rembarquement de ceux qui ne se sont pas ralliés
continue, les rebelles prennent le nom de Bataillon d'Infanterie de Marine (BIM)
en référence au nom que portait la Coloniale avant l'année 1900. Le même jour,
le colonel Fonferrier arrive par avion du Liban afin d'essayer de ramener ses
hommes dans les rangs. Il rejoint le Gymnasium de Varosha où sont regroupés les
hommes du BIM. Avec la permission de Lorotte, il prend la parole et harangue les
marsouins en insistant sur le fait que l'Allemagne est la première puissance
militaire d'Europe, qu'elle est sur le point d'écraser l'Angleterre. Le colonel
qui vient de Brest, rappelle le sacrifice des 1200 Bretons morts à Mers el Kebir
afin d'émouvoir les rebelles dont une bonne partie d'entre eux est originaire de
Bretagne où la tradition coloniale est très forte. Fonferrier en appelle
également au patriotisme et à la prudence. A son discours, les marsouins
répondent en chantant la Marseillaise. Des cris "Fonferrier avec nous" s'élèvent
parmi les soldats. Le colonel dont le prestige est très grand chez les
marsouins, répond qu'il ne peut pas et souhaite bonne chance à ses hommes.
Ceux-ci comprennent que leur colonel ne peut se rallier mais qu'il n'est pas
insensible à leur cause. D'ailleurs, lorsqu'il rentrera en métropole en 1942,
Fonferrier rejoindra la Résistance où il occupera sous le pseudonyme de
Rossignol le poste d'adjoint et de conseiller militaire du chef départemental de
la Résistance du Finistère. En 1943, il prendra le commandement militaire de la
Résistance du Finistère et le 26 mai 1944, il est arrêté par les Allemands.
Torturé puis déporté, il meurt à Bergen-Besel le 27 avril 1945.
Dans la nuit, alors que le colonel Fonferrier repart au Levant, le Bataillon se
met en marche vers Nicosie. Roudaut rapporte qu'ils reçoivent un accueil
chaleureux des Anglais. Pourtant, jusqu'à présent, ces derniers étaient restés
très discrets. En effet, les Anglais étaient au courant depuis un moment des
mouvements qui avaient cours au sein du détachement français, mais ils
refusèrent de prendre partie car ils ne savaient pas qui aurait le dessus entre
les pro-ralliements et les pro-Vichy; ils craignaient de voir éclater des
troubles. Finalement, le jour de la fête nationale, le 14 juillet, le BIM
participe à une prise d'arme organisée par les Anglais. Durant cette cérémonie,
le bataillon français est inspecté par le commandant en chef des troupes
britanniques à Chypre ainsi que par le résident général. Le lendemain, la
manœuvre est répétée et le bataillon reçoit son premier drapeau qui n'est ni
plus ni moins que l'Union Jack. Cette remise de drapeau sème le doute chez
certains Français qui craignent d'être directement intégrés à l'armée
britannique et non pas reconnus comme une force française indépendante.
Néanmoins, cette anecdote donne au BIM une identité forte puisqu'il s'agit de la
première unité de l'Armée Française à avoir comme étendard un drapeau étranger.
Les hommes du BIM trépignent d'impatience et veulent partir se battre le plus
rapidement possible. Le 17 juillet, un cargo égyptien, le "Fonadieh", escorté
par des torpilleurs polonais, emmène le bataillon de Famagouste à Port-Saïd en
Égypte via Haïfa. Il y arrive le 23 juillet et rejoint Ismaïlia le lendemain.
Les hommes de Lorotte découvrent avec joie qu'ils ne sont pas les seuls à avoir
refuser la capitulation. .
La compagnie Folliot
Le 22 juin, pendant qu'à Rethondes, le général Huntziger s'apprête à signer au
nom du nouveau gouvernement français, l'armistice devant mettre un terme aux
combats, le 24° RIC reçoit l'ordre de disperser ses troupes dans la nature afin
de parer à tout bombardement de l'aviation italienne.
Le 1° bataillon est chargé de défendre Tripoli alors que le 2° bataillon doit se
positionner à Lattaquié, un port qui se trouve à 200 kilomètres de Beyrouth. Mis
en position sous des oliviers à quatre kilomètres à l'Est de Tripoli, les hommes
du 1°bataillon sont coupés de toutes nouvelles venant de France car le matériel
de transmission est resté dans les casernements de Tripoli. Pourtant informés
par l'Orient-Le Jour, le journal local, les marsouins savent bien que la
situation est très mauvaise. Le colonel Fonferrier vient annoncer le 24 juin aux
hommes de la 1° compagnie du 1° bataillon que l'issue de la campagne de France
est proche et que l'armistice est sur le point d'être signé. Il continue en
disant que les généraux Mittelhauser au Levant et Noguès en Afrique du Nord,
souhaitent poursuivre la lutte et maintenir l'Empire. Fonferrier demande alors à
ses hommes de jurer de ne pas abandonner le combat, ce que tous font sans
exception tandis qu'une Marseillaise se mets à éclater.
Mais le 27 juin, la nouvelle tombe au camp Legouilt, la caserne du 24° RIC à
Tripoli: la guerre est finie, l'armistice a été signé. Le sergent Delsol de la
1°compagnie dira alors que "l'Empire n'aura combattu qu'avec des mots" 1. A la
2° compagnie, le capitaine Folliot apprend la nouvelle à 16h30 par un télégramme
venant de Beyrouth. Pour cet officier de la Coloniale de 44 ans, blessé au Fort
de Douaumont en 1916, plusieurs fois cité, le fait de voir son pays s'effondrer
alors qu'il n'a pas combattu le révolte. Il ne peut accepter la défaite et prend
la décision de partir en Palestine. Il fait rassembler sa compagnie et annonce à
ses hommes son intention de déserter pour rejoindre l'armée britannique. Les
hommes de sa compagnie le rejoignent massivement. Il donne alors pour consigne
de garder le silence absolu mais la rumeur circule et en fin d'après-midi, le
sous-lieutenant Laborde, commandant une section de la 1° compagnie vient le voir
et lui demande si il peut se joindre à lui avec une demi-douzaine d'hommes de sa
compagnie ralliée autour du sergent Delsol. Bien sûr, Folliot accepte. Les
volontaires de Delsol avaient déjà décidé de partir et voulaient rejoindre la
Palestine en taxi le 30 juin, après avoir perçus leur solde. Mais Laborde avait
deviné leur manège et leur conseille de rejoindre Folliot.
Pour mener à bien son projet, Folliot réquisitionne cinq camions stationnés au
garage du bataillon avec des faux ordres. Le plein de carburant est fait pour
chaque véhicule et 200 litres d'essence sont emmenés en plus dans des fûts. Le
rendez-vous est donné à 22h50 et dix minutes après, le convoi se met en route
avec armes et munitions. Pour pouvoir partir, Laborde indique qu'il y a des
troubles à Saïda et qu'ils doivent y rétablir l'ordre. D'un autre côté, Folliot
fait préparer un ordre de mission par le sergent-chef Clochard, qui indique que
sa compagnie doit se rendre à Nakoura, à la frontière libano-palestinienne. En
tout, c'est près de 130 hommes qui partent pour le Sud-Liban. A noter que d'une
certaine manière, les hommes de Folliot forment la première unité ralliée à la
France Libre. En effet, la 13° Demi Brigade de la Légion Étrangère ne se rallie
à De Gaulle que le 29 juin. Cependant, à la compagnie Folliot, personne n’est au
courant de l'appel du 18 juin ni même de l'existence du général De Gaulle,
lorsqu'ils quittent Tripoli.
Peu après le départ, alors que le convoi n'est qu'à un kilomètre de Tripoli, des
gendarmes de la prévôté arrêtent la troupe et inspectent les ordres de missions.
Voyant que tout est en ordre, les gendarmes les laissent repartir et leur
souhaitent même bonne chance. Le convoi rencontre de nouveau une patrouille de
gendarmes à Narh el Kelb sans que cette dernière les arrête. A deux heures du
matin, Beyrouth est atteint et le convoi prend la direction de Saïda. A
plusieurs reprises, Folliot fait arrêter la colonne afin de permettre à un
sous-officier de couper les câbles du réseau téléphonique. Folliot craint en
effet d'être trahi car il a laissé à Tripoli un adjudant-chef qui ne voulait pas
déserter avec eux. Même si l'homme avait assuré qu'il ne donnerait pas l'alerte
avant l'aube, le capitaine se méfie et préfère prendre ses précautions.
Après avoir traversé Saïda vers quatre heures du matin puis la ville de Tyr une
heure plus tard, le convoie s'arrête de nouveau et Laborde est chargé par
Folliot de répartir les fûts d'essences afin de pouvoir ravitailler tout les
camions. Quelques kilomètres plus loin, la colonne rencontre deux douaniers
libanais ainsi qu'un paysan. Folliot ordonne à Laborde de les désarmer et de les
emmener avec eux pour éviter qu'ils donnent l'alerte. A six heures du matin,
alors que Nakoura n'est plus qu'à quelques kilomètres, le paysan est relâché
puis les deux douaniers avec leurs armes de services mais sans les cartouches.
Lorsque les marsouins arrivent enfin au poste frontière, les gendarmes refusent
dans un premiers temps de les laisser passer mais Folliot descend du camion et
montre au brigadier commandant le poste de douane, les marsouins dans les
camions qui braquent sur les gendarmes leurs FM 24/29. La vue des
fusils-mitrailleurs ainsi que la présence de grenades aux ceinturons des
officiers et des sous-officiers convainc le brigadier à laisser passer Folliot
et ses hommes. Les gendarmes se mettent alors à chanter la Marseillaise.
De l'autre côté de la frontière, un jeune lieutenant anglais vient à la
rencontre du capitaine qui lui explique son projet. L'officier britannique le
félicite puis ordonne à deux motocyclistes d'escorter les camions dix kilomètres
plus loin à Es Sumeiriya. Là, les anglais accueillent rapidement les nouveaux
arrivants en leur offrant un breakfast et des tentes une demi heure à peine
après leur arrivée. Folliot se présente au lieutenant-colonel commandant le camp
de Sumeiriya qui l'envoie à Jérusalem en voiture. Le capitaine se retrouve à
l'hôtel King David où est installé l'état-major britannique en Palestine. Après
une conversation d'une trentaine de minutes, Folliot retrouve ses hommes au
camp. Il constate la présence de Polonais qui étaient stationnés au Liban mais
aussi celle d'une vingtaine de républicains espagnols qui avaient fui Franco en
s'engageant dans la Légion Étrangère. Ces légionnaires proviennent du 6°
Régiment Étranger d'Infanterie du Levant. Ils seront intégrés dans la compagnie
de Folliot.
Le même jour, les chauffeurs des camions qui ont été réquisitionnés, souhaitent
repartir au Liban. Le sergent-fourrier Harent ,qui était le chauffeur de Folliot,
demande à son capitaine de profiter de l'occasion: il souhaite repartir au Liban
pour convaincre leurs camarades restés là-bas, de les rejoindre. Folliot
désapprouve l'idée car il pense que Harent sera arrêté; néanmoins, il l'autorise
à tenter sa chance. Harent rentre le lendemain et raconte son escapade au
capitaine. Après avoir laissé les chauffeurs en les menaçant de représailles s’
ils le dénoncent, Harent se cache chez des civils acquis à la cause des
marsouins. Il parvient à rencontrer quelques sous-officiers du régiment:
certains promettent d'y réfléchir mais un adjudant dénonce Harent au colonel
Fonferrier qui le fait arrêter. Fonferrier le houspille et lui explique que
l'Armée est finis si tout le monde faisait comme lui. Fonferrier, qui dans le
fond ne désapprouve pas le geste, ordonne à Harent de repartir en Palestine avec
pour mission de ramener Folliot et ses hommes dans les rangs. Fonferrier assure
qu'il n'y aura pas de sanction et confie une moto au sergent pour qu'il puisse
rentrer. Grâce à l'ordre de mission du colonel, Harent traverse sans problème la
frontière dont la garde a été sérieusement renforcée par des tirailleurs. Il est
probable que Harent ramène avec lui une dizaine de marsouins de la 1° compagnie.
Les jours suivants, d'autres soldats français rallient la Palestine comme le
Lieutenant Charles Clerc du 68° Bataillon de Chars de Combat basé à Homs. Le 68°BCC
souhaite poursuivre la guerre. Le 29 juin, le bataillon quitte Homs avec deux
jours de vivres et se dirige vers la Palestine. Mais la progression de l'unité
lourde est trop lente et à Chtaura, le bataillon est arrêté par un barrage de la
Légion Étrangère. Finalement, seul Clerc arrive à passer avec quelques
chauffeurs. Il amène avec lui une camionnette Laffly à six roues, une
camionnette Bulldog de chez Renault et quelques camions. C'est dans ce même
convoi qu'arrivent également un chasseur alpin, le lieutenant Guepin ainsi que
le médecin lieutenant Brunel.
Le 2 juillet, le 1° Escadron du 1° Régiment de Spahis Marocains arrive sous les
ordres du capitaine Jourdier. L'escadron était parti depuis le 30 juin en
profitant d'une manœuvre qui avait pour objectif de rapprocher les spahis de la
frontière. C'est au cours de cette manœuvre, que Jourdier annonce à ses hommes
son intention de déserter. Arrivant à un carrefour il dit: " Voici deux chemins,
le bon et le mauvais. Que ceux qui ne renoncent pas à se battre me suivent. Je
ne me retournerais pas et je les compterais ce soir. A cheval!"1. L'escadron fut
rattrapé par un side-car transportant l'adjoint du colonel commandant le 1°RSM.
L'officier demande à Jourdier de reconsidérer son choix. Jourdier lui répond que
cela fait un mois qu'il y réfléchit. Alors l'officier lui souhaite d'avoir
raison et espère qu'ils n'auront pas un jour à se battre face à face.
Le 2 juillet, le 1° Escadron du 1° Régiment de Spahis Marocains arrive sous les
ordres du capitaine Jourdier. L'escadron était partis depuis le 30 juin en
profitant d'une manœuvre qui avait pour objectif de rapprocher les spahis de la
frontière. C'est au cours de cette manœuvre, que Jourdier annonce à ses hommes
son intention de déserter. Arrivant à un carrefour il dit: " Voici deux chemins,
le bon et le mauvais. Que ceux qui ne renoncent pas à se battre me suivent. Je
ne me retournerais pas et je les compterais ce soir. A cheval!". L'escadron fut
rattrapé par un side-car transportant l'adjoint du colonel commandant le 1°RSM.
L'officier demande à Jourdier de reconsidérer son choix. Jourdier lui répond que
cela fait un mois qu'il y réfléchit. Alors l'officier lui souhaite d'avoir
raison et espère qu'ils n'auront pas un jour à se battre face à face.
Petit à petit, la compagnie voit ses rangs grossir et chaque jour, des
sous-officiers et des soldats réussissent à traverser la frontière. Finalement,
du 28 juin au 14 juillet, l'effectif de la compagnie passe de 130 marsouins à
près de 250 hommes de toutes armes confondues.
Le 1° juillet, la compagnie est dotée d'uniformes anglais, ce qui fait grincer
des dents quelques-uns. Comme ils n'ont pas grand chose à faire, les marsouins
sont autorisés à faire du tourisme à Haïfa et à Saint Jean d'Acre ainsi et même
à aller se baigner à la plage de Nahariya. Folliot qui était déjà connu pour
être un officier proche de ses hommes, leur demande d'être impeccable et leur
rappelle qu'ils représentent la France. Le 5 juillet, la compagnie apprend avec
joie la rébellion d'un général qui a rejoint Londres et qui rassemble autour de
lui tous les Français souhaitant poursuivre la guerre. Quelques jours plus tard,
une autre surprise les attend lorsqu'on les informe que la compagnie va être
inspectée par un colonel français. Il s'agit du colonel de Larminat qui,
refusant l'armistice, a cherché à créer une force française au Levant afin de
poursuivre la guerre au côté des anglais. Il réussit à faire parvenir aux
Anglais un convoi de camions pleins d'obus qui arrive le 30 juin au camp de la
compagnie Folliot. Le général Mittlehauser met Larminat aux arrêts à Damas mais
ce dernier parvient à tromper la surveillance de ses gardes et en profite pour
s'évader et rejoindre la Transjordanie où il apprend l'existence d'un
détachement français près de Saint Jean d'Acre.
La première mission de la compagnie sera de relever une unité anglaise pour
surveiller des prisonniers tchèques et espagnols. Mais très vite, la discipline
des premiers jours disparait et l'ennui gagne les hommes. Alors, pour faire
passer le temps, on organise des matchs de football entre gardiens et
prisonniers. Les Français touchent également leur première solde qui reste bien
maigre. Par semaine, ils touchent 50 piastres palestiniennes pour les officiers
et 20 pour les sous-officiers et les hommes de troupes. Le sergent Delsols
explique qu'avec cet argent, il ne peut que s'acheter deux paquets de cigarettes
et boire une bière.
Finalement, le 18 juillet, la compagnie part de Haïfa en train, en direction du
canal de Suez et du camp de Moascar, près d'Ismaïlia, à mi-chemin entre Port
Saïd et Suez. Ismaïlia est une cité qui a émergé vers les années 1860. La ville
avait été construite afin de servir de quartier-général à la construction du
canal de Suez. En 1940, on y trouve encore une importante colonie française avec
qui les soldats français prennent contacte. Les familles françaises d'Egypte
accueillent avec attention les soldats français. Pour elles, l'arrivé de ces
compatriotes, leur redonne de l'espoir après le torrent de mauvaises nouvelles
venant de Métropole. Les civils français hébergent les soldats au repos chez
eux. A Ismaïlia même, les sœurs du couvent Saint-Vincent-de-Paul ouvrent un
foyer pour les Français libres. Les marsouins garderont un agréable souvenir des
relations entre soldats et Français d'Égypte.
Dans les premiers jours de l'arrivée à Ismaïlia, Folliot reçoit l'aide de
l'ambassadeur britannique au Caire, Sir Lampson. Celui-ci demande au premier
conseiller, Wright, de fournir à chaque soldat français rallié, un acte
d'engagement à la date du 1° juillet 1940. Les hommes de Folliot font désormais
officiellement partie des Forces Françaises Libres du général De Gaulle. Ce ne
sont plus des déserteurs mais des engagés volontaires pour la durée de la guerre
plus trois mois.
Le 24 ou 25 juillet, l'ex-3° bataillon du 24°RIC qui se fait désormais appelé
BIM, rejoint la compagnie de Folliot au camp de Moascar. Les deux unités sont
amalgamées afin de former, après accord du général De Gaulle et du War Office,
un bataillon "blanc" motorisé selon le modèle britannique. A noter que le
bataillon comptera dans ses rangs des Français de couleurs originaires des
futurs départements d'outre-mer comme la Martinique; le terme "blanc" signifie
ici que l'unité ne compte pas d'indigènes. Néanmoins, au cours des différentes
campagnes, il est probable que le bataillon ait eu à intégrer dans ses rangs
quelques indigènes.
Folliot et Lorotte ont tous les deux le même grade; mais en raison de sa plus
grande ancienneté dans le grade, Lorotte prend le commandement du bataillon et
Folliot reçoit le commandement de la 1° compagnie. Il est décidé que cette
compagnie sera la première à être engagée au front et donc la première à
recevoir le matériel que le bataillon récupérera. Bien que ce bataillon soit à
forte majorité , issu de la Coloniale (près de 80% selon Lorotte), des
déserteurs venant de tous les corps de l'Armée Française, viennent grossir les
rangs de l'unité. On retrouve ainsi des légionnaires, des chasseurs alpins et
même des marins comme l'enseigne de vaisseau Roger Barberot. Lorsque l'armistice
est signé en juin, Barberot est alors embarqué sur le croiseur lourd "Le
Tourville" de la force X. Cette flotte, commandée par l'amiral Godfroy, se
retrouve bloquée à Alexandrie par les Anglais qui refusent de la voir partir
pour un port français. Certains marins comme Barberot, veulent poursuivre la
guerre mais leur opinion n'est pas partagée par leurs camarades. Ainsi Barberot
qui ne cache pas ses envies belliqueuses, est mis aux arrêts de rigueur pour
avoir fait de la propagande anti-armistice. Il finit par réussir à quitter son
navire et à rejoindre un petit groupe de marins souhaitant poursuivre la guerre.
Parmi ces marins, on retrouve l'officier d'ordonnance du cuirassé Duquesne (le
"sistership" du Tourville) Honoré d'Estienne d'Orves ou encore le lieutenant de
vaisseau André Patou. Le premier intègrera le Bureau Central de Renseignement et
d'Action et mourra en France durant une opération clandestine. Le second
rejoindra les Forces Navales Françaises Libres et sera promu amiral en 1965.
Roger Barberot , quant à lui, rejoint le 1° BIM avec le grade de lieutenant. Il
est muté à la 1° compagnie de Folliot où il prend le commandement de la deuxième
section. Pendant un mois, le bataillon voit ses effectifs augmenter grâce aux
désertions de soldats, marins et aviateurs français venant du Levant voire de
beaucoup plus loin. Ainsi Folliot raconte que le 25 août, trois sous-officiers
méharistes français ont rejoint les marsouins après avoir traversé le Sahara
depuis le Tibesti, au Tchad. Un officier britannique de la cavalerie, le
capitaine Mervyn Phipps est muté au bataillon le 13 août afin de servir
d'officier de liaison. Il sera fort apprécié par les officiers du 1°BIM.
Le jour de l'arrivée des trois méharistes, le bataillon est rassemblé sur le
plateau d'honneur du camp de Moascar. En effet, ce jour-là, a lieu une cérémonie
importante qui marque véritablement l'entrée du 1° Bataillon d'Infanterie de
Marine dans la guerre. Le bataillon est désormais officiellement opérationnel
(même si en pratique c'est encore loin d'être le cas). De nombreuses
personnalités viennent assister à la cérémonie, à commencer par le président du
comité national de la France Libre en Égypte, le Baron de Benoist (qui est
également le directeur général de la compagnie du Canal de Suez). Parmi les
autorités britanniques, on retrouve l'ambassadeur sir Lampson, le commandant en
chef des forces britanniques du Proche-Orient, le général Archibald Wavell, le
commandant en chef des troupes britanniques en Égypte, le général Henry Wilson
ainsi que l'amiral Andrew Cunningham, le commandant de la flotte britannique en
Méditerranée. De nombreux Français d'Égypte assistent à la cérémonie. Après un
discours du Baron de Benoist et de sir Lampson, le capitaine Lorotte remets un
drapeau tricolore offert par la colonie française d'Égypte, au sous-lieutenant
Gourvez de la garde d'honneur du bataillon. Ainsi le drapeau français flotte
désormais au côté de l'Union Jack remis à Chypre. Le 1° BIM devient alors la
seule unité de l'Armée Française à avoir eu deux drapeaux. La cérémonie se
termine par un défilé puis le Baron de Benoist invite les personnalités
présentes à une collation dans une propriété appartenant à la compagnie du Canal
de Suez.
2- L'épreuve du feu, la première campagne de Libye
Si désormais, le 1° BIM est jugé opérationnel, il y a encore beaucoup à faire
pour que ce soit réellement le cas. En effet, les marsouins ont déserté en
emportant avec eux le strict minimum et le bataillon manque cruellement
d'armement lourd, d'équipement collectif et surtout de transport. Lorotte fait
des pieds et des mains pour trouver du matériel auprès des autorités militaires
britanniques mais celles-ci ont déjà du mal à équiper leurs propres troupes. Le
17 août, le général De Gaulle demande au capitaine Robert, commandant l'ensemble
des troupes françaises stationnées en Egypte, de mettre à disposition des
Britanniques, une compagnie de combat afin qu'elle puisse être engagée le plus
rapidement possible contre les Italiens. Parmi les quelques troupes disponibles,
seul le 1° BIM forme une unité solide par sa cohésion et son expérience. En
effet, le bataillon dispose d'un solide encadrement de sous-officiers et
d'officiers dont la plupart sont militaires depuis des années, certains sont
même des anciens de la Grande guerre comme Folliot qui a fait Verdun ou encore
Gourvez qui a eu la Médaille Militaire 1914-1918. Quelques vétérans du bataillon
ont connu les combats de la pacification du Maroc comme l'adjudant Valentin
Behelo, un martiniquais de 39 ans, commandant la troisième section de la 1°
compagnie. Bref, les hommes du bataillons sont prêts à se battre et d'ailleurs,
ils ne demandent que ça. La décision est prise d'engager une compagnie de
marsouins. Comme convenu, c'est la première compagnie commandée par Folliot qui
est choisie. La compagnie reçoit alors la quasi-totalité du matériel que Lorotte
arrive à trouver pour le bataillon et qui arrive à partir du 26 août. Durant
cette période, la compagnie est organisée en cinq sections dont une de
commandement; l'ensemble reçoit une trentaine de camionnettes Morris réputées
solides et capables d'embarquer six hommes par véhicule.
Le 1° septembre, la compagnie est passée en revue par le général Wilson et part
en manœuvre dans le désert. Puis le 6, elle quitte le camp de Moascar pour
rejoindre le "Western Desert", c'est à dire la frontière Egypto-Libyenne,
devenant ainsi la première unité des Forces Françaises Libres à partir au
combat. Le convoi qui doit rejoindre la localité de Buq-Buq, arrive au Caire le
7 puis à Alexandrie le lendemain. Le 9, Marsa-Matruh est atteint et là, les
marsouins découvrent les premières traces de la guerre. En effet, des bâtiments
ont été détruits plus tôt dans la journée par des raids de la Regia Aeronautica.
Le jour suivant, les marsouins dorment à Sidi-Barani, puis repartent en
Direction de Buq-Buq où ils doivent rejoindre la 7° Armoured Divisions, les
fameux "Rats du Désert" du général Michael Creagh. Le bataillon est affecté plus
précisément au "Support Group" du général William Gott. Sur la route, ils
entendent pour la première fois le bruit sourd d'explosions au loin vers
l'Ouest. Le 13, la nouvelle tombe: les Italiens passent à l'attaque.
Effectivement, le maréchal Rodolfo Graziani, commandant des troupes italiennes
en Libye, a fait mettre en mouvement le 9 depuis la forteresse de Bardia, quatre
divisions qui doivent se diriger vers la frontière et la localité de Sollum en
Égypte qu'ils atteignent le 13. Malgré leur supériorité numérique écrasante, les
soldats du Duce n'avancent que de 80 à 90 kilomètres en cinq jours. Durant ces
quelques jours, la compagnie Folliot assiste aux combats entre les Soldati et
les Tommy's. Le jour même de l'attaque italienne, la compagnie occupe quatre
kilomètres du front et ouvre le feu pour la première fois de la guerre, à 14
heures, sur des motocyclistes italiens qui, sans subir de perte, se trouvent
gênés dans leur progression. Au soir du 14 septembre, des patrouilles sont
envoyées vers les lignes ennemies afin de déceler les projets de l'adversaire.
L'adjoint de Folliot, le lieutenant Clerc, en revient avec la conviction que les
Italiens ne vont pas tarder à attaquer leurs positions. Deux heures plus tard,
l'artillerie adverse vient confirmer les propos de Clerc. Après une demi heure
de bombardement, les chars italiens se mettent en route. Folliot reçoit alors
l'ordre de faire reculer sa compagnie. Au cours de la retraite, quelques
cartouches françaises sont tirées en direction de leurs poursuivants. Après
s'être repliée sur Sidi Barani le 17, la compagnie prend finalement position à
Marsa-Matruh où elle reçoit quelques obus qui ne font pas de dégât. On notera au
passage que la veille, un avion italien est abattu par les mitrailleuses des
marsouins.
L'attaque italienne s'essouffle à cause de graves problèmes de ravitaillement et
Graziani décide de stopper à Sidi-Barani et de passer à la défensive. Il fait
établir un certain nombre de forts afin d'établir une ligne de défense avancée
de la frontière Egypto-Libyenne. Mais ces forts sont trop éloignés les un des
autres et ne peuvent se couvrir mutuellement. De plus, cette ligne de
fortifications oblige à maintenir d'importants effectifs sur des positions fixes
alors que la guerre du désert est un terrain propice aux actions mobiles et fait
la part belle aux unités motorisées. Cette stratégie choisie par Graziani
condamne l'Armée Italienne en Libye à une défaite probable à moyen terme.
Cependant, pour sa défense, Graziani n'a pas beaucoup de choix: s’il dispose
effectivement d'une supériorité numérique, ses troupes restent faiblement
motorisées et disposent de réserves de carburant considérablement réduites suite
à des bombardements de la Royal Navy et de la Royal Air Force.
Pendant près de trois mois, le front reste immuable. Les Britanniques profitent
de ce répit inattendu pour renforcer considérablement leur potentiel militaire
dans la région. Ils font débarquer en Égypte, trois nouveaux régiments et
d'importants renforts matériels. Un nouveau type de char arrive sur le théâtre
d'opération, le Matilda II. Cet engin ne brille pas par sa mobilité ou sa
vitesse mais son canon de 40mm reste acceptable pour les standards de l'époque;
son atout essentiel réside en son blindage frontale de 78mm qui fait de lui le
char le mieux protégé du moment après le KV-1 soviétique. L'engin est
pratiquement insensible aux armes anti-chars italiennes aux distances de combats
usuelles. Il faudra attendre l'arrivée de l'Afrika-Korps et du fameux canon de
88mm allemand pour que l'Axe puisse disposer d'une arme réellement efficace
contre ce monstre de fer.
Ce renforcement des capacités britanniques entraine la création à Marsa-Matrouh
d'un corps d'armée qui, sous le nom de Western Desert Force, regroupe la 7°
Division Blindée et la 4° Division d'Infanterie Hindoue, l'ensemble étant sous
le commandement du général Richard O'Connor. Malgré cela, la situation du Middle
East Command reste précaire. En effet, les Italiens disposent toujours de la
supériorité numérique d'autant plus qu'ils peuvent prendre l'Égypte en tenaille
en attaquant de la Libye mais aussi de l'Éthiopie. Pour mettre un terme à cette
menace mortelle pour l'Empire Britannique, Wavell demande à Wilson de préparer
une offensive afin de chasser les forces de Graziani d'Égypte et d'entrer en
Libye.
En attendant, les marsouins du "père Folliot" ,basés au Sud-Ouest de
Marsa-Matrouh, sont loin de toutes ces préoccupations d'état-major. La compagnie
s'emploie à s'aguerrir au combat en milieu désertique. Quand ils ne sont pas en
patrouille ou en train de mener des raids sur les positions adverses comme Sidi
Barani ou Maktilla Camp, les marsouins profitent du temps qu'ils ont pour s'entrainer
à naviguer dans le désert comme on navigue sur la mer. Certains mènent la belle
vie, ainsi le sergent Delsol raconte: "Nous chassons la gazelle dont la viande
est bien meilleure que nos boîte de singe... On bronze... Il n'y a que le pain
de chez nous et le pinard qui manquent!"1 Delsols sera blessé par l'explosion
d'une mine lors d'une reconnaissance nocturne sur Sidi Barani le 22 octobre. Il
sera évacué sur la Palestine et reviendra au 1° BIM au mois de Janvier 1941.
Ayant reçu d'importants renforts, les Anglais décident de passer à l'offensive
afin de desserrer l'étau autour de l'Égypte. Dès le 7 décembre, la Western
Desert Force se met en marche à Marsa-Matrouh et parcourt en deux jours les 130
kilomètres la séparant de Sidi Barani. Le 9 décembre, un groupe de chars
Mathilda et de fantassins hindous s'infiltrent dans une trouée de près de 70
kilomètres entre les positions italiennes de Nibeiwa et Rabia. L'assaut des
lourds chars d'infanterie ne laisse que peu de chance aux fragiles chars M11/39
de l'unique unité blindée du dispositif italien (le groupe Maletti). La perte de
22 chars par les Italiens, dès le matin de l'offensive, enlève tout soutien aux
unités d'infanterie et, très vite, les points d'appui italiens tombent les uns
après les autres. Le quartier général des Italiens à Sidi Barani, tombe le
lendemain au soir. Le 11, la division "Catanzaro" est attaquée à Buq Buq et est
en partie détruite. La victoire est totale pour les alliés qui capturent pas
moins de 38 000 Italiens, plus de 70 chars et près de 240 canons; leurs propres
pertes ne s'élèvent qu'à 624 tués et blessés. Malheureusement, alors que le 16
décembre, les troupes anglaises sont aux portes de la Cyrénaïque, l'évolution du
conflit oblige l'état-major britannique à envoyer la division Hindoue en
Éthiopie forçant O'Connor à suspendre son offensive en attendant l'arrivée d'une
nouvelle division d'infanterie, la 6° Division Australienne. En attendant, le 16
décembre même, la 7° Division Blindée contourne et encercle la forteresse de
Bardia où sont réfugiés les restes de la X° armée italienne.
Pendant ce temps, la compagnie Folliot qui fait toujours partie du Support Group
de la 7° Division Blindée et qui compte le 9 décembre, 4 officiers et 116 hommes
(plus deux officiers absents et 12 soldats en permission), ne participe pas
directement aux combats. En effet, en position à Shot Abu Shi Esba, elle est
engagée dans des actions de couverture afin d'empêcher toutes pénétrations de
colonnes adverses dans le dispositif allié. La compagnie mène également des
reconnaissances et des patrouilles sans pour autant aller au contact de
l'ennemi. Durant cette période, les seules pertes chez les marsouins sont liées
à des maladies dues aux mauvaises conditions de vie dans le désert. Pourtant
l'ennemi n'est jamais bien loin; ainsi, pendant toute la nuit du 9 au 10
décembre, la compagnie est illuminée par des projecteurs anti-aériens italiens.
Le 11, alors qu'elle tente de progresser, elle est prise sous le feu de
l'artillerie adverse sans pour autant subir de dégâts. Cinq jours plus tard, la
compagnie reçoit l'ordre de faire mouvement vers Bardia. A 11h20, deux groupes
de la 1° section sont envoyés sous le commandement du lieutenant Guépin,
inspecter la passe d'Halfaya; le détachement revient trois heures plus tard en
signalant que la passe n’est ni défendue ni minée. C'est là une preuve que le
chaos règne à ce moment dans les rangs italiens car la passe d'Halfaya est un
point stratégique de la plus haute importance. En effet, il s'agit d'un col près
du village de Sollum qui constitue un des rares passages possibles entre
l'Égypte et la Libye pour une troupe motorisée. La passe d'Halfaya sera quelques
mois plus tard et à plusieurs reprises, l'enjeu d'importantes batailles entre
Britanniques et l'Afrika-Korps de Rommel.
Le 18 décembre, le journal de marche en opération de la 1° compagnie rapporte
qu'elle est rejointe par la 2° compagnie du BIM commandée par le capitaine
Giraud et qui entre temps a été motorisée. Malheureusement, le JMO ne donne pas
plus d'information sur les effectifs ou la mission de cette 2° compagnie. On
peut supposer qu'elle a agi en tandem avec la 1° compagnie. Le lendemain, il est
probable que le détachement dépasse Bardia car les marsouins reçoivent pour
mission d'empêcher toute circulation de véhicule adverse entre cette localité et
Tobrouk qui se trouve plus à l'Ouest. Pour atteindre son objectif, le
détachement reçoit le renfort de quatre canons de DCA Bofor de 40 mm ainsi que
deux chars légers. Les marsouins passent leur premier Noël dans le désert à
participer à des travaux de terrassement. Le 26, Folliot qui a été nommé chef de
bataillon le 25 novembre, prend le commandement du détachement formé par les 1°
et 2° compagnies. Le lieutenant Clerc prend alors le commandement de la 1°
compagnie à la place de Folliot. Durant cette période, les Français sont
mitraillés et bombardés à plusieurs reprises par l'aviation italienne mais à
chaque fois, les hommes ont le temps de se mettre à couvert et finalement, ces
attaques aériennes n'entrainent aucune perte humaine.
Aux premiers jours de l'année 1941, le détachement Folliot apprend qu'il va
participer à la prise de la forteresse de Bardia. Le 2 janvier, en préparation
de l'attaque, les marsouins se déploient sur une ligne Nord-Sud en s'appuyant
sur les falaises du bord de mer. Le lendemain, dès cinq heures du matin, alors
que la préparation d'artillerie commence, les Français se mettent en position
pour attaquer mais l'ordre d'intervenir n'arrive qu'à quinze heures. L'attaque
est lancée une heure plus tard; le détachement avance sur les positions
italiennes en attaquant du Nord-Ouest et en suivant la côte. Cependant, à 16h50,
la progression est stoppée par un violent tir de mitrailleuses et de canons
d'artilleries; à 17h30, les marsouins sont obligés de se replier mais la 2°
compagnie continue de progresser en suivant la plage. Au cours de cette journée,
la 1° compagnie compte un blessé, le soldat Bellet qui est touché par un éclat
d'obus.
Au final, la forteresse de Bardia est attaquée par les tankistes britanniques et
leurs Matilda II qui ne font qu'une bouchée des chenillettes L3 et des chars
M13/40 que les Italiens leur opposent. Le M13/40 est pourtant le dernier-né de
l'industrie militaire italienne et bien qu'il apporte quelques progrès par
rapport au M11/39 (canon de 47mm plus puissant, armement en tourelle...), son
blindage reste trop faible pour résister aux obus des Matilda qui sont eux à
l'abri des tirs italiens grâce à leur cuirasse. A Bardia, bien appuyés par
l'artillerie et protégés par l'infanterie australienne, les chars britanniques
créent une brèche et pénètrent dans le périmètre défensif de la cité malgré une
importante résistance de l'adversaire. Bardia tombe le 5 janvier, près de 45 000
Italiens sont fait prisonniers. A la fin du mois de décembre 1940, Hitler
déclarait: "La menace que nous exercions sur l'Égypte et partant sur toutes les
positions britanniques du théâtre méditerranéen, dans le Proche-Orient et en
Afrique, s'est dissipée d'un seul coup."1 La prise de Bardia ne fait que
confirmer ses propos.
Pour autant, l'offensive britannique est loin d'être terminée. A peine Bardia
tombé, O'Connor profite de son succès et lance ses troupes à l'assaut d'une
nouvelle forteresse italienne: la ville de Tobrouk. Cette cité est probablement
le point stratégique le plus important pour les belligérants. En effet, Tobrouk
est le seul port en eau profonde entre Tripoli et Alexandrie, ce qui en fait un
atout de premier ordre pour les Britanniques qui pourront désormais renforcer
leur troupes en Libye directement par la mer et non plus par les routes d'Égypte
dont l'état et le nombre réduisent considérablement les capacités de leur
logistique. Deux jours après la chute de Bardia, les troupes du général O'Connor
commencent à encercler les positions fortifiées de Tobrouk. Lentement,
l'encerclement se consolide et l'attaque de la forteresse, qui dispose d'une
importante garnison, se met en place. Sur place, les Italiens disposent sous le
commandement du général Mannella, de près de 25 000 hommes et de plus de 220
bouches à feu de tout calibre. A cela il faut ajouter la présence de 39 chars
M11/39 du 1° bataillon du 32° Reggimento. De plus Tobrouk a été fortifié et de
nombreux points d'appuis et blockhaus ont été creusés dans la roche. Cependant,
si la défense semble solide sur le papier, sur le terrain, les hommes sont
complètement démoralisés par les défaites successives et n'éprouvent que peu
d'envie de se battre dans une guerre dont ils ne comprennent pas les raisons.
A l'opposé de ce sentiment de découragement, les marsouins de la France Libre
ont un excellent moral malgré les difficultés qu'ils ont pu rencontrer à Bardia.
De plus, les hommes de Folliot ont appris que le roi George VI a, dans une
allocution radiophonique, félicité les "troupes franco-britanniques" pour leur
action en Afrique du Nord. Pourtant, les Français ne représentent qu'une infime
partie des 20 000 hommes composant le dispositif britannique. Sur le terrain,
les deux compagnies du 1° BIM disposent d'un créneau de cinq kilomètres près de
la mer. L'attaque est prévue pour le 21 janvier et durant les jours qui la
précèdent, les marsouins mènent des reconnaissances afin de repérer les défenses
adverses et notamment les réseaux de barbelés. Il s'agit également de trouver le
meilleur itinéraire pour mener l'attaque. Ils en profitent pour faire des
prisonniers comme c'est le cas le 18 janvier où un officier italien est ramené
par une patrouille. Afin de faciliter les tirs de l'artillerie navale, les
marsouins (en particulier ceux de la 1° section du lieutenant Guepin) reçoivent
l'ordre d'allumer des feux de repérage pour les pointeurs de la Royal Navy.
Durant ces actions, les Français ne subissent pas de pertes mais les hommes sont
régulièrement pris à partie par l'artillerie adverse surtout lorsque les
patrouilles franchissent une crête.
Le 20 janvier, à 23h00, le commandant Folliot transmet les ordres aux compagnies
pour l'attaque. Les marsouins ont pour mission d'attaquer en direction du ouadi
Sahel et d'y occuper les crêtes qui se trouvent sur leur route. Pour mener à
bien cette offensive, ils reçoivent l'appui de quatre canons de DCA Bofors ainsi
que le soutien de l'artillerie. Le lendemain, les hommes de Folliot se mettent
en marche à 5h30 du matin. Le lieutenant Guépin marche en tête avec la 1°
section en suivant le barrage roulant de l'artillerie et à 7h30, ils prennent
une première crête. Mais cette prise coûte à la section quatre hommes qui
tombent sous les balles des mitrailleuses et des obus de l'artillerie italienne.
Le caporal-chef Lalou, le caporal Potin et les soldats Freury et Bartoli sont
les premiers morts du bataillon. Ils seront enterrés le 23 janvier par le
révérend père Finet au kilomètre 25 de la route Tobrouk-Derna. Face à la riposte
italienne, les hommes de Guépin doivent se replier derrière la crête. Du côté de
la 3° et de la 4° section, les marsouins arrivent à prendre les crêtes 55 et 62
mais comme la 1° section, ils doivent se replier face à la puissance de feu des
mitrailleuses et des mortiers de la défense. Seuls quelques hommes sont laissés
en observation sur les crêtes. A 14 heures, Laborde signale des positions de
mitrailleuses dans le ouadi Sahel et demande un tir de neutralisation de
l'artillerie qui aura lieu deux heures plus tard. Après une visite de Folliot à
la 1° compagnie, on tente de mettre en batterie un canon Bofor pour neutraliser
par des tirs directs, les armes automatiques adverses; mais le barrage de plomb
des Italiens fait échouer les tentatives. Dans la soirée, alors que la nuit
s'illumine à cause des nombreux incendies dans la cité, une patrouille signale
la présence de barbelés dans le ouadi Sahel alors que le 18 janvier, une
patrouille dirigée par le lieutenant Barberot avait affirmé qu'il n'y en avait
pas. Le lendemain, l'offensive reprend dès 4 heures du matin et à 7 heures, la
résistance s'effondre et les positions italiennes commencent à tomber les une
après les autres. Les hommes du 1° BIM prennent cinq blockhaus et font près de
850 prisonniers dont 30 officiers. Un télégramme de la Brigade d'Orient à
destination des Forces Françaises Libres de Brazzaville et datant du 26 janvier,
annonce que les deux compagnies du 1° BIM ont été les premières unités alliées à
pénétrer dans la cité de Tobrouk, sans pour autant donner plus de détails.
Néanmoins, l'action des marsouins de la France Libre à Tobrouk a été remarquée
par leurs alliés britanniques puisqu'ils reçoivent les félicitations du
commandant de la 7° Division Blindée, le général Creagh ainsi que celles des
généraux Wavell et Gott. Churchill lui -même, annoncera aux Communes "la prise
de Tobrouk par les forces britanniques et les Forces Françaises Libres". A noter
que Les deux compagnies du 1° BIM ne sont pas les seuls représentants de la
France Libre lors de cette bataille puisque les pilotes du Free French Flight 2
(futur groupe de chasse "Alsace") ont participé à la couverture aérienne à bord
de leurs chasseurs Hurricane.
La chute de Tobrouk coute très cher aux Italiens qui perdent leur principal
atout en Cyrénaïque. Les Britanniques font près de 27 000 prisonniers dont le
général Manella. Sur les 39 chars italiens présents à Tobrouk, une dizaine
d'engins sont détruit alors que les Australiens récupèrent des engins capturés
intactes et les réutilisent en peignant de grands kangourous sur les côtés pour
éviter toute méprise. Profitant de leur succès, les Alliés continuent
l'offensive vers l'Ouest en divisant cette fois leurs troupes en deux groupes.
Au Nord, la 19° Brigade australienne attaque Derna le 25 janvier en suivant la
route côtière. Mais les Italiens ne se démobilisent pas et repoussent tous les
assauts; les Australiens n'entreront dans la cité que le 29 après que leurs
adversaires se soient repliés. Au Sud, la 7° Division Blindée fonce sur Mechilli
où là non plus les Italiens ne se laissent pas faire: la brigade blindée Babini
repousse même les avant- gardes britanniques en leur infligeant de lourdes
pertes lors de la plus importante bataille de chars de la campagne. Mais
Graziani ordonne à Babini de mener son détachement blindé au Nord pour soutenir
les défenseurs de Derna, ce qui permet aux "rats du désert" d'occuper Mechilli
le 28 janvier. De leur côté, le 24 janvier, les hommes de Folliot, qui font
toujours partie du Support Group de Gott, envoient vers l'arrière un convoi de
onze voitures Morris afin de se débarrasser de leurs prisonniers puis repartent
vers l'Ouest en suivant les troupes de la 7° Division Blindée et arrivent à
Mechilli le 1° février.
Si la victoire semble acquise pour les Alliés depuis le début de la campagne, au
début du mois de février, les choses s'accélèrent: la X° Armée italienne, ou du
moins, ce qu'il en reste, a reçut l'ordre du général Graziani d'évacuer la
Cyrénaïque. Du coup Benghazi est prise par les Australiens le 6 février. En
raison du manque de moyens de transport, les Italiens n'évacuent pas assez
rapidement et, lorsque les éléments avancés de la 7° brigade blindée occupent le
village de M'sus le 4 février, les Britanniques sont désormais en mesure
d'attaquer la route côtière et de la couper, ce qui piégerait les troupes
italiennes encore au Nord d'Agedabia. C'est ce qui se produit le lendemain. Une
compagnie anglaise, appuyée par l'artillerie, coupe la route côtière à Beda Fomm
et stoppe toute tentative italienne de rejoindre Agedabia. Au lieu d'attaquer
les Anglais par le Sud, les troupes italiennes d'Agedabia reçoivent l'ordre
d'évacuer la ville pour rejoindre El Agheila au Sud-Ouest. En donnant cet ordre,
Graziani, qui est complètement démoralisé, abandonne de fait ses hommes piégés
par les Britanniques. Malgré une résistance courageuse du 10° Régiment de
Bersaglieri, la bataille de Beda Fomm marque la fin de la 10° Armée qui capitule
le 7 février.
Durant les premiers jours de Février, le détachement Folliot atteint Soluch puis
Ghermines près de la côte. Sans participer directement aux combats, les
marsouins se rendent compte de cette importante victoire en voyant passer devant
leurs positions des milliers de prisonniers italiens dont de nombreux Askaris,
des supplétifs indigènes, qui sont torturés par la faim et la soif. Une fois à
Ghermines, les marsouins piquent vers le Sud et finissent par atteindre Agedabia
qui devient leur cantonnement pendant près de deux mois. En effet, après deux
mois d'offensive de Marsa-Matrouh à El Agheila, les troupes britanniques et
notamment la 7° Division Blindé, sont épuisées. Tripoli étant hors de portée de
la Western Desert Force et, face à l'absence de menace immédiate, l'offensive
est donc stoppée afin de mettre au repos les hommes et de remplacer les pertes
humaines et matérielles. Alors que les "Rats du Désert" sont renvoyés en Egypte,
Folliot obtient d'être détaché du Support Group de la division afin de pouvoir
intégrer la petite force chargée de couvrir la Cyrénaïque.
Cependant, si l'heure est au repos pour les Alliés, du côté de l'Axe, la
cuisante défaite de l'armée italienne en Cyrénaïque contraint Mussolini à
demander le soutien de son allié germanique. De nombreux travaux ayant déjà
étudié le sujet, nous ne reviendrons pas sur le processus qui amené les
Allemands à envoyer un corps expéditionnaire en Libye.
Sur le terrain, cette nouvelle donne s'exprime par l'apparition dans le ciel
libyen d'appareils ornés de croix gammées alors que l'offensive britannique
vient de stopper depuis quelques jours seulement. Le 16 février, deux jours
après le débarquement des premières unités de l'Afrika-Korps à Tripoli, le
détachement du 1° BIM subit sa première attaque allemande lorsque dix avions de
la Luftwaffe mitraillent en piqué les marsouins, faisant deux blessés, les
sergents Garache et Soussaref. Les attaques aériennes vont se répéter jusqu'à
deux fois par jours. Les marsouins apprennent à ne pas céder à la panique sous
la mitraille et les bombes, pourtant le moral n'est pas au beau fixe. L'attente
dans le désert et l'ennui sont des choses que supportent mal ces volontaires qui
ont déserté pour en découdre. Néanmoins, ils savent bien que les Allemands ne
vont pas se contenter de les bombarder. D'un côté, les marsouins s'en
réjouissent car enfin ils vont pouvoir se battre contre l'ennemi de 1940 mais
ils savent également que ce ne sera pas aussi facile que contre les Italiens.
D'ailleurs, Rommel place volontairement ses unités à peine débarquées en
première ligne afin de montrer à ceux d'en face que la fête est terminée.
Pour autant, l'Oberkommando der Heeres à Berlin, le Commando Supremo à Rome et
même Wavell au Caire, n'envisagent pas de reprise des combats avant le mois de
mai. C'est en effet le temps qu'il faut aux renforts de l'Axe pour débarquer
entièrement en Tripolitaine. Wavell, quant à lui, doit s'occuper des autres
fronts qu'il a sous sa responsabilité: le Soudan, la Grèce, l'Érythrée, l'Irak
où la révolte commence à gronder. Ne disposant pas d'assez de troupes, il est
contraint de redéployer celles qui se trouvent en Cyrénaïque. Il pense, lui
aussi, que l'Axe ne sera pas prêt en Libye avant le mois de mai. Malheureusement
pour lui, il ne connait pas encore le caractère bouillant d'Erwin Rommel. En
effet, dès le 31 mars, le futur "Renard du désert" lance à l'attaque des
positions britanniques le peu de troupes dont il dispose. Bousculées, les
troupes britanniques sont rapidement refoulées de Cyrénaïque et Rommel pénètre
même en Égypte jusqu'à la passe d'Halfaya. Néanmoins il échoue dans sa tentative
de prendre Tobrouk dans la foulée et il est contraint de mener un long siège de
la cité tenue par les Australiens. De plus, la Via Balbia, la seule route
carrossable de Libye passe par Tobrouk. Du coup, pour ravitailler les troupes
qui ont pénétré en Égypte, les convois de l'Axe sont contraints de faire un
détour par le désert, ce qui réduit fortement les capacités logistiques déjà
mises à mal par le peu de moyens alloués au théâtre d'opération méditerranéen
par l'état-major allemand. Dans ces conditions, et après avoir parcouru près de
1000 kilomètres en seulement quinze jours, il n'est plus possible pour Rommel de
poursuivre l'offensive; il décide alors d'installer une ligne défensive en
s'appuyant sur la passe d'Halfaya où les Britanniques auront bien du mal à l'en
chasser.
Pour le détachement de Français libres, la nouvelle de l'offensive allemande
déclenche un mouvement de replie rapide vers la frontière égyptienne. En
quelques jours, c'est le retour à la case départ; les marsouins arrivent à
Halfaya puis à Marsa-Matrouh où ils apprennent qu'ils vont être mis au repos. Le
9 mai, le détachement arrive à Ismaïlia où il est accueilli par d'autres
marsouins, les nouvelles recrues qui forment la 4° compagnie du 1° BIM. Après
quelques jours de repos, les 1° et 2° compagnies quittent Ismaïlia le 24 et
arrivent dans la soirée au camp de Moascar où est cantonnée la 3° compagnie qui
revient d'Érythrée. Ainsi la boucle est bouclée, la première campagne de Libye
est terminée pour les marsouins qui viennent de passer 263 jours dans le désert
africain..
3- Esprit et crise morale chez les marsouins
Durant la 1° campagne de Libye, le 1° Bataillon d'Infanterie de Marine connaît
une grave crise morale. On l'a vu précédemment, les hommes qui composent
l'effectif du bataillon proviennent d'unités restées fidèles au gouvernement de
Vichy. Ils ont donc pleinement conscience qu'en rejoignant les troupes
britanniques, ils deviennent des déserteurs et de surcroît des traîtres. Ceci,
les marsouins (dont certains ont été condamnés à mort par contumace) l'acceptent
car ils comprennent bien que la portée de leur acte dépasse largement le cadre
de la simple discipline militaire. Il s'agit désormais pour eux de combattre
pour le salut de la nation. Pour cela, ils font preuve d'une ardente volonté
d'en découdre avec le "Boche" et sont prêts à tous les sacrifices pour laver
l'affront de la défaite. Tout ce qu'ils souhaitent, c'est partir le plus
rapidement possible au front et c'est la qu'il y a un problème. En effet, pour
combattre, leur volonté ne suffit pas: il leur faut aussi de l'armement, des
moyens de transports et tout l'équipement nécessaire au combat. Les Anglais
s'étaient engagés à leur fournir le matériel nécessaire mais voilà, en Égypte,
ces derniers n'ont même pas de quoi équiper entièrement leurs propres unités. Du
coup, les faiblesses de la logistique britannique se répercutent sur le 1°BIM
qui ne peut être engagé dans sa totalité rapidement. La solution de compromis
consiste à équiper et engager les compagnies une par une. Or, si la 1° compagnie
est rapidement équipée, pour les autres il faudra encore attendre des mois et
des mois.
En attendant, la troupe stationne en Égypte et l'ardeur des premiers jours de la
rébellion s'effrite face à l'ennui et à l'inconfort matériel. De plus, le
capitaine Lorotte, dans un courrier adressé au général De Gaulle au mois de
septembre 1940, met en avant le fait que, depuis l'entré en rébellion, les
hommes ne se comportent plus comme avant. Selon lui, l'acte de désertion a fait
naître chez de nombreux soldats un sentiment individualiste. Ayant été
chaleureusement accueilli par les Anglais et les Français d'Égypte, certains
jouent aux héros et Lorotte constate que "les ramener en quelques semaines dans
un esprit militaire normal" est une tâche bien ardue. Les hommes rechignent
désormais à se mettre au travail et à obéir aux officiers qu'ils ne connaissent
pas. Bref, ce sont des déserteurs, des rebelles et on leur demande de se
comporter comme une troupe régulière: il y a bien là une crise morale. Pour
résoudre cette crise, Lorotte compte sur deux solutions. La première, on l'a vu,
consiste à envoyer le plus rapidement possible le bataillon au front où il pense
que les conditions de vie en milieu désertique et le danger du combat ne
pourront que renforcer la discipline. Effectivement, pour ce qui concerne la 1°
compagnie, les hommes se font une joie d'aller se battre.
La deuxième solution consiste pour Lorotte à chercher à donner un cadre moral et
à inscrire l'action du bataillon dans la durée. Pour cela, il dote le bataillon
d'une véritable identité. Ainsi, en nommant son unité "bataillon d'infanterie de
marine" il place ses hommes comme héritiers de la vieille et prestigieuse
tradition des Troupes Coloniales ( bien qu'ils portent désormais l'uniforme
britannique, les marsouins ont conservé leur calot bleu à liseré rouge et ancre
de marine de la Coloniale). En outre, il transforme l'objectif affiché des
Forces Françaises Libres à savoir libérer la patrie, en un un véritable idéal
qui s'exprime par la devise du bataillon: "FRANCE TOUJOURS". En conservant les
deux drapeaux, Lorotte cherche également à mettre en avant l'aspect unique du
bataillon car, d'un côté, l'Union Jack rappelle l'aspect rebelle; de l’autre, le
drapeau tricolore sur lequel il est écrit "HONNEUR ET PATRIE" (à l'instar de
tout les drapeaux régimentaires français), marque la continuité avec l'Armée
Française. Ainsi, comme Lorotte le dit lui-même, "tous les éléments spirituels
pour former une belle unité ont été donnés"1.
Les deux drapeaux du bataillon, symbole de l'identité des marsouins de la France
Libre
Pour autant, tout ceci n'a pas l'effet escompté et le moral chute et
l'indiscipline devient de plus en plus problématique. Dans son ouvrage sur la 1°
Division Française Libre, Yves Gras rapporte qu'un certain nombre de soldats
quittent illégalement le camp pour aller à Alexandrie. Finalement, les
compagnies sont reprises en mains. D'abord, les marsouins sont éloignés des
tentations et sont envoyés cantonner dans le désert égyptien. Ensuite, le
bataillon reçoit un nouveau chef de corps. En effet, dans un télégramme de
l'état-major français au Caire datant du 15 février 1941 et à destination de
Brazzaville, on apprend que Lorotte est relevé de son commandement "en raison du
maintien de la discipline"1 par le général Catroux, commandant en chef de la
France Libre au Moyen Orient. Ce télégramme annonce également que Lorotte doit
être éloigné rapidement du Caire; il est envoyé à Khartoum en attendant une
nouvelle affectation en Afrique Équatoriale Française. Il est remplacé par un
officier qui arrive directement de Londres, le capitaine Pierre de Chevigné.
Ancien officier d'infanterie entre 1929 et 1934, puis mobilisé avec le grade de
capitaine de réserve en 1939, Chevigné est un chef courageux qui a fait la
campagne de France durant laquelle il est grièvement blessé à la tête de son
bataillon. Pour ses actions de guerre, il a été cité trois fois à l'ordre de
l'armée et fait chevalier de la Légion d'Honneur. Soigné à Dax, il décide, alors
qu'il n'est pas encore guéri, de s'embarquer à bord d'un transport de troupes de
la Royal Navy pour l'Angleterre suite à la demande d'armistice fait par le
maréchal Pétain le 17 juin. Il rejoint les Force Françaises Libres et en
septembre, il est envoyé en Afrique du Nord. Il a donc toutes les capacités
requises pour commander le 1°BIM.
Pierre de Chevigné
Néanmoins, l'isolement dans le désert et la nomination d'un nouveau commandant
ne résolvent pas tous les problèmes du bataillon. Les marsouins ne demandent
qu'une seule chose: rejoindre le front. Mais on l'a vu, pour combattre dans le
désert libyen, il est absolument nécessaire de disposer d'un parc automobile
conséquent. Finalement, à la mi-décembre, la 2° compagnie est motorisée et finit
par rejoindre la 1° compagnie en Libye. Mais pour les marsouins qui sont restés
en Égypte, l'attente devient insupportable au point qu'ils demandent aux
Anglais, faute de pouvoir leur donner des moyen de transport, qu'ils leur
donnent une deuxième paire de chaussures pour marcher jusqu'au Soudan. Cette
requête, bien qu'elle puisse paraître saugrenue dans une guerre où la mobilité
est un facteur primordial, n'est pas sans intérêt. En effet, puisque l'on ne
peut pas les équiper de véhicules pour la Libye, envoyons les Français Libres là
où ils n'en n'auront pas besoin: l'Érythrée. Ainsi, trois mois après le départ
de la 2° compagnie, la décision est prise d'envoyer la 3° compagnie à
Port-Soudan afin qu'elle puisse rejoindre par la mer sa nouvelle affectation à
la Brigade Française Libre d'Orient. De cette manière, les marsouins ayant enfin
obtenu satisfaction, le bataillon est repris en main petit à petit. .
4- Les gars de Savey, la campagne d'Érythrée
Malgré leur victoire écrasante sur les Italiens en Libye, la situation des
Britanniques en Afrique du Nord reste des plus fragiles. Le Middle East Command
doit faire face à un véritable encerclement par les armées de l'Axe. A l'Ouest,
si la 10° Armée Italienne a été vaincue, toute la Tripolitaine reste aux mains
des serviteurs du Duce et celui-ci fait désormais appel à son allié germanique
pour préparer la revanche. Au Nord, le rêve mussolinien de rétablir l'Empire
Romain prend forme suite à l'annexion de l'Albanie en 1939, puis à l'offensive
contre la Grèce déclenchée le 28 octobre 1940. Bien que les armées italiennes
soient stoppées dans les montagnes puis repoussées en Albanie, Winston Churchill
propose au gouvernement grec un soutien militaire. Ce dernier accepte et le
premier ministre britannique demande au général Wavell d'envoyer des troupes sur
ce nouveau théâtre d'opérations. A l'Est, la menace de voir les Irakiens se
soulever contre la présence sur leur sol de troupes britanniques, est de plus en
plus forte. Le 31 mars 1941, Rachid Ali el Gailani, ancien premier ministre
irakien ultra-nationaliste et pro-allemand, fait un coup d'état et prend le
pouvoir avec le soutien de l'armée irakienne. Son retour à la tête de l'état
laisse à prévoir l'éclatement à court terme d'un conflit anglo-irakien. Enfin au
Sud, les Italiens disposent de plus de 250 000 soldats en Africa Orientale
Italiana, un morceau de l'empire colonial italien qui regroupe l'Érythrée,
l'Éthiopie et la Somalie italienne. En août 1940, les Italiens annexent le
Somaliland britannique. Après une guerre de raids entre les deux belligérants,
la menace de voir la route du canal de Suez coupée par le Sud reste importante
pour les Britanniques.
Dans ce contexte, les Anglais ne peuvent se permettre de rester dans
l'immobilisme. Ils décident donc de mettre en place une opération pour chasser
les Italiens de la corne de l'Afrique. Pour cela, ils disposent de quelques
avantages. D'abord, bien que impressionnants sur le papier, les effectifs
italiens sont très majoritairement composés d'Askaris, des indigènes locaux
recrutés en masse pour compléter les troupes italiennes. Ces Askaris sont peu
formés à la guerre moderne et restent d'une fiabilité douteuse pour le
commandement italien. De plus, ce dernier est isolé de la métropole. En effet,
les Britanniques maintiennent un blocus maritime qui empêche tout
approvisionnement par la Regia Marina. Seul le ravitaillement par air est
possible, ce qui limite très fortement l'arrivé de matériels et d'effectifs
supplémentaires. Enfin, les colonies italiennes souffrent d'un manque
d'infrastructures et notamment de routes carrossables. Du coup, les troupes sont
établies en positions statiques, trop éloignés les unes des autres; ce qui
permet aux alliés de les attaquer une par une. En fait, l'ensemble de ces
facteurs (auxquels il faut rajouter les problèmes sanitaires liés à la malaria)
réduit à néant la supériorité numérique des Italiens.
Conscients des faiblesses de l'armée italienne dans la corne de l'Afrique, les
alliés se préparent à mener une offensive en Érythrée. Si les Anglais font appel
à des renforts venant de tout leur empire, ils peuvent également compter sur le
soutien de la France Libre. En effet, après avoir fait basculer dans la
rébellion l'Afrique Équatoriale Française, De Gaulle envisage de former le plus
rapidement possible une grande unité française qui puisera ses effectifs dans
les territoires nouvellement ralliés. Cette troupe devra rejoindre le front et
combattre au côté des Britanniques. Après avoir choisi l'Érythrée comme théâtre
d'opérations, la nouvelle unité française libre est formée en Octobre 1940 et
prend le nom de Brigade Française d'Orient (BFO). Il s'agit d'une brigade mixte
formée à partir de la 13° Demi-Brigade de Légion Étrangère et du 3° Bataillon de
Marche (connu également sous le nom de Bataillon du Tchad). L'ensemble est
renforcé par différentes unités d'appui (artillerie, génie, cavalerie, services,
logistique et sanitaire). La BFO est commandée par un légionnaire, le colonel
Ralph Monclar (un pseudonyme pour protéger sa véritable identité: Raoul
Magrin-Vernerey), un des vainqueurs de la bataille de Narvik.
Afin de pouvoir opérer en Érythrée, la brigade doit avant tout se regrouper. Les
différentes unités qui la compose, sont dirigées vers le Soudan anglo-égyptien.
Les légionnaires sont emmenés par bateau jusqu'à Port-Soudan qui est atteint le
14 février. De leur côté, les tirailleurs du BM3 rallient le Soudan depuis
Fort-Lamy au Tchad. Ils arrivent les premiers au Soudan au début du mois de
février. Le 16, sur ordre du commandement britannique, ils participent à la
prise du fort de Kub-Kub. La jonction des deux groupements de la BFO est
effectuée au début du mois de mars. Pendant ce temps, les Britanniques sont
engagés dans de durs combats dans les environs de la cité de Keren. Au mois de
mars, face à la forte résistance qu'opposent les Italiens, le général William
Platt, commandant les troupes britanniques au Soudan, réorganise et renforce son
dispositif.
C'est dans ce contexte qu'à la mi-mars, les marsouins de la 3° compagnie se
préparent à rejoindre l'Érythrée. A leur tête, se trouve le capitaine Jacques
Savey. Cet officier va durablement marquer l'histoire du bataillon. Ce breton
d'origine (il est né à Brest) a un parcours des plus atypiques. D'abord, Savey
n'est pas un militaire de carrière mais un officier de réserve de la Coloniale.
Dans le civile, il occupe une fonction très éloignée de son engagement
militaire. En effet, Savey est un jeune prêtre et plus précisément un
missionnaire de l'ordre des frères dominicains. En 1936, il est envoyé en Syrie
dans la région du Haut-Djézireh. Le 28 août 1939, il est mobilisé dans l'armée
du Levant alors qu'il se trouvait au Caire, à l'institut des Dominicains, où il
était l'adjoint du père Carrière. Il est nommé par le général Weygand au poste
de sous-chef du Deuxième Bureau. Après la défaite et l'armistice de juin 1940,
Savey hésite pendant deux mois à franchir le Rubicon. Finalement, il finit par
traverser à pied la frontière palestinienne grâce à un faux-ordre qu'il a
lui-même rédigé. D'ailleurs, alors qu'il s'entretient avec un officier anglais,
son chef au Deuxième Bureau de l'Armée du Levant fait irruption et ordonne au
déserteur de rejoindre immédiatement son poste. Savey refuse et rassure son
ancien supérieur en lui expliquant qu'il lui donnait sa parole de prêtre qu'il
ne dirait rien aux Anglais sur son ancienne activité et qu'il est la pour se
battre. Après avoir passé une semaine à Jérusalem, il rallie le Caire et son
couvent dominicain. Le 31 août, il s'engage dans les Forces Françaises Libres.
Malheureusement pour lui, le manque d'officiers le contraint à faire une croix
sur son souhait de devenir aumônier militaire et il se voit confier le
commandement de la 3° compagnie du 1° BIM. Savey a une raison très personnelle
de poursuivre la guerre contre l'Allemagne. Pour lui, il ne s'agit pas seulement
de libérer la France et de laver l'affront de la défaite, mais bien d'une guerre
spirituelle. En effet, dans son esprit, cette guerre est une guerre entre le
Bien et le Mal. Ainsi, le 28 août, il écrit:" Après deux mois de réflexions
angoissées, je me suis décidé à accomplir ce qui me parait, dans une clarté de
plus en plus vive, être mon devoir de Français et de chrétien. Je reste persuadé
que cette guerre n'est pas une guerre comme celle de 1870 et même de 1914. Il
s'agit bien d'une lutte entre la civilisation chrétienne et le néo-paganisme
allemand. D'une croisade, en un mot. Que Dieu me donne l'esprit d'un croisé!"1
Après sa mort, le général Koenig dira de Savey qu'il était "le modèle du
prêtre-soldat"2.
Nommé au grade de capitaine, Savey conduit ses hommes vers Port-Soudan où ils
embarquent le 22 mars à 17 heures. Le lendemain, la compagnie qui compte près de
250 hommes, débarque à Mersa Teklay vers 13h30 puis embarque dans des camions en
direction du Sud. Le soir, les marsouins bivouaquent dans les environs d'El
Gherma avant de repartir à une heure du matin vers Kub-Kub. Après 11 heures de
piste, la compagnie arrive au Point A, une base logistique installée près de
Chelamet, au Sud de Kub-Kub. Les hommes installent leur bivouac à proximité
d'une source. Là, ils sont accueillis à coup de cailloux par un groupe de singes
qui cherchent à défendre leur territoire. En réponse des pierres, les marsouins
mettent en déroute ces farouches adversaires en tirant quelques rafales de
fusil-mitrailleurs. Le lendemain, le capitaine Savey laisse sa compagnie pour
rejoindre avec un convoi, le poste de commandement du colonel Monclar. Le soir,
il se présente à l'observatoire du commandant de la Brigade Française d'Orient.
Les deux officiers s'entretiennent et le lendemain, la 3° compagnie du 1°BIM est
placée sous les ordres du lieutenant-colonel Alfred Cazaud. Ce dernier commande
le premier groupement de la BFO qui comprend désormais le 1° Bataillon de la
Légion Étrangère (dirigé par le commandant Amilakvary) et la compagnie de
marsouins de Savey. Cependant, à dix heures du matin, le groupe de mitrailleuses
de la compagnie ainsi que le groupe de mitrailleuses du 1°BLE, doivent rejoindre
le bataillon du Punjab de la 7° Brigade Indienne. Les deux groupes ont été
détachés afin d'appuyer les Hindous en établissant une base de feux. La
compagnie Savey n'ayant toujours pas été motorisée, c'est à pied que les hommes
doivent rejoindre leur nouvelle affectation. Mais heureusement pour eux, on leur
donne quand même quatre chameaux pour transporter le matériel lourd et les
munitions. Durant la matinée, Savey apprend que ses hommes vont être engagés
dans l'opération qui doit avoir lieu le lendemain et qui a pour but la prise de
l'Engiahat, un massif montagneux culminant à 2500 mètres d'altitude, où les
Italiens se sont installés et résistent farouchement. Le capitaine de la 3°
compagnie reçoit les ordres suivant: avant le début de l'opération, le groupe de
mitrailleuses en coordination avec celui du 1°BLE, doit s'installer sur une
crête intermédiaire afin de pouvoir appuyer les attaques au plus près et au fur
et à mesure de l'avancée des troupes. Une fois la ligne A conquise par le
bataillon du Punjab, les marsouins doivent franchir le point appelé "Grand
Peter". Une fois là, Savey se chargera de détacher un sous-officier et deux
soldats qui rejoindront le poste de commandement du premier groupement afin
d'assurer la liaison. Ensuite, les marsouins devront se mettre en position
d'attente sur les pentes du versant Nord de l'Engiahat. La compagnie débouchera
ensuite sur la ligne B. Le capitaine Savey devra installer son poste de
commandement sur la position O1, une fois qu'elle aura été conquise. Pour mener
cette manœuvre à bien, la compagnie devra établir des observatoires successifs
sur "Grand Peter" puis sur la pente Nord de l'Engiahat et enfin sur le point O1.
Une fois qu'il a reçu ses ordres, Savey se met en route afin de retrouver sa
compagnie. Celle-ci est mise en alerte dans la soirée. Savey la rejoint alors
qu'elle vient tout juste de se mettre en marche sous les ordres du lieutenant
Jacquin. Le capitaine conduit alors sa troupe à proximité du poste de
commandement de la 7° Brigade Indienne où ils campent, après une marche
épuisante due au manque d'eau et d'entraînement des hommes.
Un peu plus tôt dans l'après midi, l'adjudant Bossard, du groupe de
mitrailleuses, accompagné des soldats Gomez, Boural et Ernevein, arrive au poste
de commandement du bataillon du Punjab. A seize heures, le major commandant le
bataillon, les emmène en reconnaissance afin de repérer la base de départ de
l'attaque du lendemain ainsi que les emplacement prévus pour les groupes de
mitrailleuses du 1° BIM et du 1°BLE. Deux heures plus tard, le gros du
détachement rejoint Bossard. Une partie du matériel a été laissée à la
surveillance du caporal Donnadieu sur la piste. Effectivement, les chameaux
ayant été trop chargés, les marsouins ont été contraints de les alléger. A 22
heures, les mitrailleurs du 1° BIM sont rejoints par leurs homologues de la
Légion commandés par le sergent-chef Duchène.
Le 27 mars, les groupes de mitrailleuses du 1° BIM et du 1°BLE fusionnent afin
de ne former une section d'appui. Cette dernière se met en place à quatre heures
du matin pour former une première base de feu. Deux heures plus tard, la section
commence à reconnaître les positions adverses et à les télémétrer. A 7h30, les
marsouins et les légionnaires ouvrent le feu sur les objectifs repérés au
préalable, marquant ainsi le début de l'attaque sur l'Egihat. Au bout d'une
heure, les hommes démontent leurs armes lourdes puis toute la section décroche.
Après une demie heure de marche pénible sous le soleil, et en portant les armes
et les munitions sur le dos, les hommes de la section d'appui s'installent sur
une ligne de crête prise par la 3° compagnie du 1°BLE. Les mitrailleuses sont
mises en batterie et les servants se mettent à scruter les alentours. L'attaque
menée par le bataillon du Punjab et le 1°BLE se poursuivant, les mitrailleurs
décrochent de nouveau à 10 heures et à 14 heures; ils s'installent en
surveillance de zone à proximité d'une batterie de mortiers.
Pendant ce temps, les marsouins de la 3° compagnie restent l'arme au pied toute
la matinée, à l'exception des officiers qui partent reconnaître leurs objectifs
respectifs. Ce n'est qu'à 16 heures que la compagnie tout entière se met en
marche en direction de sa base de départ. Les hommes passent à l'attaque bien
qu'il n'y ait pas d'ennemi en face. En effet, les Italiens ont évacué l'Engiahat
la veille, ne laissant qu'un petit détachement devant retarder l'avance des
alliés. Le seul véritable danger pour les marsouins ce jour là, c'est la
chaleur. Contraints de marcher en plein jour dans une des régions les plus
arides du monde, les hommes accusent le coup et peinent à progresser. La
première journée de guerre de la compagnie se termine sur les pentes de l'Engiahat
où elle passe la nuit.
Le lendemain, l'offensive reprend. Les hommes de Savey reçoivent la visite du
lieutenant-colonel Cazaud. Celui-ci conduit les marsouins en suivant les traces
du bataillon du Punjab. A neuf heures du matin, le sommet de l'Engiahat est
atteint. La compagnie y stationne dans un premier temps, puis se remet en
marche. Constatant l'absence d'ennemi, les troupes franco-britanniques se
lancent à la poursuite des Italiens qui se replient. Savey et sa compagnie
progressent derrière le Bataillon de Marche n°3 et finissent par arriver aux bas
des pentes de l'Engiahat. Les hommes prennent un peu de repos et profitent de la
présence d'un puits pour se ravitailler en eau. Ils se remettent en marche
jusqu'à la nuit en suivant un oued qui pourrait être l'Anseba. A la nuit
tombante, la compagnie bivouaque dans les sables de l'oued. De son côté, le
groupe de mitrailleuses qui, entre-temps a été mis à disposition du bataillon du
Punjab, se met en marche vers 15 heures. Après trois heures de marche en
direction de Keren, les hommes s'arrêtent près d'un point d'eau. Durant cette
journée, le ravitaillement n'arrive pas à suivre l'avancée des troupes et on
comprend mieux alors l'importance prise par le moindre petit puits dans un
milieu naturel des plus hostiles.
Le jour suivant, les marsouins se remettent en marche à cinq heures du matin. Le
lieutenant colonel Cazaud donne l'ordre de descendre vers le village d'Azran,
mais Savey commet une erreur d'orientation et la compagnie passe à un kilomètre
du village. Finalement, la troupe atteint la route reliant Keren à Asmara à deux
kilomètres des positions du 1° BLE. Le lieutenant Pichat, chef de section, est
envoyé en patrouille jusqu'à Hali Merket. En chemin, il fait prisonnier des
Italiens du 11° Régiment de Grenadier de Savoie du colonel Corsi. A 15 heures,
toute la compagnie se met en route en direction de Keren. Elle est rejointe par
la Légion Etrangère. En arrivant à proximité de la ville, des camions viennent
récupérer les marsouins pour les emmener à Tchelemet qu'ils atteignent dans la
nuit. Là, les hommes sont mis au repos jusqu'au mercredi 2 avril. Le 31 mars, la
compagnie est rejointe par le groupe de mitrailleuses qui vient de marcher
durant trois jours jusqu'à Keren, sans recevoir le moindre ravitaillement et en
portant tout son matériel et les munitions sur le dos. La veille, la Brigade
Française d'Orient reçoit la visite du général de Gaulle. Pour les Français
Libres, la présence de leur chef, venu féliciter ses hommes, les réconforte.
Keren étant tombée le 27 mars et Asmara le 1° avril (la cité a été déclarée
ville ouverte), les Alliés se dirigent vers l'étape suivante, la ville de
Massawa. Cette dernière a un certain intérêt stratégique. En effet, il s'agit là
du dernier port contrôlé par les Italiens en Érythrée, ce qui signifie que, si
elle tombe aux mains des alliés, le Duce aura virtuellement perdu l'Érythrée.
Pour cette raison, on peut s'attendre à ce que l'armée italienne se ressaisisse
et défende chèrement sa dernière chance de maintenir ce bout de désert dans
l'empire colonial italien. Mais c'est tout le contraire qui va se produire. En
effet, les hommes du duc d'Aoste (le vice-roi d'Éthiopie) sont à bout. Ils
combattent depuis deux mois dans des conditions très difficiles; ils essuient
revers après revers et ne peuvent espérer de renfort de la métropole, surtout
après la défaite de Graziani en Libye. Tous veulent en finir avec cette guerre
qu'ils ne comprennent pas. Les officiers supérieurs cherchent une porte de
sortie honorable et le 5 avril, une trêve est établie afin que les belligérants
puissent parlementer. Mais le lendemain, les négociations entre le général Platt
et le contre-amiral Bonetti échouent à cause de l'intervention de Mussolini qui
ordonne à Bonetti de résister coûte que coûte. La bataille reprend donc et le
dénouement de cette campagne approche. Il reste à savoir comment les Italiens
vont réagir.
Durant cette bataille finale, les hommes de la compagnie Savey vont jouer un
rôle de premier plan. Et ce, dès le 2 avril, lorsque la compagnie est intégrée
comme arrière-garde dans une colonne motorisée descendant vers le Sud afin de
couper la route reliant la cité d'Asmara à celle de Massawa. Cette progression
est freinée par l'état déplorable de la piste empruntée. Un certain désordre
apparaît dans la colonne et les véhicules se mélangent. Les marsouins finissent
par arriver au carrefour de la piste qui descend vers le Sud en direction des
villages d'Assus, Ailet, Dembé et enfin Gahtielay où la piste rejoint la route
Asmara-Massawa. De Gahtielay il n'y a plus qu'une cinquantaine de kilomètres
avant d'atteindre l'objectif final: le port de Massawa. La compagnie reçoit pour
mission de protéger le carrefour à deux kilomètres d'Asus et de défendre les
lignes de communications de la Brigade Française d'Orient contre toute attaque
venant de Massawa. Le lendemain, elle se maintient dans son rôle de protection
du nœud routier mais le capitaine Savey part pour Dembé où il sera rejoint en
camion le jour suivant par ses hommes. Les marsouins installent un bivouac et là
aussi, ils se mettent en position défensive pour contrer toute menace venant du
Sud.
Le 5 avril, alors que la compagnie passe la journée au repos, le groupe de
mitrailleuses rejoint la compagnie d'appui du 1°BLE puis progresse avec elle
jusqu'à la coupure de la route à 10 kilomètres de Massawa. A 14 heures,
l'artillerie italienne ouvre le feu et bombarde pendant trois heures les
mitrailleurs jusqu'à que la trêve devienne effective. Les marsouins en profitent
pour repérer et télémétrer les positions adverses. A 19 heures, alors que les
négociations continuent entre les états-majors britannique et italien, les
hommes du groupe progressent et s'installent sur une crête où ils passent la
nuit. La trêve se poursuit jusqu'à midi et une heure plus tard, les marsouins
reçoivent la réponse italienne sous la forme d'un barrage d'artillerie. Aux obus
italiens, les Britanniques répondent par des coups de canon de 25 pounder ,et
très vite, on assiste à un véritable duel entre les artilleurs des deux camps.
La tentative de prendre Massawa par la diplomatie ayant échoué, les alliés se
préparent donc à prendre la ville par la force et mettent en place le dispositif
d'attaque. Le jour même, la 3° compagnie quitte Dembé en camion et vient
bivouaquer le soir à Mai Atal. Une section, celle du lieutenant Jacquin, reste à
Dembé afin de garder des prisonniers; elle est chargée de les escorter jusqu'à
Asmara puis, de rejoindre en voiture le reste de la compagnie dans la journée du
7 avril. Le soir du 6, le capitaine Savey reçoit les ordres de la compagnie pour
le lendemain qui arrive. Les marsouins sont placés en réserve au profit du
1°BLE. Ils devront se positionner à un kilomètre en arrière des positions des
légionnaires. Savey devra précéder son unité afin d'entrer en liaison avec le
chef de corps du bataillon de la Légion, le commandant Reyniers. A une heure du
matin, la troupe se met en marche en suivant l'horaire du plan. Le trajet
jusqu'à ses positions devant se faire à pied faute d'essence, la compagnie est
contrainte de laisser à Mai Atal tout le matériel qu'elle ne peut emporter. Elle
le récupérera plus tard, une fois que le ravitaillement en carburant aura été
fait. Après 17 heures de marche, les marsouins atteignent enfin la coupure de la
route de Massawa. Après avoir rejoint le 1°BLE, la compagnie s'installe sous une
contre-pente à proximité du poste de commandement du commandant Reygniers.
L'artillerie italienne continue de bombarder les environs et deux marsouins sont
légèrement blessés par des tirs fusants. Le sergent Lecacheur, du groupe de
mitrailleuses, est lui aussi touché légèrement à la tête par un éclat d'obus.
Dans la soirée, la section Jacquin rejoint la compagnie. Alors que les hommes se
reposent après cette longue marche, les officiers vont aux observatoires des
légionnaires afin de reconnaître leur futur champ de bataille.
Plan de la ville de Massawa et ses alentours établis par les Italiens durant
l'entre-deux guerres
La journée du 8 avril s'annonce comme capitale. En effet, c'est ce jour-là que
l'attaque sur Massawa doit être lancée. Chez les alliés, on ignore si les
Italiens vont se rendre sans combattre ou si au contraire, ils vont résister
jusqu'au bout. Le général Briggs, commandant la 7° Brigade Indienne, demande aux
Français de la BFO de lancer une colonne motorisée comprenant à la fois la
Légion, les marsouins de Savey, l'artillerie, le génie et une partie des
ambulances de la brigade. Cette colonne française libre a pour mission de
flanc-garder la 7° Brigade qui doit opérer sur la route de Marsa-Cuba à Massawa.
Les Français Libres sont renforcés par quinze véhicules légers de reconnaissance
et de découverte ainsi que par trois pelotons de la Sudan Defence Force sous les
ordres du Bimbashi Powel. Ces renforts doivent servir à éclairer la colonne
française. La BFO reçoit également la permission de pousser l'avance jusqu'à
Dogali dans le but d'exploiter un éventuel succès. Cependant, les Français se
voient interdire l'entrer dans Massawa, les Britanniques se réservant cet
honneur.
A cinq heures du matin, le capitaine reçoit les ordres pour l'attaque. Il
réveille la compagnie et la met en route en direction de la voie ferrée. La
compagnie doit fournir 2 sections de réserves (sections Pichat et La Penuen). Le
capitaine les conduit au Nord-Ouest de la côte 93. Les deux sections sont sous
les ordres du lieutenant Pichat et ne seront pas engagées. Elles resteront le
long de la voie ferrée, à 300 mètres au Nord-Ouest de la côte 93.
Les sections Jacquin et Bouvier sont en flanc-garde au Sud de l'ensemble. Elles
passent au Sud de la voie ferrée par les côtes 101, 81 et 82. Savey prescrit au
Lieutenant Jacquin de ne pas dépasser, sans son ordre, le carrefour situé à 500
mètres à l'Est de la côte 82. Le capitaine les rejoint avec la section de
commandement et les envoie occuper la petite usine appelée "Fornace" sur la
carte au Sud-Ouest de Zaga. Il est 8h 30. Les sections s'établissent
défensivement face à l'Est et au Sud-Est afin de protéger l'avance de la 2°
compagnie de Légion qui se poursuit sur la gauche. La section Jacquin fait un
détour au Sud afin d'aborder l'usine par une crête qui la domine, tandis que la
section Bouvier et la section de commandement vont droit à l'objectif, en
traversant un large oued battu par quelques armes ennemies tirant trop haut
depuis le Nord-Est. La section Jacquin et un groupe de la section Bouvier
s'établissent en demi-cercle sur un mouvement de terrain à 200 mètres environ de
l'usine où se trouve le capitaine Savey avec le reste du détachement. Quelques
civils sont faits "prisonniers". Les hommes se mettent au repos et en profitent
pour faire du thé.
Savey est désormais en liaison à vue avec une section de la deuxième compagnie
de la Légion qui se trouve à une centaine de mètres. Il fait demander au
sous-lieutenant s'il a besoin d'aide mais celui-ci refuse. En effet, l'ennemi
semble inerte au Sud-Est. Le détachement Savey ne reçoit que quelques balles en
fin de course, venant du Nord-Est. La section Jacquin, par contre, est prise
sous le feu adverse et le lieutenant est contraint de déplacer un groupe.
A dix heures, le capitaine commandant la 2° compagnie de Légion demande au
capitaine Savey d'attaquer de flanc un fortin situé au Nord-Est de "Famace" et
qui bloque son avance depuis près d'une heure. Laissant la section Jacquin et la
section de commandement assurer la mission de flanc-garde, le capitaine envoie à
10h15, la section Bouvier à l'assaut de cette résistance. Savey l'accompagne
afin de s'assurer que la section ne reçoive pas de nouveaux ordres
contradictoires avec sa mission initiale. Appuyé par un de ses groupes, le
lieutenant Bouvier marche jusqu'à portée d'assaut de l'objectif. Le fortin est
enlevé d'un seul élan sous le feu même de l'artillerie qui n'a pas le temps
d'interrompre son tir en voyant bondir ces marsouins. Un obus tombe au milieu
d'eux sans éclater. La position conquise semble vide mais Savey s'approche d'un
abri souterrain et crie "fuori!". Cinquante deux marins italiens en sortent.
Alors que Savey s'apprête à ramener la section et les prisonniers sur sa
position initiale, un indigène lui indique que le commandant italien d'un
ouvrage voisin souhaite parler au commandant anglais. Savey demande à Bouvier un
groupe d'escorte et se rend auprès de l'officier italien. Celui-ci offre sa
reddition avec une trentaine d'hommes. Un pavillon blanc apparaît alors sur un
ouvrage plus important, situé au bas des pentes du Monte Umberte. Savey s'y rend
avec son groupe d'escorte, laissant ses prisonniers à la garde de deux
marsouins. Le feu avait cessé aux environs et le commandant italien demande à
Savey s’il y avait eu une capitulation d'ensemble. Le Français lui répond que
oui. Environ cinquante hommes sortent de l'ouvrage. Savey les fait mettre en
colonne puis les laisse à la surveillance de trois hommes.
Le capitaine fait coucher une partie des prisonniers, surveillés par deux hommes
et tandis que le troisième garde est envoyé avec le reste des prisonniers,
porter un message à l'arrière. Savey demande à ce que tous ses hommes le
rejoignent mais l'ordre ne sera pas transmis. Savey part alors avec le soldat
Rafquel comme interprète et le soldat Le Goff muni d'un FM. Les trois hommes
gravissent une pente et arrivent au PC du commandant de l'ensemble des ouvrages
du Monte Umberto, un chef de bataillon qui se rend avec quelques dizaines
d'hommes à la première rafale de FM. Savey confie à Rafquel la garde des
Italiens avec l'ordre de rejoindre les autres prisonniers et continue sa route
avec Le Goff. Savey aperçoit les légionnaires vers le fort Vittorio Emmanuele.
Sur sa droite, il voit les hommes de la section Jacquin qui avancent par petits
bonds rapides, ce qui laisse à penser qu'ils sont sous le feu adverse. Ils sont
en fait en train d'attaquer un ouvrage défendu par deux armes automatiques et
une vingtaine de fusils. La section prend la position et ne compte qu'un blessé,
le soldat Kiaouche qui a reçu une balle de mitrailleuse dans le bras.
A la demande de Savey, la section Jacquin le rejoint en capturant un autre
groupe d'Italiens qui tenait le point culminant de la crête. Savey interroge
alors l'officier du groupe sur l'emplacement des autres positions. Celui-ci lui
répond qu'il a ordonné aux points d'appuis dépendant de lui de capituler mais
qu'il ne peut pas répondre de ceux qui se trouvent plus au Sud.
Savey veut profiter de la démoralisation des italiens et veut barrer la route
quittant Massawa vers le Sud pour empêcher le sabotage des tanks à pétrole et
prendre à revers les défenses du Fort Umberto. Pour cela, il ordonne au
lieutenant Jacquin de diriger un groupe vers le Forte Umberto au Sud et de le
suivre vers l'Est avec les hommes restants. Savey repart avec Le Goff et un
légionnaire égaré. Les Italiens se rendent par centaines au son des rafales de
semonce de Le Goff et sont parqués dans un grand hangar. Savey demande à Jacquin
de barrer la route et de ramasser la garnison du Forte Umberto. Savey court
alors avec ses deux hommes vers les réservoirs d'essence afin d'éliminer la
menace de sabotage. Là, cent cinquante officiers et soldats italiens les
attendent. Savey les confie au légionnaire puis monte dans une voiture Fiat 508
"Ballila" (appartenant à un officier prisonnier qui lui donne la clé et lui
explique la mise en marche) en compagnie du soldat Le Goff et de son FM. Ils
font quelques tours dans la zone des réservoirs puis ils reviennent sur la route
où ils croisent une dizaine de voitures occupées par des soldats hindous qui se
dirigent vers le Sud.
Vers midi, le capitaine croit Massawa occupée; il se dirige alors vers la ville
pour rendre compte au colonel des dispositions prises. En arrivant à l'entrée de
la ville, il croise deux camions de soldats italiens qui tentent de fuir vers
l'Éthiopie Savey leur explique que la route est coupée et qu'ils sont ses
prisonniers. Ne pouvant les faire garder, il les désarme et leur demande de
rejoindre à pied, sous la conduite de leurs officiers, le hangar où sont gardés
les autres prisonniers par des hommes de la section Jacquin.
Un journaliste anglais (dans son compte rendu, Savey parle d'un officier de la
RAF avant de corriger) qui est entré le premier dans la ville, dit au capitaine
d'aller au port pour empêcher le sabordage des navires. Le capitaine et le
soldat Le Goff arrivent au port et font amener le pavillon d'un petit navire de
guerre " Porto Corsini". Savey s'entretient avec le capitaine du navire pendant
que Le Goff tient en respect le reste de l'équipage. Le marin prend Savey pour
un homologue en voyant l'ancre de marine sur son casque. Savey lui ordonne
d'enlever la culasse du canon du navire et de jeter les mitrailleuses sur le
quai, mais l'autorise à titre personnel à garder son pavillon.
Savey parcourt la ville sans rencontrer âme qui vive, en dehors de la police
italienne à qui il demande d’ouvrir une boutique où il achète pour cinquante
piastres de vivres pour la compagnie. Au bout d'une heure environ, ils sortent
de la ville et rencontrent des chars, la voiture d'un général anglais, puis des
motocyclistes de la Légion qui arrivent par la route d'Asmara. Savey retourne à
la section Jacquin où les prisonniers s'accumulent puis part à la recherche de
vivres. Il retrouve enfin le colonel Cazot qui lui donne des vivres italiennes.
Peu après, le lieutenant Jacquin vient en ville avec un camion; des officiers de
l'hôpital se rendent à lui et il délivre 21 prisonniers anglais à la caserne des
Carabiniers. Sa section et la section de commandement continuent à ramasser les
défenseurs du Sud de la place. Au soir, on forme une colonne de 1083 Italiens,
plus 38 officiers dont un colonel. Le lendemain matin, 438 Italiens et 176
askaris sont conduits encore au Campo di Marte; ce qui, ajoutés aux 208 hommes
gardés par la section Bouvier, fait un total de 1943 prisonniers sans compter
l'équipage du Porto Corsini et les militaires désarmés en ville dont le Goff et
le capitaine n'ont pu assurer la garde.
La compagnie reste scindée en plusieurs groupes à la nuit tombée. Une partie des
hommes sont stationnés aux dépôts d'essence, une autre partie à la Banque
d'Italie de Massawa tandis que les marsouins restant dorment au Campo di Marte.
Comme on peut le voir, la 3° compagnie du 1° BIM a joué un rôle de premier ordre
dans la prise de Massawa. De son côté, le groupe de mitrailleuses, intégré à la
Légion, n'est pas resté inactif non plus. A 4h30 du matin, les hommes du groupe
se mettent en marche avec leur matériel sur le dos. Au bout d'une heure et
demie, les mitrailleurs mènent une reconnaissance et mettent en place un premier
emplacement de batterie pour l'attaque sur Massawa. Au bout d'une demi-heure, le
groupe décroche et reconnaît, à 7 heures, un deuxième emplacement de batterie où
il s'installe. Il exécute alors un tir de neutralisation afin d'appuyer la
progression d'une compagnie de fusiliers-voltigeurs de la Légion prise à partie
par des armes automatiques ennemies. Une heure plus tard, le groupe décroche de
nouveau et progresse vers un troisième emplacement de batterie qu'il atteint au
bout de quinze minutes de marche. Les marsouins sont alors pris sous le feu
adverse. Ils réagissent immédiatement en effectuant un tir de neutralisation
après avoir repéré les départs de tirs au télémètre. Le piton d'où ils viennent,
est finalement pris par des soldats alliés. Peu après, une autre compagnie de
fusiliers-voltigeurs demande un soutien après avoir été arrêtée dans sa
progression par une ligne d'épaulement d'armes automatiques ennemies. Le groupe
de mitrailleuses ouvre le feu et neutralise ces armes tandis que la position
adverse est conquise par la Légion. Finalement, les marsouins décrochent de
nouveau et à 11 heures du matin, ils se mettent en marche vers Massawa. A 12h30,
ils rejoignent le point de rassemblement de la Légion et vers 15 heures, ils
entrent dans la ville nouvellement conquise.
Le mercredi 9 avril, la 3° compagnie est mise au repos. Toutes les sections
ainsi que le groupe de mitrailleuses sont rassemblés à la caserne de la Marine.
Durant cette journée, les hommes préparent le défilé de la victoire qui doit
avoir lieu le lendemain. Lors d'un briefing, le colonel Monclar déplore le fait
que la BFO ne dispose pas d'un drapeau. Savey, qui assiste à la réunion, lui
propose de faire défiler la brigade sous les couleurs du 1°BIM dont la 3°
compagnie avait la garde. Sans se douter de quoi que ce soit, Monclar accepte
mais, lorsqu'il découvre au moment du défilé, l'Union Jack flottant au côté du
drapeau tricolore, le colonel s'énerve et ordonne au porteur du drapeau anglais,
le lieutenant Jacquin, de ranger son étendard. Les officiers du bataillon
expliquent l'origine de ce drapeau à Monclar et celui-ci finit par accepter en
faisant remarquer que "c'est bien la première fois que l'on voit ça!"1
La participation des marsouins aux opérations en Érythrée n'est pas passée
inaperçue dans les états-majors alliés. Le 11 avril, Monclar envoie ses
félicitations à la 3° compagnie pour son action durant la prise de Massawa et la
capture de 1580 prisonniers. Six jours plus tard, le général Platt, commandant
en chef des armées alliées au Soudan, félicite la BFO pour la prise de Massawa
et cite la compagnie Savey pour la capture de 1586 prisonniers. La compagnie se
voit également accorder un certain nombre de décorations et de citations. Le 12
avril, Savey propose, pour l'obtention de décorations britanniques, le
lieutenant Jacquin et le sous-lieutenant Bouvier pour leurs actions à Massawa.
Deux jours après, Monclar demande à Savey de lui transmettre une liste de
marsouins qui se sont distingués lors de la prise de la ville pour qu'ils soient
cités à l'ordre de la brigade ou du 1° BIM. Le capitaine propose alors les
sergents Henri Lecacheur et Alexandre Herry, l'adjudant Roger Passion, les
caporaux Menec et Deploissement, le 1° classe Benjamin Gomez du groupe de
mitrailleuses ainsi que les 2° classe Duploye et Parein.
La campagne d'Érythrée est maintenant terminée pour les hommes de Savey. La
compagnie est cantonnée à Massawa où elle est employée à la garde de la ville.
La tâche s'avère plus difficile que prévu car la discipline se relâche parmi les
Français de la BFO. Chez les marsouins, les 2° classe Sarayasliman et Galland
sont mis aux arrêts après avoir été pris en train de piller des maisons. Dès le
14 avril, l'état-major de Monclar fait passer à toute la brigade, une note de
service qui interdit aux hommes de circuler individuellement dans Massawa.
Désormais, ils devront être accompagnés d'un officier. Par cette note, Monclar
espère mettre fin au pillage de la cité. Il rajoute que si cette mesure ne
suffit pas, les unités de la BFO seront cantonnées en-dehors de la ville.
Quelques jours plus tard, le 19 avril, Monclar demande à ses officiers de
renforcer la discipline mais sans grand succès. Le 26 avril, c'est au tour du
lieutenant-colonel Cazaud de demander au 1°BLE et à la compagnie Savey
d'effectuer des rondes d'officiers aux postes de garde suite à la découverte,
par un major britannique, d'un caporal-chef de la Légion complètement ivre alors
qu'il devait assurer le commandement d'un de ces postes. Deux jours plus tard,
suite à des bagarres répétitives entre les militaires français et la police
anglaise, Cazaud demande à ses deux unités d'envoyer en ville, tous les jours,
entre 18 heures et 22 heures, une patrouille mixte de douze hommes dirigée par
un sous-officier. Ces patrouilles devront agir en coordination avec la police
anglaise, sauf en cas d'urgence, où elles pourront intervenir sous leur propre
autorité. Mais tout cela ne suffit pas, et le 30 avril, le chef du deuxième
bureau de la BFO finit par interdire l'accès de la ville indigène aux militaires
français. Le même jour, Caudale double l'effectif du poste de garde de la ville
indigène en le faisant passer de quatre à huit hommes.
Finalement, ce problème de discipline inhérent à la vie de militaire en garnison
est résolu par le rapatriement, à la mi-mai, de la Brigade Française d'Orient en
Égypte. En effet, la situation sur le théâtre d'opérations du Moyen Orient ayant
évolué, toutes les troupes françaises libres doivent être rassemblées pour
former une division qui doit prendre part à une nouvelle campagne qui s'annonce:
la conquête du Levant.
Le bataillon réunifié
1- Guerre fratricide en Syrie
Le printemps 1941 marque un renversement de la situation pour les Alliés. Bien
que la menace italienne au Sud de l'Égypte ne soit plus qu'un vieux souvenir,
l'entrée massive de l'Allemagne dans les opérations en Méditerranée provoque une
évolution rapide du rapport de forces dans cette région. En moins d'un mois, les
troupes britanniques subissent de graves défaites. Au Nord, la Wehrmacht entre
en Grèce le 6 avril; la résistance de l'armée grecque s'effondre face à la
supériorité numérique et matérielle de l'adversaire. Le 27 avril, le drapeau à
la croix gammée flotte sur l'Acropole et, dès le lendemain, le pays est
entièrement contrôlé par les Allemands. Le corps expéditionnaire britannique
doit rembarquer en urgence et 50 000 hommes échappent de justesse à la capture.
Moins d'un mois après, les Allemands lancent une opération aéroportée pour
prendre l'île de Crète. Celle-ci tombe en dix jours sous les assauts des
Fallschirmjäger du général Student malgré de lourdes pertes humaines et
matérielles. Les Allemands n'ont pas les mêmes difficultés que les Britanniques
et n'hésitent pas à engager une autre offensive en Libye cette fois, durant la
même période. En effet, alors que toutes ses troupes ne sont pas encore
arrivées, Rommel lance son Afrika-Korps le 31 mars, dans un enchaînement rapide
de petites attaques qui surprennent le dispositif allié en Cyrénaïque. Ce
dernier ayant été considérablement réduit pour renforcer les autres fronts, les
hommes de Rommel repoussent rapidement les Tommy's jusqu'à la frontière
égypto-libyenne.
Pour couronner le tout, en Irak, les nationalistes se lancent dans un bras de
fer avec les Britanniques. Jusque- là, Rachid Ali s'était retenu de toute action
précipitée contre les intérêts anglais. Effectivement, il attend que le contexte
militaire régional lui soit favorable pour chasser les soldats britanniques du
pays. Ces derniers se trouvant dans une situation critique à la fin du mois
d'avril, le leader irakien y voit l'occasion de mener un coup de force. Le 30
avril, les militaires irakiens encerclent la base de la Royal Air Force à
Habbaniya, donnant ainsi le départ à la rébellion qui enflamme tout le pays.
Pour espérer remporter la victoire, Rachid Ali compte sur l'intervention de
l'Allemagne. Il pense qu’Hitler verra dans cette rébellion, le moyen de prendre
l'Égypte à revers. Malheureusement pour lui, Hitler et l'Oberkommando der
Wehrmatch ont les yeux fixés sur les cartes de l'URSS et non pas sur le
Moyen-Orient. Seul le ministre des affaires étrangères du Reich, Joachim von
Ribbentrop, est attentif à ce qui s'y passe et décide de sauter sur l'occasion.
Il obtient du Führer, l'envoi de deux escadrilles de la Luftwaffe. Mais il est
hors de question que les appareils allemands puissent rallier d'un seul trajet
l'Irak depuis la Grèce. Il faut absolument trouver des points d'escales. Or dans
la région, il n'y a qu'un territoire qui est disponible: les mandats français du
Levant.
Pour l'amiral Darlan, le chef du gouvernement de Vichy, c'est l'occasion de
relancer la collaboration qui est alors au point mort. En effet, Darlan, sans
pour autant être un pro-nazi, souhaite une collaboration étroite entre la France
et le III°Reich. En retour, il espère un allègement des conditions d'armistice
qui étouffent économiquement le pays. Le 11 mai 1941, Darlan retrouve Hitler à
Berchtesgaden et accepte les conditions imposées par celui-ci. Pour finaliser
cette entente, les Protocoles de Paris sont signés par Darlan et l'ambassadeur
allemand à Paris, Otto Abetz. Ces accords prévoient la mise à disposition des
infrastructures portuaires et des aérodromes syriens dans le cadre des
opérations allemandes en Irak. De plus, il est convenu que l'Armée Française du
Levant doit céder aux insurgés irakiens, les stocks d'armes constitués en
application de l'armistice. En tout, les militaires français fournissent 15 500
fusils Lebel, 354 pistolets-mitrailleurs MAS 38, 200 mitrailleuses Hotchkiss,
cinq millions de cartouches, 30 000 grenades, deux batteries de 75mm avec près
de 10 000 obus, une batterie de 155mm avec 6 000 obus ainsi que 66 citernes de
carburant pour avion. Avec ces livraisons d'armes et l'autorisation d'utiliser
les ports et les aérodromes du Levant, Darlan avance jusqu'à la limite de la
collaboration militaire avec l'Allemagne, ce que le maréchal Pétain, en 1940,
avait pourtant promis de ne jamais faire.
Pour les Alliés, l'arrivée de forces allemandes dans les territoires français du
Levant, donne l'occasion d'en finir définitivement avec cette menace
potentielle. L'intervention au Levant était envisagée depuis des mois mais,
faute de troupes et surtout d'un motif valable, ce projet était resté lettre
morte. Dès le 24 juillet 1940, le général De Gaulle avait demandé, dans un
courrier, l'avis du capitaine Lorotte sur une possible intervention en Syrie.
Pour les Britanniques, cette intervention doit permettre de consolider leurs
arrières et de pouvoir faire face à la véritable menace venant de Libye. Il
s'agit également de remplacer la France dans son rôle de nation mandataire. De
Gaulle est bien conscient de ce risque. Pour contrer cela, il est important à
ses yeux, que les Forces Françaises Libres participent à cette future opération
afin que l'autorité de la France Libre remplace celle du gouvernement de Vichy
sans que les Anglais s'en mêlent. Pour donner forme à son projet, le général De
Gaulle qui revient d'Érythrée, décide le 11 avril, de rassembler en Egypte
l'ensemble de ses troupes éparpillées en Afrique (à l'exception de la colonne
Leclerc) pour former la 1° Division Légère Française Libre (1°DLFL) sous les
ordres du général Legentilhomme. Ce dernier se trouve encore à Khartoum où il
commande les Forces Françaises Libres du Soudan quand il reçoit la nouvelle. De
Gaulle l'informe qu'il a accepté la demande du général Wavell d'envoyer la
division combattre en Cyrénaïque si cela est nécessaire et à condition qu'elle
soit engagée entièrement. Ainsi s'offre à De Gaulle, la possibilité de
stationner le gros de ses troupes en Égypte, c'est à dire à proximité immédiate
du Levant.
La création de cette nouvelle division donne une nouvelle envergure aux FFL.
Désormais, il est envisageable de mener des opérations de indépendamment du
commandement britannique. De Gaulle et le général Catroux en ont conscience et
utilisent cette nouvelle donne comme moyen de pression sur les Anglais qui
hésitent encore à intervenir au Levant. Quand les Alliés apprennent la présence
de troupes allemandes à Alep, immédiatement Churchill autorise la mise en place
d'une opération pour couper court à ce qui ressemble de loin aux prémices d'une
invasion. Cependant, le général Wavell ne dispose pas de troupes suffisantes
pour mener une telle offensive dans de bonnes conditions. De plus, pour lui, le
Levant n'est pas la priorité actuelle. Il préfère attendre la fin des combats en
Irak plutôt que de diviser encore plus ses unités. Pour les Français Libres,
cette hésitation du commandant britannique est insupportable. En réaction,
Catroux, encouragé par De Gaulle, souhaite marcher sur Damas avec la seule 1°DLFL.
Finalement, Wavell est mis sous pression par Churchill et finit par accepter de
mener l'offensive au Levant dès qu'il le pourra. L'opération "Exporter" est mise
en place par les états-majors.
Du côté des Français Libres, comme il a été vu plus haut, De Gaulle décide de
rassembler toutes ses troupes au camp de Qastina. Pour le 1° BIM, il s'agit de
la première opération où le bataillon sera engagé entièrement. Il est donc
nécessaire, dans un premier temps, de rassembler les compagnies qui sont
éparpillées sur les différents fronts. Le 9 mai, les 1° et 2° compagnies
rejoignent la 4° compagnie à Ismaïlia. Un rapport d'effectif émanant du colonel
Guénin, commandant la 1° Brigade Coloniale, atteste de la présence des 3° et 4°
compagnies du 1° BIM au camp de Qastina le 20 mai. Ces deux compagnies comptent
respectivement 185 et 142 hommes. Le 23 mai, c'est au tour du commandant De
Chevigné d'arriver au nouveau cantonnement du bataillon. Il est rejoint le
lendemain, dans la soirée, par les 1° et 2° compagnies. Deux jours plus tard, le
bataillon est récompensé pour son engagement. En effet, le général De Gaulle
vient à Qastina pour inspecter sa nouvelle division. Il en profite pour remettre
les premières Croix de la Libération. Plusieurs marsouins sont ainsi faits
Compagnons de la Libération. Parmi ces hommes, on retrouve Folliot, Barberot,
Laborde ou encore Behelo, Delsols...
Les marsouins passent alors plusieurs jours à Qastina, en attendant le début de
l'opération "Exporter". Dans les rangs, on s'interroge sur l'accueil qui leur
sera réservé par leur "frères" d'en face. Pour beaucoup d'entre eux, les
Français Libres pensent que cette campagne n'est qu'un coup de bluff, que les
soldats de l'Armée Française du Levant vont se rallier massivement. Beaucoup de
Français Libres sont persuadés que l'arrivé des avions de la Luftwaffe sur le
sol syrien va avoir l'effet d'un électrochoc sur le patriotisme des Français du
Levant. Cette opinion est confortée lorsque les hommes apprennent le ralliement
du commandant Collet et de ses Tcherkesses. Ce sont des cavaliers issus d'une
minorité du Caucase qui a émigré en Syrie à la fin du 19° siècle. Ces
Tcherkesses ne sont que faiblement armés et ne constituent qu'une force de
police mais ils font preuve d'un grand dévouement pour leur officier. Près de
quatre cents d'entre eux traversent la frontière avec Collet, à qui Catroux
confie le commandement de la cavalerie de la 1°DLFL. Ce ralliement à la veille
de la bataille laisse présager que les troupes du général Dentz ne vont opposer
qu'un simple baroud d'honneur. Pour autant, Collet prévient Catroux que les
unités du Levant ont reçu l'ordre de se mettre en position de combat et
s'apprêtent à résister à toute tentative d'invasion. L'hypothèse d'avoir à mener
de durs combats fratricides soulève bien des craintes chez les marsouins du 1°
BIM. En effet, ceux-ci sont essentiellement issus de l'armée du Levant et le
risque de devoir combattre leurs frères du 24° RIC (devenu depuis le 1° janvier
1941, le 24° Régiment Mixte d'Infanterie Coloniale). On peut s'attendre à ce que
bon nombre de marsouins refusent de se battre, ce qui leur est normalement
autorisé par leur engagement qui les dispense de combattre contre d'autres
Français. Pourtant, ce n'est pas le cas et selon le commandant De Chevillé, il
n'y aura qu'un seul cas, celui d'un jeune marsouins qui se fit porter malade car
son frère fait partie des troupes du Levant.
Pour le bataillon, l'offensive en Syrie ne soulève pas que des problèmes
d'ordres moral. Sur le plan matériel, la situation est loin d'être parfaite. Le
bataillon, comme le reste de la division, manque cruellement de véhicules. En
fait, les 3° et 4° compagnies n'ont toujours pas été entièrement motorisées. Les
marsouins attendent leurs transports de troupes depuis près de dix mois!!!
Pourtant, ils ne sont pas les plus mal lotis de la division. Bien au contraire,
le 1° BIM est la seule unité d'infanterie de la 1°DLFL à disposer d'un parc
automobile. Pour l'opération "Exporter", il est prévu de transporter la division
avec des bus civils réquisitionnés en Palestine par les Anglais. Du coup,
l'absence de véhicules militaires adaptés pousse le général Legentilhomme à
utiliser les deux compagnies motorisées du 1°BIM à la pointe de l'offensive.
Pour une raison inconnue, il semblerait que la 1° compagnie a dû céder ses
véhicules à la 3° compagnie. En effet, durant le mois de mai, le sergent Delsols
qui est à la première compagnie, signale qu'ils reçoivent l'ordre de céder leur
matériel sans préciser au profit de qui. Or, les deux compagnies désignées pour
mener l'attaque en tête sont les 2° et 3° compagnies. La 1° compagnie et la
compagnie antichar sont donc dépourvues de moyens de transport et devront
rejoindre le front par le chemin de fer, plusieurs jours après le début de
l'attaque; les bus réquisitionnés ne suffisent qu'à transporter la 1° Brigade
mixte de Légion. Encore une fois, le 1° BIM va être engagé de manière dispersée
et non comme une unité entière.
Le 7 juin, la 1°DLFL quitte le camp de Qastina vers 15h30 et se dirige vers la
frontière jordano-syrienne. Le soir, la division bivouaque entre Irbid et Beisan
en Jordanie. L'opération "Exporter" est lancée le lendemain. A 6h30, la 1°DLFL
fait mouvement en suivant à une dizaine de kilomètres la 5° Brigade indienne.
Les deux compagnies motorisées du 1° BIM et le peloton de motocyclistes de la
division ouvrent la marche. La ville de Deraa est occupée par les Hindous à 9
heures et deux heures plus tard, les hommes du général Legentilhomme traversent
la cité. A 17 heures, le commandant De Chevillé reçoit l'ordre de se porter le
plus rapidement possible sur Ezraa avec son détachement motorisé. Une fois la
ville prise, les marsouins doivent se rabattre sur la route de Damas, au Nord de
Cheik Meskine. De cette manière, Legentilhomme espère couper la retraite des
défenseurs de Cheik Meskine. A 20 heures, De Chevillé prend Ezraa sans subir de
perte; la ville n'était défendue que par cinq auto-mitrailleuses et une
compagnie de sapeurs des chemins de fer. Le commandant poursuit son attaque
comme convenu, mais il doit faire face à un obstacle non prévu. Contraints de
progresser à travers champs, les marsouins découvrent un terrain rocailleux qui
ralentit considérablement leurs camionnettes Morris. Malheureusement pour eux,
les défenseurs (à savoir le deuxième bataillon du 17° Régiment de Tirailleurs
Sénégalais) de Cheik Meskine évacuent le village durant la nuit et se retirent
sur Damas sous la protection d'un détachement retardateur appuyé par cinq
automitrailleuses. Les marsouins ne parviennent pas à les intercepter. Pourtant,
la compagnie Savey arrive quand même à prendre par surprise l'arrière-garde du
convoi; le lieutenant Jacquin rapporte que la 3° compagnie était, à ce
moment-là, complètement désorganisée, dispersée, mélangée. Du coup, les hommes
hésitent à engager le combat dans de telles conditions et les tirailleurs en
profitent alors pour quitter le champ de bataille. Un peu plus, à Qanayé, les
marsouins tombent sur une position tenue par les légionnaires du troisième
bataillon du 6° Régiment Étranger d'Infanterie. Ce détachement motorisé,
commandé par le capitaine Grandpierre, ouvre le feu à 3h30 sur les motocyclistes
qui précèdent les marsouins. Les motards, roulant avec leurs phares allumés,
avaient pourtant interpellé les légionnaires sur le fait qu'ils étaient
Français. Face à cette résistance, les marsouins sautent de leurs véhicules et
répliquent. On assiste alors au premier combat entre Français de la campagne.
Les hommes du 1°BIM tentent ensuite de contourner la position et de l'attaquer
par le flanc. Face à ce risque de débordement, les légionnaires finissent par
décrocher.
Au cours de cette matinée, la 1°DLFL parvient à Cheik Meskine et dépasse la
brigade hindoue. La division se voit confier la tâche de poursuivre jusqu'à
Kissoué afin de capturer un pont sur l'oued Nahr el Aouaj. Une fois cet objectif
accompli, les Français Libres doivent se diriger vers Damas s’ils en ont
l'opportunité. Mais l'avance ne se déroule pas comme prévu et la division accuse
déjà un retard de 24 heures sur l'horaire prévus. Heureusement pour Gentilhomme,
les compagnies motorisées du 1°BIM ont bien progressé. Ces derniers talonnent le
détachement Grand pierre qui poursuit son combat retardateur. Les marsouins
doivent faire face à des automitrailleuses qui n'arrêtent pas de les harceler.
La compagnie antichar du bataillon n'étant pas doté de véhicule, les hommes des
compagnies motorisées ne peuvent mettre un terme à cette menace. Finalement, les
automitrailleuses disparaissent au moment où un canon de 75mm est amené de
l'arrière. Une fois le danger écarté, De Chevigné reçoit l'ordre d'emmener son
détachement jusqu'à Kissoué pour prendre le pont sur le Nahr el Aouaj puis de se
porter sur Damas. Savey et sa compagnie prennent la tête de l'attaque. Chez les
Français Libres, on est encore persuadé que ceux d'en face ne vont pas oser
tirer sur eux. Les camionnettes Morris des marsouins sont couvertes de drapeaux
tricolores pour inciter les soldats de Dentz à les rallier. Pourtant, vers
Rhabarheb, la 3° compagnie essuie des coups de feu venant d'un petit bois. Elle
entame une manœuvre pour déborder la position adverse qui, entre-temps, est
évacuée par ses occupants. Abandonnant une pièce de 75 mm, l'ennemi bat en
retraite jusqu'à Khane Denoune. Les marsouins se lancent à sa poursuite mais
subissent un feu nourri d'artillerie et de mitrailleuses positionnées sur la
rive Sud du Nahr el Aouaj et du Djebbel Maani. Cloué au sol, le détachement de
De Chevigné doit stopper son attaque. Face à ce qui semble être la ligne de
défense principale de Damas, les deux compagnies motorisées et quelques
motocyclistes ne peuvent mener la percée avec leurs seuls moyens. Les marsouins
viennent de mener une offensive éclair et le reste de la division ne peut suivre
ce rythme infernal; d'autant plus que les autres unités ne se contentent pas de
suivre les éléments motorisés du 1°BIM mais doivent également mener des
attaques. De ce fait, faute de soutien, De Chevigné est contraint de temporiser
et d'attendre que l'état-major de la division mette en place une nouvelle
attaque. Pendant ce temps, le détachement occupe la trouée entre le Djebbel
Maani et la plaine du Leja qui donne accès au village de Kissoué par le Sud. De
fait, les marsouins bloquent toute possibilité pour les défenseurs de mener des
contre-attaques tout en gardant ouvert le passage au cas où le bataillon
recevrait l'ordre de prendre la cité.
En deux jours d'offensive, le détachement de De Chevigné a avancé de plus de
soixante kilomètres en territoire syrien, faisant près de cent cinquante
prisonniers. Parmi le matériel capturé, on compte trois automitrailleuses qui
ont été abandonnées. Récupérées par les marsouins, elles seront cédées dans la
journée au détachement de cavalerie du colonel Collet. De son côté, la 1°
compagnie et la compagnie antichar du 1°BIM sont restées, durant ces deux
journées, avec la 1°Brigade coloniale qui comprend les bataillons de marche n° 3
et 4, la 1° compagnie de chars du capitaine Volvey et une batterie de canons de
65mm italiens capturée en Érythrée. Le 8 juin, faute de transport, la brigade
rejoint, par voie ferrée, Kefar Yiezekei où elle passe la nuit ainsi que la
journée du 9. Au cours de cette journée, le 1° BIM connaît ses premières pertes
de la campagne. En effet, le 1° classe Paul Payet de la compagnie antichar est
tué au combat.
Le lendemain, le bataillon de marche n°3 et les 1° et 4° compagnies du 1° BIM
rembarquent dans un train pour être emmenés jusqu'à Deraa alors que le
détachement de De Chevigné reste sur ses positions, durant cette journée ainsi
que la suivante. En effet, à la 1° DLFL, ces deux jours sont consacrés à la
prise du Djebbel Maani par les tirailleurs de la 1° Brigade mixte de la Légion.
La position couvrant Damas étant sérieusement fortifiée et tenue, le général
Legentilhomme demande, le 12 juin, aux généraux Laverack et Wilson, que la 5°
brigade indienne (moins le bataillon qui tient Kuneitra) soit relevée de sa
mission de couverture des arrières par les deux compagnies d'infanterie de
marine arrivées à Deraa et les forces de la Légion arabe transjordanienne,
également arrivées à Deraa, en vue de prolonger à l'Ouest de la route de Damas
l'attaque effectuée à l'Est par la 1° DLFL. Finalement, la 5° brigade indienne
doit se porter sur Kissoué alors que les deux compagnies d'infanterie de marine
sont maintenues à Deraa. A 19h30, trois avions portant des cocardes tricolores
se présentent dans le ciel de Deraa. Le premier appareil se jette sur le village
et le mitraille. Le second aéronef est alors encadré par les tirs de la DCA qui
ouvrent le feu avec tout ce dont elle dispose comme canons et mitrailleuses et
qui parvient à dissuader le pilote d'attaquer. Mais le troisième avion passe à
l'action et mitraille les positions du 1° BIM. Le bataillon connaît des pertes:
le caporal Alexandre Albinder de la 1° compagnie est tué alors que les soldats
Delgehiers et Jouany sont blessés. Trois autres appareils (décrits comme étant
des bombardiers par le commandant Garbay du BM 3), volant plus haut dans le
ciel, sont repérés mais n'attaquent pas.
Dans la nuit du 13 au 14, deux bataillons indiens de la 5° brigade viennent
prendre la place du détachement de De Chevigné. Celui-ci se déplace vers l'Ouest
face à Taïbé et Moukélibé afin de couvrir le flanc gauche de l'attaque prévue le
lendemain. Les marsouins reçoivent le renfort des Fusiliers Marins de Détroyat.
Ces derniers obtiennent l'autorisation de monter en ligne alors qu'ils avaient
pour tâche d'assurer la défense du QG divisionnaire. Au cours de la journée, De
Chevigné mène une reconnaissance au cours de laquelle il est légèrement blessé à
la poitrine. Le chef de corps du 1° BIM n'étant pas à sa première blessure de
guerre, il décide de garder son commandement malgré un torse couvert de
bandages.
Le QG demande au camp de Qastina d'envoyer immédiatement les vingt
permissionnaires du BIM qui viennent de rentrer avec le lieutenant Cauro. Ils
devront rejoindre Deraa avec douze fusils-mitrailleurs et les munitions. Au
poste de commandement de la division, on prépare les plans pour l'attaque prévue
le 15 juin. Les ordres sont préparés par le brigadier Lloyd et l'état-major de
la 1°DLFL. Ils sont communiqués dans la soirée au général Legentilhomme qui se
trouve à l'ambulance de Deraa (blessé au bras la veille, par un bombardement
aérien). Le bataillon de De Chevigné, formé par les deux compagnies d'infanterie
de marine motorisées et les Fusiliers Marins, est mis à la disposition de la
brigade indienne qui doit attaquer Kissoué à 4h30.
Le lendemain, De Chevigné envoie des patrouilles sur Taïbé et Mouqueilbé afin de
couvrir le flanc des Hindous qui s'élancent sur Kissoué à l'heure prévue. Une
heure et demie plus tard, le village est conquis. Au même moment, les marsouins
et les fusiliers marins prennent Mouqueilbé puis traversent le Nahr el Aouaj
avant de prendre position sur le Djebel Krim. Le bataillon aperçoit alors deux
escadrons de Tcherkesses qui refluent en désordre après avoir subi un tir
d'artillerie. En fait, il s'agit de cavaliers de l'armée du Levant et non des
Tcherkesses du colonel Collet. Face à l'absence de menace, De Chevigné poursuit
donc sa progression en envoyant des groupes patrouiller jusqu'à Zakyé et Deir
Khabiyé. Pendant ce temps-là, sur le Djebel Krim, les marsouins assistent à un
étrange évènement. En effet, un peloton de Spahis s'arrête au pied de la face
Nord de la colline et l'officier commandant la troupe, le lieutenant de Chillaz
marche jusqu'au sommet. Il tombe nez à nez sur un avant-poste tenu par les
marsouins. Ces derniers l'invitent dans leur position et les deux partis
entament une conversation. Puis le lieutenant salue ses hôtes, rejoint ses
hommes et disparaît.
A quinze heures, un message du colonel Wilson, de Cheik Meskine, annonce que le
général Dentz est passé à la contre-offensive. En effet, durant la nuit, deux
groupements ont quitté la région de Damas pour se porter vers le Sud. La
première colonne se dirige vers Kuneitra, à l'Ouest de Cheik Meskine, alors que
la seconde colonne prend la route d'Ezraa, à l'Est. De cette manière, les forces
vichystes tentent de prendre en étau les troupes franco-britanniques. Le
groupement se dirigeant vers Kuneitra s'arrête avant d'arriver sur son objectif
mais, à l'Est de Cheik Meskine, le village d'Ezraa a été attaquée et pris par un
détachement appuyé par des automitrailleuses. Le détachement de la "Transjordanian
Force" qui défendait la place, a dû se replier sur Cheik Meskine. Cependant,
l'ennemi continue à le poursuivre. Afin de stopper cette menace, Le Gentilhomme
fait immédiatement diriger sur Cheik Meskine une batterie de quatre pièces
britanniques retirée du front d'attaque (elle arrive à Cheik Meskine à la fin de
l'après-midi et arrête par son feu une attaque ébauchée sur le village,
l'adversaire se retire sur Ezraa), l'état-major de la 1° brigade coloniale ainsi
que le bataillon de marche N°3 (transporté par camion) et la 1° compagnie
d'infanterie de marine de Deraa; le tout sous les ordres du lieutenant colonel
Genin. Dans la nuit, ce dernier passe à l'attaque avec la 1° compagnie du 1° BIM.
A une heure du matin, les marsouins cherchent à s'infiltrer discrètement dans
Ezraa mais deux automitrailleuses les surprennent. Celles-ci ouvrent le feu sans
faire de victime puis disparaissent mais trop tard: les deux compagnies de
tirailleurs tunisiens qui défendent le village sont alertées par les tirs. La
bataille fait rage tout au long de la matinée, et ce n'est qu'en début
d'après-midi que les défenseurs se rendent aux marsouins qui ont dû faire appel
à des renforts de Cheik Meskine. Au cours de ce combat, le lieutenant-colonel
Genin est tué d'une balle en plein cœur.
La menace d'une attaque sur les arrières de la 1°DLFL est prise très au sérieux.
Un télégramme du général Wilson fait savoir qu'un groupe d'artillerie de huit
pièces de 25 livres sera à Deraa à 16 heures, qu'un bataillon des "Quenn's" le
rejoindra à 22h et sera suivi dans la nuit par un bataillon des "Leicester's".
Le commandant du groupe d'artillerie britannique reçoit l'ordre de se porter sur
Kuneitra avec une batterie de quatre canons. La 4° compagnie du 1° BIM est
détachée au profit de la batterie afin d'assurer sa protection. En même temps,
la seconde batterie est envoyée à Cheik Meskine afin qu'elle puisse relever la
batterie déjà en action et pour que celle-ci puisse reprendre sa place sur le
front. Le lieutenant-colonel commandant le bataillon des "Queen's" reçoit
l'ordre de se porter sur Kuneitra. Le groupement composé par la première
batterie d'artillerie et la compagnie du BIM, est mis à sa disposition. Durant
la journée du 17 juin, cette compagnie revient à Deraa où elle est rejointe par
la 1° compagnie. Les marsouins ainsi que le bataillon du "Queen's" et des
éléments de la "Transjordanian Force" passent sous le commandement du colonel
Wright. Celui-ci est chargé de rétablir et de conserver intacte les lignes de
communications.
Pendant ce temps, le bataillon de De Chevigné poursuit sa progression sans se
préoccuper de l'évolution des combats autour d'Ezraa. La veille, les marsouins
et les fusiliers marins prennent coup sur coup Taïbé, Mouqueilbé, Douair,
Aartouz au Nord-Ouest puis deux kilomètres plus loin, Jeidet-Aartouz qu'ils
occupent à la tombée de la nuit. Il faut noter qu'au cours de cette avance,
l'escadron de Spahis auquel le lieutenant Chillaz appartient, est refoulé. Le 17
juin, les Hindous de la 5° brigade tentent une percée sur Damas en progressant
le long de la route Kuneitra-Damas. Les marsouins forment la pointe de cette
attaque et réussissent à prendre Mouaddamiyé. Mais à peine tentent-ils de
déboucher du village qu'ils se retrouvent pris sous les tirs de l'infanterie
adverse et écrasés par un barrage d'artillerie. Les hommes subissent le feu
ennemi mais, une contre-attaque menée par une quinzaine de chars appuyés par les
tirailleurs du 29° Régiment de Tirailleurs Algériens, les contraint à se replier
sur le village. Le bataillon de De Chevigné tient sa position mais il finit par
retraiter sur Jdeidet-Aartouz après avoir subi un bombardement aérien d'une
heure. Le lendemain, le détachement s'installe à Aartouz afin d'assurer la
couverture de la 5° Brigade indienne contre toute attaque éventuelle du
groupement qui vient d'attaquer Kuneitra. En se repliant, ce dernier pourrait
attaquer les flancs des Hindous alors que ceux-ci sont en train de préparer leur
future attaque sur Mezzé, un village de la banlieue de Damas. Suite à l'échec de
la dernière offensive de la 5° Brigade sur Damas, il est décidé que cette
nouvelle attaque qui doit être la dernière, aura lieu la nuit afin de mieux
prendre par surprise l'adversaire. Au cours de la journée, les marsouins
subissent une lourde perte lorsque le capitaine Louis Bayle commandant la 2°
compagnie, est tué dans une escarmouche.
A 22 heures, la 5° Brigade se met en marche en direction de Mezzé. D'abord,
l'attaque se déroule sans problème et les quelques unités restantes (dont le 24°RMIC)
qui défendent la route de Damas sont refoulées. Les deux bataillons hindous,
sous les ordres du lieutenant-colonel Jones, entrent dans la ville vers 4h30.
Cependant, au lieu de profiter de l'élan et de continuer à marcher sur Damas,
Jones place ses unités en défense dans les ruelles de Mezzé. Or, depuis
Beyrouth, le général Dentz tente avec succès de mettre un terme à la panique qui
règne dans les rangs vichystes à Damas. Des contre-attaques sont menées
vigoureusement contre les troupes de Jones. Celles-ci sont complètement
dispersées dans Mezzé; elles commencent à subir de lourdes pertes et ne peuvent
stopper l'adversaire. Durant la matinée, le contact est perdu avec la 5°
Brigade. De Chevigné, inquiet de ne plus avoir de nouvelle des Hindous, envoie
la section Jacquin sur Mezzé afin de rétablir la liaison. Les marsouins arrivent
jusqu'à Mouaddamiyé où stationne l'artillerie de la 5° Brigade. En quittant le
village, ils sont surpris par une attaque de chars appuyé par l'infanterie. La
section parvient à se replier en urgence mais elle subit quelques pertes: deux
véhicules sont détruits. Jacquin est même porté disparu pendant quelques heures
(il sera retrouvé blessé par une patrouille anglaise). Finalement, le
lieutenant-colonel Jones parvient à communiquer avec Legentilhomme par radio.
L'anglais informe qu'il est complètement encerclé dans Mezzé et qu'il ne peut
pas tenter une sortie par ses propres moyens. Face à cette situation
inquiétante, Legentilhomme veut en finir une bonne fois pour toute. Pour cela,
il reçoit le renfort d'un nouveau bataillon commandé par le lieutenant-colonel
Lambs et appartenant au 3° Régiment d'Infanterie Australien. Ce bataillon vient
en remplacement du bataillon des "Leicester's" promis par le général Wilson
quelques jours plus tôt. Legentilhomme décide d'envoyer sur Mezzé ce bataillon
avec le détachement de De Chevigné qui vient de repousser une attaque
d'infanterie et de chars venant de Qastanna à l'Ouest de Aartouz. Australiens et
Marsouins doivent reprendre Mezzé et libérer les hommes de Jones qui résistent
encore. Le 20 juin, De Chevigné parvient à atteindre les limites du village sans
pour autant percer l'encerclement. Les marsouins se retrouvent pris dans des
combats dans les jardins du Sud de la cité et doivent repousser dans la matinée,
une nouvelle contre-attaque d'infanterie et de chars. A 17 heures, après une
préparation d'artillerie, ils entrent dans Mezzé mais ne parviennent pas à
dégager les Hindous qui se sont finalement rendus à 14h30, faute de munitions,
et après avoir repoussés près de dix-huit attaques. Les hommes de De Chevigné
finissent de nettoyer le village lorsqu'ils apprennent dans la soirée que Damas
est en train de tomber. En effet, la capitale syrienne est attaquée par la
Brigade Mixte de Légion et les légionnaires subissent de lourdes pertes dans des
combats de fortes intensités . Mais les derniers défenseurs de la cité
continuent à résister et dans la nuit, les hommes du 1° BIM sont réveillés à
trois heures du matin par une nouvelle attaque. Les marsouins sont attaqués par
leurs frères d'armes du troisième bataillon du 24°RMIC. Les combats durent toute
la nuit et jusqu'au matin. Les pertes sont lourdes, surtout pour les attaquants
dont le bataillon est presque détruit. De Chevigné évite de peu d'être embroché
par la baïonnette d'un tirailleur. Au cœur de la bataille, certains anciens
camarades se reconnaissent de justesse pour ne pas s'entretuer. Chez les
fusiliers marins qui sont toujours sous les ordres de De Chevigné, le commandant
Detroyat est tué. Vers midi, le calme revient dans Damas.
La ville est désormais sous le contrôle de la 1°DLFL. Immédiatement, les
bataillons de la division se redéployent de manière défensive. Si le Bataillon
de Marche n°1 reste dans Damas même, les autres unités vont occuper des points
stratégiques. De Chevigné et son détachement (les fusiliers marins ont été
relevés de son commandement) sont envoyés sur la route du village de Barzé
qu'ils prennent le lendemain avec l'appui d'une batterie de 75 mm. Les marsouins
poursuivent leur avance vers le Nord et prennent, le 23 juin, le village de
Saidnaya, toujours avec le soutien de l'artillerie. Le jour suivant, les deux
compagnies motorisées restent sur leurs positions. Elles sont rejointes par les
deux autres compagnies. Le bataillon étant de nouveau réuni, il est réorganisé.
En effet, suite à la mort du commandant de la 1° Brigade coloniale, le
lieutenant-colonel Genin, le capitaine De Chevigné est promu à sa place. Pour le
remplacer à la tête du 1° BIM, le capitaine Savey est nommé, à 31 ans, chef de
bataillon.
Bien que la capitale syrienne soit tombée aux mains des alliés, la campagne n'en
est pas pour autant finie. En effet, à Beyrouth, le général Dentz veut
poursuivre le combat jusqu'au bout. De leur côté, les Britanniques veulent
désormais accentuer leurs efforts au Liban. Au même moment, le général Wilson
lance deux nouvelles colonnes dans la bataille. Ainsi, le jour de la chute de
Damas, un détachement venu de Bagdad entre en Syrie et se dirige vers Palmyre.
Le 1° juillet, un deuxième groupe parti de Mossoul, franchit la frontière et
progresse vers Alep. Ce déploiement a pour but de couper toute retraite vers la
frontière turque. Quant à la 1° DLFL, elle reçoit pour mission de progresser
jusqu'à la ville de Homs en suivant la route reliant Damas à Alep afin de
renforcer la manœuvre des deux colonnes britanniques au Nord. Les hommes du 1°
BIM sont engagés dans cette action et le 26 juin, le bataillon mène une
reconnaissance depuis Saidnaya jusqu'à Yabroud, un village qui se situe à
environ 70 kilomètres au Nord de Damas. Mais tout ne se passe pas comme prévu;
la 6° Division d'infanterie britannique est chargée de pénétrer au Liban depuis
la Syrie mais les 23 et 26 juin, la division échoue dans sa tentative de prendre
le village de Dimas (à ne pas confondre avec la capitale syrienne). A chaque
fois, elle est refoulée avec de lourdes pertes par les soldats du général Dentz.
En conséquence, le général Legentilhomme ne veut pas progresser vers le Nord
tant que la situation dans la région de Damas n’est pas totalement sous
contrôle. Or, sa division est déjà très dispersée, les unités s'éparpillent sur
près de 80 kilomètres. Legentilhomme prend les décisions qui s'imposent et le 28
juin, les marsouins et les légionnaires reçoivent l'ordre de se tenir prêts à
être ramenés d'urgence sur Damas afin de soutenir les britanniques. Quelques
jours plus tard, le 4 juillet, à la demande du chef de corps de la 6° Division,
le général Ewetts, une compagnie du 1° BIM ainsi que quatre chars sont détachés
de la 1° DLFL et mis à disposition de la 16° Brigade (appartenant à la 6°
Division). Deux jours plus tard, toujours à la demande d'Ewetts, ce petit
détachement est rejoint par le reste du 1° BIM ainsi que par une compagnie du
Bataillon de Marche n°3. Les marsouins sont envoyés à quatre kilomètres de Dimas,
occuper le sommet de l'Adilet el Haoua où ils seront harcelés régulièrement par
l'artillerie adverse. La campagne touche à sa fin mais Dimas reste sous
domination vichyste. Une nouvelle attaque de la cité est planifiée pour la nuit
du 9 au 10 juillet. Le bataillon est engagé au Nord de la route menant au
village. Les marsouins tentent de prendre d'assaut le Djebel Ez Zohrié mais ils
sont repérés par les sentinelles qui donnent l'alerte. L'ennemi ouvre alors le
feu et durant près d'une heure, le bataillon est cloué au sol par la mitraille
et une pluie de grenades. Les marsouins finissent par se replier pour se mettre
à l'abri des tirs adverses. Cependant, ils restent au contact sur les pentes de
l'Ez Zohrié durant toute la journée et seule la nuit vient marquer une pause
dans la fusillade. Finalement, à 4h30 du matin, les défenseurs, des tirailleurs
marocains, contre-attaquent. Le combat tourne au corps à corps. Au bout d'une
demi-heure, les marsouins finissent par repousser leurs adversaires.
Durant ces deux journées du 10 et 11 juillet, le bataillon connaît ses pertes
les plus lourdes de la campagne. Au cours de ce combat, quatorze marsouins sont
tués, auxquels il faut ajouter les 1° classes Guy Merchet et Jules Kerzulec;
blessés pendant la bataille, le premier succombera le 15 juillet et le second le
24. On notera également le décès du sous-lieutenant Le Pennuen. En tout, les
marsouins perdent 37 de leurs camarades durant la campagne sur un effectif total
de 480 hommes soit 8% de pertes. A ces chiffres, il faut ajouter également les
nombreux blessés. La seule liste dont nous disposons ne concerne que les soldats
blessés entre le 9 et le 13 juillet. Pendant ces quatre jours, le bataillon
compte un total de 28 blessés. Un an après la rébellion du capitaine Lorotte, le
bataillon est durement frappé par ces pertes qui sont causées par des soldats
français. La bataille est perdue pour les hommes de Dentz, mais ceux-ci
continuent à se battre avec une rage difficilement compréhensible. Le 12
juillet, le général vichyste et les franco-britanniques s'assoient à la table
des négociations. L'opération "Exporter" se conclut sur une victoire plus que
mitigée notamment pour les Français Libres. Ceux-ci étaient persuadés que leurs
camarades du Levant n'allaient opposer qu'une maigre résistance et se
rallieraient en masse au général De Gaulle. Au lieu de cela, la campagne de
Syrie verra les deux camps s'affronter avec une force redoutable, entrainant de
chaque côté de lourdes pertes. Les attaquants perdent plus de trois mille hommes
tandis que du côté vichyste, c'est près de six milles soldats qui seront tués ou
blessés dans les combats. On a du mal à saisir un tel acharnement du général
Dentz à vouloir résister à tout prix. Pourtant, le maréchal Pétain, lui-même,
l'avait prévenu qu'en cas d'invasion britannique du Levant, il ne devait assurer
qu'un simple baroud d'honneur. Dans ce sens, Dentz a largement rempli son
objectif en résistant près d'un mois. L'aspect le plus tragique de la campagne
est sans doute le fait que l'on ait assisté à une véritable guerre
franco-française. Des anciens frères d'armes se sont entre-tués, comme on a pu
le voir, avec les affrontements entre le 1° BIM et le 24° RMIC. Cette
quasi-guerre civile va laisser de douloureuses cicatrices dans les rangs de
l'Armée Française. Déjà le 9 juillet, lorsque Dentz prend contact avec Wilson
pour discuter des possibilités de paix, le Français demande à l'Anglais de ne
pas venir aux négociations avec ses "alliés". Un peu plus tard, lorsque les
Français Libres chercheront à rallier à leur cause les soldats français
prisonniers au Levant, très peu d'entre eux les rejoindront. Ce gouffre qui
existe désormais entre les Forces Françaises Libres et l'Armée Française de
l'armistice, laisse à prévoir de grandes difficultés pour l'avenir. Et
effectivement, en 1943, la fusion entre les FFL et l'Armée Française d'Afrique
connaîtra des moments difficiles.
Le 14 juillet, à Saint Jean d'Acre, les généraux Wilson et Dentz signent
l'armistice mettant fin aux combats au Levant. Mais une nouvelle bataille éclate
cette fois entre Français Libres et Britanniques. En effet, ces derniers tentent
de mettre la main sur le Levant en ignorant la légitimité de l'autorité de la
France Libre sur la Syrie et le Liban. La tension monte entre les deux alliés
mais De Gaulle parvient à se faire entendre par Londres et finit par gagner ce
bras de fer. Néanmoins, pour s'assurer le contrôle du Levant, le général est
contraint de maintenir sur place une importante force de souveraineté; or, il
dispose de peu d'effectifs. En effet, l'Armée Française du Levant est cantonnée
dans des camps de prisonniers d'où elle attend son rapatriement sur la
Métropole. Pour compenser ce manque d'hommes, la 1° DLFL doit disperser ses
unités dans tout le pays. Les soldats acceptent volontiers cette nouvelle
mission qui passe pour être une mise au repos bien méritée. Et comme d'habitude
avec les soldats de la France Libre, ils vont vite se lasser de l'inactivité....
2- Bir Hakeim, la victoire mortelle
A l'été 1941, la situation en Afrique du Nord semble provisoirement stable pour
les Alliés. Les différentes menaces qui pesaient sur l'Égypte au printemps se
sont finalement atténuées. Déjà, le 22 juin 1941, Hitler lance l'opération
"Barbarossa", l'invasion de l'URSS, l'ennemie idéologique du Nazisme.
L'ouverture de ce nouveau front où la Wehrmacht est massivement engagée laisse à
penser que les Allemands ne tenteront pas d'attaquer l'Égypte depuis les îles
grecques ou le Levant. D'ailleurs, la chute de l'autorité vichyste sur ce
territoire rend improbable tout débarquement germanique. La menace au Nord a
donc été écartée. A l'Est, en Irak, la révolte nationaliste a été matée par la
force et Rachid Ali a été déposé par les Britanniques qui le remplacent par
Nouri Saïd, un homme politique irakien anglophile. Quant au Sud, l'empire
colonial italien vit ses dernières heures. En effet, après la chute de
l'Érythrée, les Anglais poursuivent leur offensive en Éthiopie. A la fin du mois
de juillet, ils lancent une attaque sur les dernières poches de résistances
autour de la ville de Gondar, dans le Nord du pays. D'ailleurs, le Bataillon de
Marche n°4 est envoyé pour prêter main forte aux Britanniques mais ceux-ci se
réservent le privilège de rentrer dans la ville et seul un petit détachement de
Français Libres participe à cette victoire. Il faut noter que par la suite, le
BM 4 sera stationné contre sa volonté dans la région du Harar (Est de
l'Éthiopie) sans véritablement avoir de mission. Démoralisés, les tirailleurs
finiront par se mutiner.
On peut le voir, la situation des Alliés semble s'être améliorée sur ce théâtre
d'opérations africain. Néanmoins, tout danger n'en est pas pour autant écarté. A
l'Ouest, à la frontière égypto-libyenne, Rommel et son petit mais redoutable
Deutsch-Afrika-Korps, menace toujours de s'abattre sur le canal de Suez.
Heureusement pour les Alliés, la citadelle de Tobrouk est toujours tenue par les
Australiens qui résistent courageusement aux assauts italo-allemands. Cette
résistance empêche Rommel de progresser en Égypte car il est contraint
d'immobiliser un grand nombre de troupes pour assiéger la ville. De plus, la
garnison de la cité représente un danger potentiel pour la sécurité de ses
arrières et fragilise son ravitaillement dont les colonnes sont contraintes à
faire un détour par le désert. Enfin, le déclenchement de l'opération
"Barbarossa" mobilise toutes les ressources militaires allemandes et l'Afrique
du Nord est considérée comme étant secondaire par Berlin. Rommel se voit donc
obligé d'adopter une attitude défensive afin de préserver son armée qui est
désormais ravitaillée au compte-gouttes. De son côté, Le commandant en chef des
forces britanniques du Proche-Orient, le général Wavell est conscient de la
menace qui pèserait sur l'Égypte si Tobrouk venait à tomber. Pour cette raison,
il est convaincu qu'il doit mener le plus rapidement possible, une offensive
pour libérer la cité. Pour cela, il lui faut d'abord percer les défenses
adverses autour de la passe d'Halfaya. Une première offensive, l'opération "Brevity",
est lancée le 15 mai puis une seconde plus importante, un mois plus tard,
l'opération "Battleaxe". Ces deux tentatives pour franchir les positions
allemandes se soldent par des échecs cuisants. Si les pertes humaines restent
limitées des deux côtés, les pertes matérielles sont lourdes notamment pour les
blindés britanniques qui sont décimés par les défenses antichar allemandes et le
célèbre canon de 88 mm qui se révèle particulièrement bien adapté au combat dans
le désert. Heureusement pour les Alliés, Rommel n'a pas les moyens de mener une
contre-attaque sur l'Égypte. On observe alors une sorte de statu quo chez les
belligérants. Les deux camps profitent d'une canicule particulièrement forte (on
enregistre des températures allant jusqu'à 55 degrés Celsius) pour réorganiser
et renforcer leurs moyens. Chez les Britanniques, suite à l'échec de "Battleaxe",
le général Wavell est envoyé par Churchill aux Indes et c'est le général Claude
Auchinleck qui le remplace au mois de juillet.
Après la campagne du Levant, les Français Libres doivent eux aussi se
réorganiser. En effet, les combats en Syrie ont révélé les lacunes de
l'organisation de la 1°DLFL qui est décrite par Koening comme étant "qu'une
fausse division française libre". La division est dissoute le 20 août 1941. Le
général Legentilhomme est envoyé à Londres et entre au comité de la France Libre
avec la fonction de commissaire national à la Guerre. Il est remplacé par le
général Edgar de Larminat. Celui-ci organise une refonte profonde de l'appareil
militaire de la France Libre au Moyen Orient. Pour Larminat, il faut désormais
faire table rase du passé et constituer des unités adaptées au combat en milieu
désertique. Sa première idée est que dorénavant, chaque militaire, quelque soit
sa fonction, est un combattant. En effet, dans une guerre où il n'y a plus de
front continu, les services à l'arrière doivent être capables de se défendre par
eux-mêmes en cas d'attaque. La tactique du "hérisson" qui consiste à pouvoir se
défendre et à attaquer dans toutes les directions, devient alors la norme. Cette
nouvelle organisation est favorablement acceptée par les hommes qui jusqu'à
maintenant rechignaient à servir à l'arrière. Cette forme de combat avait déjà
été théorisée avant la guerre par les états-majors français. Mais dans la
pratique, le manque de moyens avait laissé considérablement démuni les soldats
français qui se trouvaient à l'arrière lorsqu'ils furent confrontés à la percée
des panzers durant la bataille de France. Pour éviter que cela ne se reproduise,
Larminat décide de compenser le manque d'effectif par l'attribution de moyens
puissants. Jusqu'à présent, les chars sont les rois du champ de bataille.
Conscient de cela et ne pouvant équiper massivement ses troupes de blindés
modernes, Larminat doit donc trouver le moyen de permettre au fantassin de
reprendre sa place dans le combat. Pour cela, il décide que désormais l'arme
collective d'une section d'infanterie ne serait plus la mitrailleuse mais le
canon.
Le général français dispose d'un atout important puisque les entrepôts du Levant
regorgent de matériels, notamment de canons de 75 modèle 1897. Comme son nom
l'indique, cette pièce d'artillerie de campagne date de la fin du 19° siècle.
Quarante ans après, l'Armée Française continue à l'employer malgré qu'il devient
de plus en plus désuet comme artillerie classique. Pendant la campagne de
France, le canon de 75 connaîtra même une nouvelle jeunesse en se révélant
particulièrement efficace comme arme antichar contre les panzers allemands qui
souffrent d'un faible blindage. C'est donc à partir de cette arme que Larminat
veut construire des unités d'infanterie efficaces. En août 1941, le
lieutenant-colonel Delange reçoit l'ordre de tester le canon de 75mm afin d'y
apporter des modifications pour rendre l'arme plus performante. Au mépris de
toutes les réglementations de l'Armée Française d'avant 1940, Delange fait
modifier le canon et réussit à l'alléger de 500 à 600 kilos! Enfin, pour
accélérer au maximum la mise en batterie, un certain nombre de canons sont
directement montés sur des camions Chevrolet donnés par les Britanniques. En
modifiant légèrement la caisse de ces véhicules, les artilleurs pouvais
désormais ouvrir le feu directement depuis les plateformes des camions; ils
gagnent ainsi un temps précieux. D'une pièce d'artillerie vieille de quarante
ans, les Français libres en ont fait un véritable canon automoteur. Koening
écrit que désormais " les commandants de bataillons seraient en mesure de
liquider eux-mêmes, sans délai et à moindres frais, nombre d'incidents mineurs
du combat sans avoir recours à l'artillerie"1. En plus de ce canon, les Français
Libres reçoivent un certain nombre de canons antichars de 25 et 47 mm. Ces
armes, bien que moins puissantes que le 75 mm, sont capables de détruire
n'importe quel véhicule ennemi peu blindé. Si le 47mm peut même détruire des
chars, le 25mm, quant à lui, n'est capable que de "blesser" légèrement les
engins les plus lourds. Pour cette raison, il n'est guère apprécié par les
Français Libres qui sont contraints de l'employer pour pallier au manque de 75.
Comme ce dernier, une partie des canons de 25 mm sont montés directement sur le
pont des camionnettes Morris. Selon Koening, les Français Libres disposent
désormais d'une bouche à feu pour quarante hommes alors que la proportion était
de un pour soixante dix chez les Britanniques. Elle était de un pour cent dans
l'Armée Française de 1940.
La volonté de l'état-major de renforcer la puissance de feu de l'infanterie ne
se limite pas seulement aux canons. La dotation en armes automatiques et en
mortiers est, elle aussi, largement augmentée. A ce propos, Koening rapporte
ceci: "[...] le groupe de combat de 1939 servait un fusil-mitrailleur, le nôtre
en reçut deux et une mitraillette; le mortier de 60 mm de la compagnie de
voltigeurs 1939 fut remplacé par deux mortiers de 81 mm. Chacune de nos
compagnies de voltigeurs reçut de même quatre mitrailleuses Hotchkiss comme
armement complémentaire. La section d'infanterie de trente-six hommes servait
donc normalement onze armes automatiques (six FM et cinq mitraillettes) et
éventuellement treize armes automatiques par appoint de deux mitrailleuses,
alors que la section de 1939 ne disposait que de trois FM".1
A l'augmentation de la puissance de feu s'ajoute également l'accroissement des
effectifs humains. En effet, bien que les ralliements au Levant aient été bien
en dessous des espérances, les Français libres accueillent tout de même près de
4 100 nouveaux soldats. Grâce à ce renfort, de nouvelles unités apparaissent.
Trois bataillons sont créés (2° et 3° Bataillons de la Légion Étrangère et le
Bataillon de Marche n°11), auxquels il faut ajouter la création de trois
compagnies nord-africaines (21°, 22° et 23° CNA). D'autres unités voient leurs
moyens considérablement renforcés comme l'artillerie du commandant
Laurent-Champrosay qui finit par former le 1° Régiment d'Artillerie avec quatre
batteries dotées de canons de 155mm et de 75mm. De son côté, la 1° compagnie de
chars perçoit des chars Renault R35 en remplacement de ses H39 qui ont été
décimés durant la campagne du Levant. Le bataillon de fusiliers-marins se voit
transformé en unité de défense antiaérienne. Les hommes du lieutenant de
vaisseaux Amyot d'Inville ont failli disparaître en tant qu'unité terrestre. En
effet, l'amiral Muselier, le chef des Forces Navales Françaises Libres réclame
que le bataillon soit dirigé sur Londres pour être muté sur les navires de la
petite flotte gaulliste. Mais le général Catroux refuse de se séparer des
fusiliers-marins et parvient à les conserver au Moyen-Orient, en les équipant de
canons de 25 mm Oerlikon, afin d'assurer la protection des Français Libres
contre la menace permanente des raids de la Luftwaffe et de la Regia Aeronautica.
A tout cela, il faut ajouter l'arrivée d'un nouveau bataillon, le 20 août, à
Damas: le Bataillon du Pacifique n°1. Connu sous l'appellation de "bataillon des
guitaristes», il est dirigé par le commandant Broche, et compte près de 530
hommes. Il est composé de Tahitiens, de Calédoniens et de Néo-Hébridais.
Une fois les Français Libres ré-équipés, renforcés et entraînés, l'état-major
FFL cherche une nouvelle forme d'organisation militaire. Approuvés par De
Gaulle, Catroux et Larminat mettent en place deux nouvelles divisions légères.
La nouvelle 1°DLFL est dirigée par le général de brigade Koening et la 2°DLFL
est placée sous les ordres du général Cazaud, tandis que le général de Larminat
chapeaute l'ensemble. Chaque division est séparée en deux brigades. Koening
dispose ainsi d'une brigade de légion avec les 2° et 3° BLE et une brigade
coloniale avec les BM 2 et BP 1. De son côté, Cazaud constitue sa première
brigade avec le 1° BIM, le BM 1 et le BM 11 et la seconde avec le BM 3 et le 1°
BLE. Pendant ce temps, De Gaulle, à Londres, et Catroux, au Caire, font des
pieds et des mains pour que les Anglais acceptent d'engager au moins une grande
unité en Libye. De Gaulle explique que la seule raison d'être de la France Libre
est de combattre les Allemands. Or, depuis plus d'un an, les FFL ont surtout
combattu des Français à Dakar, au Gabon et au Levant. Il estime qu'il est grand
temps que ses hommes puissent se battre contre le véritable ennemi. Pour cela,
le général est prêt à tout. Il décide même de prendre contact avec l'URSS pour
envisager l'envoi de la 2° DLFL sur le front de l'Est, à moins que les Anglais
jugent plus utile la présence de cette division au Moyen-Orient. Pendant
plusieurs mois, les Britanniques font la sourde oreille, mais finalement, au
mois de novembre, Catroux, accompagné de Koening, finit par atteindre son
objectif. Les Anglais consentent à employer la 1°DLFL mais ils imposent de
lourdes restrictions. Déjà, ils refusent le terme de "division légère" qui
n'existe pas dans l'armée de sa majesté. Koening est donc contraint de
réorganiser en urgence sa division selon le modèle plus conventionnel de "l'Independent
Brigade Group". Il s'agit d'une unité inter-armes basée sur un régiment à trois
bataillons. Comme les bataillons FFL sont en sous-effectif par rapport à leurs
homologues britanniques, Koening parvient à conserver ses quatre bataillons
répartis en deux demi-brigades. Les Anglais font part de leur inquiétude sur
l'état matériel des troupes françaises. Pour mettre un terme à cela, Larminat
est contraint de dépouiller la 2°DLFL pour renforcer la nouvelle 1° Brigade
Française Libre. Ainsi le groupe d'artillerie qui dépendait de Cazaud rejoint
celui de Koening pour former officiellement le 1° Régiment d'Artillerie. La
brigade reçoit également le renfort de la 22° Compagnie Nord Africaine du
capitaine Lequesne. En plus de cela, le 1° BIM est lui aussi rattaché à la 1°BFL.
Le bataillon est alors complètement éclaté. Effectivement, chaque compagnie
reçoit une affectation différente. Ainsi, la 1° compagnie du capitaine Roudaut
est transférée au bataillon du Pacifique alors que la 2° compagnie du capitaine
Pichat rejoint les légionnaires du 3°BLE. Ces deux compagnies, qui sont équipées
de canons antichars de 25 mm montés sur des camionnettes Morris, forment les
unités de reconnaissance de leurs bataillons respectifs. La 3° compagnie
d'infanterie de marine est transformée en compagnie antichar qui doit assurer la
défense de la brigade avec ses pièces de 47 mm et de 75 mm. Enfin, la compagnie
de commandement du 1° BIM reçoit l'ordre de fournir et d'équiper le poste de
commandement de l'échelon B de la brigade, c'est-à-dire des unités stationnées à
l'arrière. Cette dislocation d'un bataillon avec une forte identité n'est pas
pour plaire aux marsouins qui n'hésitent pas à le faire savoir, Savey en tête.
Koening en est d'ailleurs bien conscient mais il ne peut rien y faire. Au moins,
les marsouins peuvent se consoler en sachant qu'ils vont rejoindre le front
alors que la 2° DLFL reste stationnée en Syrie.
Les Britanniques refusent d'engager les Français dans l'opération «Crusader»
qu'il déclenche le 18 novembre 1941 sous prétexte qu'ils ne disposent pas de
suffisamment de véhicules pour transférer la brigade à temps et que, de toutes
façons, les plans de l'offensive étaient déjà arrêtés depuis longtemps. Ce n'est
que le 7 décembre que Churchill annonce à De Gaulle que le général Auchinleck
souhaiterait employer une unité française en Libye. Et ce n'est que le 19
décembre que la 1°BFL reçoit l'ordre de faire mouvement vers l'Égypte avec à sa
tête le général de Larminat qui remplace, sur ordre de Catroux, le général
Koening. Ce dernier devient l'adjoint du commandant de la brigade. La brigade
quitte le Levant le 22 décembre pour stationner, au début du mois de janvier,
dans les environs de Daba, à deux cents kilomètres d'Alexandrie. Pendant
plusieurs jours, la brigade qui, désormais pour l'administration militaire
britannique, s'appelle le First Free French Brigade Group (les Français
l'appellent eux, la Force L en référence à Larminat), est prise en mains par des
instructeurs anglais afin de former les nouveaux venus à la guerre dans le
désert (n'oublions pas que dans la brigade, seuls les marsouins ont déjà
combattu en Libye). Ils apprennent entre autres, l'art de la navigation sans
repère. Durant cette même période, les Français perçoivent de nouveaux camions
Chevrolet qui sont immédiatement distribués aux unités de combat, au grand dam
des logisticiens anglais. Les combattants reçoivent également des chenillettes
Bren-Carrier: ce sont des petits véhicules de transport légèrement blindés qui
peuvent recevoir divers armements comme un fusil mitrailleur Bren (d'où le nom
de Bren-Carrier), une mitrailleuse Vickers, un fusil antichar voire un
lance-flammes ou encore un canon antichar français de 25 mm. Équipés de
chenilles, les Bren-Carrier renforcent considérablement la mobilité des soldats
au combat, surtout sur des terrains difficiles comme en Libye.
Le 12 janvier, la Brigade fait enfin mouvement vers les combats mais, au lieu de
rejoindre le front à la frontière entre la Cyrénaïque et la Tripolitaine où
Rommel a été repoussé par l'offensive d'Auchinleck, les français se dirigent
vers la passe d'Halfaya. En effet, après des combats difficiles et complètement
désordonnés au mois de Novembre, Auchinleck parvient à refouler le
Deutsch-Afrika-Korps de l'Est de la Libye et à libérer au passage la forteresse
de Tobrouk qui résistait depuis 240 jours. Dans sa retraite, Rommel abandonne
plusieurs garnisons germano-italiennes près de la frontière égyptienne. Ces
hommes continuent pourtant à résister en formant des poches défensives à Bardia,
Sollum et Halfaya. C'est dans ce contexte que Larminat ordonne à Koening de
diriger la brigade sur Halfaya pour mettre un terme définitif à la résistance
d'un bataillon allemand qui gardait la place. Enfin, les Français Libres vont
pouvoir affronter leur véritable ennemi. Pourtant, les évènements ne vont pas
vraiment se dérouler comme ils le souhaitaient. Dès le 15 janvier, l'artillerie
du 1° RA (qui a troqué ses pièces de 155 mm pour des canons de 75mm) et
l'aviation (dont le groupe de bombardement Bretagne-Lorraine) vont commencer à
pilonner les positions allemandes. Pendant ce temps, l'état-major de la brigade
met en place le plan d'opération pour prendre d'assaut la passe. L'attaque est
planifiée pour le 21 janvier mais deux jours plus tôt, l'ennemi, à cours de
vivres et d'eau, finit par hisser le drapeau blanc. En tout, c'est près de 5 500
combattants allemands et italiens qui se rendent aux troupes
franco-britanniques. Malgré quelques escarmouches durant des patrouilles, de
nombreux soldats français ont l'impression de s'être fait voler leur premier
véritable combat contre l'allemand qui disposait pourtant d'une supériorité
numérique, puisque la brigade ne comptait alors que 3 700 soldats, selon Koening.
Néanmoins, les officiers tirent des leçons de ce premier engagement qui a mis en
évidence quelques lacunes dans les communications. La brigade est de nouveau
réorganisée. Désormais, chaque bataillon formera un groupement inter-armes
auquel sont rattachés des moyens en artillerie, génie, défense antichar et
défense anti-aérienne. On en profite également pour inspecter les positions que
l'ennemi a abandonnées; les officiers constatent l'importance donnée par les
Allemands à la défense antichar qui repose sur les redoutables canons de 88 mm
et de nombreuses pièces Pak 38 de 50 mm.
Finalement, le 21 janvier, la brigade se remet en route vers l'Ouest en
direction d'El Adem. Elle reçoit alors pour mission de tenir la région de Derna.
Au cours du trajet, elle rencontre pour la première fois les caprices du désert.
En effet, une violente tempête de sable s'abat sur elle. En raison du manque de
visibilité, la progression devient très difficile et un accident tragique finit
par se produire. Le capitaine Pichat de la 2° compagnie du 1° BIM meurt, fauché
par un camion de la colonne qu'il était en train de guider. Il sera remplacé à
la tête de la compagnie par le lieutenant Laborde qui commandait alors la 4°
section. La brigade, divisée en quatre colonnes, poursuit sa route jusqu'à Tmini
où elle apprend, le 23 janvier, que Rommel vient de lancer une nouvelle
offensive. Désormais, il n'est plus question de continuer sur Derna; Koening
reçoit l'ordre de se diriger vers le Sud, à Mechili, afin d'établir une position
défensive avec la brigade polonaise des Carpathes du général Kopanski. Durant
onze jours, les deux brigades, sous les ordres de Larminat, couvrent la retraite
des troupes anglaises. Le 4 février, les Français se remettent en marche mais
cette fois-ci, en direction de Alem Hamza. Quelques jours plus tard, Mechili
sera occupé par les troupes de Rommel. Celui-ci, à court d'essence, décide d'y
établir une ligne de défense. Désormais, entre les troupes de l'Axe et celles
des Alliés, un gigantesque no man's land apparaît. Le 15 Février, la 1°BFL
reçoit un nouvel ordre: relever la 150° brigade indienne à Bir Hakeim.
Cette nouvelle affectation se situe à la pointe Sud de la ligne de défense
partant depuis El-Gazala que les Anglais mettent en place. Bir Hakeim se situe à
la limite entre la partie côtière semi-aride et le désert de sable. Il s'agit
d'un carrefour de pistes où se trouve un ancien fort italien qui servait de
refuge aux méharistes. La position elle même n'est pas d'un grand intérêt
stratégique. Il s'agit d'un plateau au relief quasi inexistant. Seules les
"Mamelles", deux citernes asséchées depuis longtemps et recouvertes de sable,
dépassent du niveau du sol. Bien sûr, il n'y a aucun obstacle naturel contre les
assauts des chars. Dans l'esprit de l'état-major britannique, Bir Hakeim n'a de
valeur que parce qu'elle se situe à la frontière avec le désert. Ainsi, y
établir un môle défensif puissant contraindrait Rommel à attaquer frontalement
la ligne d'El-Gazala ou alors à faire un grand détour par le Sud, dans un
terrain naturellement hostile aux véhicules, ce qui le ralentirait
considérablement. De plus, les Anglais projettent de faire de Bir Hakeim leur
base de départ pour la contre-offensive qui devra contourner les défenses
italo-allemandes par le Sud. Le rôle de la 1° BFL est donc de constituer une
solide position défensive, capable de résister aux assauts ennemis même si elle
est isolée du reste de la 8° Armée. Or, on l'a dit, Bir Hakeim n'est pas une
forteresse naturelle. La première tâche de Larminat est de transformer le
terrain pour en faire une citadelle imprenable. Comme le dit Koening, "la
position est ce qu'elle est. A nous d'en faire quelque chose"1. Très vite, les
hommes troquent leurs armes contre des pelles et c'est la brigade toute entière
qui se met à creuser des trous individuels, des tranchées, des positions
d'artillerie, des points d'appui, des entrepôts et des garages sous-terrains. La
tâche est difficile car, sous une fine couche de sable, se trouve de la roche
que certains n'hésitent pas à attaquer à l'explosif. Si pour les légionnaires et
les marsouins, creuser fait partie de leur "tradition militaire", les
tirailleurs et surtout les fusiliers-marins rechignent à se salir les mains;
Koening finit par les convaincre (ou par les forcer) à se mettre au travail.
Alors qu'elle subit constamment les raides de l'aviation ennemie, la brigade
finis par disparaître sous la terre.
La 1° BFL est disposée selon l'organisation ternaire héritée de la 150° Brigade.
Ainsi , le BM 2 occupe les positions au Nord-Ouest, le 2° BLE celles à l'Ouest
et enfin le BP 1 s'installe au Sud-Ouest. Le 3° BLE est maintenu en réserve au
centre du dispositif. Le 1° RA déploie ses 24 pièces de 75 mm en quatre
batteries éparpillées sur l'ensemble de la position afin de pouvoir ouvrir le
feu dans toutes les directions. Pour le 1° BIM, les 1° et 2° compagnies sont
maintenues avec leurs bataillons respectifs. La 3° compagnie est, quant à elle,
déployée à l'Ouest et au Sud-Ouest afin d'y renforcer les défenses antichars.
L'ensemble de la position de Bir Hakeim est matérialisé par un important champ
de mines que les hindous de la 150° Brigade avaient déjà commencé à installer.
La compagnie de sapeurs-mineurs, rattachée à la 1° BFL, reçoit l'ordre de
renforcer ce champ en enterrant 11 900 mines, selon François Broche, 50 000
selon Yves Gras. L'ensemble est complété par un vaste "marais de mines" qui est
censé gêner le travail des démineurs ennemis. A Bir Hakeim même, Koening ne
garde que les unités combattantes (à l'exception d'une antenne chirurgicale) et
envoie l'échelon B de la brigade à Bir Bou Maafes près d'El Adem. Sous la
protection de la 22° CNA, les services administratifs et logistiques sont
rassemblés. Ils joueront un rôle non négligeable dans la future bataille puisque
la 101° compagnie du train devra fournir (même sous le feu ennemi) le précieux
ravitaillement aux soldats de la place forte.
En même temps qu'ils préparent les défenses du camp, les soldats de la brigade
sont employés dans des missions d'un genre un peu particulier. En effet, la 1°
BFL reçoit l'ordre de mener constamment des raids dans le no man's land qui
s'étire sur une centaine de kilomètre au niveau de Bir Hakeim. Cette mission
typiquement britannique porte le nom de Jock Colonne. Elle est généralement
conduite par un groupe inter-armes s'appuyant sur des chars et des
auto-mitrailleuses. Ne disposant pas de ces matériels, les «Jock Collonnes» de
la brigade française doivent innover. Elle intègre alors dans ces raids de deux
semaines des pièces de 75 mm qui font généralement de «beaux cartons» sur les
véhicules ennemis rencontrés. Les moyens de communication sont renforcés afin de
permettre une meilleure coordination entre les différentes armes. Cette guerre
d'embuscade et de harcèlement, à la limite de la guérilla, plaît
particulièrement aux Français Libres qui y voient un bon moyen de s'aguerrir au
combat dans le désert et d'éveiller leur sens tactique. D'ailleurs, ce genre de
mission est si populaire que le fait de ne pas être pris dans une Jock Collonne
devient une véritable sanction. Ainsi chez les marsouins, on crie à l'injustice.
Effectivement, si les 1° et 2° compagnies jouent un rôle important dans ces
raids grâce à leur capacité de reconnaissance et à un équipement
particulièrement bien adapté (Bren-Carrier, canons de 25 mm montés sur
camionnette Morris). A la compagnie antichar et à celle de commandement, on est
véritablement frustrés de ne pas y participer. Le commandant Savey se plaint à
Koening mais celui-ci lui rétorque que la défense de Bir Hakeim repose sur ces
deux compagnies et qu'il ne peut pas les engager dans d'autres tâches.
Pendant près de quatre mois, Bir Hakeim devient un véritable camp retranché,
hérissé de nombreux canons antichars et protégé par un important champ de mines.
Si, au début, les hommes croyaient qu'ils ne resteraient pas longtemps au "puits
du vieillard", au mois de mai, ils savent désormais qu'ils sont à l'aube d'une
grande bataille qu'ils ne voudraient rater pour rien au monde. Il faut dire que
la vie dans le camp retranché est particulièrement ennuyeuse et les activités ne
sont pas légion d'autant que la chaleur devient de plus en plus accablante et le
rationnement de l'eau n'est pas pour arranger les choses. Pourtant, le 2 mai,
les hommes du 1° BIM apprennent une nouvelle qui les rend particulièrement
joyeux. En effet, ce jour-là, le commandant Savey reçoit l'ordre de tenir prêt
un détachement de trois cents hommes qui devra rejoindre la Grande-Bretagne à
une date indéterminée. La demande provient directement du comité national à
Londres qui souhaite transformer le bataillon en une unité de
commandos-parachutistes. Pour les marsouins qui digéraient mal le fait d'être
divisés, cette future affectation les remplit de joie. Ils sont enfin promus à
un avenir grandiose. De son côté, Koening fulmine car il pense qu'il s'agit
d'une manœuvre de Savey pour quitter la brigade. Il est donc contraint de
transférer la 22° CNA de l'échelon B à Bir Hakeim pour remplacer les marsouins
qui sont rassemblés à Koening's plage. Pourtant, le 18 mai, les hommes de Savey
apprennent avec une grande déception que l'ordre de départ a été annulé et
qu'ils doivent retourner à leur ancienne affectation. Le matin du 26 mai, à la
veille de la bataille, Koening ordonne à la 22° CNA de remettre à la compagnie
antichar du 1° BIM les six canons de 75mm et les six canons de 47 mm que
celle-ci leur avait cédés au moment de leur départ. Mais les tirailleurs avaient
complètement démonté ces pièces d'artillerie pour mieux comprendre leur
fonctionnement. Du coup, les marsouins doivent remonter en urgence leurs canons.
Ils découvrent également que durant leur absence, leur réserve d'eau a été
pillée. Si on ajoute à cela les traditionnelles tensions entre marsouins et
légionnaires, on ne peut pas dire que l'entente règne dans les rangs de la
brigade. Mais tout cela va très vite ne plus avoir d'importance car ce que
redoutaient les renseignements alliés depuis quelques jours se produit enfin:
Rommel passe à l'attaque.
Le 26 mai, après avoir mené une attaque de diversion dans la région d'El-Gazala,
Rommel fait mouvement dans la nuit par le Sud avec cinq divisions. A Bir Hakeim,
Koening s'attend à une attaque dans les prochaines heures. Il ordonne aux BM 2
et BP 1 qui étaient en Jock Collonne de se replier sur le camp. Dès le 25 mai,
le général français renforce sa défense. La 22° CNA et la compagnie de
sapeurs-mineurs qui devaient rejoindre l'échelon B sont maintenues sur la
position. Il ordonne aux sapeurs-mineurs et à la compagnie Laborde du 1° BIM
d'occuper, avec deux canons antichars, le point d'appui n°4 qui couvre le Sud du
camp. C'est à Laborde que revient l'ordre de reconnaître et de préparer la
position. Il doit également fournir les hommes qui devront occuper
l'observatoire de ce point d'appui. L'ensemble est commandé par le capitaine
Desmaisons qui doit recevoir ses missions tactiques du BP 1. Le 27, à 9 heures
du matin, l'alerte est donnée. En effet, après quatre mois de préparatifs, Bir
Hakeim est attaquée par la division blindée italienne "Ariete". Près de 70 chars
du 132° régiments blindés, appuyés par l'infanterie du 8° régiment de
Bersaglieri, montent à l'assaut des positions du 2° BLE. Les pièces antichars et
l'artillerie des Français ripostent avec une grande précision. Très vite, les
fantassins italiens abandonnent les chars qui continuent d'avancer sans
ralentir. Le combat tourne au massacre pour l'attaquant qui perd près de 24
blindés dont cinq sont détruits par un seul canon de 75 mm du 1° BIM. Six chars
ont quand même réussi à pénétrer dans le dispositif français, mais ils sont
détruits l’un après l'autre, par les légionnaires qui n'hésitent pas à attaquer
les engins au corps à corps. La brigade fait 91 prisonniers (dont le commandant
du 132° régiment) lors de cette première attaque. Le soir, les soldats se
réjouissent du déroulement de cette première journée de combat mais un doute
subsiste. En effet, les communications avec l'extérieur ont été coupées et la
brigade ignore ce qui se passe autour d'elle. Durant les jours suivants, face à
l'absence d'adversaire, Koening envoie des patrouilles motorisées harceler
l'adversaire qui continue de progresser en contournant par le Sud. Malgré le
manque d'information, l'ambiance est plutôt décontractée au poste de
commandement de la brigade. Koening pense que les Allemands vont finir par être
à court d'essence et se retrouver encerclés à l'Est de la ligne d'El-Gazala. Le
31 mai, il fait préparer des ordres au cas où la brigade devrait engager la
poursuite. Le général confie le commandement de la place au commandant Savey qui
devra assurer sa défense avec la compagnie d'état-major du 1° BIM ainsi que les
compagnies Roudaut et Laborde, la 22° CNA, la première batterie du 1° RA,
l'ensemble de l'échelon B qui devra le rejoindre tandis que la défense aérienne
sera assurée par la 43° batterie de DCA britannique qui était venue renforcer le
bataillon de fusiliers-marins avec ses canons de 40 mm Bofors. Une fois de plus,
les marsouins ont l'impression d'être tenus à l'écart de l'action et Savey se
plaint de nouveau à Koening; celui-ci lui explique qu'il n'a pas suffisamment de
véhicules pour transporter son bataillon. Le lendemain, la vision de Koening se
confirme lorsque son adjoint, le commandant Masson, reçoit l'ordre des
Britanniques de passer à la contre-attaque et de pousser vers l'Ouest. Dès 4
heures du matin, la brigade s'active pour partir. Le BP 1 qui dispose de ses
véhicules doit être engagé en premier. Renforcé par l'artillerie, la DCA et le
génie, le bataillon de Broche quitte le camp à 9 heures du matin alors que le
reste de la brigade, à l'exception du 1° BIM, doit le suivre dans la soirée. Les
Pacifiens ont pour ordre de se porter sur Rotonda Segnali. Savey, quant à lui,
reçoit le commandement de Bir Hakeim où ne doivent rester que son bataillon et
la 22° CNA. Son dispositif doit être renforcé par l'échelon B et le 5° King's
Rifle Regiment qui doivent se regroupés dans la position. Pour éviter
d'accumuler trop de troupes et de véhicules, ces deux unités devront passer la
nuit en bivouac, l'échelon B au Sud et le 5° KRR au Sud-Est, à 10 kilomètres du
camp. Ils ne seront autorisés à entrer dans Bir Hakeim que lorsque la brigade
aura entièrement vidé les lieux.
Des marsouins ouvrant le feu avec leur 75 à Bir Hakeim
L'ambiance générale dans Bir Hakeim est plutôt joyeuse si l'on excepte les
marsouins qui supportent mal d'être ainsi sacrifiés. Pourtant, une série
d'événements va considérablement refroidir les ardeurs des Français Libres.
Déjà, les communications avec l'extérieur restent très difficiles. Même Broche
restera toute la journée, silencieux. Koening est donc très mal informé de ce
qui se passe autour de lui et sur l'ensemble du front. Il est persuadé que les
Britanniques ont refoulé l'Afrika-Korps. Tout au long de la journée, les raids
aériens ennemis se succèdent sur Bir Hakeim et font quelques dégâts non
négligeables. Mais pour Koening, ces attaques ne forment qu'une couverture pour
le repli des troupes de l'Axe. A 15 heures, une première nouvelle inquiétante
tombe au PC de la Brigade: la 7° Division Blindée annonce que la 4° Brigade
Blindée qui devait rallier Bir Hakeim ne pourra pas faire mouvement comme
prévus. Mais l'ordre de départ de la 1° BFL est confirmé. C'est seulement à 17
heures que Koening reçoit l'annulation de cet ordre. Désormais, on comprend
qu'il se passe quelque chose de grave. En réalité, les Britanniques ont laissé
échapper une chance de vaincre Rommel et ce dernier en a profité pour se
ressaisir et reprendre l'initiative. Le 31 mai, avec trois divisions, il attaque
la 150° Brigade Indienne et la détruit complètement. Maintenant, il se tourne
vers le dernier obstacle qui pourrait considérablement gêner sa marche vers
l'Est: la 1° BFL. Mais cette fois, il décide de se donner les moyens. Retenant
la leçon du 27 mai où les chars de l'Ariete devaient bousculer la position en un
quart d'heure, Rommel rameute deux divisions: la Trieste et la 90° Division
Légère allemande qu'il renforce avec des blindés et de l'artillerie.
Pendant ce temps, à Bir Hakeim, l'annulation de l'ordre de départ et la
possibilité d'être attaqué oblige Koening à réorganiser en urgence son
dispositif. En effet, le BP 1 étant toujours à Rotonda Segnali, le Sud du camp
est fortement à découvert et seule une compagnie de marsouins, celle du
capitaine Roudaut, monte la garde. Le général ordonne donc au commandant Savey,
à 10 heures du matin, d'aller occuper avec la compagnie Laborde, les positions
laissées vides par le départ des Pacifiens. Le détachement de Savey est renforcé
par les tirailleurs de la 22° CNA mais également par quatre canons de 75 mm de
la compagnie lourde du 3° BLE qui était gardés jusqu'à maintenant en réserve de
la brigade. A 11h20, Savey reçoit finalement le commandement de tout le secteur
du BP 1 en attendant le retour de Broche et de ses hommes. Ces derniers sont
d'ailleurs difficiles à joindre à cause de la tempête de sable qui sévit depuis
quelques jours et qui perturbe sérieusement les communications. Durant cette
journée du 2 mai, le changement de la situation tactique est confirmé par
l'apparition d'automitrailleuses adverses qui s'en prennent au 5° KRR et à une
colonne de ravitaillement britannique. Ces unités sont toujours stationnés à
l'extérieur du camp. Très vite, les Anglais se réfugient sous la protection des
canons de 75 mm français qui ouvrent le feu. Dans la matinée, deux
parlementaires italiens viennent demander à Koening de se rendre. Bien sûr,
celui-ci refuse. Néanmoins, cela prouve que Rommel a bien l'intention de
s'occuper de cette épine française plantée dans son pied et qui l'empêche de
foncer vers l'Est sous peine de voir son ravitaillement constamment attaqué.
Cela est confirmé dans l'après-midi lorsque les premiers obus de l'artillerie
italienne tombent sur les positions du 2° BLE. Le lendemain, à 8h20, c'est au
tour des marsouins qui se trouvent dans le secteur du Pacifique, de subir le feu
des canons ennemies. La section de l'aspirant Anglade, de la compagnie Roudaut,
est particulièrement encadrée par cette pluie de projectiles. Finalement, à 9
heures, Broche et ses hommes parviennent à entrer dans Bir Hakeim malgré
l'artillerie adverse. Au même moment, deux prisonniers britanniques arrivent
devant le camp avec un message signé de Rommel lui-même, qui demande aux troupes
françaises de se rendre. Koening envoie sa réponse sous la forme d'une salve de
75 mm.
Pendant trois jours, les Allemands vont constamment bombarder les positions
françaises avec leur aviation mais aussi avec tous les canons dont ils
disposent, des 88 antichars aux canons lourds de 210 mm. Les artilleurs du 1° RA
ont bien du mal à répondre par des tirs de contre-batterie car la portée de
leurs 75 mm est bien trop courte pour espérer donner le change. Les attaquants
profitent également de ces quelques jours pour renforcer l'encerclement de la
forteresse française même si quelques camions anglais parviennent à passer,
apportant de précieuses munitions. En même temps, plus au Nord, les Britanniques
lancent une contre-offensive contre le gros des troupes de Rommel, mais celle-ci
échoue et la force de frappe anglaise est fortement diminuée. Le "renard du
désert" peut désormais se concentrer sur Bir Hakeim sans craindre de riposte
venant de l'extérieur. Le 6 juin, il décide de passer à l'attaque. Après une
importante préparation d'artillerie, les démineurs allemands parviennent à
ouvrir une brèche dans le champ de mines au Sud du camp. Les Landser de la 90°
Division Légère montent alors à l'assaut des positions tenues par le capitaine
Roudaut et ses marsouins. Mais efficacement appuyée par le 1° RA, la compagnie
parvient à repousser l'attaque qui est renouvelée en fin d'après-midi et de
nouveau repoussée. Le lendemain, Rommel abandonne son attaque au Sud pour lancer
une nouvelle au Nord sur les positions du BM 2. Malgré cela, à 21 heures, la
division "Trieste" recommence à se manifester au Sud contre la compagnie du
capitaine Roudaut mais la quatrième batterie du capitaine Morlon du 1° RA ouvre
le feu sur les assaillants qui sont contraints de faire demi-tour. Le 8 mai,
Rommel poursuit son attaque sur le BM 2. Celui-ci, ainsi que la compagnie
antichar du 1° BIM qui le renforce, essuient un important tir d'artillerie. En
fin d'après-midi, la position subit une importante attaque. Koening raconte: "A
18h10, Masson m'appelle. Je sors avec lui de l'abri. Joie, joie, joie! L'ennemi
est arrivé à bonne portée de tir du BM 2 et la musique réconfortante s’élève.
C'est le tac-tac de nos mitrailleuses Hotchkiss, des FM 24/29 et les coups secs
des 75 antichars. Les marsouins du BM 2 et du BIM se sont redressés et viennent
d'entrer en action. Le vieil esprit de la grande tradition coloniale vit en eux
et les soutient. Ils portent fièrement l'ancre qui les fixe à ce coin de terre
perdu. Le barrage de feu accomplit son miracle et l'ennemi est encore arrêté
devant le champ de mines, sauf à l'observatoire O2 qui, cette fois-ci est
conquis. Celui-ci est défendu par une pièce de 75 du BIM attaquée par trois
chars Panzer IV. Un char est atteint à quinze mètres, les deux autres se
replient."1 Ce canon de 75 mm, servi par l'adjudant Doye, est finalement détruit
par les panzers et quatre servants sont tués tandis que le cinquième est blessé.
La journée du 8 mai a été particulièrement éprouvante pour les tirailleurs du BM
2 qui ont subi tout le poids des assauts ennemis; mais ceux-ci ont été repoussés
avec des pertes relativement faibles. La situation générale reste pour autant
très préoccupante. La brigade arrive à court d'eau et de munitions et elle ne
pourra pas poursuivre le combat à ce rythme-là bien longtemps. Koening fait
distribuer les dernières rations d'eau. Savey en perçoit 290 litres pour les 130
hommes qu'il a sous ses ordres soit à peine deux litres par personne, ce qui est
très insuffisant alors que la température avoisine les cinquante degrés.
La journée du 9 mai commence dans un calme relatif car les Allemands n'attaquent
pas durant toute la matinée. En revanche, l'artillerie continue à maintenir sous
son feu les Français Libres. En plus, l'ennemi innove sur le plan tactique.
Désormais, il tire avec toutes ses armes, des batteries de 210 mm aux petites
mitrailleuses Breda de 13,2 mm. Il emploie d'ailleurs avec une grande efficacité
ses armes à tir tendu. Les antichars de 50 mm, les canons de DCA de 20 mm et les
mitrailleuses Breda s'acharnent sur les pièces d'artilleries et les canons
Bofors. A 12h15, un raid de bombardiers en piqué Stuka délivre un feu mortel sur
la position de Bir Hakeim. Rien ni personne n’est épargné et les Stuka larguent
cinq bombes sur le poste chirurgical de la brigade et fait dix-sept victimes.
Une fois les avions partis, c'est au tour des troupes terrestres de passer à
l'attaque vers une heure de l'après-midi. Rommel tente de prendre en tenaille le
camp des Français, en attaquant au Nord avec le 115.Panzer-Grenadier-Regiment
nouvellement arrivé et au Sud avec deux bataillons de la 90.Leichte-Division.
Dès le début de l'assaut, le secteur du BP 1 se trouve très menacé notamment les
Pacifiens de la compagnie Blanchet et les marsouins de la compagnie Roudaut.
L'ennemi parvient à franchir le champ de mines et pénètre à l'intérieur de la
position. La situation devient périlleuse et un landser est abattu à cinq mètre
d'une pièce de 75 mm antichar. A 16h 10, pour compenser les pertes, une section
de la compagnie de commandement du 1° BIM est envoyée dans le secteur du
Pacifique. Du côté de la compagnie Pichat, la section de l'aspirant Anglade
subit de lourdes pertes durant cette attaque. Au Nord, le BM 2 n'est pas mieux
loti et Koening est préoccupé par la tournure des évènements surtout que les
batteries du 1° RA ne savent plus où donner de la tête. En effet, en attaquant
simultanément au Nord et au Sud, Rommel force les artilleurs à continuellement
retourner leurs pièces vers les deux directions et les hommes commencent à
souffrir sérieusement de la fatigue surtout que les servants passent leur
journée au soleil. Mais le feu des Français ne faiblit pas pour autant et à
16h55, les Bren-Carrier des légionnaires du 2° BLE et des marsouins du 1° BIM
ont même l'audace de tenter une contre-attaque pour soulager le BM 2. Par cette
action, les Français détruisent plusieurs chars et font plus d'une vingtaine de
prisonniers. Face à cet assaut «surprise», les assaillants sont même contraints
de se replier provisoirement. Finalement, le pire est évité et les Allemands
sont refoulés du camp retranché; mais l'artillerie et les armes lourdes
continuent à tirer sur la 1° BFL et cet acharnement finit par couter cher à la
brigade. En effet, l'observatoire où se trouvent le lieutenant-colonel Broche et
son adjoint le capitaine De Bricourt est, depuis un moment, la cible d'un canon
antichar de 50 mm qui tire sans relâche sur l'embrasure du fortin. Broche l'a
pourtant signalé à Masson mais que peut-il y faire? Finalement, à 20 heures,
Broche est touché mortellement par un obus. Le BP 1 se retrouve désormais sans
chef. Broche était un officier respecté et aimé par ses hommes qui le
considéraient comme le père du bataillon; sa mort laisse un grand vide chez les
Pacifiens. Les câbles téléphoniques entre le bataillon du Pacifique et le poste
de commandement de Koening ayant été coupés par les bombardements, ce n'est que
vers 20 heures que le chef de corps de la brigade apprend la triste nouvelle.
Immédiatement, il fait convoquer le commandant Savey qui avait été spolié de son
bataillon. Lorsqu'il arrive chez le général, celui-ci lui ordonne de prendre le
commandement des compagnies du BP 1 en formant une unité mixte avec les
marsouins du 1° BIM. De cette manière, on assiste au début de la fusion des deux
bataillons et à la naissance de ce qui formera après la bataille, le Bataillon
d'Infanterie de Marine et du Pacifique.
La 1° BFL subit les attaques de Rommel depuis quinze jours maintenant. Les
ordres de départ ne prévoyaient qu'une résistance de quatre jours. La brigade a
donc largement accompli sa mission mais maintenant, à cause du manque croissant
de munitions et d'eau, il devient urgent de "conclure" la bataille. Les Français
ne pourront pas tenir bien longtemps s’ils ne sont pas rapidement ravitaillés
massivement par les Anglais. Déjà dans la journée du 9 mai, la 7° Division
Blindée lance une attaque de diversion contre les troupes autour de Bir Hakeim
mais l'assaut désordonné est un échec. Finalement, dans l'après-midi, Koening
reçoit un message de l'état-major britannique qui l'informe que, désormais, la
position de Bir Hakeim n'est plus nécessaire et qu'il faut prévoir un plan de
sortie. Soulagé par cette nouvelle, Koening propose de lever le camp dans la
nuit du 9 au 10. Mais il est trop tard: les Britanniques ne peuvent rassembler
suffisamment de véhicules pour transporter les survivants de la brigade. On
décide donc de reporter la sortie de 24 heures. Le lendemain, la matinée se
déroule dans un calme inhabituel. Un épais brouillard a recouvert ce qui reste
du camp retranché, empêchant ainsi les bombardiers ennemis de repérer leur
cible. Mais la situation change en début d'après-midi lorsque surgissent près de
cent trente Stuka qui laminent les positions françaises. Une fois les avions
repartis, Rommel lance ses troupes dans un nouvel assaut qu'il espère être le
dernier. Cette fois-ci, les Allemands attaquent uniquement par le Nord; le BM 2
ainsi que le 2° BLE sont sévèrement ébranlés mais parviennent encore une fois à
repousser l'assaut. Durant la journée, le 1° BIM compte un tué et douze blessés.
En même temps, Koening organise les préparatifs pour la sortie des troupes de
Bir Hakeim qui doit avoir lieu dans la nuit. Pour ne pas abandonner les blessés
et le matériel lourd, le général décide de tenter une sortie de vive force avec
tous les véhicules dont il dispose. Il décide également de quitter le camp par
la porte Sud-Ouest, dans le secteur du BP 1, car il pense que les Allemands ne
les attendent pas de ce côté-ci. Au moment venu, les ennuis s'accumulent: les
colonnes sont en retard sur l'horaire, les démineurs n'ont pas eu le temps de
finir leur travail et pire encore, l'ennemi est présent en force dans ce
périmètre, alerté par les bruits de près de deux cents véhicules en marche. Très
vite, la retraite discrète se transforme en véritable bataille. Dans une
pagaille monumentale, les soldats sont contraints de mener de véritables assauts
sur les lignes adverses pour pouvoir traverser. Les unités sont complètement
mélangées et, une fois le champ de mine traversé, les colonnes se désagrègent en
de nombreux petits groupes. Koening lui-même est isolé du reste de la brigade.
Il est difficile de relater exactement les événements de cette nuit, pour le 1°
BIM, tellement le désordre est important. Néanmoins, on sait que la compagnie de
commandement du bataillon est regroupée avec des véhicules du génie et des
fusiliers-marins. Le détachement, sous les ordres du lieutenant Hauet, est
finalement contraint de s'arrêter, suite à la présence de mines posées par les
Allemands; le lieutenant ordonne alors de poursuivre à pied. Mais ils ne peuvent
aller bien loin car ils sont pris sous le feu de mitrailleuses lourdes Breda et
de canons automatiques de 20 mm. Le détachement est alors contraint de se
replier sur les véhicules abandonnés. L’unité finit par éclater en petits
groupes qui tentent leur chance. Au cours de la sortie, comme le BP 1 la veille,
le 1° BIM perd son premier chef de corps au combat. En effet, grièvement blessé,
le père Savey est porté dans un autre véhicule mais par malchance, celui-ci est
touché de plein fouet par deux obus de 50 mm. Savey aurait prononcé ses derniers
mots en s'adressant au capitaine Roudaut: "Beaucoup de casse, n'est ce pas?
Allons, bonne chance mon vieux!"1 Il sera enterré provisoirement à 25 kilomètres
de Bir Hakeim. Les pertes pour le bataillon sont lourdes. En plus de Savey,
treize autres marsouins sont tués dans la sortie. Dix autres seront blessés dont
l'aspirant Malfette. Plus grave encore, le bataillon compte près de quarante
cinq hommes portés manquants. Enfin, treize marsouins sont fait prisonniers par
les Allemands.
La bataille de Bir Hakeim s'achève donc douloureusement pour les marsouins.
Malheureusement, ils ne sont pas les seul dans cette situation. En tout, la 1°
BFL perd quarante et un tués, cent vingt cinq blessés et huit cents quatorze
prisonniers. Il faut également ajouter les quatre-vingt dix neuf soldats morts
au cour du siège et les soixante dix neuf blessés. Mais le sacrifice des
Français Libres au “Puits du Vieillard” n'a pas été un acte inutile. En effet,
la brigade a infligée de lourdes pertes aux forces de l'Axe qui tentaient de
l'anéantir depuis le 27 mai. En s'acharnant ainsi sur Bir Hakeim, Rommel ampute
son Afrika-Korps de près de 3 600 hommes. Environs deux cents de ses si précieux
véhicules ont été détruits. La Luftwaffe a également subie d'important dégâts à
cause de la DCA et de l'efficace couverture aérienne de la RAF.
Des marsouins revenant de Bir Hakeim. Leur camionnette tracte un canon de 75.
Mais tout cela, Koening l'ignore encore ce matin du 11 juin. Isolé durant la
retraite, sa première impression est celle d'un désastre militaire. Il envisage
même de retourner à Bir Hakeim pour se rendre. Mais finalement, au cour de la
journée, il voit arriver par petit groupes ses hommes exténués. Plus de 2 500
vont finir par être récupérer par les patrouilles anglaises. Koening comprend
alors que ce n'est pas une défaite mais bels et bien une victoire. Certes Bir
Hakeim est tombée mais les ordres de la brigade étaient de tenir dix jours or
elle résisté pendant quinze jours à des troupes dix fois plus nombreuses
disposantts de chars et d'artillerie lourde. La 1° BFL a également permis aux
Britanniques de se replier en bon ordre, préservant ainsi l'Égypte d'une
invasion. Certains même iront dire que sans Bir Hakeim il n'y aurait pas eu d'El
Alamein. Alors oui c'est une victoire.
Conclusion
Après la bataille de Bir Hakeim, le 1° Bataillon d'Infanterie n'est plus que
l'ombre de ce qu'il était auparavant. Outre le fait qu'il ait perdu une grande
partie de son matériel, il a surtout subi de lourdes pertes humaines à commencer
par son chef de corps, le commandant Savey. Le bataillon n'est plus en mesure de
combattre efficacement tout comme l'ensemble de la 1° Brigade Française Libre.
C'est pour cette raison que celle-ci va être renvoyée en Égypte pour être mise
au repos afin de se reconstituer et de se réorganiser. Dix neuf jours après la
fin des combats, le 1° BIM fusionne avec le Bataillon du Pacifique n° 1 pour
former le Bataillon d'Infanterie de Marine et du Pacifique (BIMP) sous les
ordres du commandant Bouillon. D'une certaine manière, on assiste alors à la fin
de l'aventure des marsouins de la France Libre. Mais pour ces hommes, l'histoire
ne s'arrête pas là car la guerre est loin d'être finie. Le bataillon repart au
combat au début du mois de novembre en étant quasiment la seule unité française
à participer à la poursuite de l'Afrika-Korps en déroute après la seconde
bataille d'El Alamein. Durant les combats en Tripolitaine et en Tunisie, le BIMP
rejoint temporairement la Colonne Leclerc remontant du Fezzan. Après la défaite
finale de l'Axe en Afrique du Nord, le bataillon va connaître une longue période
d'inactivité de près d'un an pendant laquelle l'unité va être renforcée.
Rejoignant finalement le front italien en avril 1944, elle apporte son concours
à la victoire française sur la ligne Gustave avant de défiler dans Rome occupée,
le 4 juin. Deux mois plus tard, avec la 1° Armée Française de De Lattre de
Tassigny, le bataillon débarque en Provence puis participe à la libération du
territoire national. Il va notamment se distinguer lors de la défense de
Strasbourg durant l'opération "Nordwind". C'est finalement sur le front des
Alpes que se termine la guerre pour les hommes du BIMP. Quelques jours après la
capitulation, la 4° Brigade à laquelle le bataillon était rattaché, est
transformée en 1° Régiment d'Infanterie Coloniale et le BIMP devient son 1°
bataillon. En 1946, il est renvoyé dans le Pacifique où il est dissous. En 1948,
est créé le Bataillon Mixte d'Infanterie Coloniale du Pacifique qui devient dix
ans plus tard le Bataillon d'Infanterie de Marine du Pacifique. En 1963, le
BIMaP est divisé en deux avec le BIMaP de Nouméa et celui de Tahiti. Enfin, en
1981, ces deux bataillons sont transformés en régiments qui existent toujours
aujourd'hui. C'est à eux que revient l'héritage des traditions du BIMP dont ils
sont les gardiens.
L'histoire de ces marsouins de la France Libre débute par le refus et une prise
de conscience. En effet, ces hommes refusent de se considérer comme vaincus lors
de l'armistice du 22 juin 1940, alors qu'eux- mêmes ont été tenus à l'écart des
durs combats de la bataille de France. Alors que chaque année, le 31 août, les
marsouins rendent hommage à leurs anciens de la Division Bleue qui ont combattu
jusqu'à la dernière cartouche lors de la bataille de Bazeille, l'idée de déposer
les armes sans résister leur paraît inimaginable et profondément déshonorant. De
plus, à Chypre comme au Levant, les hommes prennent conscience de leur potentiel
militaire. Ils disposent de toutes leurs armes et sont temporairement hors de
portée de toutes actions militaire d'envergure de la part de l'ennemi. Dans ce
contexte, il devient envisageable de mener des actions qui, dans un premier
temps, sont soutenues par l'état-major du Levant qui annonce, avant l'armistice,
qu'il poursuivra le combat Mais lorsque celle-ci intervient, les chefs français
se rangent derrière le maréchal Pétain. Pour les soldats qui veulent en découdre
avec les Allemands et les Italiens, il ne reste plus qu'une seul issue, la
désertion. Par cet acte, les marsouins tiennent également à honorer les
promesses faites par l'ancien gouvernement français à leur allié anglais. Pour
cette raison, rejoindre les Britanniques dans la guerre peut être perçu, non pas
comme un ralliement mais comme une volonté d'assurer la continuité de l'alliance
franco-britannique en conformité avec les accords bi-latéraux établis entre ces
deux pays. Malgré les tentatives des officiers fidèles à Vichy de ramener ces
hommes dans le "droit chemin", les marsouins finissent par mettre en pratique
leurs intentions. Ils sont accueillis à bras ouvert par les Britanniques et les
Français d'Égypte. Dans un premier temps, l'incorporation dans la petite armée
du général De Gaulle se fait sans encombre. Le 1° BIM a même l'honneur de partir
le premier au combat. Mais très vite, les conditions de vie, le manque de moyen
et l'inaction ne peuvent qu'engendrer des troubles parmi les hommes du bataillon
restés en Égypte et, seul le déploiement sur un théâtre d'opération, en
l'occurrence l'Érythrée, parvient à apaiser les ardeurs des plus turbulents.
Mais malgré tout, une peur persiste chez les marsouins: celle de ne pas être
employés à bon escient. Ils n'ont pas pris le risque d'abandonner leur poste,
avec toutes les répercussions que cela entraine (certains seront condamnés à
mort par contumace par le gouvernement de Vichy), pour se retrouver à croupir
dans le désert ou être utilisés dans des tâches qui les maintiendrait loin du
front. Néanmoins, l'intégration dans les Forces Françaises Libre se déroule
relativement bien. Toujours en première ligne, le bataillon se forge une
réputation marquée par une identité forte mais cela ne va pas sans poser
quelques soucis. C'est notamment le cas à Bir Hakeim où l'unité se voit divisée
et intégrée à d'autres bataillons par le général Koening. Cette décision ne fait
pas l'unanimité parmi les marsouins ; ils ont l'impression d'être considérés
comme la dernière roue du carrosse. Mais, finalement, cela importe peu car seul
le combat intéresse réellement ces hommes et ils vont se montrer à la hauteur de
leur ambition. Ils sont les premiers à entrer dans Tobrouk en janvier 1941 et à
Massawa en avril. Durant la campagne de Syrie, ils sont à la pointe de
l'offensive de la 1° Division Légère Française Libre. A Bir Hakeim, leurs canons
antichars se révèlent un danger très mortel pour les blindés si précieux de
Rommel. Tout cela ne fait que renforcer l'image d'un bataillon unique qui
mériterait d'être classé parmi les plus célèbres unités des Forces Françaises
Libre telles que la 13° Demi-Brigade de la Légion Étrangère ou encore le
Régiment de Marche du Tchad. Pourtant, de nos jours, la mémoire des hommes du 1°
BIM reste des plus fragiles. Si un certain nombre d'ouvrages sur la France Libre
lui consacrent une petite place, celle-ci ne dépasse généralement pas le
paragraphe, au mieux une page. Jusqu'à présent, le 1° BIM n'a jamais été le
sujet d'une étude historique, c'est donc dans les archives militaires qu'il faut
aller puiser les informations le concernant.
En définitive, établir l'historique du 1° BIM nous permet de découvrir le
parcours d'hommes dont l'engagement dans un corps d'armée tel que la Coloniale
prédisposait à l'esprit d'aventure. Cette aventure, ils la voulaient grandiose
et ont tout fait pour qu'elle le soit. Alors que la France s'enfonçait dans
quatre années d'occupation, ils ont pris la tête de "la croisade" pour reprendre
les mots du commandant Savey. Il est difficile d'établir l'impact qu'a eu
l'action du bataillon sur le déroulement des opérations auxquelles il a
participé, tellement ses effectifs étaient minuscules par rapport aux centaines
de milliers d'hommes qui se sont affrontés durant ces combats. Néanmoins, le
fait que les marsouins furent parmi les premiers à rejoindre le général De
Gaulle et les premiers à partir au combat, laisse à penser qu'ils furent un
magnifique exemple et un symbole de ce qu'étaient les résistants de la première
heure. Pourtant, sur la volonté de De Gaulle lui-même, la mémoire de la
Résistance Française a pendant longtemps écarté le souvenir de ces hommes, comme
ce fut le cas pour l'ensemble des Forces Françaises Libres, pour des raisons
d'union nationale. Il serait alors intéressant de savoir ce que sont devenus
après la guerre ces acteurs très discret de la Résistance et du renouveau de la
France.
Source: Charlemagne