Henris Darré

Monsieur, Henri Darré. Agé de 81 ans, il réside aujourd'hui dans le Loiret (45). Il nous livre ici les souvenirs d'un périple qui le conduit, en 1944, de Toulouse à Chaumont, où il rejoint le maquis Duguesclin aux environs de Juzennecourt. Pour ce témoignage, pour ces photos, nous lui adressons nos plus sincères remerciements.

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FFI, 1ère section, 3ème compagnie du Bataillon Jérôme, quelques jours après la Libération de Chaumont.
Les hommes ont reçu en dotation de nouveaux uniformes.

En 1940, à l’arrivée des Allemands, j’étais employé civil à la Base Aérienne 104 de Pruniers (Loir-et-Cher) . Alors que la base était occupée par les troupes allemandes et que nous étions tous invités à reprendre nos activités, j’ai alors refusé de reprendre mon poste.
Fin 1941, j’avais à peine 18 ans, j’ai décidé, en accord avec mes parents, de passer la ligne de démarcation pour aller m’engager dans l’armée, en zone libre. Mon père, alors responsable dans les Ponts et Chaussées, me fit passer le Cher, la nuit, sur le bateau des dragueurs de sable qui travaillaient pour son service.

Ici, je suis déserteur de l’Armée de l’Air de Vichy.
Je suis planqué dans un refuge discret, dans l’attente de rejoindre les FFI de Haute-Marne.

Je signai un contrat pour cinq ans ou la durée de la guerre à la Base Aérienne de Châteauroux, puis je me suis retrouvé finalement, à Toulouse, à l’Etat-Major de l’Air. En 1943, les bruits couraient que les troupes d’occupation allaient sans doute occuper la France entière, ceci avec le consentement du gouvernement de Vichy. Début 1944, cette occupation fut effective et, si l’armée française était démobilisée, l’armée de l’air fut maintenue sous le statut de SAP (Sécurité Aérienne Publique), destinée à protéger les abords des bases aériennes ainsi que les trains allemands (DCA).

A ce moment, le 1er Avril 1944, en compagnie d’un collègue, nous désertions l’armée de Vichy, en rejoignant Paris, à l’aide de faux documents que nous nous étions procurés, bien tamponnés de la francisque et de la croix gammée.
Arrivés à Paris et, du fait que nous étions recherchés par la LVF
(*Légion des Volontaires Français), la Gestapo et même par la gendarmerie française, nous nous sommes séparés, mon collègue et moi, pour éviter le pire.
Ayant quelques relations dans la capitale, j’ai ensuite appris qu’un réseau de Résistance avait eu quelques problèmes dans la région de l’Est et que les survivants essayaient de se réorganiser. Je pris donc le train pour Chaumont sur Marne toujours à l’aide des faux documents de Toulouse.
Chaumont 1944

A Chaumont je retrouvai mes frères Pierre et Robert qui travaillaient comme ouvriers photographes chez Gaston Laurent, bien connu dans la ville de Chaumont.
Je restai caché dans la chambre d’un de mes frères, près de l’Hôtel de Ville et, j’obtenai mes renseignements de l’adjoint du Commissaire de Police de Chaumont, un nommé Lucien Dupin (Brigadier-Chef).

La libération de Chaumont n’est pas encore terminée. Nous sommes encore l’arme prête, grenades à la ceinture.
(Stade Voltaire, Henri Darré est à gauche)

C’est ainsi que j’ai été dirigé vers Juzennecourt où je devais retrouver Charles Hourriez, dit Lieutenant Laurent, (Commando 1416). Je devenais, au même instant le Résistant "Max".
ci-contre: Le lendemain de la libération, au studio Laurent.


Nous avons vécu dans la forêt dense, pas très loin de Colombey-les-deux-Eglises, une forêt très humide, où nous sommes restés quelques semaines, à coucher dans une cahute faite de bottes d’avoine, chapardées la nuit dans les champs de Juzennecourt. Malgré l’humidité importante, nous tenions le coup comme nous pouvions, d’autant plus que notre nourriture, très succinte se bornait, la plupart du temps, à des patates que nous volions la nuit. Ces pommes de terre étaient dégustées à moitié cuites car nous ne pouvions pas trop faire de feu, du fait de la proximité de la route nationale Chaumont/Troyes.

Notre activité s’est bornée, entre autres, à déboucher les chambres à mines que les Allemands avaient dû faire boucher à leur arrivée. Ce travail s’effectuait la nuit, à l’aide d’un burin et d’un marteau et souvent dans l’eau jusqu’à mi-cuisse. Quand Hourriez frappait sur le burin, quelques coups à la fois seulement, le bruit sous les voûtes nous semblait infernal… tandis que je l’éclairais parcimonieusement à l’aide d’un briquet qui ne marchait pas toujours, je devais surveiller les abords, quand les convois allemands surgissaient et… passaient au-dessus de nos têtes…

*excavations prévues réglementairement sur les ouvrages d'art par le Ministère de la Défense et destinées à recevoir des explosifs

Le convoi

Ceci me rappelle qu’une nuit, où nous étions sous un pont, occupés a desceller la chambre à mines, nous entendîmes le bruit d’un convoi allemand qui allait vers Chaumont.
Ce convoi devait être formé d’environ 50 à 60 véhicules. Les premiers camions passèrent au-dessus de nous et soudain, le convoi s’arrêta, des ordres "aboyés" dans la langue germanique, invitaient sans doute les troupes à une pause. Sans pouvoir le vérifier, nous avons eu l’impression que quelques représentants de la Wehrmacht étaient appuyés contre la rambarde du pont, à 2 mètres à peine au-dessus de nos têtes.

Les combats se poursuivent

Libération des Vosges
avec la 1ère Division Française Libre
(Henri Darré au centre en clair)

Nous étions Hourriez et moi, figés contre la paroi, respirant à peine et, les quelques minutes que nous passâmes nous parurent des heures. Des ordres gutturaux lancés par les chefs furent lancés en même temps que les moteurs se mirent à ronfler… permettant ainsi à notre sang de circuler à nouveau dans nos veines… le pire, est qu’Hourriez, craignant l’humidité pour sa musette contenant pistolet, pains de plastic et cordon bikford, l’avait laissée au pied d’un des arbres bordant la nationale… je crois que, la semi-obscurité causée par les "yeux de chats" équipant les véhicules allemands, nous a sauvé la vie car, il est évident, qu’en cas de coup dur, nous n’avions aucune possibilité de nous sortir de là…

De nombreuses incursions de la Wehrmacht dans la forêt, près de notre secteur, nous indiquèrent que les allemands étaient probablement renseignés à notre sujet.. Nous en fîmes le rapprochement, nous souvenant qu’un jour, sur un petit chemin forestier, une dame, à bicyclette, fut surprise en nous voyant et s’enfuit, la peur au ventre. Il est sûr qu’avec nos visages non rasés, nos vêtements pourris et nos mines patibulaires, cette dame, troublée et non rassurée, avait dû raconter son aventure dans le village…
La Libération

Nous n’avions pratiquement aucune relation avec les gens de Juzennecourt sauf avec un Espagnol qui nous renseignait de temps en temps sur l’évolution de la situation. C’est ainsi que nous avons été avertis du Débarquement et de l’arrivée des troupes alliées.

Nous avons intercepté les groupes de FFI épars pour ensuite joindre le Bataillon Jérôme, libérer les régions de Juzennecourt, Jonchery et ensuite, marcher sur Chaumont, que nous avons libérée en perdant quelques-uns des nôtres. A ce moment, Hourriez a dû me quitter, son état de santé ne lui permettant pas de continuer la lutte.
A la poursuite de l'ennemi

Libération de l’Alsace
avec la 1ère Division Motorisée d’Infanterie
(Henri Darré à gauche devant le char)

Quelques jours plus tard, je rejoignais la 1ère Division Française Libre de De Lattre pour continuer vers les Vosges, l’Alsace, la poche de Royan et la poche de l’Authion, sur les Hauts de Nice. C’est à Nice que nous avons fêté l’Armistice le 8 Juin 1945, alors que 48 heures seulement auparavant, une trentaine des nôtres étaient brûlés par les lance-flammes allemands.
Après quelques semaines d’entraînement à Melun, avec la 2ème DB de Leclerc, je suis parti pour l’Indochine, d’où je suis revenu fin 1949 .
Ceci m’a valu quelques médailles et citations, d’avoir la reconnaissance de la Nation, mais aussi le sentiment qu’après toutes ces péripéties, de m’en être tiré sans dommages.

Vive la France.

Le jour de l'Armistice

    Henri Darré




Je remercie beaucoup monsieur Henri Darré pour son témoignage.

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