Quelques souvenir personnels de l’action de la Résistance dans le Bas-Rhin pendant la période de 1940 à 1945.

Du général Jean – Georges BURGER – Ancien Capitaine de l’État – Major F.F.I. du Bas-Rhin

 

La clandestinité

 

La Résistance en Alsace a eu beaucoup de mal à s’organiser. Aussi la période de 1940 à 1944 était-elle caractérisée par des action isolées. Moi-même j’ai retrouvé pas mal de camarades, qui du fait de leur action isolée, se sont retrouvés au camp de concentration de Schirmeck. Ce n’est qu’en 1942, lorsque je suis sorti de ce camp de concentration, que j’ai éprouvé le besoin avec d’autres camarades de nous grouper en vue d’organiser la Résistance dans le Bas-Rhin. C’est ainsi que je suis rentré en contact avec Fritz MATTER qui m’a mis en contact avec Georges KIEFER, devenu par la suite le Commandant François. Ils habitaient d’ailleurs la même maison non loin de là ou je logeais moi-même. C’est seulement en 1943 que nous avons commencé à nous réunir à plusieurs pour jeter les bases de ce qui est devenu, ce qu’on a appelé, les F.F.I. du Bas-Rhin.

Nous étions six à nous réunir périodiquement, tous les mois d’abord, puis plus fréquemment au début de 1944 dans un petit garage que le Commandant François (Georges KIEFFER) possédait près de la tour de l’hôpital. Ce local avait un double avantage ; d’une part sa porte d’entrée, faite d’une vitre opaque, nous permettait de voir s’il y avait des gens qui s’approchaient, et d’autre part, sur l’arrière, il y avait deux issues qui donnaient sur la rue de l’Or, une rue voisine, l’une en particulier passant par un café nous permettait en cas de besoin, de nous éclipser de ce local.

 

Les six qui on été à la base de l’organisation de la Résistance dans le Bas-Rhin, étaient Georges KIRFER dit François qui a été nommé Chef des F.F.I. du Bas-Rhin, Fritz MATTER qui rapidement est devenu la cheville ouvrière de toute cette organisation, André SCHERER, Jules SILBERZAHN, Paul DAMM et moi même.

Notre tâche a été de regrouper les bonnes volontés qui s’étaient manifestées dans différents villages et petite villes de l’Alsace, de les structurer en secteurs, sous-secteurs et communes, de désigner des chefs et de leur donner des missions : missions du temps de la clandestinité et missions pour le jour où nous serions libérés par les troupes alliées. C’est ainsi que la plupart des Chefs de secteurs et sous-secteurs ont été recrutés parmi des garagistes. Pourquoi des garagistes ? Georges KIEFER était lui-même garagiste, l’officier de liaison interdépartemental Paul FREISS était propriétaire d’un magasin d’accessoires en voiture, c’est-à-dire de venir en liaison de leurs villages dans la capitale de l’Alsace.

Les missions qui ont été accomplies du temps de cette clandestinité ont été essentiellement :

- de fournir des renseignements de toutes sortes, sur le plan économique et sur le plan militaire, aux alliés ;

- de favoriser le passage des Vosges aux prisonniers évadés et aux Alsaciens en particulier à partir du moment où les nazis ont décrété l’incorporation de force des Alsacien dans l’armée allemande ;

- de faire des sabotages (j’en ai fait moi-même un sur un pont de l’Ill à Strasbourg) et d’attaquer un certain nombre de points sensibles, en particulier sur les voies ferrées.

 

A partir de début 1944, la Résistance du Bas-Rhin qui était relativement isolée, est arrivée à entrer en contact avec l’Intérieur et avec nos camarades du Haut-Rhin. Ces rencontres avec les représentants de la Résistance de « l’Intérieur » ont eu lieu près de Grendelbruch, au-dessus de la Vallée de la Bruche. Pourquoi ce petit village ? Parce que les parents de Fritz MATTER y avaient une petite propriété. C’était à coté de la frontière des Vosges, et de cet endroit on pouvait surveiller assez facilement les patrouilles nazie qui sillonnaient la crête des Vosges pour empêcher son franchissement.

 

La Libération de Strasbourg

 

Quelle fut l’action des F.F.I. au moment de la Libération de Strasbourg ?

 

D’abord sur le plan militaire, les F.F.I. ont servi de guide à la 2ème D.B., j’allais dire d’infanterie à la 2ème D.B.

Depuis Saverne, des F.F.I. ont accompagné les chars, les ont guidés jusqu’à l’entrée de Strasbourg. A Strasbourg même, les F.F.I. ont guidé les chars de la 2ème D.B. à travers la ville. Ils étaient l’infanterie de cette division blindée du Général LECLERC qui avait hâte d’arriver au pont du Rhin pour essayer de le prendre intact, mais la rapidité avec laquelle elle s’est dirigée vers le pont du Rhin l’a empêchée de s’occuper de tout ce qui se passait derrière elle. Ce sont les F.F.I. du Bas-Rhin qui ont réduit les derniers nids et îlots de résistance et fait des prisonniers allemands, les ont parqués, les ont fouillés, les ont interrogés. De même, les F.F.I. ont étoffé le réseau de renseignement de la 2ème D.B.

 

 

Dès la Libération , et ceci avait été prévu soigneusement du temps de la clandestinité, les F.F.I. se sont chargés de remettre en marche tous les services publics, la Préfecture, les mairies. C’est ainsi qu’à Strasbourg un maire provisoire a été nommé : Mr FEDERLIN, avant le retour de Mr Charles FREY ; Le 24 novembre, le lendemain de la Libération de Strasbourg, est arrivé le Général SCHWARTZ nommé Gouverneur Militaire de Strasbourg par le Général de GAULLE sur proposition du Général De LATTRE de TASSIGNY.

La Général SCHWARTZ était un camarade de promotion du Général De LATTRE de TASSIGNY ; Le 26 novembre 1944 a eu lieu place Kléber la première prise d’armes célébrant le retour de l’Alsace à la France.

 

 

Dès la Libération, l’Etat-Major F.F.I. s’est installé à Strasbourg à un endroit appelé « Roseneck », près de laz Place Saint-Pierre-le-Jeune. Le Commandant François, chef des F.F.I. du Bas-Rhin, avait comme chef d’état-major Fritz MATTER. Les question du premier Bureau, c’est André SCHRER qui s’en est occupé ; Paul DAMM était chargé du 2ème Bureau et des liaisons avec les autorités civiles. Moi-même, je m’occupais des questions du troisième et Jules SILBERZAHN lui, du 4ème Bureau. Le Général LECLERC a installé son P.C. au Palais du Rhin. Le Général SCHWARTZ, lui s’est installé rue Brûlée à coté du Palais du Gouverneur. Personnellement, du fait que nous n’avions pas de moyens radio, pas plus que le Général Gouverneur Militaire, j’ai été appelé, pendant toute cette période, à faire de nombreuses liaisons entre l’État-Major du Général LECLERC, l’État-Major du Gouverneur Militaire de Strasbourg et nos éléments, y compris d’ailleurs avec le 6ème Corps d’Armée U.S. qui avait pris la responsabilité de tout le secteur Nord de l’Alsace.

 

 

Si les environs immédiats de Strasbourg ont été rapidement nettoyés de tous Allemands qui s’y trouvaient, les Américains ont eu plus de mal à progresser dans le Nord de l’Alsace.

 

Ils sont arrivés seulement à mi-décembre jusqu’à la Lauter, c’est-à-dire la région de Wissembourg. La 2ème D.B. a quitté la région de Strasbourg le 27 novembre 1944 pour épauler la 1ère Armée Française et les Américains engagés dans la « Poche de Colmar ». C’est ainsi que la 2ème D.B. était vers la mi-décembre engagée dans la région d’Erstein et Benfeld. Autour de Strasbourg même, après le repli Américain, il ne restait que deux escadrons de Gardes Mobile, soit 150 hommes commandés par le Commandant DANCOURT et le F.F.I du Commandant François.

 

 

Contre-attaque allemande de janvier 1945 au nord de Strasbourg

 

L’offensive des Ardennes de décembre 1944 va avoir des conséquences tragiques en Alsace. En effet, tout d’abord le commandant américain a prélevé au Sud de Strasbourg, dans la région d’Erstein la 2ème D.B., pour l’engager en Lorraine dans la région de Gros Rederching.

 

Pour compenser ce prélèvement, la Brigade d’Alsace-Lorraine commandée par le Colonel Berger (André MALRAUX) est envoyée au Sud de Strasbourg. Elle sera mise en place le long du Rhin dans la région d’Illkirch-Graffenstaden, Plobsheim, ect…

 

C’est le 2 janvier 1945 au matin, que le commandement F.F.I. apprend, par son officier de liaison auprès du 6ème Corps U.S., que les Américains ont décidés de se replier sur les contreforts-Est des Vosges. Le Commandant François et moi-même allons aussitôt informer le Général SCHWARTZ.

Celui-ci est résolu plus que jamais à ne pas abandonner son poste, bien qu’il ne dispose pour défendre la ville que des Gardes Mobiles du Commandant DANCOURT, de la Brigade Alsace-Lorraine au Sud, et nos F.F.I. Les ordres donnés sont les suivants : tous les F.F.I. des villages situés le long du Rhin et jusqu’à une ligne Brumath, Molsheim, Obernai, Sélestat, resteront sur place ; ceux le long du Rhin, en particulier, organiseront leur village en auto-défense. Quand aux F.F.I. des villages situés à l’Ouest de cette ligne, ils laisseront un simple noyau dans leur villa et tous les volontaires devront rejoindre dans la nuit, Strasbourg, afin de constituer des unités de marche. Le Général  SCHWATZ décide d’alerter le Général De LATTRE de TASSIGNY, son camarade de promotion, de la situation dramatique dans laquelle il se trouve. Deux émissaires sont envoyés à son P.C. à Montbéliard. Il s’agit de DAMM et de MARDEAU.

 

A Strasbourg, la nouvelle du repli américain s’est répandue ; c’est la panique, l’affolement. De nombreux Strasbourgeois décident de quitter la ville de peur de voir revenir les Allemands accompagnés de tout l’appareil nazi ; les F.F.I. font des barrages sur les routes, essayent de ramener le calme et surtout d’éviter l’exode.

 

Dans l’après-midi du 2 janvier 1945, le Général SCHWARTZ me fait convoquer à son P.C. Il me fait part de ses inquiétudes car il ignore totalement où se trouvent les Allemands et les Américains au Nord de Strasbourg. Il me demande donc d’effectuer une reconnaissance au nord du département pour essayer de définir la ligne du front. Je pars, en début d’après-midi en voiture, prends le chef des F.F.I. Wantzenau, le lieutelant KLEFFER avec moi, au passage, et poursuis ma route par Kilstett, Gambsheim, Offendorf, Herrlisheim, Drusenheim, sans rencontrer ni Américains, ni Allemands. J’ai rencontré les premiers Américains à Soufflenheim, à l’est de la forêt de Haguenau. De la Lauter, les Américains s’étaient déjà repliés sur la Moder. Rentré le 3 janvier 1945 au matin, je rends compte de ma mission au Général SCHWARTZ, au moment où environ un millier de F.F.I. convergeant de toute la partie ouest du Bas-Rhin, s’était rassemblé à Strasbourg.

 

Dans l’après-midi du 4 janvier 1945, au moment où je me trouvais dans le bureau du Général SCHWARTZ, arrive le Général GUILLAUME, Commandant la 3ème D.I.A. Il nous annonce qu’il est désigné par le Général De LATTRE de TASSIGNY de prendre en charge la défense de Strasbourg. Il s’informe de la situation et nous annonce que ses premiers élément ne pourront pas arriver dans la région de Strasbourg avant le 4 janvier 1945 au soir, le gros ne pouvant parvenir au Nord de Strasbourg que dans la journée du 5 janvier 1945. Le général SCHWARTZ décide alors d’envoyer le Bataillon Rivière, bataillon constitué avec les F.F.I. venant de toute la partie ouest de Bas-Rhin et de l’engager dans la partie Nord de Strasbourg qui est complètement dégarnie, la partie sud étant tenue par la Brigade Alsace-Lorraine et les F.F.I. Le bataillon Rivière a donc pour mission de s’installer entre la Robertsau et la Wantzenau, le long du Rhin.

 

Avec l’annonce, le 4 janvier 1945 au soir de l’arrivée prochaine de la 3ème D.I.A. du Général GUILLAUME, le calme revient un peu dans les esprits des Strasbourgeois. Le 5 janvier 1945 au matin, nous apprenons par les F.F.I. venant de la Wantzenau, que les Allemands ont franchi le Rhin au nord de ce village et progressent en direction de Kilstett. Le Général SCHWARTZ décide alors d’y envoyer les seuls éléments mobiles qui sont à sa disposition, à savoir les deux escadrons de Gardes Mobiles du Commandant DANCOURT. Il me charge de les mettre en place ; Au moment où nous débarquons de nos véhicules à l’entrée sud de Kilstett, nous recevons une grêle d’obus, car les Allemands de leurs observatoires nous ont vu déboucher de la Wantzenau et progresser sur la route de Kilstett. Les deux escadrons sont néanmoins installés autour de village face à l’Est. Strasbourg et les villages avoisinants s’organisent défensivement, des barrages sont fait sur toutes les routes.

 

Le 6 janvier 1945 au matin, des Goumiers du Général GUILLAUME arrivent dans les faubourgs de Strasbourg ; la nouvelle se répand rapidement. L’offensive allemande s’est déclanchée véritablement le 5 janvier 1945 au matin. Après une préparation d’artillerie, en particulier sur les villages de Kilstett et de la Wantzenau, les Allemands débouchent de Gambsheim en masse et, en fin de matinée, encerclent Kilstett mais restent bloqués devant la Wantzenau. Les Garde Mobiles du Commandant DANCOURT, comme les F.F.I. ont eu de lourdes pertes.

 

La situation devient très sérieuse ; la 3ème D.I.A. heureusement arrive ; Le Général GUILLAUME installe ses unités au nord de Strasbourg, à la Wantzenau, Hoerdt, Weyersheim, et fait la liaison avec les éléments du 6ème Corps Américain dans la région de Kurtzenhouse.

 

La tête de pont allemande est provisoirement contenue. Dans les jours qui suivent, les Allemands la renforce avec des éléments blindés.

 

Vers mi-janvier, je fus appelé à prendre le commandement du Bataillon Rivière dans la région de la Wantzenau, Rivière étant tombé malade.

 

C’est dans la deuxième quinzaine du mois de janvier 1945 qu’un groupement de la 2ème D.B. intervint. Après de très violentes contre-attaques avec participation de chars américains et français, les Allemands ont été rejetés au-delà de Kilstett.

 

J’ai eu l’honneur de former et de commander le 1er Bataillon des Volontaires qui se sont engagés pour la Libération totale de l’Alsace.

 

                                                                                                                            Général Jean – Georges BURGER

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