Le corps d’armée colonial sur la Semoy:
La bataille de Rossignol
(22 août 1914)
Conférence faite par le Lieutenant Louis Garros au cercle militaire, Rouen le
mardi 25 juin 1929.
Texte publié par l’Association des officiers de réserve en Retraite et
Honoraires de Rouen et la 3e Région
Monsieur le Président, mon Colonel , Messieurs,
Quand votre secrétaire général m’a demandé de lui désigner le sujet de cette
conférence, j’ai presque regretté de lui avoir indiqué celui dont je vais tout à
l’heure, vous faire l’exposé. Il n’est pas rare , en effet, d’entendre dire,
dans les milieux militaires, que traiter devant un auditoire un tel sujet,
constitue un pensum pour l’orateur et un supplice pour ceux qui l’écoutent.
C’est qu’on comprend en général , assez mal cette science aride qui est celle de
l’histoire militaire et qu’on lui attribue un sens qu’elle n’a pas ? Certains
veulent y voir la réminiscence trop absolue d’une période dont ils n’ont pas
conservé un bon souvenir. D’autres croient y rencontrer la volonté d’ancrer dans
les esprits la passion d’un art qu’ils réprouvent. Enfin il en est qui traitent
par le mépris le plus profond tout ce qui n’est pas strictement personnel -et
rien n’est moins personnel que l’exposé historique- ou qui veulent trouver, dans
l’historien ou celui qui se prétend tel, un " pontife " ou encore un "
compilateur ", en tout cas un individu très justement répréhensible du supplice
dont je parlais en débutant, et qu’on écoute par politesse, sinon par devoir.
Je ne cherche ni à me faire honnir, ni à me faire encenser, encore moins des
excuses pour le titre un peu rébarbatif de la causerie de ce soir. Je veux tout
simplement débuter en vous disant que nous ne ferons pas de cours de tactique
appliquée et que cette séance ne compte pas pour la carte de sur classement.
Nous avons seulement pour but de mettre devant vous, en un temps très court, un
épisode de la vie des hommes, d’évoquer une journée du temps passé et d’essayer
de la fixer pour contribuer très modestement et de la façon la plus intéressante
qu’il nous sera possible à l’Histoire du Pays.
Messieurs,
Au début de la seconde quinzaine du mois d’août 1914, parmi tant de belles
troupes qui se mettaient en marche, leur concentration terminée et toutes forces
réunies, suivant l’expression du général en chef, par tant de corps d’armée qui
allongeaient sur les routes de la frontière leurs interminables colonnes de
fantassins, de cavaliers , d’artilleurs, parmi tant de régiments dont les
drapeaux portaient dans leurs plis, écrits en lettres d’or, les noms de
victoires fameuses, il en était qui représentaient bien une élite de vertus
militaires, durement acquises sous tous les cieux, pour faire la plus grande
France et dont nous allons commenter une page d’histoire, douloureuse peut-être.
Mais c’est de la douleur des premiers jours de lutte qu’est issue la victoire de
nos armes. Et le sacrifice de ceux-ci a préparé le triomphe de ceux-là.
C’est Henri de Régnier qui a dit, dans un poème d’une belle envolée :
" Salut, ô premiers morts de nos premiers combats,
Ô vous tombés au seuil de la grande espérance,
dont palpite le cœur ébloui de la France…
Héros, je vous salue et ne vous pleure pas. "
En 1914, les troupes coloniales stationnées dans la métropole, formaient un
total de 12 régiments d’infanterie et 3 régiments d’artillerie stationnés à
Cherbourg (1°R.I.C.), Brest (2° R.I.C.), Rochefort sur mer (3° R.I.C.), Toulon
(4°et 8° R.I.C.), Lyon (5°et 6° R.I.C.), Bordeaux (7° R.I.C.°), Paris (21° et
23° R.I.C.), Perpignan Cette (24° R.I.C.).Marseille (22° R.I.C.)
L’artillerie était un peu éparpillée : Lorient et La Rochelle (1er R.A.C.),
Cherbourg et Brest
(2ème R.A.C.), Toulon, Marseille et fort de Charenton (3° R .A.C.)
A la mobilisation, chaque régiment d’infanterie forma un régiment de réserve à 2
bataillons portant le même numéro que lui, augmenté de trente. Ces unités de
réserve furent au début assez diversement employées : plusieurs entrèrent dans
la composition de certaines divisions de réserve, d’autres renforcèrent les
garnisons des places fortes.
Avec l’artillerie et dix des régiments actifs, fut constitué, pour la première
fois en campagne, un corps d’armée colonial, dont le général Lefèvre, titulaire
du poste en temps de paix, à Paris, prit le commandement. Ce corps fut complété
par l’adjonction d’unités de cavalerie, du génie et de services pris dans la
métropole ou en Afrique du Nord. Le corps colonial devait comprendre, une fois
réuni sur le pied de guerre, deux divisions d’infanterie, chacune à deux
brigades de deux régiments à trois bataillons de 1000 hommes, plus une cinquième
brigade indépendante comme réserve d'infanterie ; deux régiments d'artillerie
divisionnaire à trois groupes de trois batteries ; un régiment d’artillerie de
corps à 4 groupes de 3 batteries, un régiment de cavalerie de corps à 4
escadrons ; deux escadrons divisionnaires ; un bataillon de génie comprenant 2
compagnies divisionnaires de sapeurs, deux compagnies de corps, une compagnie de
parc et un équipage de pont ; les différents échelons de parc, les convois, les
trains, les sections de munitions, le service de santé etc.
Au total, 30 bataillons d’infanterie, 6 escadrons de cavalerie, 30 batteries de
75, 6 compagnies du génie.
Les escadrons divisionnaires de dragons étaient composés de réservistes et
venaient de Vincennes. Le 3° chasseurs d’Afrique arrivait d’Algérie où il tenait
garnison à Constantine et Sétif. Il avait embarqué à Alger le 5 août sur la
Savoie et la Tafna, et débarqué à Cette deux jours après. Reparti par voie de
fer, le 8 août, il séjournait à Lyon du 9 au 12 pour s’y compléter en matériel.
Les compagnies du génie venaient de Versailles. Les sections de munitions
avaient été complétées par celles du 49° d’artillerie, venues de Poitiers.
Il y avait donc des éléments de toutes sortes, mais cela n ‘empêchait pas le
corps d’armée colonial d’être un beau corps, probablement même le plus beau de
l’armée française. Tous les régiments possédaient un cadre important de soldats
de métier, rompus à toutes les fatigues, vétérans des campagnes coloniales, très
aguerris. Les engagés volontaires de longue durée étaient nombreux, troupes
ardentes, instruites, d’un moral élevé. Officiers et sous-officiers
connaissaient la guerre pour l’avoir longtemps faite. Vaillance calme et forte.
En un mot, instrument de combat très solide. C’est avec confiance que le corps
d’armée colonial va marcher à l’ennemi.
L’ordre du jour que lui adresse son chef, au début des opérations, témoigne de
cet état d’esprit exceptionnellement élevé :
ORDRE
Le Corps Colonial a , pour la première fois, l’honneur de se trouver réuni en
corps d’armée de campagne.
Le Général commandant le C.A. salue ces vielles troupes de l’infanterie et de
l’artillerie coloniale. Il salue également les nouveaux venus : sapeurs du
génie, déjà rencontrés sous tous les climats d’Afrique et d’Asie ; 3° chasseurs
d’Afrique, aussi fiers que nous de se souvenir que, le même jour, ses charges d’Illy
et notre défense de Bazeilles ont sauvé l’honneur.
Demain, le Corps d’armée franchira la Meuse. Souvenez-vous , Marsouins et Bigors,
que vos anciens de Bazeilles, dans cette vallée de la Meuse, vous ont laissé
leur exemple à suivre, leur mort à venger, la victoire à ressaisir.
Pensez enfin vieux coloniaux dont les poitrines médaillées ont affronté le feu
des quatre coins du monde pour doter le pays de territoires nouveaux, que, cette
fois, vous combattez pour la Patrie elle-même, son honneur, son existence et sa
plus grande gloire.
Fait au Q.G. de Dombasle en Argonne le 14 août 1914.
Le Général de Division
Commandant le Corps d’Armée Colonial,
Signé : Lefèvre
Nous allons voir maintenant le C.A.C. à pied d’œuvre et nous étudierons ensuite
de plus près les mouvements de la 3ème D .I.C.
ORDRE DE BATAILLE DU CORP D’ARMEE COLONIAL
à la mobilisation
Commandant le C.A.C. : Général Lefèvre
Chef d’Etat- major : Colonel Puypéroux
Commandant l’artillerie : Général Gautheron
Comandant la cavalerie : Colonel Costet (3° chasseurs d’Afrique)
Commandant le génie : Lieutenant-colonel Dehoey (1er génie)
Commandant le groupe des escadrons divisionnaires : Lieutenant-colonel Parisot
(adjoint, Capitaine Strolh, 6° dragons)
2ème Division Coloniale : Général Leblois.
4° brigade : colonel Boudonnet.
4° R.I.C. : Colonel Gadel.
8° R.I.C. : Colonel Pourrat.
6° brigade : Général Caudrellier
22° R.I.C. : Colonel Tétard.
24° R.I.C. : Colonel Bethouard.
Artillerie , 1er R.A.C.C. : Colonel Barbier.
Cavalerie, 5° escadron du 6° dragons : Capitaine Benoit.
Génie : compagnie 22/1 du 1er régiment Capitaine Barbarin.
3ème Division Coloniale : Général Raffenel :
Chef d’Etat-Major : Commandant Moreau ;
Etat-Major : Capitaines Laurans, Scheidauer, Chevreau et Mignot
1ère Brigade : Général Montignault
1er :R.I.C. : Colonel Guérin.
2° R.I.C. : Colonel Gallois.
3ème Brigade : Général Rondony.
3° R.I.C. : Colonel Lamolle.
7° R.I.C. :colonel Mazillier.
Artillerie 2ème R.A.C.C. : Colonel Guichard-Montguers.
Cavalerie, 6° escadron du 6° dragons : Capitaine de Gournay
Génie, compagnie 22/3 du 1er régiment : Capitaine Tournoux.
Eléments non endivisionnés :
5° brigade : Général Goullet.
21° R.I.C. : Colonel Aube.
23° R.I.C. : Colonel Neple.
Cavalerie, 3° régiment de chasseurs d’Afrique : Colonel Costet.
Artillerie, 3° R.A.C.C. : Colonel Lenfant .
Génie , compagnies 22/2, 22/4, 22/16, 22/31 du 1er régiment : Commandant Benard
; 22/2 capitaine Dumont ; 22/4 Capitaine Ostermann.
Parc du C.A.C. : Colonel Peyregne.
Echelon du P.A. : Commandant Defer.
PERIODE DE CONCENTRATION :
Le plan XVII, dans ses dispositions initiales, comportait le placement de quatre
armées en première ligne –les I°, II°, III° et V° de la droite à la gauche-
flanquées de deux détachements et une réserve stratégique, la IV° armée, sous le
commandement du Général de Langle de Cary, en seconde ligne, dans la région ,
Sainte-Menehould, Commercy.
C’est à cette armée qu’était affecté le corps colonial, et sa zone de
concentration était la région Bar le Duc, Revigny.
Ces dispositions vont bientôt changer. Le général commandant la IV° armée ayant
demandé, le 7 août, au général en chef, l’autorisation de prolonger jusqu’à la
Meuse, en aval de Verdun, la zone de son armée, l’instruction générale n°1 du 8
août , va lui donner satisfaction.
Cette instruction porte que la IV° armée, réunie entre Servon, Aubreville et
Souilly, doit être en mesure d’attaquer entre l’Argonne et la Meuse les forces
allemandes qui auraient franchi la rivière au nord de Vilosnes ou de passer
elle-même en aval de Verdun. En fait la IV° armée cesse d’être réserve
stratégique pour venir s’intercaler sur le front, entre la III° à sa droite, et
la V° à sa gauche. Le haut commandement veut faire effort par le Luxembourg et
le Luxembourg Belge, en menaçant ainsi les communications des forces allemandes
qui franchissent la Meuse entre Namur et la frontière Hollandaise. C’est dans ce
sens que les IV° et III° armées vont être orientées , direction Neufchâteau-
Arlon, pour tendre à la percée du centre ennemi et donner ensuite un formidable
coup de bélier dans le flanc gauche de la masse allemande.
La IV° armée va se déplacer de la zone où elle se concentre vers celle qu’elle
doit atteindre pour être en mesure de déboucher sur Neufchâteau.
Le corps colonial s’était disposé, le 9 août, face au nord, par divisions
accolées, son front sur la ligne Lavoye –Ippécourt. Il va se déplacer entre
Argonne et Meuse. Le 13 août, il s’échelonne de Dombasle en Argonne à Beauzée.
Dures étapes sous le brûlant soleil. Le 14, les têtes arrivent sur la ligne
Avocourt-Esnes. Le 15, la Meuse est atteinte de Cléry- le- Petit à Liny- devant-
Dun. Le 16, le corps d’armée franchit la Meuse entre Vilosnes et Dun puis
s’échelonne en une seule colonne sur la route Dun, Mouzay, Baalon. La cavalerie
est portée à Chauvency-Saint-Hubert et Bièvres. La brigade d’avant-garde arrive
le soir au-delà de la Chiers à Saint Walfroy et Bièvres. Le 17, les têtes sont à
Signy et Thonnelle. Le lendemain 18, le corps colonial, qui avait une division
en deuxième ligne, à Chauvency et Stenay, reçoit l’ordre de la faire serrer de
manière à l’établir dans la zone Brouennes, Baalon, Mouzay, Stenay sur la rive
droite de la Meuse.
Nous sommes maintenant à la veille des opérations actives, qui vont commencer le
20 août. Les quelques détails que nous venons de donner étaient nécessaires pour
éclairer la situation.
DEBOUCHE SUR LA SEMOY
C’est , en effet, le 20 août que le général en chef autorise le général
commandant la IV° armée à prendre toutes mesures utiles pour assurer le débouché
de ses troupes au nord de la Semoy et dans la clairière de Florenville, en
poussant des détachements sur des points choisis.
Toutefois, comme on espère prendre l’ennemi en flagrant délit de manœuvre, il
est bien recommandé de prendre les précautions les plus minutieuses pour masquer
le mouvement jusqu’au moment de l’exécution. On table toujours, au G.Q.G., sur
cette hypothèse que les Allemands n’auraient dans les Ardennes, que des forces
peu importantes. Leur masse centrale se déplacerait vers l’ouest et à la IV°
armée, incomberait la mission de tomber par surprise dans le flanc de ces
forces, d’où secret absolu des opérations et précautions pour dissimuler les
marches et les rassemblements.
Cependant, les renseignements recueillis dans la matinée du 20 août, par l’Etat-Major
de la IV° Armée, n’étaient pas aussi optimistes que le supposaient les mesures
dictées par le général en chef. Ils indiquaient un changement de direction des
forces ennemies supposées dans l’aire Bastogne- Neufchâteau ; elles semblaient
se rabattre au sud avec des indications nettement offensives. La cavalerie de
L’armée – 4° et 9° D.C.- qui sous les ordres du général Abonneau, escadronne, en
avant du front de marche des corps d’armée, se heurte un peu partout à un rideau
hermétique et ne peut aller voir ce qui se passe derrière la zone boisée. Le
général de Langle informe le G.Q.G. de ce changement. Le général Joffre, en fin
d’après –midi, autorise de nouvelles mesures complétant les préliminaires
offensifs de la IV° Armée : les gros se rapprocheront de la Semoy par une marche
de nuit ; les avant-gardes gagneront du champ ; de la sorte, un avis d’exécution
suffira pour déclencher la masse.
L’ordre n° 17 de la IV° Armée, daté du 20 août 1914, midi 30 porte que le corps
colonial fera tenir Gérouville et Meix- devant –Virton par des détachements.
L’ordre général n° 18 de la même armée, daté du même jour, 19 heures et
concernant les opérations du 21, porte que le corps colonial aura sa 3° division
et la 5° brigade dans la zone Somethonne, Magny, Herbeumont, Linay, Thonnelle,
Thonne le long. La 2° division et l’artillerie de corps dans la zone
Chauvency-Saint-Hubert, Chauvency –le Château, Quincy- Baalon, Stenay, Brouennes
; liaisons à gauche avec le 12 C.A., à droite avec le 2° C.A.
La bataille imminente va comporter deux phases distinctes :
1° Placement des avant- gardes au nord de la Semoy pour assurer le passage des
gros (soirée du 20, nuit du 20 au 21 août) ;
2° débouché offensif.
Par conséquent, dans la nuit du 20 au 21 août, les avant- gardes du corps
colonial sont en marche vers la Semoy et les gros approchent de la lisière sud
de la zone boisée.
ACTIVITE DE LA CAVALERIE
La cavalerie du corps colonial a fait preuve durant cette période , d’une grande
activité.
Dans la nuit du 16 au 17 août, le lieutenant Freyssenge, du 1er escadron du 3°
régiment de chasseurs d’Afrique, reconnaît sur Thonne le Thil, où se trouve la
brigade de dragons du général Robillot (9° D.C.). La liaison est établie à
Margut avec le 12° C.A.(21°chasseurs à cheval). Le 13, deux pelotons du 3°
escadron, sous les ordres du sous-lieutenant Humbert, sont détachés à la 5°
brigade coloniale et prennent les premiers contacts avec l’ennemi. Parti à 5
heures avec mission de reconnaître l’axe Margny, Limes ; Gérouville, château d’Orval,
le sous-lieutenant Humbert tombe à Herbeuval sur un peloton de cavaliers ennemis
auquel il donne la chasse jusqu’à Villers devant Orval. Mais là, il est reçu à
coup de fusil par des cyclistes allemands déjà aux prises avec un détachement du
21° chasseurs à cheval. Le sous-lieutenant Humbert n’insiste pas et revient à
Margny, où il fait boire ses chevaux . On lui signale une reconnaissance ennemie
à la ferme Hutoy. Il s’y rend en hâte. Sur la route de Gérouville, à hauteur de
la cote 300, les chasseurs d’Afrique sont salués par la fusillade des cavaliers
allemands, pied à terre . Il en faut plus que cela pour les arrêter. La
patrouille ennemie est dispersée au galop. Un seul homme s’échappe sur sept ou
huit. Le reste est sabré. Pendant ce temps, les deux autres pelotons du 3°
escadron, sous les ordres du capitaine Chanzy, avaient opéré une reconnaissance
sur Breux, Avioth et Verneuil.
Le 19août , le colonel Costet reçoit l’ordre d’opérer sur l’itinéraire Thonne le
Thil , Herbeuval, Villers devant Orval. Le 3° escadron reste à la ferme Verru.
Les trois autres arrivant sans incidents à Villers devant Orval, franchissent la
ligne des avant-postes et restent en observation jusqu’au soir, en liaison avec
la 9° D.C. Le 3° chasseurs d’Afrique cantonne à Chauvency le château.
Le 21 août , le régiment arrive à Thonne le Thil à 5 heures du matin. Il en
repart à 15 heures, avec ordre de se porter à Jamoigne par Herbeuval, Château d’Orval
et Pin, surveillant les routes venant de la direction générale Neufchâteau. Mais
le régiment est obligé de s’arrêter à Valensart à 23 heures et d’y passer la
nuit, bride au bras. Une reconnaissance conduite par le lieutenant de Clermont
–Tonnerre, du 2° escadron, s’est heurtée vers Bellefontaine, à trois pelotons de
uhlans qui se retirent vers Rossignol. La reconnaissance arrive jusqu’aux abords
de ce dernier point. Les uhlans occupent les premières maisons. Un petit combat
s’engage. Au moment où le lieutenant de Clermont-Tonnerre cherche à tourner le
village par l’est, il est rejoint par des dragons de l’escadron divisionnaire,
qui constitue la pointe d’avant-garde de la 3° D.I.C. Les chasseurs leur cèdent
la place.
VEILLE D’ARMES
La 3° brigade coloniale avait fourni les avant-postes le 20 août. Le 3° R.I.C.
était à Chauvency –Saint-Hubert. Le 21, il allait cantonner à Limes (2° et 3°
bataillons) et Fany (1er bataillon).
La 1ère brigade était aux avant-postes le 21. Le 1er R.I.C. franchissait ce jour
là, vers 1 heure du matin, la frontière belge au nord-est de Montmédy. A 9
heures, il arrivait à Meix devant Virton, où il s’établissait : 1er bataillon au
nord du village, 2° bataillon à l’est, 3° bataillon en réserve. Cette halte
était immédiatement employée à disperser les cavaliers ennemis trop aventureux,
qui laissaient des prisonniers entre les mains des marsouins. A 19 heures le 1er
R.I.C. se remettait en route et arrivait à Saint Vincent après minuit.
L’artillerie de corps avait détaché un groupe de trois batteries (1er groupe du
3° R.A.C.C., commandant Tessier) auprès de la 5° brigade, dont l’avant-garde est
à Jamoigne.
La nuit est tombée, la nuit du 21 au 22 août 1914 qui est pour beaucoup de ces
hommes, la dernière. Les troupes sont arrivées tard au cantonnement, elles sont
resserrées dans des villages trop étroits. Des compagnies entières n’ont même
pas un abri pour se reposer. Aux avant-postes il ne peut en être question. Le
1er R.I.C. a pris le dispositif de sûreté autour de Saint Vincent. Les habitants
informent les soldats que le village a été visité par les uhlans . Les heures
s’écoulent, lentes, pénibles. On entend le galop des cavaliers ennemis dans
toutes les directions et certaines compagnies, pour se prémunir contre des
attaques possibles, forment le carré après avoir doublé les sentinelles.
Le 2° R.I.C. et l’A.D. cantonnent à Gérouville ; le 3° R.I.C. à Limes ; le 7°
R.I.C. à Breux.
Le quartier général de la 3° D.I.C. est à Gérouville
Le quartier général du corps d’armée est à Baalon.
C’est là qu’est rédigé, assez tard dans la soirée, l’ordre de mouvement pour la
journée du 22 août.
Voici cet ordre, " in extenso " :
ARMEE DE STENAY
Corps d’Armée Colonial
Etat- Major Q.G. de Baalon,
3° Bureau 21 août 1914, 22 h .30.
ORDRE GENERAL N° 11
Pour la journée du 22 août
I – Voir bulletin n° :2 ci-joint.
La IV° Armée entame son offensive vers le Nord, appuyée en échelons à droite par
la III° Armée.
II – Le C.A. prenant l’offensive, se porte sur Neufchâteau en deux colonnes avec
mission d’attaquer l’ennemi partout où il le rencontrera. Il est flanqué, à
droite par le 2° C.A. , marchant de Bellefontaine sur Mellier et Léglise, et à
gauche par le 12° C.A., marchant d’Izel sur Chiny, Straimont et Petitvoir (3
kilomètres ouest de Neufchâteau) ;
III – Le 3° chasseurs d’Afrique, suivant l’itinéraire de la colonne de droite,
se tiendra en arrière de l’avant-garde jusqu’à la sortie des bois à hauteur des
Fosses. Il éclairera dans la direction de Neufchâteau.
IV – Le mouvement s’exécutera de la façon suivante :
Colonne de droite (3° D.I.C. artillerie de corps, génie de corps). Itinéraire :
Saint-Vincent, Mesnil-Breuvanne, Rossignol, Les Fosses, Neufchâteau. Les
mouvements de l’artillerie de corps et du génie de corps seront réglés par le
commandant de la 3° D.I.C.
Colonne de gauche (5° brigade et éléments qui lui sont rattachés) . Itinéraire :
Les Bulles, Suxy, Monplainchamps, Neufchâteau. Les gros des avant-gardes
franchiront la ligne Mesnil-Breuvanne, Jamoigne à 6 heures.
La 2° D.I.C., suivant la 5° brigade, passera la ligne Chauvency- Saint-Hubert
Chauvency le Château à 6 heures ; elle se portera par Thonne-le –Thil, Herbeuval,
ferme d’Orval et Pin sur Jamoigne, qu’elle ne devra pas dépasser sans nouveaux
ordres.
V – Les T.C. se porteront par Baalon, Chauvency –le-Château sur Thonelle qu’ils
devront atteindre dans la journée. Ils passeront à Baalon à 7 heures. Le groupe
des parcs passera à Baalon à 10 heures et se dirigera sur Chauvency-le –Château,
où il attendra de nouveaux ordres. L’équipage des ponts ralliera le groupe des
parcs à Chauvency-le-Château.
VI –Troupes réservées à la disposition du général commandant le C.A. :
artillerie et génie de corps, un régiment de la 3° D.I.C.
VII – En arrivant à Jamoigne, la 2° D.I.C. fera garder la route Florenville ,
Tintigny, depuis Pin à l’ouest, jusqu’au nord de Saint-Vincent à l’est.
Le général commandant le C.A. ,
Signé : LEFEVRE.
Pour ampliation :
Le colonel chef d’Etat-Major,
Signé : Puypéroux
A cet ordre était joint un bulletin de renseignements dont voici le libellé
exact :
C.A.C. – E.-M.
3° bureau Baalon, le 21 août 1914.
N° : 49/S
BULLETIN DE RENSEIGNEMENTS N° :2
I – Renseignements sur le front de l’armée :
Le corps d’armée colonial n’a en face de lui que des patrouilles de cavalerie
appartenant à la 3°et à la 8° divisions allemandes qui ont été battues dans les
journées des 17 et 18 par notre cavalerie dans la région de Jamoigne et de
Tintigny.
Notre cavalerie a cantonné hier dans la région de Paliseul d’une part, dans
celle d’Herbeumont d’autre part.
L’ennemi semble se retrancher derrière la Lesse, face au sud.
II – Renseignements généraux :
L’armée d’Alsace a réoccupé Mulhouse, après un vif engagement au cours duquel 24
canons ont été pris.
P. O. Le Chef d’Etat-Major,
Signé : Puypéroux.
De ce document, seul le second paragraphe est conforme à la réalité. Le premier
est entièrement erroné. D’ailleurs, d’où viennent ces renseignements pour ainsi
dire " officiels " ? Ils viennent du G.Q.G. Or , si au moment où ils furent
reçus au G.Q.G., ils étaient exacts, il n’en est plus de même maintenant. Ce
sont des renseignements au moins vieux de trois jours. Et , depuis, la situation
a changé.
Car, par une fatalité inexorable, au moment où la IV° armée française se prépare
à prendre l’offensive, en face d’elle, la IV° armée allemande en fait autant.
COTE ALLEMAND
Le C.A.C. va trouver devant lui le VI° C.A. allemand. En fait c’est la 3° D.I.C.
seule qui va subir le choc de ce C.A., car la 5° brigade se heurtera à
Neufchâteau au XVIII° C.R. et que la 2° D.I.C. est en réserve d’armée et ne
pourra intervenir que tard dans la soirée sans efficacité.
Le VI° C.A. comprend 2 D.I. formant ensemble 24 bat. Inf., 8 escadrons, 24
bat.c., 4 bat.1.1 bat. Pionniers, etc…
Pour être plus précis, indiquons que nous aurons 2 batailles. Au nord, à
Rossignol, 7 bataillons français et 9 batteries contre 12 bataillons allemands
et 14 batteries. Au sud, à Saint-Vincent, 5 bataillons français contre 6
bataillons allemands, 9 batteries contre 14.
Jusqu’au 20, l’armée allemande est bien orientée N.E.-S.W. Pourquoi ? Parce que
c’est le déploiement et on s’étire. Vous savez que les armées allemandes sont
placées dans l’ordre de la droite à la gauche :1,2,3,4,5, etc. Ici, nous sommes
à la jonction de la IV° (Kr. Bav.) et de la V° (Kr. Prusse). Le VI° C.A. est le
corps de gauche de la IV° armée et le V° le corps de droite de la V°A. Or les
corps de la V° A. vont être amenés à changer carrément de direction vers le sud
pour encercler Longwy. D’où solution de continuité entre la IV° et la V° A. ,
trou que ne pourra boucher la cavalerie des divisions indépendantes opérant en
liaison avec elles.
Le VI° C.A. allemand, le 21, a son Q.G. à Thibesart, il est toujours orienté
N.E.-S.W. et veut déboucher le lendemain sur Neufchâteau. Or, dans la nuit du 21
au 22, le voisin, V° C.A., général Von Strantz, sentant le péril sur son aile
droite, dépêche à son camarade VI° C.A. , Von Pritzelwitz, un officier d’Etat-Major,
pour lui demander d’infléchir ses deux D.I. au sud afin de combler le vide en
question. En même temps , on oriente vers Neufchâteau le XVIII° C.R. encore en
arrière.
Le VI° C.A. s’engage donc dans la forêt de Rulles pour déboucher dans la vallée
de la Semois. Pour pouvoir déboucher des bois de bonne heure et tomber sur
l’ennemi au moment ou il se préparerait à sortir des fonds, l’ordre est donné de
se mettre en marche de nuit.
La 12° D.I. va suivre la route Léglise- Rossignol.
La 11° D.I. la route Thibesart –Tintigny.
Les 23°, 62°, 63° et 157° R.I. allemands sont au nord de Rossignol. Le 10°
grenadiers, le 38° fusiliers, les 11° et 51° R.I. sont à Marbehan, Harinsart et
Ansart. Ils sont appuyés par une artillerie nombreuse et bien placée.
Or le corps colonial va se trouver en état d’infériorité marquée en face de ces
adversaires, pour de multiples raisons.
1° - D’abord, il n’a qu’une seule division à leur opposer. La 2°D.I.C., réserve
de l’armée, n’interviendra pas au cours de la journée, et la 5° brigade, colonne
de droite du C.A.C. va se heurter , elle aussi, à un corps d’armée entier, le VI°
de réserve et soutenir une lutte très dure entre Neufchâteau et Suxy.
2° - Le corps d’armée placé à la droite du C.A.C , ou plutôt, de la seule 3°
D.I.C., c’est à dire le 2° C.A., ne dépassera pas Bellefontaine, car il sera,
dès les premières heures du jour, engagé sur sa droite dans un combat en
collaboration avec le IV° C.A., corps de gauche de notre III° armée. Le
détachement du 2° C.A. qui occupe Bellefontaine se maintiendra sur ce point
toute la journée mais ne pourra le dépasser. La 3° D.I.C. aura donc son flanc
droit découvert et ne s’en apercevra que très tard.
3°- Les allemands vont avoir le bénéfice de la surprise. Leur cavalerie a pu
éventer notre marche en avant. Des hauteurs de la forêt, vers laquelle s’avance
la 3° D.I.C., on voit parfaitement ce qui se passe sur la route de Breuvanne.
4° - C’est en toute tranquillité que la marche en avant de la 3° D.I.C.
s’opérera. Les renseignements dont le C.A.C. dispose ne permettent pas qu’il en
soit autrement. D’ailleurs, l’ordre est d’avancer et de s’attaquer à l’ennemi "
partout où on le rencontrera ". En général, on ne croit pas à la bataille pour
la journée du 22.
C’est dans ces conditions que le général Raffenel, commandant la 3° D.I.C.,
ayant reçu l’ordre du corps d’armée, lance le sien aux troupes de sa division.
Voici cet ordre :
Corps d’Armée Colonial Gérouville, 22 août, 3h.
3° Dvision
3° Bureau – N° 204
Ordre préparatoire mouvement du 22 août
I - Aujourd’hui, continuation du mouvement offensif sur Neufchâteau, la 3°
D.I.C., suivie de l’artillerie de corps, formant la colonne de droite.
II - Ordre de marche :
Avant-garde (général commandant la 1ère brigade) : détachement mixte de
Saint-Vincent.
Distance : 1500 mètres.
Gros (général commandant la 3° brigade : ½ escadron du 6° dragons, compagnie
divisionnaire du génie, 2° R.I.C., A.D./3 (8 batteries), 3° brigade, T.C.
Distance : 300 mètres
Artillerie de corps.
III - Point initial et heures de passage :
Pour la tête du gros de l’avant-garde : Mesnil- Breuvanne, 6 h. 30.
Pour la tête du gros de la colonne : La Soye 4 h 45.
Pour la tête de l’artillerie de corps : La Soye 7 h 30.
IV - Le général commandant la division marchera en tête de la colonne.
Le général commandant la 3° D.I.C.
Signé : Raffenel.
Le drame va commencer.
J’ai dû entrer dans le détail des ordres donnés pour rendre la situation le plus
clairement possible. L’histoire doit être méticuleuse.
Nous allons maintenant suivre la 3° division coloniale dans son calvaire de
Rossignol.
LE PAYS
Quand on franchit la frontière pour passer de France en Belgique entre Moselle
et Meuse, le pays garde, l’espace de 99 kilomètres, l’aspect lorrain. De Longwy
à Arlon, quoique les cotes 400 et au-dessus ne soient pas rares, sont encore les
champs arables et le sol brun, non gris ; cependant les grands bois commencent,
les champs se raréfient au fur et à mesure que l’on progresse vers le nord ; de
l’est à l’ouest, les forêts s’épaississent autour de la frontière. A proximité
de Longwy, la forêt des Monts, les bois de Musson, le bois de Pas-Bayard
amassent déjà sur de vastes étendues leurs ombres profondes. Plus à l’ouest, la
jonction de la vallée du Ton et de la vallée de la Crusnes fait comme une
péninsule de forêts, bois de Guéville, bois de Labaut, et, de l’autre côté de la
rivière, bois d’Etalle et de Saint-Léger, bois de Robelmont. Puis, toujours
d’est en ouest, les ombrages deviennent de plus en plus denses : c’est la grande
forêt de Merlanvaux, la forêt d’Orval, abritant les ruines de la vieille et
puissante abbaye ; ce sont les forêts de Neufchâteau et de Luchy, celles de
Chiny, d’Herbeumont, la forêt de Bouillon, et enfin, résumant tout, l’immense
forêt des Ardennes, l’antique forêt où dorment les plus vieilles légendes du
monde européen. Le centre du pays est à Saint-Hubert, où le saint des chasseurs
tombe à genoux devant le cerf miraculeux. Par Laroche et Marche, on ne
s’arracherait à la région des bois que quand la vallée de la Meuse commence à
drainer vers les Pays-Bas , encore lointains, les terres améliorées qui
échappent enfin aux schistes ingrats du vieux massif ardennais.
Ecoutez maintenant un ardennais, Taine, parler dans ses derniers essais de
critique et d’histoire, de sa forêt :
Aux diverses heures du jour et de la nuit, la grande forêt a des joies et des
menaces inexprimables ; il faut la voir, dans la vapeur pendant les semaines de
pluie , ruisselante, morne , hostile quand les chênes tranchés par la hache
gisent saignants comme des cadavres, et que l’universel bruissement des
feuillages fait rouler autour d’eux une lamentation infinie ; mais il faut la
voir aussi riante, parée comme une belle fille, quand le matin le soleil oblique
glisse des flèches entre ses troncs… Néanmoins, c’est lorsqu’elle avance au-delà
de Sedan, vers Bouillon et la frontière qu’elle atteint toute sa beauté. Là ,une
chaîne de petites montagnes escarpées la dresse et la déploie en précipices
verdoyants ; un torrent de cristal, la Semois met autour de ses rondeurs des
colliers de pierreries mouvantes ; des fumées bleuâtres flottent sur elle comme
une gaze, et, le matin, quand, du haut d’un roc, on regarde ses vallées emplies
par la vapeur de la nuit, on la voit peu à peu se dégager de la brume,
apparaître entre les molles blancheurs, sécher tour à tour ses sommets et ses
pentes sous la caresse du soleil qui fait sourire à la fois tous ses bouleaux et
tous ses chênes.
La forêt d’Ardenne réservait de lourdes surprises aux troupes françaises. Car,
ici, le pittoresque prend un caractère stratégique : la forêt défend partout ce
sol, par lui-même difficile.
La Semois est resserrée entre des rochers monstrueux, elle se creuse un chemin
si difficile que dans ses plis et replis, elle ne parcourt, entre sa source et
son embouchure que 46 km avec un développement de 137 km.. Elle coule entre deux
murailles. Les gués sont nombreux, mais l’ascension des bords qui les
surplombent est rude.
Malgré la nature et le rude obstacle du terrain, on comprend que l’Etat-Major
français n’ait pas renoncé à la seule voie ouverte à une offensive vigoureuse,
cette offensive, précisément, ayant pour premier avantage en cas de réussite, de
le rendre maître d’un carrefour laissant libre débouché à ses projets soit vers
le nord et la Belgique, soit vers l’est et l’Allemagne suivant le cours que
prendraient les évènements.
Car, plusieurs des grands chemins du monde se sont fait jour sous ses rudes
ombrages. La vieille chaussée romaine de Reims à Trèves glissait par Virton et
Arlon. D’autre part, la ligne de chemin de fer qui part d’Ostende, traverse la
Belgique de part en part jusqu’à Arlon et conduit directement le voyageur vers
le Saint- Gothard et l’Italie, passe ici. Une armée qui occupe Arlon et Longlier
domine une croisée de chemins dont on saisit toute l’importance : vers Trèves,
on se porte en Allemagne et vers Rochefort, on prend la Belgique à revers.
Alors, me direz-vous, que penser, quelle idée se faire en définitive de cette
portion de bataille ?
Je vous ais avertis que nous n’entrerions dans aucune question tactique. Aussi
bien n’est-il aucunement nécessaire, pour expliquer tel ou tel événement
militaire, de recourir aux méthodes des maîtres de la stratégie…
Permettez –moi donc maintenant, et pour répondre, de citer un grand poète en
même temps qu’un grand prosateur français, un homme qui a pu, dans un moment de
loisir, élever l’histoire pure à la hauteur de la littérature la plus
éblouissante. Aussi bien vous allez entendre une très belle page, que vous
connaissez tous, mais qu’on a toujours plaisir à relire et qui va me permettre
de développer ensuite une petite thèse, tout en nous procurant une agréable
diversion.
VICTOR-HUGO : Les Misérables, II° partie,
Livre I, Chapitre I° , " le 18 juin 1815 "
" S’il n’avait pas plu dans la nuit du 17 au 18 juin 1815, l’avenir de l’Europe
était changé. Quelques gouttes d’eau de plus ou de moins ont fait pencher
Napoléon . Pour que Waterloo fut la fin d’Austerlitz, la providence n’a eu
besoin que d’un peu de pluie, et un nuage traversant le ciel à contresens de la
saison a suffi pour l’écroulement d’un monde.
…Supposez la terre sèche, l’artillerie pouvant rouler, l’action commençait à six
heures du matin. La bataille était gagnée et finie à deux heures, trois heures
avant la péripétie prussienne.
Quelle quantité de fautes y a-t-il de la part de Napoléon dans la perte de cette
bataille ? Le naufrage est-il imputable au pilote ?
…Nous ne le pensons point.
Son plan de bataille de l’avis de tous, était un chef d’œuvre : aller droit au
centre de la ligne alliée, faire un trou dans l’ennemi, le couper en deux,
pousser la moitié britannique sur Hal et la moitié prussienne sur Tongres, faire
de Wellington et de Blucher deux tronçons, enlever Mont-Saint-Jean, saisir
Bruxelles, jeter l’allemand dans le Rhin et l’anglais dans la mer. Tout cela ,
pour Napoléon , était dans cette bataille.Ensuite, on verrait. "
Le récit de la bataille de Waterloo a tenté bien des historiens et bien des
écrivains. Aucun n’a réussi à exprimer en si peu de phrases, avec une pareille
intensité et une semblable justesse de vues , la signification de la journée.
Tout y est : la cause et l’effet, l’état d’âme de la personnalité en relief, la
discussion de son subconscient. Evidemment, nous ne voulons point dire que
l’auteur des Misérables a gardé la même puissance d’un bout à l’autre du récit,
qui occupe tout le 1er livre de la 2° partie du roman. On trouve des passages où
il a été embarrassé, faute sans doute, de documentation nécessaire. Il s’en
tire, vous le savez , en faisant intervenir ce qu’il appelle le quid obscurum
des batailles. Quid obscurum, quid divinum. Thèse commode et qui nous vaut une
dissertation assez jolie, mais qui ressemble étrangement à une pelote de
ficelle. Quoiqu’il en soit, nous nous en tenons au passage dont je viens de vous
donner lecture. Ce qu’il y a de merveilleux, c’est que nous allons pouvoir, en
changeant 29 mots seulement dans 99 phrases, le remettre au goût du jour et le
faire servir, tel quel, pour notre argumentation. Ecoutez :
Je vais relire deux ou trois phrases en les modifiant pour les mettre au goût du
jour :
S’il n’avait pas fait du brouillard le matin du 22 août 1914 et si la IV° armée
française s’était mise en marche deux heures plus tôt qu’elle ne le fit , le
destin du monde était changé : pour déchaîner un cataclysme de 4 années ½, pour
apprendre aux hommes la guerre de tranchées, la guerre des gaz et la guerre
sous-marine ; pour motiver la mise sur pied de la majorité des peuples de la
terre ; pour lancer dans le conflit l’univers entier, la providence n’a eu
besoin que d’un peu de vapeur et l’ordre donné à nos régiments de se mettre en
route à 5 heures du matin a suffi pour plonger les nations dans un abîme de
problèmes militaires,, économiques et sociaux dont elles ne sont pas encore
sorties.
Supposez le brouillard inexistant, les troupes parties à 3 heures du matin, le
Français avait le temps de franchir la zone boisée avant de rencontrer l’ennemi,
la cavalerie avait la possibilité d’éclairer et de voir. La bataille était
gagnée.
Quelle quantité de fautes y a-t-il eu de la part du commandant français dans la
perte de cette bataille ? Le naufrage est-il imputable aux pilote ? Nous ne le
pensons point.
Son plan de bataille était de l’avis de tous ceux qui l’approchaient, un chef
d’œuvre. Aller droit au centre de la ligne allemande, faire un trou dans
l’ennemi, le couper en deux, rejeter l’aile droite sur la Belgique et l’aile
gauche sur Metz, faire deux tronçons, enlever Neufchâteau, saisir Marche, couper
les communications d’Aix la Chapelle, tout cela pour l’Etat-Major français,
était dans cette bataille. Après on verrait.
LA 3° DIVISION COLONIALE SE MET EN MARCHE VERS ROSSIGNOL
A la pointe du jour, l’avant-garde quitte Saint-Vincent.
C’est le 2° bataillon du 1er R.I.C. qui part tout d’abord. Les hommes n’ont pas
mangé depuis 24 heures à cause des déplacements continuels et le départ est si
brusque qu’ils n’ont pas le temps d’avaler leur café. Ils n’en conservent pas
moins leur bel entrain. Tout le monde flaire l’approche de l’ennemi et cette
pointe de danger n’est pas pour déplaire à des coloniaux. L’ennemi, on ne sait
pas où il est. Mais l’ordre est de marcher vite et l’étape, on le prévoit, doit
être d’une quarantaine de kilomètres.
Le régiment de chasseurs d’Afrique s’est arrêté à Valensart. L’ordre du C.A.C.
lui arrive à 5 heures du matin. Il n’y a pas une minute à perdre. Le régiment
doit rester intercalé dans la colonne pendant la traversée de la forêt. A 6
heures, le régiment en marche par Jamoigne, Termes, dans l’ordre suivant : 2°
escadron à l’avant-garde ; 1er escadron, deux pelotons du 4° escadron, section
de mitrailleuses, train de combat , 3° escadron. Pendant sa marche il ne cesse
d’être inquiété par les éclaireurs ennemis qui courent sur ses flancs. Les
chasseurs arrivent ainsi, avant l’infanterie, aux abords de Rossignol. Le
peloton du lieutenant Jaud’huin y est reçu à coups de fusil. Le 2° escadron va
opérer la reconnaissance du village . Le régiment met pied à terre le long de la
voie de chemin de fer. Il est 7 heures 30.
C’est à 8 h. que débouche vers Rossignol l’avant –garde de la 3° D.I.C.. Cette
avant-garde a traversé la Semois à 6 h.30.
Il fait une chaleur humide et le brouillard est épais. Le pont de
Mesnil-Breuvanne a été dépassé sans incidents, et, à ce moment, c'est à dire
vers 8 h.30, lorsque le 3° régiment de chasseurs d’Afrique a pris sa place dans
la colonne, celle-ci se déroule ainsi depuis Rossignol jusqu’à Saint-Vincent et
au-delà, les unités séparées par les distances réglementaires.
Pointe d’avant –garde :
½ Escadron divisionnaire du 6° Dragons.
8° compagnie du 1er R.I.C. : Capitaine Fouques
Tête d’avant-garde, sous les ordres du Lieutenant –colonel Vitart :
5°, 6° et 7° Compagnies du 1er R.I.C. : Commandant Bertaux- Levillain.
Gros de l’avant-garde :
Général Montignault et la 1ère brigade, Colonel Guérin, commandant le 1er R.I.C.
3° batterie du 1er R.I.C. : Commandant Rivière.
1ère batterie de l’A.D. /3
1ère batterie du 1er R.I.C. : Commandant Quinet.
Immédiatement derrière cette avant–garde :
3° régiment de chasseurs d’Afrique : Colonel Costet.
Gros de la colonne :
Général Raffenel et la 3° D.I.C. et son Etat-Major.
2° R.I.C. : Colonel Gallois, Lieutenant –colonel Gadoffre
1er bataillon : Commandant Richard.
2° bataillon : Commandant Wehrle.
3° bataillon : Commandant Rey.
Une compagnie du génie de corps (Compagnie 22/2 du 1er régiment : Capitaine
Dumont ), entre les 2° et 3° bataillons du 2° R.I.C.
D./3 , 2° régiment d’artillerie coloniale : Colonel Guichard-Montguers.
Huit batteries.
Général Rondony, commandant la 3° brigade.
3° R.I.C. : Colonel Lamolle, Lieutenant –colonel Mortreuil.
1er bataillon : Commandant Sauvage.
2° bataillon : Commandant Chibas –Lassalle.
3° bataillon : Commandant Mast.
C. 3° régiment d’artillerie coloniale : Colonel Lenfant, Lieutenant-colonel
Jacquet.
2° groupe : Commandant Aman.
3° groupe : Commandant Félix Petit.
4° groupe : Commandant Peltier.
7° R.I.C. : Colonel Mazillier, Lieutenant –colonel Dudouis.
1° bataillon : Commandant Savignac.
2° bataillon : Commandant Savy.
3° bataillon : Commandant Bernard.
VUE D’ENSEMBLE
Que le lecteur veuille bien maintenant se figurer qu’il survole à très haute
altitude, ce matin du 22 août 1914, le champ de bataille, dans la région
comprise entre Bellefontaine à sa droite et Suxy à sa gauche. En regardant dans
la direction du nord-est, il a devant lui Neufchâteau. C’est l’objectif du corps
d’armée colonial, qui doit y accéder par deux itinéraires différents d’après les
ordres reçus : à droite, la 3° division- 12 bataillons, 6 escadrons, 18
batteries- s’allonge par Saint-Vincent, Mesnil-Breuvannes, Rossignol ; à gauche,
la 5° brigade- 6 bataillons, 3 batteries –par Orval, Jamoigne, Suxy. En réserve,
la 2° division- 12 bataillons, 9 batteries- doit suivre la 5° brigade jusqu’à
Jamoigne, où elle s’arrêtera. Sur la droite de la 3° division, une fraction du
2° corps d’armée –8 bataillons, 4 escadrons, 9 batteries- ne dépassera pas
Bellefontaine. Sur la gauche de la 5° brigade, le 12° corps d’armée s’engagera
dans une lutte qui l’absorbera en totalité. Voilà la situation. Entre la 3°
division et la 5° brigade, une forêt touffue rend la liaison impossible. Entre
la 3° division et le 2° corps d’armée , pas de liaison non plus, pour cette
bonne raison que les Allemands seront à la place qu’aurait dû occuper le 2°
corps arrêté à Bellefontaine. Entre la 5° brigade et le 12° corps d’armée, la
liaison existera , mais sans efficacité.
De bon matin, le 22 août, le capitane Prioux, de l’Etat-Major du corps colonial,
rencontre à Bellefontaine, le général Cordonnier, commandant la 87° brigade (du
2° corps d’armée). Celui-ci, que des forces ennemies très entreprenantes
absorbent dans une lutte déjà chaude et dans lesquelles ses unités (120° R.I.,
9° et 18° B.C.P.) sont engagées, conseille la prudence. " Retournez –vite auprès
de votre général, dit-il au capitaine Prioux, les bois sont pleins d’allemands…
" Mais déjà , il est trop tard. La 3° D.I.C. en marche va buter dans le VI°
Corps allemand.
Concentrons notre attention sur cette division et ne l’en détournons plus.
LA 3° D.I.C. EN MARCHE
Elle s’échelonne sur la route suivant les prescriptions du service en campagne.
On ne peut s’étonner que d’une chose : c’est que le commandant de corps d’armée
ait cru devoir réserver sa meilleure cavalerie –le 3° chasseurs d’Afrique – pour
l’utiliser au débouché des bois, au lieu de la lancer franchement en avant.
Mais , à cette objection, on peut donner plusieurs réponses :
1° on ne croit pas à la proximité immédiate de l’ennemi.
2° Les ordres sont formels : il faut avancer vite, or, on est en retard. Il
importe donc de pousser l’infanterie et l’artillerie d’abord.
3° Enfin, la vraie mission de la cavalerie étant l’exploration, elle est
inutilisable en forêt. Mieux vaut attendre le franchissement de cette forêt,
qu’on croit libre, pour lancer ensuite les chasseurs dans toutes les directions.
Par conséquent il n’y a en avant, que des dragons, peu nombreux, deux ou trois
pelotons. Ce sont des réservistes montés sur des chevaux de réquisition . Ils "
collent " aux 250 marsouins de la compagnie Fouques, qui avancent avec l’idée
d’arriver vite au cantonnement mais qui, cependant, sentent bien, que l’ennemi
ne doit pas être loin. A cinq ou six cent mètres arrivent les trois autres
compagnies du bataillon Bertaux –Levillain du 1er R.I.C., avec le
lieutenant-colonel Vitart. Pour ces deux officiers, le doute n’existe pas :
l’ennemi est là. D’ailleurs sitôt passé le pont de Mesnil-Breuvannes, les uhlans
se montrent de tous côtés par petits groupes. On les voit distinctement observer
la marche de la colonne , disparaître, revenir.
Puis voici le gros de l’avant-garde : les deux autres bataillons du 1er R.I.C.
et 4 canons de 75. Avec eux , le général Montignault et le colonel Guérin. A
l’entrée de Rossignol, ils ont dépassé les chasseurs d’Afrique, qui attendent
pied à terre le moment de prendre place dans la colonne.
Deux kilomètres plus loin, le général Raffenel conduit le gros de la division et
c’est un défilé sans fin de compagnies, de batteries, puis d’autres compagnies…
Là, on est plus calme. On effectue une marche militaire. On a la sensation de la
sécurité.
ENGAGEMENT DE L’AVANT-GARDE.
Revenons à l’avant –garde. Vers 7 h. du matin, elle pénètre dans la forêt. Elle
a huit kilomètres à faire pour en déboucher. Le lieutenant –colonel Vitart a
reçu ordre de prendre position à la sortie des bois, face à Neufchâteau et
d’attendre les unités qui le suivent.
La route qui traverse la forêt sur un parcours de 5 km. débute par 1500 mètres
de côte. Le sommet est un endroit propice pour la défense.
Presque en même temps, il est averti qu’un escadron de uhlans a pénétré dans la
forêt. Il fait prendre les dispositions d’usage. La compagnie de pointe se
déploie. Mais, peu d’instants après, un autre ordre parvient au
lieutenant-colonel Vitart, lui prescrivant de continuer tout droit sur
Neufchâteau sans s’arrêter.
On avance donc. Pas bien loin. La compagnie Fouques n’a pas fait 1500 mètres
sous bois qu’un feu violent de mousqueterie l’arrête. Tous les renseignements
reçus s’accordant pour conclure que les ennemis sont au moins à une trentaine de
kilomètres à l’est de Neufchâteau, il ne peut donc s’agir que de cavaliers pied
à terre… Le lieutenant – colonel Vitart donne l’ordre aux trois autres
compagnies du bataillon Bertaux –Levillain (compagnies Lacourrière, Simon,
Ignard) de se déployer à droite et à gauche de la compagnie Fouques pour
déborder cet ennemi trop audacieux. Bientôt le lieutenant –colonel a
l’impression que le feu s’étend sur les flancs du bataillon engagé : ce ne sont
donc pas des cavaliers mais de l’infanterie. Il rend compte dans ce sens. En
réalité, c’est le 157° R.I., avant-garde de la 12° division allemande.
Mais le temps a passé. Déjà, le reste de l’avant –garde va être forcé de
s’engager : le général Montignault et le colonel Guérin sont sur la ligne de
feu. On ne voit rien… D’ailleurs, la fusillade crépite sous bois. Il n’y a
aucune surprise, aucun flottement. Mais toute manœuvre est impossible : l’ennemi
est dissimulé dans les hautes futaies et tire à coup sûr. Les officiers, les
hommes tombent. La batterie d’artillerie qui marchait avec l’avant –garde est
immobilisée. L’infanterie part, la baïonnette haute.
DEVELOPPEMENT DU COMBAT AU NORD DE ROSSIGNOL
Il est déjà plus de 9 h. du matin. Immédiatement après le 1er R.I.C. venait, on
se le rappelle, le régiment des chasseurs d’Afrique du colonel Costet. Les
chasseurs ont vu les dragons refluer et les marsouins se déployer à droite et à
gauche de la route. Un ordre arrive, prescrivant au colonel Costet de se porter,
avec tout son monde , à l’ouest de la cote 358 pour prolonger la ligne des
tirailleurs d’infanterie. Les chasseurs d’Afrique vont demeurer là, au combat à
pied, jusqu’à 10 h.30.
Du côté ennemi, à 9 h.15, arrive le 63° R.I. prussien et les batteries qui
prennent position .
Pendant ce temps, le gros de la 1° brigade atteint Rossignol et le dépasse. Le
2° R.I.C. pénètre dans le bois. Le colonel Gallois porte ses deux premiers
bataillons en avant. Le 3° bataillon est ainsi fractionné : à 9 h.15, les 9° et
10° compagnies (capitaine Kerhuel et Dehaye) sont désignées pour servir de
soutien à l’artillerie divisionnaire. Les deux autres compagnies 11° (capitaine
Paris de Bollardière) et 12° (capitaine Dardenne) sont placées à l’est et à
l’ouest de Rossignol, face à la forêt.
La batterie d’avant-garde du 2° d’artillerie coloniale, quelque peu bousculée, a
pris position sur les deux ailes, à 600 mètres au nord de Rossignol, face à la
forêt.
L’ennemi ne va pas tarder à passer à l’attaque. Toute une division est là,
déployée et progressant vers l’ouest. Et, on peut dire que vers 10 h. du matin
l’encadrement des cinq bataillons qui luttent dans la forêt est à peu près
complet. L’artillerie s’en mêle et les obus commencent à tomber ferme sur les
batteries divisionnaires et leurs attelages échelonnés du bosquet Pireaux aux
premières maisons du village. La 9° compagnie du 2° R .I.C. dégage le 1er groupe
serré de près à l’ouest. Les 11° et 12° compagnies du même régiment, restées
seules compagnies de repli, organisent tant bien que mal, la lisière nord de
Rossignol avec la compagnie du génie 22/2 (capitaine Dumont). La carrière à
l’ouest de la route de Neufchâteau, à 250 m. de la lisière du couvert est
solidement tenue.
Le déploiement de l’artillerie divisionnaire n’est pas encore achevé à 9 h. Les
batteries se sont établies par pièces accouplées, de chaque côté de la route.
L’artillerie allemande a pris position, principalement sur la cote 441. Elle va
concentrer une partie de son tir sur le pont de Breuvannes. La nôtre accomplit
des prodiges. La 2° batterie (capitaine Pull), la 3° (capitaine Duhatois), la
23° (capitaine Germain) sont particulièrement atteintes.
A 10 h.30, la situation est celle-ci dans la région de Rossignol :
Engagés dans la forêt : les 3 bataillons du 1er R.I.C. et 2 bataillons du 2°
R.I.C. avec le général Montignault.
Entre le bosquet Pireaux et Rossignol, 8 batteries du 2° R.A.C.C. fort
malmenées. La batterie de l’avant- garde n’existe plus.
A la carrière , sortie nord de Rossignol, 2 compagnies du 2° R .I.C. et la
compagnie 22/2 du génie.
En soutien de l’artillerie, la 9° compagnie du 2° R.I.C. La 10° compagnie est
partie renforcer le général Montignault.
LE 3° R.I.C ET LES CHASSEURS D’AFRIQUE.
Que se passe t-il du côté de Breuvanne ?
Sur Rossignol, attaque une division du VI° corps allemand. L’autre division de
ce corps d’armée ayant trouvé la route libre, attaque la 3° D.I.C. sur sa
droite, à l’est de la route de Breuvanne à Rossignol. La 11° D.I. a , en effet,
dépassé Tintigny. La 22° brigade se dirige sur Saint-Vincent. La 21° brigade va
être aux prises à Bellefontaine avec l’avant –garde du 2° C.A.
A 9 heures, le 3° R.I.C. se déploie donc, face à l’est, entre Saint-Vincent et
Mesnil-Breuvanne, car il est déjà sous le feu de l’artillerie allemande.
Marchant en petites colonnes, il évolue, le 3° bataillon (commandant Mast) et le
2° bataillon (commandant Chibas –Lassalle) en première ligne, le 1er bataillon
(commandant Sauvage) en réserve, à cheval sur la route . Le général Rondony,
commandant la 3° brigade, qui marchait en tête de son régiment, s’est porté de
sa personne vers Rossignol, dès le début de l’action et il a été prendre les
ordres du général Raffenel.
A 10h. 30, celui-ci a envoyé l’ordre au 3° régiment de chasseurs d’Afrique de
couvrir un groupe de l’artillerie divisionnaire sur la route Breuvanne-
Rossignol. Le colonel Costet redoutant un mouvement ennemi sur sa droite détache
ainsi son 3° escadron : deux pelotons (adjudant-chef Boursier et lieutenant
Humbert) aux ordres du capitaine Chanzy vers Marbehan et Orsainfaing ; un
peloton (sous- lieutenant d’Yturbide), à l’est de Breuvanne, vers Ansart ; un
peloton (adjudant Bidault), sur Valensart, pour la liaison avec le gros du corps
d’armée. Le reste du régiment traverse Rossignol, prend la route de Breuvanne,
remonte avec les batteries à travers champs. Cela a demandé une heure.
A 10h. 30 également, le général Rondony a envoyé de Rossignol, l’ordre suivant ,
au colonel Lamolle, commandant le 3° R.I.C. : " Suivez comme soutien
l’artillerie divisionnaire qui marche sur Rossignol ". Les bataillons, qui
faisaient face à l’est, reçoivent l’ordre de se porter face au nord. Le colonel
Lamolle essaie de manoeuvrer sous la protection du 3° bataillon. Seul, ce
bataillon réussira à franchir la Semois. Des deux autres, le 2° accueilli vers
11h. à la sortie du bois au nord-est de Breuvanne par des feux d’infanterie, de
mitrailleuses et d’artillerie est obligé de se déplacer face au nord –ouest,
puis au nord ; le 1er doit se terrer à la cote 325, au nord –est de Breuvanne.
Ces mouvements se croisent avec ceux du régiment des chasseurs d’Afrique. Après
avoir accompagné l’artillerie, le colonel Costet, ayant appris qu’une batterie
allemande se trouvait en position à 2500 mètres à l’est, veut l’attaquer en la
prenant par Breuvanne. Il aborde avec ses cavaliers le pont de la Sisane, mais
se trouve en butte là, à des feux de mitrailleuses partant de l’est à moins de
200 m.. Il n’en pénètre pas moins dans Breuvanne encombré. Le pont de la Semois
est bombardé, la direction de Saint-Vincent impraticable. L’infanterie ennemie
n’est d’ailleurs pas loin de la route… Alors le colonel décide de battre en
retraite par la ferme du Mesnil vers Saint –Vincent en laissant l’escadron
(capitaine Chaverondier) aux lisières sud de Breuvanne.
Le 7° R.I.C. ET L’ARTILLERIE DE CORPS
Au sud, déjà l’ennemi occupe Tintigny.
Le 7° R.I.C., dernier régiment de la division dans l’ordre de marche, était à
Saint-Vincent à 9 h .30. Le Général Lefèvre, commandant le corps d’armée,
l’arrêta et le 1er bataillon (commandant Sévignac) fut envoyé vers l’est. Il
était à 11 h. sur la croupe 385. Le 2° bataillon (commandant Savy) fut ensuite
porté au nord-est face à Tintigny.
Le régiment d’artillerie de corps, 3° R.A.C.C., avait doublé au trot les
formations d’infanterie qui l’encadraient et les reconnaissances des trois
groupes s’étaient portées en avant pour préparer l’entrée en action . A la route
au nord de Saint –Vincent, le colonel Lenfant rencontra le commandant de corps
d’armée et son Etat-major. Il reçut l’ordre de faire taire une artillerie
ennemie qui tirait sur le groupe.
Liberté d’allure fut donnée aux trois commandants de groupes qui opérèrent
isolément : les 2° et 3° groupes se déployèrent dans les avoines mûres , le 2°
avec ses trois batteries face au nord et à l’est, le 3° installé aux lisières
d’un bois à l’ouest de saint –Vincent, orienté nord –est . Le 4° groupe reste
embouteillé dans le village avec les échelons. A partir de 11 h., plus d’ordres.
Les batteries tirent sur les lueurs qu’elles aperçoivent. La 23° (capitaine
Minault) est décimée par un tir progressif bien réglé.
L’AGONIE DE ROSSIGNOL.
A Rossignol, la lutte continue, ardente.
A midi, le 3° bataillon du 3° R.I.C. (commandant Mast) est arrivé dans le
village, à la défense duquel il va concourir. Son chef y sera cinq fois blessé.
A 13 h. les débris des cinq bataillons de la forêt se replient, réduits de
moitié. Le colonel Gallois, commandant le 2° R.I.C. a été grièvement blessé ; le
lieutenant-colonel Vitart du 1er R.I.C., a eu le bras gauche emporté. De
nombreux officiers sont tués et blessés. L’artillerie se fait détruire en
détail. Le lieutenant-colonel Gadoffre, qui a pris le commandement du 2° R.I.C.
et le commandant Wehrlé s’arment d’un fusil et entraînent une centaine d’hommes
contre une compagnie ennemie qui s’avance au nord-ouest du village. Ils
reviennent à quinze… Le commandant Rey tient ferme à l’est. Cependant l’ennemi
progresse toujours. Des groupes de marsouins et de soldats du génie se
barricadent dans l’usine Hurieaux qui fait face à la forêt.
A 14 h. , l’ennemi prononce une attaque terrible sur le village, de trois côtés
à la fois, au nord, à l’ouest , à l’est : le cercle va se refermer. Le général
Montignault qui est sorti de Rossignol avec des débris de toutes les unités, se
défend âprement entre le bosquet Pireaux et Breuvanne. Le général Rondony tient
au nord et à l’ouest. Le général Raffenel s’est installé au sud-est du parc du
château. Le bataillon Mast, du 3° R.I.C., cherche en vain à rétablir la liaison
avec le reste du régiment resté de l’autre côté de la Semois. La mêlée devient
terrible… Sous un soleil de plomb, tout le monde se bat avec un acharnement
inouï et les marsouins , les bigors tombent de tous côtés, dans l’effrayant
cercle de feu qui les entoure.
A l’ambulance Vanderstraeten- Ponthoz gisent un millier de blessés. C’est d’une
horreur sans nom. Le général Rondony , entouré d’une poignée de braves, veut les
protéger. Il s’est placé au pied d’un arbre qui surplombe la route de Breuvanne,
face au bâtiment de l’école communale. Deux pièces de 75 sont amenées à bras
pour tenter une dernière défense. Il y a là, le commandant d’artillerie Cherier,
le lieutenant Psichari – l’auteur de l’Appel des Armes et du Voyage du Centurion
– le lieutenant –colonel Gadoffre, quelques mitrailleuses et environ 200 hommes.
Le groupe est bientôt repéré. Gadoffre et Cherier sont blessés, Psichari tué. Le
général Rondony, écrasé et tourné, se porte vers Ansart. Blessé à l’avant –bras,
il tombe près d’une haie. Il sera tué le lendemain par une patrouille. Le
général Montignault est fait prisonnier près de Breuvanne.
Le général Raffenel groupe ce qui reste de l’héroïque 1ère brigade coloniale,
pendant que les artilleurs enclouent leurs canons. Ils en enclouent 32. Le
général de division tente une percée vers la Semoy… On a retrouvé son corps près
de Mesnil … Le commandant Wehrlé est tué à trente mètres de l’ambulance qu’il
défendait encore avec quelques hommes.
Finissons-en avec ce sublime sacrifice.
Le commandant Rey réussit à grouper encore quelques hommes. Il put sauver le
drapeau du 1er R.I.C. qui portait à sa hampe la croix de la légion d’honneur ;
un sergent prit la soie et la roula autour de sa poitrine, sous sa capote. Le
commandant garda la croix et le capitaine Paris de la Bollardière eut la
cravate. Le drapeau du 2° R.I.C. parvint jusqu’à Villers sur Semoy, où ceux qui
le portaient, se voyant dans l’impossibilité de s’échapper, l’enterrèrent.
L’emblème fut retrouvé après la guerre et rendu au régiment.
De l’artillerie rien ne subsista. Des fantassins purent s’échapper. Mais des
artilleurs , aucun, pour ainsi dire, ne put franchir le cercle de fer et de feu
qui entourait Rossignol. Le 2° régiment d’artillerie coloniale fut considéré
comme entièrement détruit et ne fut reformé qu’en 1917.
A 19 heures, l’ennemi était maître de Rossignol, et sur cette partie du champ de
bataille, le feu était éteint.
LE FLANC DROIT ENFONCE
On se rappelle que le colonel Costet avait laissé le 1er escadron de son
régiment à Breuvanne, pied à terre, cette mince ligne de cavaliers prolongeait
au sud le 3° bataillon du 3° R.I.C. qui faisait face à l’est entre Rossignol et
Breuvanne. Le peloton du lieutenant Freyssenge était à l’ouest de la route de
Tintigny, face au sud -est ; les pelotons du lieutenant Vacherand et de
l’adjudant-chef Maylin étaient à l’est de la même route, face à l’est ; le
peloton du sous –lieutenant Pierson était demeuré à cheval à la sortie nord de
Breuvanne. Les fantassins allemands étaient à peine à 200 mètres. L’escadron
tint une heure et donna au reste du régiment le temps de se dégager. Puis, le
mouvement débordant s’accusant de plus en plus, le capitaine jugeant sa mission
terminée, fit remonter ses chasseurs à cheval. Les pelotons se rassemblèrent à
la ferme du Mesnil, mais tombèrent sous le feu de l’artillerie. Ils essayèrent
d’atteindre un bois situé à quelques centaines de mètres à l’ouest de la ferme.
Mais le cercle se refermait. L’escadron, un moment affolé, tourbillonna sous le
feu des mitrailleuses. Quelques cavaliers essayèrent de gagner Rossignol où le
3° escadron était enfermé. Le capitaine Chaverondier et l’adjudant –chef Maylin
restèrent seuls dans le bois avec 6 hommes. Ils se mêlèrent à des débris du 3°
R.I.C. et se serrèrent autour du drapeau de ce régiment. Le groupe auquel ils
appartenaient put se faire jour et arriver à Pin le 23 au matin.
Le 3° escadron envoyé par le colonel Costet vers Orsainfaing, n’avait pu
atteindre ce village . Il reflua sur Rossignol, où il participa à la défense du
parc du château. Il fut pris en entier, ainsi que la section de mitrailleuses du
régiment qui était restée auprès de batteries du 2° d’artillerie colonial.
Les 1er et 2° bataillons du 3° R.I.C. avaient été sérieusement compromis sur les
positions qu’ils avaient atteintes à midi : cote 325 et nord –est de Breuvanne.
Les pertes furent terribles. A 14 heures, les bataillons étaient presque cernés.
Le colonel Lamolle donna l’ordre de battre en retraite et les débris du 3° R.I.C
. avec le drapeau atteignirent la route de Tintigny –Le Fresnois et put
rejoindre à 21 heures, Pin. Le lieutenant –colonel Montreuil était tué.
DEFENSE DE SAINT-VINCENT
Jusqu’à 14 h., le 7° R.I.C. avait laissé son 1er bataillon à la cote 385 (est de
Saint –Vincent) , et le 2° bataillon au nord –est de cette même localité,
couvrant le déploiement de l’artillerie de corps. Les compagnies du 3° bataillon
furent dirigées sur les ailes pour les renforcer. Les pertes sont lourdes.
L’ennemi soumet nos troupes et en particulier les 5° et 6° compagnies ,
cramponnées à la cote 385 et à la ferme des Frenois, à un feu intense. Les
nombreuses mitrailleuses installées aux lisières du bois, à l’est de Saint
–Vincent balaient les glacis qui séparent les coloniaux du 7° de lui. Les
compagnies sont ramenées plusieurs fois à l’assaut par leurs chefs. Les 5° et 6°
compagnies, renforcées par des éléments des 9° et 11°, sont réduites à une
vingtaine d’hommes sous le commandement des capitaines Ranc et Séchet. Il faut
se retirer sur les lisières est et nord de Saint –Vincent. A partir de 13 h.,
les 2° et 3° groupes du 3° d’artillerie coloniale se sont repliés dans la
direction Limes –Breux, vers la frontière Belge. Le 4° groupe, dont le
commandant faisait de vaines reconnaissances faute de renseignements sur la
situation, restait toujours à Saint- Vincent. Il se mit à la disposition du
colonel Mazillier, commandant le 7° R.I.C. qui se trouvait dans un chemin creux,
à la route nord de Saint -Vincent, près du cimetière, d’où il dirigeait le
combat de son régiment pour protéger la retraite des débris de la division. La
8° batterie (capitaine Gauthe) prit position sur le petit plateau à l’ouest du
cimetière et ouvrit le feu sur les allemands qui débouchaient à moins de 800 m.
de Boqueteaux au nord. La 7° batterie (capitaine Simon) , en arrière et à l’est
du cimetière fut gênée par des feux de mousqueterie qui provenaient justement de
ce cimetière ; des allemands avaient pu y pénétrer. Le lieutenant Ferracci
rassembla quelques servants et nettoya l’enclos à la baïonnette. La 24° batterie
et les échelons étaient toujours à Saint –Vincent. A 15 h.30, le colonel
Mazillier estima qu’il ne fallait pas se laisser déborder et prescrivit au
commandant du 4° groupe de rejoindre son corps. La rupture du combat se fit par
échelons de batterie, les échelons en queue.
Les Allemands attaquaient à 16 h., les lisières de Saint –Vincent. Jusqu’à 17
h.30, toutes ses tentatives pour déboucher des bois sont arrêtées net.
L’intervalle entre les tirailleurs est de 15 m. ; cela peut faire croire à
l’ennemi que le village est fortement tenu. Il se laisse prendre au subterfuge
et attend des renforts pour recommencer. Ce n’est que par l’encadrement de Saint
–Vincent qu’il obligera les marsouins à l’évacuer.
Le soir tombait sur le champ de bataille. Bien peu de ceux qui avaient combattu
à Rossignol réussirent à s’échapper. Quelques centaines à peine repassèrent la
Semoy, mais la plupart étaient morts ou prisonniers.
LES PERTES
La 1ère brigade coloniale n ‘existait plus en tant qu’unité constituée. Le 1er
R.I.C. avait près de 2500 tués et blessés. Le 2° R.I.C. en accuse 2850. Le 3°
R.I.C., 2085. Le 7° R.I.C., moins éprouvé 1500. Le 2ème d’artillerie coloniale
est totalement détruit. Au 3° chasseurs d’Afrique, il reste la valeur d’un
escadron et demi.
Parmi les officiers, le général Raffenel est tué ; le général Rondony, tué ; le
général Montignault blessé et prisonnier ; au 1er R.I.C. , le lieutenant
–colonel Vitart est blessé, les trois chefs de bataillon sont tués ; cinq
capitaines, cinq lieutenants tués ; un capitaine et six lieutenants disparus,
sept capitaines et treize lieutenants blessés ; soit la presque totalité des
officiers du régiment ; au 2° R.I.C. , le colonel Gallois et le Lieutenant
–colonel Gadoffre sont tombés ainsi que presque tous les officiers ; au 3°
R.I.C., le lieutenant- colonel Mortreuil est tué et les pertes en officiers de
la 3° brigade (3° et 7° R.IC.) se chiffrent par soixante ( tués , blessés et
prisonniers). De l’artillerie divisionnaire, un seul officier a dû revenir, le
capitaine Noir qui réussit à passer la Semoy à la nage vers 16 heures.
Ecoutez l’historique du 2° régiment d’artillerie coloniale :
Le choc se produit terrible. Notre valeureuse infanterie s’engage avec
impétuosité ; ses vagues se brisent contre les obstacles organisés par l’ennemi
et sont fauchées successivement par des feux nourris de mitrailleuses et de
mousqueterie. La baïonnette ne prévaut pas contre les obstacles matériels et nos
vétérans des guerres coloniales succombent, héroïquement fauchés net en plein
élan. Le 2° régiment d’artillerie coloniale s’engage précipitamment, à faible
portée de l’adversaire, et soutient bravement son infanterie. Ses servants sont
fauchés par les feux concentrés de l’artillerie ennemie et des mitrailleuses,
qui prennent les batteries de front, d’écharpe et même de revers. La plupart des
officiers sont tués ou blessés. Les caissons sautent successivement. Malgré les
pertes, en dépit de la violence du feu ennemi, le tir continue pendant plusieurs
heures. Les canons disponibles continuent à cracher leur mitraille sans
interruption, servis par un personnel restreint, parfois même par des officiers.
C’est l’enfer et c’est la mort. Le 2° régiment d’artillerie coloniale, après
neuf heures d’un combat acharné, d’une violence inouïe, presque à bout portant,
privé de munitions, coupé de l’arrière, n’ayant presque plus d’officiers
valides, combat jusqu’à l’attaque à la baïonnette et succombe enfin à 19 heures,
submergé sous un flot puissant d’ennemis, qui réussissent à s’emparer des
derniers débris de cet héroïque régiment…
La 3° D.I.C. était complètement dissociée.
Et l’Allemand ?… Le contact avec le fusil et la baïonnette des marsouins lui
était dur. Ses pertes, de beaucoup plus élevées que les nôtres, ont fait dire au
colonel commandant le 87° R.I. allemand, alors que le soir, après la bataille,
il promenait le capitaine Ranc , blessé et prisonnier, sur le champ de bataille
: " Nous sommes fiers d’avoir eu à combattre les excellentes troupes coloniales
françaises, mais vous nous avez fait beaucoup de mal, ainsi que vous le voyez… "
( historique du 7° R.I.C. ).
Un auteur allemand, le capitaine Mutius, qui a écrit un livre sur la bataille,
accuse 110 officiers et plus de 3000 hommes hors de combat. Mais il y a lieu de
penser que ces chiffres sont encore au-dessous de la vérité.
En tout cas, la bataille de Rossignol peut servir de modèle à la " bataille de
rencontre " et constitue certainement un des épisodes les plus meurtriers de la
première partie de la guerre. Sur toute cette partie du front de combat, les
corps des III° et IV° armées se heurtèrent partout aux Allemands. Il n’y eut pas
moins de douze rencontres : le 9° C.A. à Mézières, le 11° à Maissin et Paliseul
, le 17° dans la forêt de Luchy où la 33° D.I. fut écrasée, le 12° à Névraumont,
le C.C. à Neufchâteau et Rossignol, le 2° à Bellefontaine et Meix devant Virton,
le 4° à Virton et Ethe, le 5° dans la région de Longwy, le 6° vers Spincourt.
Il en résulte de chaque côté d’un effroyable désordre.
Pendant 48 heures, on ignorera tout ou à peu près de la situation exacte. C’est
ensuite le décrochage, qui s’opère sans difficulté. Pendant ce temps, l’Allemand
commet des atrocités sans nom. Ce malheureux pays a été dévasté.
Mais, demain, ce sera la bataille de la Marne, au cours de laquelle les débris
de la 3° D.I.C., renforcés de nouveaux éléments venus de l’intérieur et
hâtivement reconstitués, va se couvrir de gloire, comme s’illustreront, par la
suite, toutes les belles troupes coloniales, formées au cours des hostilités, et
qui ont, sur tout les fronts, contribué au succès final.
Lieutenant Garros.