24 Août :Libération de Paris
Le matin du 25 Août les trois chars qui me restent sont prêts à partir dés l’aube, après une courte nuit pleine d’appréhensions. La 3ème Compagnie est presque au complet BRANET qui connaît PARIS est dans tous ses états ! C’est le branle-bas général avant la ruée vers la capitale. Nous suivons les éléments de reconnaissance du 1er RMSM qui ouvrent la route plein nord.
Nous traversons des zones habitées et il y a déjà beaucoup de monde le long des rues.
Ces gens ont entendu passer les premières automitrailleuses et se demandent ce qui se passe et pour le savoir il faut descendre dans la rue. Ils ont du mal à croire que c’est la libération de PARIS qui s’annonce. La surprise est grande lorsqu’ils réalisent que ce sont des troupes françaises qui arrivent. Je vois défiler des panneaux indicateurs aux noms plus ou moins connus : l’HAY-les-ROSES, CACHAN, ARCUEIL, KERMLIM-BICETRE.
Vers huit heures nous nous trouvons à la Porte d’Italie. Toujours guidés par un peloton de spahis qui nous amèneront par un dédale de rues jusqu’à l’Hôtel-de-Ville où nous retrouvons les 3 chars du capitaine DRONNE arrivés de nuit et qui attendent le reste de leur Compagnie. "L’escadron " se regroupe autour de la place de l’Hôtel-de-Ville. Rassurés par la présence de tous ces chars les civils sortent de chez eux et laissent éclater leur joie.
L’accueil est délirant, toutes les femmes veulent nous embrasser, c’est de la folie ! Pour les hommes c’est la chasse aux cigarettes. Les plus timides envoient leurs enfants pour nous solliciter. Évidement nos rations de cigarettes sont vite épuisées. En contrepartie nous recevons quelques bonnes bouteilles gardées précieusement pour les libérateurs tant attendus.
Les ordres ne tardent pas à arriver. Notre groupement tactique le G.T.V. éclate en 3 sous-groupements, le nôtre est sous les ordres du commandant de la HORIE, camarade de promotion du Général LECLERC que nous ne connaissons pas encore mais qui a l’air de savoir ce qu’il veut ! BRANET garde l’élément qu’il commandait la veille et ma section passe sous les ordres du capitaine JULIEN qui coiffe la 11ème du R.M.T. privé de son capitaine tué à FRESNES. Nous perdons les spahis qui sont dirigés vers d’autres secteurs et c’est derrière la jeep du capitaine JULIEN que nous progressons dans la rue de Rivoli jusqu’à l’avenue de l’Opéra. Avant de nous engager à gauche dans la rue du Faubourg-St-Honoré nous voyons des fantassins avec leurs véhicules semi-chenillés engagés devant l’Opéra d’où se dégage déjà une fumée noire. La fusillade est nourrie mais ce n’est pas notre affaire. La progression se poursuit, mais nous marquons quand même un temps d’arrêt à chaque carrefour pour nous assurer qu’il n’y a pas d’antichar embusqué d’un coté ou de l’autre.
Au carrefour de la rue de Castiglione le décor s’anime. De nombreux Allemands qui nous ont entendu venir, courent dans la rue, entrent dans les immeubles et en ressortent, ne sachant sans doute pas où aller pour se mettre à l’abri. Le capitaine JULIEN ayant fait stopper la colonne, je descends du char avec VILLETTE mon conducteur pour les poursuivre et essayer de les faire prisonniers. Nos pistolets mitrailleurs entrent en action mais sans succès, aucun allemands ne reste sur la carreau ! il est vrai qu’à 50 mètres on ne risque pas de toucher qui que ce soit ; rapidement nous n’avons plus de munitions. Même les chargeurs de mon colt 45 sont vides.
A ce moment là un officier allemand sort d’un immeuble, une main en l’air, l’autre tenant son casque. Il se dirige vers moi et me dit qu’il veut se rendre. Il m’explique qu’il est commandant et qu’il est prêt à me guider pour aller surprendre tous les officiers supérieurs de la Kommandantur qui sont logés à l’hôtel Continental, dans la rue Castiglione. Avec le canon de ma mitraillette dans son dos nous nous dirigeons vers l’hôtel dont j’ignorais l’existence et l’importance. Avec VILLETTE nous entrons tous les trois dans le hall de l’hôtel suivis à distance par quelques FFI de dernière heure. Il explique a quelques officiers qui se trouvent dans l’entrée qu’il est inutile de résister. En allemand je leur demande de jeter leurs armes et de faire sortir de leurs chambres, à tous les étages, les officiers qui s’y trouvent encore pour qu’ils en fassent autant. Je commence à désarmer un colonel pour m’approprier son pistolet HERSTAL 9 mm (14 coups) pour remplacer mon Colt inutile. Ouf ! On se sent quand même plus à l’aise avec une arme à la main ! Il y eut quelques murmures mais pas de résistance et, cinq minutes plus tard il y avait plus de 50 officiers désarmés, prisonniers au rez-de-chaussée du Continental, annexe de la Kommandantur de PARIS. Ils furent pris en charge par les hommes du R.M.T. que j’avais fait alerter.
Sur les entre faits le commandant "guide " me dit qu’il y a au dernier étage cinq officiers américains détenus dans une chambre de bonne. En fait il s’agit de l’équipage d’une forteresse volante abattue quelques jours auparavant dans la région parisienne. En sa compagnie nous nous précipitons au dernier étage et il m’indique la chambre ou se trouvent les aviateurs. La clef est sur la porte, je me précipite dans la chambre en leur disant qu’ils sont libres et que la 2ème D.B. du Général LECLERC est en train de libérer PARIS. Ils n’arrivent pas à comprendre que les Français portant l’uniforme américain, se trouvent à PARIS avant l’armée U.S.A. Mais ils sont heureux d’êtres délivrés, surtout que l’un des cinq semble être blessé assez sérieusement. Et moi je suis très fier d’avoir, avec VILLETTE, capturé d’un seul coup une centaine d’officiers ennemis et d’avoir libéré cinq officiers américains.
Après l’affaire de l’hôtel Continental, le commandant allemand prisonnier que j’ai gardé sous mon contrôle me dit qu’il sait aussi où se trouve le Général Von SCHOLTITZ et qu’il serait peut-être possible de la faire prisonnier ! Immédiatement nous fonçons, suivi de VILLETTE et de quelques F.F.I. vers l’hôtel MEURICE. Devant l’entrée une flaque de sang et un groupe d’officiers et de soldats les bras levés. Nous sommes arrivés cinq minutes trop tard. Les lieutenants KARCHER et FRANJOUX du R.M.T. sont passés par-là avant nous et ont capturé le Général commandant la place de PARIS.
Général
Von SCHOLTITZ
Pour la petite histoire, quelques mois plus tard, j’ai reconnu tout de suite, sur une photo de presse exposée dans la vitrine d’une agence, à 400 km de PARIS, mon commandant allemand de la rue de Castiglione. En regardant de plus près j’ai découvert que j’étais aussi sur la photo prise au moment où je le tenais en respect en allant vers l’hôtel Continental. Le responsable de l’agence s’est fait un plaisir de me l’offrir.
Le croix rouge vous montre Le Lieutenant CHRISTEN-Marcel cliquez pour un grand format
Pendant ce temps, rien de notable s’est produit autour de mes trois chars restés en attente rue du Faubourg St Honoré. Par contre du coté de la rue de Rivoli la fusillade est vive et le canon tonne aussi. Il s’agit du détachement BRANET accroché par les Allemands retranchés dans le jardin des Tuileries, et dans les immeubles ou sur la place de la Concorde. BENARD reçoit une grenade dans son char, lancée d’une fenêtre de la rue de Rivoli. Il est blessé et brûlé. BRANET est également blessé par des éclats de grenade. Il est évacué sur un poste de secours.
Le sergent BIZIEN, chef du char DOUAMONT tire sur un char "Panther " débouchant sur le jardin des Tuileries ; ces obus ricochent, alors il fonce sur lui et l’éperonne paralysant sa tourelle. Quelques instants après il est tué d’une balle dans la tête par un tireur d’élite embusqué derrière la clôture du jardin. Presque en même temps le sergent LAIGLE du char VILLERS-COTTERETS est tué de la même façon à l’angle des Tuileries et de la place de la Concorde, peu-être par le même tireur. Il faut noter que les chefs de chars, même pendant les engagements, avaient toujours le buste ou au moins la tête hors de la tourelle et aussi que le 501ème RCC était le seul régiment de chars dont les équipages ne portaient pas de casque mais le béret noir traditionnel.
Sur ces entrefaites la capitaine JULIEN me demande de pousser mes chars en direction de St-Philippe-du-Roule et de me tenir prêt à me rabattre sur le rond-point des Champs Elysées le cas échéant. Le vide s’étant fait suite à la fusillade de la rue de Castiglione, nous progressons sans encombre en même temps que les fantassins du R.T.M. qui nous accompagnent à pied, leurs half-tracks suivant derrière le char.
Aucune réaction ennemie, ni au Palais de l’Elysée ni place Beaubeau. Du coté de la place de la Concorde le calme est revenu aussi.
Les Parisiens commencent à sortir de chez eux et nous acclament très chaleureusement. Là aussi, ils arrivent souvent avec de bonnes bouteilles. Ils semblent vraiment heureux d’être enfin libérés et surtout par des Français.
Tout à coup, lors d’un arrêt un jeune homme français grimpe sur mon char, un poignard à la main et tente de frapper VILLETTE qui esquive la coup et maîtrise l’individu qui est immédiatement ceinturé et désarmé. Il s’avérera qu’il s’agissait d’un déséquilibré qui n’avait pas de motivation particulière pour assassiner un soldat français. Je le confie à quelques F.F.I. qui se sont approchés, et je n’ai jamais su quel sort ils lui ont réservé !
Un peu après, on me fait passer un petit billet de la part d’une jeune fille que j’ai remarquée dans la foule qui nous entoure. Il était ainsi rédigé "vous êtes un Français comme nous avons besoin d’en avoir et d’en connaître, vous avez pu vous en rendre compte ! ! Si vous passez un jour à PARIS, vous serez bien accueilli 20 rue Jean Mermoz (Elysée 09.82). Ne nous laissez pas sans nouvelle – Nelly CHABRIER ". La suite (on la connaît !) fut Paul, Gilles et Bertrand.( Nelly CHARBRIER est devenue mon épouse)
En fin d’après-midi la Compagnie BRANET se regroupe dans le jardin des Tuileries. Les chars sont camouflés sous les arbres bordant le grand bassin circulaire. Première opération : toilette général et lessive dans le bassin en question. Quel bonheur de pouvoir enfin se laver à grande eau, ce que nous n’avons pu faire durant la marche d’approche vers Paris. La garde est renforcée parce qu’on ne sait pas ce qui se passe dans d’autres quartiers où l’on entend encore des tirs de canons et d’armes automatiques. Fatigués nous passerons une bonne nuit, d’autant plus que le temps s’est remis au beau.
Le lendemain 26 Août tous les chars du 501ème seront alignés dès le matin devant le jardin des Tuileries, face à la place de la Concorde pour être passés en revue par le Général de GAULLE qui doit descendre les Champs Elysées en début d’après-midi en compagnie des autorités militaires et de la Résistance avant de monter en voiture pour se rendre à l’Hôtel-de-Ville et à Notre-Dame. Il y a foule sur les Champs-Elysées, la place de la Concorde est noire de monde. Les Parisiens sont venus, beaucoup à bicyclette, pour applaudir le Chef de la France Libre et le Général LECLERC, leur libérateur.
Dès l’arrivée du cortège place de la Concorde, une Fusillade se déclenche. Des tireurs allemands auraient tirés des toits environnants, sur la foule massée sur la place. La réplique est immédiate. Toutes les armes légères tirent n’importe où. Apparemment on ne voit rien sur les toits. C’est un vacarme infernal totalement injustifié.
Le bruit court que c’est la 5ème colonne (souvenir du début de la guerre où cette appellation désignait les espions allemands qui agissaient derrière les lignes). Suite à cette rumeur un char tire un obus sur la 5ème colonne de l’hôtel CRILLON qui en comporte une douzaine !
Le cessez le feu est alors imposé et tout ren,tre dans l’ordre. Les gens qui se sont tous couchés par terre pendant la fusillade se relèvent et essayent de comprendre ce qui s’est passé.
Le Général de GAULLE arrivera indemne à la cathédrale de PARIS malgré quelques tirs isolés du côté de la Préfecture.
Nous passons encore une nuit dans les Tuileries. Nuit un peu plus agitée que la première parce que les boches sont venus bombarder PARIS vers minuit. Plusieurs quartiers sont touchés. Au loin on aperçoit la lueur de plusieurs incendies.
Le lendemain matin nous faisons mouvement vers le bois de Boulogne. Nous serons cantonnés non loin de l’hippodrome de Longchamp. Nous y passerons quelques jours agréables à nous reposer, à remettre en état le matériel et à distribuer nos dernières cigarettes aux nombreux quémandeurs.
Le 10 septembre nous quittons PARIS en direction de l’Est. Le lendemain nous participons à la prise d’ANDELOT en Haute Marne (poche allemande fortement défendue). Ma section n’y fait que de la figuration mais nous capturons quelques fuyards qui avaient passé à travers les mailles du filet tendu autour du bourg. Ce jour là je trouve dans un fourgon allemand abandonné une authentique combinaison française spécialement conçue pour les équipages de chars, toute neuve et à ma taille. Cette combinaison avait deux énormes avantages, d’une part elle composait deux épaisseurs de forte toile avec un tissu en amiante entre les deux, ce qui assurait une protection parfaite contre le feu, d’autre part, elle était dotée d’une fermeture « éclair » qui partait du pied gauche pour arriver à l’épaule droite, avantage certain pour l’habillage et le déshabillage par rapport aux combinaisons américaines dont nous étions dotés . Cette combinaison je ne l’ai jamais quittée jusqu’à la fin de la guerre, d’autant plus qu’en dessous je pouvais porter ma tenue de sortie et être ainsi présentable en cas de malheur !
Tous mes
remerciements
Au capitaine Christen -Marcel , pour le prêt et l’exploitation de ses mémoires
et documents extraits de sa collections personnelles.